La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 5Comment Chicot et son compagnon s’installèrent à l’hôtellerie duCygne de la Croix, et comment ils y furent reçus par l’hôte.

Maître Nicolas David, toujours déguisé enlaquais, se dirigea vers la place des Terreaux et choisit laprincipale hôtellerie de la place, qui était celle du Cygne de laCroix.

Chicot l’y vit entrer et demeura un instant enobservation pour s’assurer qu’il y avait trouvé de la place et que,par conséquent, il n’en sortirait pas.

– As-tu quelque objection contrel’auberge du Cygne de la Croix ? dit le Gascon à son compagnonde voyage.

– Pas la moindre, répondit celui-ci.

– Tu vas donc entrer là, tu feras prixpour une chambre retirée : tu diras que tu attends ton frère,et, en effet, tu m’attendras sur le seuil de la porte ; moi,je vais me promener et je ne rentrerai qu’à la nuit close ; àla nuit close je reviendrai, je te trouverai à ton poste, et, commetu auras fait sentinelle, que tu connaîtras le plan de la maison,tu me conduiras à la chambre sans que je me heurte aux gens que jene veux pas voir. Comprends-tu ?

– Parfaitement, dit Gorenflot.

– Choisis la chambre spacieuse, gaie,abordable, contiguë, s’il est possible, à celle du voyageur quivient d’arriver ; fais en sorte qu’elle ait des fenêtres surla rue, afin que je voie qui entre et qui sort, ne prononce mon nomsous aucun prétexte, et promets des monts d’or au cuisinier.

En effet, Gorenflot s’acquittamerveilleusement de la commission. La chambre choisie, la nuitvint, et, la nuit venue, il alla prendre Chicot par la main et leconduisit à la chambre en question. Le moine, rusé comme l’esttoujours un homme d’Église, si sot d’ailleurs que la nature l’aitcréé, fit observer à Chicot que leur chambre, située sur un autrepalier que celle de Nicolas David, était contiguë à cette chambre,et qu’elle n’en était séparée que par une cloison de bois et dechaux, facile à percer, si on le voulait.

Chicot écouta le moine avec la plus grandeattention, et quelqu’un qui eût écouté l’orateur et vu l’auditeuraurait pu suivre à l’épanouissement de l’un les paroles del’autre.

Puis, lorsque le moine eut fini :

– Tout ce que tu viens de me dire mériterécompense, répondit Chicot, tu auras ce soir du vin de Xérès àsouper, Gorenflot ; oui, tu en auras, morbleu ! ou je nesuis pas ton compère.

– Je ne connais pas l’ivresse de ce vin,dit Gorenflot ; elle doit être agréable.

– Ventre de biche ! répliqua Chicoten prenant possession de la chambre, tu la connaîtras dans deuxheures, c’est moi qui te le dis.

Chicot fit demander l’hôte.

On trouvera peut-être que le narrateur decette histoire promène, à la suite de ses personnages, son récitdans un bien grand nombre d’hôtelleries : à ceci il répondraque ce n’est point sa faute si ses personnages, les uns pour servirles désirs de leur maîtresse, les autres pour fuir la colère duroi, vont, les uns au nord et les autres au midi. Or, placé qu’ilest entre l’antiquité, qui se passait d’auberge grâce àl’hospitalité fraternelle, et la vie moderne, où l’auberge s’esttransformée en table d’hôte, force lui est de s’arrêter dans leshôtelleries où doivent se passer les scènes importantes de sonlivre ; d’ailleurs, les caravansérais de notre Occident seprésentaient à cette époque sous une triple forme qui n’était pas àdédaigner, et qui de nos jours a perdu beaucoup de soncaractère : cette triple forme était l’auberge, l’hôtellerieet le cabaret. Notez que nous ne parlons point ici de ces agréablesmaisons de baigneurs qui n’ont point leur équivalent de nos jours,et qui, léguées par la Rome des empereurs au Paris de nos rois,empruntaient à l’antiquité le multiple agrément de ses profanestolérances.

Mais ces établissements étaient encorerenfermés, sous le règne du roi Henri III, dans les murs de lacapitale : la province n’avait encore que l’hôtellerie,l’auberge et le cabaret.

Or nous sommes dans une hôtellerie.

C’est ce que fit très bien sentir l’hôte,lorsqu’il répondit à Chicot, qui l’avait fait demander, comme nousl’avons dit, qu’il eût à prendre patience, attendu qu’il causaitavec un voyageur qui, arrivé avant lui, avait le droit depriorité.

Chicot devina que ce voyageur était sonavocat.

– Que peuvent-ils se dire ? demandaChicot.

– Vous croyez donc que l’hôte et votrehomme en sont aux secrets ?

– Dame ! vous le voyez bien, puisquecette figure rogue que nous avons aperçue, et qui, je le présume,est celle de l’hôte….

– Elle-même, dit le moine.

– Consent à causer avec un homme habilléen laquais.

– Ah ! dit Gorenflot, il a changéd’habit ; je l’ai aperçu : il est maintenant vêtu tout denoir.

– Raison de plus, dit Chicot. L’hôte estsans doute de l’intrigue.

– Voulez-vous que je tâche de confessersa femme ? dit Gorenflot.

– Non, dit Chicot, j’aime mieux que tuailles faire un tour par la ville.

– Bah ! et le souper ? ditGorenflot.

– Je le ferai préparer en ton absence,tiens, voilà un écu pour te mettre en train.

Gorenflot prit l’écu avec reconnaissance.

Le moine, dans le courant du voyage, s’étaitdéjà plus d’une fois livré à ces excursions demi-nocturnes qu’iladorait, et que, grâce à son titre de frère quêteur, il risquait detemps en temps à Paris. Mais, depuis sa sortie du couvent, cesexcursions lui étaient encore plus chères. Gorenflot maintenantaspirait la liberté par tous les pores, et il en était arrivé à ceque son couvent ne se présentât déjà plus à son souvenir que sousl’aspect d’une prison.

Il sortit donc avec la robe retroussée sur lecôté et son écu dans sa poche.

À peine Gorenflot fut-il hors de la chambre,que Chicot, sans perdre un instant, prit une vrille et fit un troudans la cloison à la hauteur de l’œil. Cette ouverture, grandecomme celle d’une sarbacane, ne lui permettait pas, à cause del’épaisseur des planches, de voir distinctement les différentesparties de la chambre ; mais, en collant son oreille à cetrou, il entendait assez distinctement les voix.

Cependant, grâce à la disposition despersonnages et à la place qu’ils occupaient dans l’appartement, lehasard voulut que Chicot pût voir distinctement l’hôte, qui causaitavec Nicolas David.

Quelques mots échappaient, comme nous l’avonsdit, à Chicot ; mais ce qu’il saisit de la conversationcependant suffit à lui prouver que David faisait grand étalage desa fidélité envers le roi, parlant même d’une mission qui lui étaitconfiée par M. de Morvilliers.

Tandis qu’il parlait ainsi, l’hôte écoutaitrespectueusement sans doute, mais avec un sentiment qui était aumoins de l’indifférence, car il répondait peu. Chicot crut mêmeremarquer, soit dans ses regards, soit dans l’intonation de savoix, une ironie assez marquée chaque fois qu’il prononçait le nomdu roi.

– Eh ! eh ! dit Chicot, notrehôte serait-il ligueur, par hasard ? mordieu, je le verraibien !

Et, comme il ne se disait rien de bienimportant dans la chambre de maître Nicolas David, Chicot attenditque l’hôte lui vînt rendre visite à son tour.

Enfin la porte s’ouvrit.

L’hôte tenait son bonnet à la main, mais ilavait absolument la même physionomie goguenarde qui venait defrapper Chicot lorsqu’il l’avait vu causant avec l’avocat.

– Asseyez-vous là, mon cher monsieur, luidit Chicot, et, avant que nous fassions un arrangement définitif,écoutez, s’il vous plaît, mon histoire.

L’hôte parut écouter défavorablement cetexorde, et fit même signe de la tête qu’il désirait resterdebout.

– À votre aise, mon cher monsieur, repritChicot.

L’hôte fit un signe qui voulait dire que, pourprendre ses aises, il n’avait besoin de la permission depersonne.

– Vous m’avez vu ce matin avec un moine,continua Chicot.

– Oui, monsieur, dit l’hôte.

– Silence ! il n’en faut rien dire…ce moine est proscrit.

– Bah ! fit l’hôte, serait-ce doncquelque huguenot déguisé ?

Chicot prit un air de dignité offensée.

– Huguenot ! dit-il avec dégoût, quidonc a dit huguenot ? Sachez que ce moine est mon parent, etque je n’ai point de parents huguenots. Allons donc ! bravehomme, vous devriez rougir de dire de pareilles énormités.

– Ah ! monsieur, reprit l’hôte, celas’est vu.

– Jamais dans ma famille, seigneurhôtelier ! Ce moine, au contraire, est l’ennemi le plusacharné qui se soit jamais déchaîné contre les huguenots, de sortequ’il est tombé dans la disgrâce de S.M. Henri III, qui lesprotège, comme vous savez.

L’hôte paraissait commencer à prendre un vifintérêt à la persécution de Gorenflot.

– Silence ! dit-il en approchant undoigt de ses lèvres.

– Comment, silence ! demanda Chicot,est-ce que vous auriez ici des gens du roi, par hasard ?

– J’en ai peur, dit l’hôte avec un signede tête ; là, à côté, il y a un voyageur.

– C’est qu’alors, reprit Chicot, nousnous sauverions tout de suite, mon parent et moi ; car,proscrit, menacé…

– Et où iriez-vous ?

– Nous avons deux ou trois adresses quenous a données un aubergiste de nos amis, maître la Hurière.

– La Hurière, vous connaissez laHurière ?

– Chut ! il ne faut pas ledire ; mais nous avons fait connaissance le soir de laSaint-Barthélemy.

– Allons, dit l’hôte, je vois que vousêtes tous deux, votre parent et vous, de saintes gens ; moiaussi je connais la Hurière. J’avais même envie, quand j’achetaicette hôtellerie, de prendre en témoignage d’amitié la mêmeenseigne que lui : À la Belle-Étoile ; mais l’hôtellerieétait connue sous la dénomination de l’hôtellerie du Cygne de laCroix ; j’ai eu peur que ce changement ne me fit tort ;ainsi vous dites donc, monsieur, que votre parent…

– À eu l’imprudence de prêcher contre leshuguenots ; qu’il a eu un succès énorme, et que Sa MajestéTrès Chrétienne, furieuse de ce succès, qui lui dévoilait ladisposition des esprits, le cherchait pour le faireemprisonner.

– Et alors ? demanda l’hôte avec unaccent d’intérêt auquel il n’y avait point à se tromper.

– Ma foi, je l’ai enlevé, dit Chicot.

– Et vous avez bien fait, pauvre cherhomme.

– M. de Guise m’avait bienoffert de le protéger.

– Comment, le grand Henri de Guise ?Henri le Balafré ?

– Henri le saint.

– Oui, vous l’avez dit, Henri lesaint.

– Mais j’ai craint la guerre civile.

– Alors, dit l’hôte, si vous êtes desamis de M. de Guise, vous connaissez ceci ?

Et l’hôte fit de la main à Chicot un espèce designe maçonnique à l’aide duquel les ligueurs sereconnaissaient.

Chicot, dans la fameuse nuit qu’il avaitpassée au couvent Sainte-Geneviève, avait remarqué, non seulementce signe, qui avait été vingt fois répété devant lui, mais encorele signe qui y répondait.

– Parbleu, dit-il, et vousceci ?

Et Chicot à son tour fit le second signe.

– Alors, dit l’aubergiste avec le pluscomplet abandon, vous êtes ici chez vous : ma maison est lavôtre ; regardez-moi comme un ami, je vous regarde comme unfrère, et, si vous n’avez pas d’argent…

Chicot, pour toute réponse, tira de sa pocheune bourse qui, quoique déjà un peu entamée, présentait encore unecorpulence assez honorable.

La vue d’une bourse bien rondelette esttoujours agréable, même à l’homme généreux qui vous offre del’argent, et qui apprend ainsi que vous n’en avez pas besoin ;de sorte qu’il conserve le mérite de son offre sans avoir eu besoinde la mettre à exécution.

– Bien, dit l’hôte.

– Je vous dirai, ajouta Chicot, pour voustranquilliser davantage encore, que nous voyageons pour lapropagation de la foi, et que notre voyage nous est payé par letrésorier de la Sainte-Union. Indiquez-nous donc une hôtellerie oùnous n’ayons rien à craindre.

– Morbleu, dit l’hôte, vous ne sereznulle part plus en sûreté qu’ici, messieurs : c’est moi quivous le dis.

– Mais vous parliez tout à l’heure d’unhomme qui logeait là, à côté.

– Oui ; mais qu’il se tienne bien,car, au premier espionnage que je lui vois faire, foi deBernouillet, il déménagera.

– Vous vous nommez Bernouillet ?demanda Chicot.

– C’est mon propre nom, monsieur, et ilest connu parmi les fidèles, peut-être pas de la capitale, mais dela province. Je m’en vante aussi. Dites un mot, un seul, et je lemets à la porte.

– Pourquoi cela ? dit Chicot ;laissez-le, au contraire ; mieux vaut avoir ses ennemis prèsde soi ; on les surveille au moins.

– Vous avez raison, dit Bernouillet avecadmiration.

– Mais qui vous fait croire que cet hommeest notre ennemi ? je dis notre ennemi, continua le Gasconavec un tendre sourire, parce que je vois bien que nous sommesfrères.

– Oh ! oui, bien certainement, ditl’hôte ; ce qui me le fait croire….

– Je vous le demande.

– C’est qu’il est arrivé ici déguisé onlaquais, puis, qu’il a passé une espèce d’habit d’avocat ; oril n’est pas plus avocat que laquais, attendu que, sous un manteaujeté sur une chaise, j’ai vu passer la pointe d’une longue rapière.Puis il m’a parlé du roi comme personne n’en parle ; puisenfin il m’a avoué qu’il avait une mission deM. de Morvilliers, qui est, comme vous savez, un ministredu Nabuchodonosor.

– De l’Hérode, comme je l’appelle.

– Du Sardanapale !

– Bravo !

– Ah ! je vois que nous nousentendons, dit l’hôte.

– Pardieu, fit Chicot, ainsi jereste.

– Je le crois bien.

– Mais pas un mot de mon parent.

– Pardieu.

– Ni de moi ?

– Pour qui me prenez-vous ? Mais,silence, voici quelqu’un.

Gorenflot parut sur le seuil.

– Oh ! c’est lui, le dignehomme ! s’écria l’hôte.

Et il alla au moine, et lui fit le signe desligueurs.

Ce signe frappa Gorenflot d’étonnement etd’effroi.

– Répondez, répondez donc, mon frère, ditChicot. Notre hôte sait tout, il en est.

– Il en est, dit Gorenflot, de quoiest-il ?

– De la Sainte-Union, dit Bernouillet àdemi-voix.

– Vous voyez bien que vous pouvezrépondre ; répondez donc.

Gorenflot répondit, ce qui combla de joiel’aubergiste.

– Mais, dit Gorenflot, qui avait hâte dechanger la conversation, on m’a promis du xérès.

– Du vin de Xérès, du vin de Malaga, duvin d’Alicante, tous les vins de ma cave sont à votre disposition,mon frère.

Gorenflot promena son regard de l’hôte àChicot et de Chicot au ciel. Il ne comprenait rien à ce qui luiarrivait, et il était évident que, dans son humilité toutemonacale, il reconnaissait que son bonheur dépassait de beaucoupses mérites.

Trois jours de suite Gorenflot s’enivra :le premier jour avec du xérès, le second jour avec du malaga, letroisième jour avec de l’alicante ; mais, de toutes cesivresses, Gorenflot avoua que c’était encore celle du bourgogne quilui semblait la plus agréable, et il en revint au chambertin.

Pendant ces quatre jours où Gorenflot avaitfait ses expériences œnophiles, Chicot n’était pas sorti de sachambre, et avait guetté du soir au matin l’avocat NicolasDavid.

L’hôte, qui attribuait cette réclusion deChicot à la peur qu’il avait du prétendu royaliste, s’évertuait àfaire mille tours à celui-ci.

Mais rien n’y faisait, du moins en apparence.Nicolas David, qui avait donné rendez-vous à Pierre de Gondy àl’hôtellerie du Cygne de la Croix, ne voulait point quitter sondomicile provisoire, de peur que le messager de messieurs de Guisene le retrouvât point, de sorte qu’en présence de l’hôte ilparaissait insensible à tout. Il est vrai que, la porte ferméederrière maître Bernouillet, Nicolas David donnait à Chicot, qui nequittait pas son trou, le spectacle divertissant de ses fureurssolitaires.

Dès le lendemain de son installation dansl’auberge, s’apercevant déjà des mauvaises intentions de son hôte,il lui était échappé de dire, en lui montrant le poing, on plutôten montrant le poing à la porte par laquelle il étaitsorti :

– Encore cinq ou six jours, drôle, et tume le payeras.

Chicot en savait assez, il était sûr queNicolas David ne quitterait pas l’hôtellerie qu’il n’eût la réponsedu légat.

Mais, à l’approche de ce sixième jour, quiétait le septième de l’arrivée dans l’auberge, Nicolas David, à quil’hôte, malgré les instances de Chicot, avait signifié le prochainbesoin qu’il aurait de sa chambre, Nicolas David, disons-nous,tomba malade.

L’hôte insista pour qu’il quittât son logementtandis qu’il pouvait marcher encore ; l’avocat demandajusqu’au lendemain, prétendant que le lendemain il serait mieuxcertainement ; le lendemain il était plus mal.

Ce fut l’hôte qui vint annoncer cette nouvelleà son ami le ligueur.

– Eh bien, dit-il en se frottant lesmains, notre royaliste, noire ami d’Hérode, il va passer la revuede l’amiral, ran tan plan plan plan plan plan.

On appelait, parmi les ligueurs, passer larevue de l’amiral, enjamber de ce monde dans l’autre.

– Bah ! fit Chicot, vous croyezqu’il va mourir ?

– Fièvre abominable, mon cher frère,fièvre tierce, fièvre quartaine, avec des redoublements qui le fontbondir dans son lit ; il a une faim de démon, il a voulum’étrangler et bat mes valets ; les médecins n’y comprennentrien.

Chicot réfléchit.

– L’avez-vous vu ? demanda-t-il.

– Certainement, puisque je vous dis qu’ila voulu m’étrangler !

– Comment était-il ?

– Pâle, agité, défait, criant comme unpossédé.

– Que criait-il ?

– Prenez garde au roi. On veut du mal auroi.

– Le misérable !

– Le gueux ! Puis de temps en tempsil dit qu’il attend un homme qui vient d’Avignon, et qu’il veutvoir cet homme avant de mourir.

– Voyez-vous cela ! dit Chicot.Ah ! il parle d’Avignon !

– À chaque minute.

– Ventre de biche ! dit Chicot,laissant échapper son juron favori.

– Dites donc, reprit l’hôte ; ceserait drôle s’il allait mourir.

– Très drôle, dit Chicot ; mais jevoudrais qu’il ne mourût pas avant l’arrivée de l’hommed’Avignon.

– Pourquoi cela ? plus tôtmourra-t-il, plus tôt en serons-nous débarrassés.

– Oui ; mais je ne pousse pas lahaine jusqu’à vouloir perdre l’âme et le corps ; et, puisquecet homme vient d’Avignon pour le confesser….

– Eh ! vous voyez bien que c’estquelque fantaisie de sa fièvre, quelque imagination que la maladielui a mise en tête, et il n’attend personne.

– Bah ! qui sait ? ditChicot.

– Ah ! vous êtes d’une bonne pâte dechrétien, vous ! répliqua l’hôte.

– Rends le bien pour le mal, dit la loidivine.

L’hôte se retira émerveillé.

Quant à Gorenflot, demeuré parfaitement endehors de toutes ces préoccupations, il engraissait à vued’œil : au bout de huit jours, l’escalier qui conduisait à sachambre criait sous son poids et commençait de l’enserrer entre larampe et le mur, si bien que Gorenflot annonça un soir, avecterreur, à Chicot que l’escalier maigrissait. Au reste, David, nila Ligue, ni l’état déplorable où était tombée la religion, nel’occupait : il n’avait d’autre soin que de varier les menuset d’harmoniser les différents crus de Bourgogne avec lesdifférents mets qu’il se faisait servir, tandis que l’hôte ébahirépétait, chaque fois qu’il le voyait rentrer ou sortir :

– Et dire que c’est un torrentd’éloquence que ce gros père !

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