La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 17Le prince et l’ami.

Comme on l’a vu, Chicot avait vainementcherché le duc d’Anjou par les rues de Paris pendant la soirée dela Ligue.

Le duc de Guise, on se le rappelle, avaitinvité le prince à sortir : cette invitation avait inquiétél’ombrageuse altesse. François avait réfléchi, et, après réflexion,François dépassait le serpent en prudence.

Cependant, comme son intérêt à lui-mêmeexigeait qu’il vît de ses propres yeux ce qui devait se passer cesoir-là, il se décida à accepter l’invitation, mais il prit en mêmetemps la résolution de ne mettre le pied hors de son palais quebien et dûment accompagné.

De même que tout homme qui craint appelle unearme favorite à son secours, le duc alla chercher son épée, quiétait Bussy d’Amboise.

– Pour que le duc se décidât à cettedémarche, il fallait que la peur le talonnât bien fort. Depuis sadéception à l’endroit de M. de Monsoreau, Bussy boudait,et François s’avouait à lui-même qu’à la place de Bussy, et ensupposant qu’en prenant sa place il eût en même temps pris soncourage, il aurait témoigné plus que du dépit au prince qui l’eûttrahi d’une si cruelle façon.

Au reste, Bussy, comme toutes les naturesd’élite, sentait plus vivement la douleur que le plaisir : ilest rare qu’un homme intrépide au danger, froid et calme en face dufer et du feu, ne succombe pas plus facilement qu’un lâche auxémotions d’une contrariété. Ceux que les femmes font pleurer leplus facilement, ce sont les hommes qui se font le plus craindredes hommes.

Bussy dormait, pour ainsi dire, dans sadouleur : il avait vu Diane reçue à la cour, reconnue commecomtesse de Monsoreau, admise par la reine Louise au rang de sesdames d’honneur ; il avait vu mille regards curieux dévorercette beauté sans rivale, qu’il avait pour ainsi dire découverte ettirée du tombeau où elle était ensevelie. Il avait, pendant touteune soirée, attaché ses yeux ardents sur la jeune femme qui nelevait point ses yeux appesantis ; et, dans tout l’éclat decette fête, Bussy, injuste comme tout homme qui aime véritablement,Bussy, oubliant le passé et détruisant lui-même dans son esprittous les fantômes de bonheur que le passé y avait fait naître,Bussy ne s’était pas demandé combien Diane devait souffrir de tenirainsi ses yeux baissés, elle qui pouvait, en face d’elle,apercevoir un visage voilé par une tristesse sympathique, au milieude toutes ces figures indifférentes ou sottement curieuses.

– Oh ! se dit Bussy à lui-même, envoyant qu’il attendait inutilement un regard, les femmes n’ontd’adresse et d’audace que lorsqu’il s’agit de tromper un tuteur, unépoux ou une mère ; elles sont gauches, elles sont lâches,lorsqu’il s’agit de payer une dette de simple reconnaissance ;elles ont tellement peur de paraître aimer, elles attachent un prixsi exagéré à leur moindre faveur, que, pour désespérer celui quiprétend à elles, elles ne regardent point, quand tel est leurcaprice, à lui briser le cœur. Diane pouvait me direfranchement : «Merci de ce que vous avez fait pour moi,monsieur de Bussy, mais je ne vous aime pas.» J’eusse été tué ducoup, ou j’en eusse guéri. Mais non ! elle me préfère, melaisse l’aimer inutilement ; mais elle n’y a rien gagné, carje ne l’aime plus, je la méprise.

Et il s’éloigna du cercle royal, la rage dansle cœur.

En ce moment, ce n’était plus cette noblefigure que toutes les femmes regardaient avec amour et tous leshommes avec terreur : c’était un front terni, un œil faux, unsourire oblique.

Bussy, en sortant, se vit passer dans un grandmiroir de Venise et se trouva lui-même insupportable à voir.

– Mais je suis fou, dit-il ;comment, pour une personne qui me dédaigne, je me rendrais odieux àcent qui me recherchent ! Mais pourquoi me dédaigne-t-elle, ouplutôt pour qui ?

Est-ce pour ce long squelette à face livide,qui, toujours planté à dix pas d’elle, la couve sans cesse de sonjaloux regard… et qui, lui aussi, feint de ne pas me voir ? Etdire cependant que, si je le voulais, dans un quart d’heure, je letiendrais muet et glacé sous mon genou avec dix pouces de mon épéedans le cœur ; dire que, si je le voulais, je pourrais jetersur cette robe blanche le sang de celui qui y a cousu cesfleurs ; dire que, si je le voulais, ne pouvant être aimé, jeserais au moins terrible et haï !

Oh ! sa haine ! sa haine !plutôt que son indifférence.

Oui, mais ce serait banal et mesquin :c’est ce que feraient un Quélus et un Maugiron, si un Quélus et unMaugiron savaient aimer. Mieux vaut ressembler à ce héros dePlutarque que j’ai tant admiré, à ce jeune Antiochus mourantd’amour, sans risquer un aveu, sans proférer une plainte. Oui, jeme tairai ! Oui, moi qui ai lutté corps à corps avec tous leshommes effrayants de ce siècle ; moi qui ai vu Crillon, lebrave Crillon lui-même, désarmé devant moi, et qui ai tenu sa vie àma merci. Oui, j’éteindrai ma douleur et l’étoufferai dans mon âme,comme a fait Hercule du géant Antée, sans lui laisser toucher uneseule fois du pied l’Espérance, sa mère. Non, rien ne m’estimpossible à moi, Bussy, que, comme Crillon, on a surnommé lebrave, et tout ce que les héros ont fait, je le ferai.

Et, sur ces mots, il déroidit la mainconvulsive avec laquelle il déchirait sa poitrine, il essuya lasueur de son front et marcha lentement vers la porte ; sonpoing allait frapper rudement la tapisserie : il se commandala patience et la douceur, et il sortit, le sourire sur les lèvreset le calme sur le front, avec un volcan dans le cœur.

Il est vrai que, sur sa route, il rencontraM. le duc d’Anjou et détourna la tête, car il sentait quetoute sa fermeté d’âme ne pourrait aller jusqu’à sourire, et mêmesaluer le prince qui l’appelait son ami et qui l’avait trahi siodieusement.

En passant, le prince prononça le nom deBussy, mais Bussy ne se détourna même point.

Bussy rentra chez lui. Il plaça son épée surla table, ôta son poignard de sa gaîne, dégrafa lui-même pourpointet manteau, et s’assit dans un grand fauteuil en appuyant sa tête àl’écusson de ses armes qui en ornait le dossier.

Ses gens le virent absorbé ; ils crurentqu’il voulait reposer, et s’éloignèrent. Bussy ne dormaitpas : il rêvait.

Il passa de cette façon plusieurs heures sanss’apercevoir qu’à l’autre bout de la chambre un homme, assis commelui, l’épiait curieusement, sans faire un geste, sans prononcer unmot, attendant, selon toute probabilité, l’occasion d’entrer enrelation, soit par un mot, soit par un signe.

Enfin, un frisson glacial courut sur lesépaules de Bussy et fit vaciller ses yeux ; l’observateur nebougea point.

Bientôt les dents du comte cliquèrent les unescontre les autres ; ses bras se roidirent ; sa tête,devenue trop pesante, glissa le long du dossier du fauteuil ettomba sur son épaule.

En ce moment, l’homme qui l’examinait se levade sa chaise en poussant un soupir, et s’approcha de lui.

– Monsieur le comte, dit-il, vous avez lafièvre.

Le comte leva son front qu’empourprait lachaleur de l’accès.

– Ah ! c’est toi, Remy, dit-il.

– Oui, comte ; je vous attendaisici.

– Ici, et pourquoi ?

– Parce que là où l’on souffre on nereste pas longtemps.

– Merci, mon ami, dit Bussy en prenant lamain du jeune homme.

Remy garda entre les siennes cette mainterrible, devenue plus faible que la main d’un enfant, et, lapressant avec affection et respect contre son cœur :

– Voyons, dit-il, il s’agit de savoir,monsieur le comte, si vous voulez demeurer ainsi : voulez-vousque la fièvre gagne et vous abatte ? restez debout ;voulez-vous la dompter ? mettez-vous au lit, et faites-vouslire quelque beau livre où vous puissiez puiser l’exemple et laforce.

Le comte n’avait plus rien à faire au mondequ’obéir ; il obéit.

C’est donc en son lit que le trouvèrent tousles amis qui le vinrent visiter.

Pendant toute la journée du lendemain, Remy nequitta point le chevet du comte ; il avait la doubleattribution de médecin du corps et de médecin de l’âme ; ilavait des breuvages rafraîchissants pour l’un, il avait de doucesparoles pour l’autre.

Mais le lendemain, qui était le jour oùM. de Guise était venu au Louvre, Bussy regarda autour delui, Remy n’y était point.

– Il s’est fatigué, pensa Bussy ;c’est bien naturel ! pauvre garçon, qui doit avoir tant besoind’air, de soleil et de printemps ! Et puis Gertrudel’attendait, sans doute ; Gertrude n’est qu’une femme dechambre, mais elle l’aime… Une femme de chambre qui aime vaut mieuxqu’une reine qui n’aime pas.

La journée se passa ainsi, Remy ne reparutpas ; justement parce qu’il était absent, Bussy ledésirait ; il se sentait contre ce pauvre garçon de terriblesmouvements d’impatience.

– Oh ! murmura-t-il une fois oudeux, moi qui croyais encore à la reconnaissance et àl’amitié ! Non, désormais je ne veux plus croire à rien.

Vers le soir, quand les rues commençaient às’emplir de monde et de rumeurs, quand le jour déjà disparu nepermettait plus de distinguer les objets dans l’appartement, Bussyentendit des voix très hautes et très nombreuses dans sonantichambre.

Un serviteur accourut alors tout effaré.

– Monseigneur le duc d’Anjou, dit-il.

– Fais entrer, répliqua Bussy en fronçantle sourcil à l’idée que son maître s’inquiétait de lui, ce maîtredont il méprisait jusqu’à la politesse.

Le duc entra. La chambre de Bussy était sanslumière ; les cœurs malades aiment l’obscurité, car ilspeuplent l’obscurité de fantômes.

– Il fait trop sombre chez toi, Bussy,dit le duc ; cela doit te chagriner.

Bussy garda le silence ; le dégoût luifermait la bouche.

– Es-tu donc malade gravement, continuale duc, que tu ne me réponds pas ?

– Je suis fort malade, en effet,monseigneur, murmura Bussy.

– Alors, c’est pour cela que je ne t’aipoint vu chez moi depuis deux jours ? dit le duc.

– Oui, monseigneur, dit Bussy.

Le prince, piqué de ce laconisme, fit deux outrois tours par la chambre en regardant les sculptures qui sedétachaient dans l’ombre, et en maniant les étoffes.

– Tu es bien logé, Bussy, ce me semble dumoins, dit le duc.

Bussy ne répondit pas.

– Messieurs, dit le duc à sesgentilshommes, demeurez dans la chambre à côté ; il fautcroire que, décidément, mon pauvre Bussy est bien malade. Çà,pourquoi n’a-t-on pas prévenu Miron ? Le médecin d’un roin’est pas trop bon pour Bussy.

Un serviteur de Bussy secoua la tête : leduc regarda ce mouvement.

– Voyons, Bussy, as-tu deschagrins ? demanda le prince presque obséquieusement.

– Je ne sais pas, répondit le comte.

Le duc s’approcha, pareil à ces amants qu’onrebute, et qui, à mesure qu’on les rebute, deviennent plus soupleset plus complaisants.

– Voyons ! parle-moi donc,Bussy ! dit-il.

– Eh ! que vous dirai-je,monseigneur ?

– Tu es fâché contre moi, hein ?ajouta-t-il à voix basse.

– Moi, fâché, de quoi ? D’ailleurs,on ne se fâche point contre les princes. À quoi celaservirait-il ?

Le duc se tut.

– Mais, dit Bussy à son tour, nousperdons le temps en préambules. Allons au fait, monseigneur.

Le duc regarda Bussy.

– Vous avez besoin de moi, n’est-cepas ? dit ce dernier avec une dureté incroyable.

– Ah ! monsieur de Bussy !

– Eh ! sans doute, vous avez besoinde moi, je le répète ; croyez-vous que je pense que c’est paramitié, que vous me venez voir ? Non, pardieu, car vousn’aimez personne.

– Oh ! Bussy !… toi, me dire depareilles choses !

– Voyons, finissons-en ; parlez,monseigneur, que vous faut-il ? Quand on appartient à unprince, quand ce prince dissimule au point de vous appeler mon ami,eh bien ! il faut lui savoir gré de la dissimulation et luifaire tout sacrifice, même celui de la vie. Parlez.

Le duc rougit ; mais, comme il était dansl’ombre, personne ne vit cette rougeur.

– Je ne voulais rien de toi, Bussy, et tute trompes, dit-il, en croyant ma visite intéressée. Je désireseulement, voyant le beau temps qu’il fait, et tout Paris étant émuce soir de la signature de la Ligue, t’avoir en ma compagnie pourcourir un peu la ville.

Bussy regarda le duc.

– N’avez-vous pas Aurilly ?dit-il.

– Un joueur de luth.

– Ah ! monseigneur ! vous nelui donnez pas toutes ses qualités, je croyais qu’il remplissaitencore près de vous d’autres fonctions. Et, en dehors d’Aurilly,d’ailleurs, vous avez encore dix ou douze gentilshommes dontj’entends les épées retentir sur les boiseries de monantichambre.

La portière se souleva lentement.

– Qui est là ? demanda le duc avechauteur, et qui entre sans se faire annoncer dans la chambre où jesuis ?

– Moi, Remy, répondit le Haudoin enfaisant une entrée majestueuse et nullement embarrassée.

– Qu’est-ce que Remy ? demanda leduc.

– Remy, monseigneur, répondit le jeunehomme, c’est le médecin.

– Remy, dit Bussy, c’est plus que lemédecin, monseigneur, c’est l’ami.

– Ah ! fît le duc blessé.

– Tu as entendu ce que monseigneurdésire, demanda Bussy en s’apprêtant à sortir du lit.

– Oui, que vous l’accompagniez,mais….

– Mais quoi ? dit le duc.

– Mais vous ne l’accompagnerez pas,monseigneur, répondit le Haudoin.

– Et pourquoi cela ? s’écriaFrançois.

– Parce qu’il fait trop froid dehors,monseigneur.

– Trop froid ? dit le duc surprisqu’on osât lui résister.

– Oui ! trop froid. En conséquence,moi qui réponds de la santé de M. de Bussy à ses amis età moi-même, je lui défends de sortir.

Bussy n’en allait pas moins sauter en bas dulit, mais la main de Remy rencontra la sienne et la lui serra d’unefaçon significative.

– C’est bon, dit le duc. Puisqu’ilcourrait si gros risque à sortir, il restera.

Et Son Altesse, piquée outre mesure, fit deuxpas vers la porte.

Bussy ne bougea point.

Le duc revint vers le lit.

– Ainsi c’est décidé, dit-il, tu ne terisques point ?

– Vous le voyez, monseigneur, dit Bussy,le médecin le défend.

– Tu devrais voir Miron, Bussy ;c’est un grand docteur.

– Monseigneur, j’aime mieux un médecinami qu’un médecin savant, dit Bussy.

– En ce cas, adieu !

– Adieu, monseigneur !

Et le duc sortit avec grand fracas.

À peine fut-il dehors, que Remy, qui l’avaitsuivi des yeux jusqu’à ce qu’il fût sorti de l’hôtel, accourut prèsdu malade.

– Çà, dit-il, monseigneur, qu’on se lève,et tout de suite, s’il vous plaît.

– Pour quoi faire me lever ?

– Pour venir faire un tour avec moi. Ilfait trop chaud dans cette chambre.

– Mais tu disais tout à l’heure au ducqu’il faisait trop froid dehors !

– Depuis qu’il est sorti la température achangé.

– De sorte que… dit Bussy en se soulevantavec curiosité.

– De sorte qu’en ce moment, répondit leHaudoin, je suis convaincu que l’air vous serait bon.

– Je ne comprends pas, fit Bussy.

– Est-ce que vous comprenez quelque choseaux potions que je vous donne ? vous les avalez cependant.Allons ! sus ! levons-nous : une promenade avecM. le duc d’Anjou était dangereuse, avec le médecin elle estsalutaire ; c’est moi qui vous le dis. N’avez-vous donc plusconfiance en moi ? alors il faut me renvoyer.

– Allons donc, dit Bussy, puisque tu leveux.

– Il le faut.

Bussy se leva pâle et tremblant.

– L’intéressante pâleur, dit Remy, lebeau malade !

– Mais où allons-nous ?

– Dans un quartier dont j’ai analysél’air aujourd’hui même.

– Et cet air ?

– Est souverain pour votre maladie,monseigneur.

Bussy s’habilla.

– Mon chapeau et mon épée !dit-il.

Il se coiffa de l’un et ceignit l’autre.

Puis tous deux sortirent.

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