La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 6Comment le moine confessa l’avocat, et comment l’avocat confessa lemoine.

Enfin, le jour qui devait débarrasserl’hôtellerie de son hôte arriva ou parut arriver. MaîtreBernouillet se précipita dans la chambre de Chicot avec des éclatsde rire tellement immodérés, que celui-ci dut attendre quelquetemps avant d’en connaître la cause.

– Il se meurt, s’écriait le charitableaubergiste, il expire, il crève enfin !

– Et cela vous fait rire à cepoint ? demanda Chicot.

– Je crois bien ; c’est que le tourest merveilleux.

– Quel tour ?

– Non. Avouez que c’est vous qui le luiavez joué, mon gentilhomme.

– Moi, un tour au malade ?

– Oui !

– De quoi s’agit-il ? que lui est-ilarrivé ?

– Ce qui lui est arrivé ! Vous savezqu’il criait toujours après son homme d’Avignon !

– Eh bien, cet homme serait-il venuenfin ?

– Il est venu.

– L’avez-vous vu ?

– Parbleu ! est-ce qu’il entre iciune seule personne sans que je la voie ?

– Et comment était-il ?

– L’homme d’Avignon ? petit, minceet rose.

– C’est cela ! laissa échapperChicot.

– Là, vous voyez bien que c’est vous quile lui avez envoyé, puisque vous le reconnaissez.

– Le messager est arrivé ! s’écriaChicot en se levant et en frisant sa moustache, ventre debiche ! contez-moi donc cela, compère Bernouillet.

– Rien de plus simple, d’autant plus que,si ce n’est pas vous qui avez fait le tour, vous me direz qui celapeut être. Il y a une heure donc, je suspendais un lapin au volet,quand un grand cheval et un petit homme s’arrêtèrent devant laporte.

– Maître Nicolas est-il ici ?demanda le petit homme. Vous savez que c’est sous ce nom que cetinfâme royaliste s’est fait inscrire.

– Oui, monsieur, répondis-je.

– Dites-lui alors que la personne qu’ilattend d’Avignon est arrivée.

– Volontiers, monsieur, mais je dois vousprévenir d’une chose.

– De laquelle ?

– Que maître Nicolas, comme vousl’appelez, se meurt.

– Raison de plus pour que vous fassiez macommission sans retard.

– Mais vous ne savez peut-être pas qu’ilse meurt d’une fièvre maligne.

– Vraiment ! fit l’homme, alors jene saurais vous recommander trop de diligence.

– Comment ? vouspersistez ?

– Je persiste.

– Malgré le danger ?

– Malgré tout, je vous dis qu’il faut queje le voie.

Le petit homme se fâchait et parlait avec unton impératif qui n’admettait pas de réplique ; enconséquence, je le conduisis à la chambre du moribond.

– De sorte qu’il est là ? dit Chicoten étendant la main dans la direction de cette chambre.

– Il y est ; n’est-ce pas que c’estdrôle ?

– Excessivement drôle, dit Chicot.

– Quel malheur de ne pas pouvoirentendre !

– Oui, c’est un malheur.

– La scène doit être bouffonne.

– Au dernier degré ; mais qui doncvous empêche d’entrer ?

– Il m’a renvoyé.

– Sous quel prétexte ?

– Sous prétexte qu’il allait seconfesser.

– Qui vous empêche d’écouter à laporte ?

– Eh ! vous avez raison, dit l’hôteen s’élançant hors de la chambre.

Chicot, de son côté, courut à son trou.

Pierre de Gondy était assis au chevet du litdu malade : mais ils parlaient si bas tous deux, que Chicot neput entendre un seul mot de leur conversation.

D’ailleurs, l’eût-il entendue, cetteconversation, tirant à sa fin, lui eût appris peu de chose ;car, après cinq minutes, M. de Gondy se leva, prit congédu mourant et sortit.

Chicot courut à la fenêtre.

Un laquais, monté sur un courtaud, tenait enbride le grand cheval dont avait parlé l’hôte : un instantaprès l’ambassadeur de MM. de Guise parut, se mit enselle et tourna l’angle de la rue qui conduisait à la grande rue deParis.

– Mordieu ! dit Chicot, pourvu qu’iln’emporte pas la généalogie ; en tout cas, je le rejoindraitoujours, dussé-je crever dix chevaux pour le rejoindre.

Mais non, dit-il, ces avocats sont de finsrenards, le nôtre surtout, et je soupçonne… Je vous demande un peu,continua Chicot frappant du pied avec impatience, et rattachantsans doute dans son esprit son idée à une autre, je vous demande unpeu où est ce drôle de Gorenflot.

En ce moment l’hôte rentra.

– Eh bien ? demanda Chicot.

– Il est parti, dit l’hôte.

– Le confesseur ?

– Qui n’est pas plus un confesseur quemoi.

– Et le malade ?

– Il s’est évanoui après laconférence.

– Vous êtes sûr qu’il est toujours danssa chambre ?

– Parbleu ! il n’en sortiraprobablement que pour se faire conduire au cimetière.

– C’est bon ; allez, et envoyez-moimon frère aussitôt qu’il reparaîtra.

– Même s’il est ivre ?

– En quelque état qu’il soit.

– C’est donc urgent ?

– C’est pour le bien de la chose.

Bernouillet sortit précipitamment :c’était un homme plein de zèle.

C’était au tour de Chicot d’avoir lafièvre ; il ne savait s’il devait courir après Gondy oupénétrer chez David ; si l’avocat était aussi malade que leprétendait l’aubergiste, il était probable qu’il avait chargéM. de Gondy de ses dépêches. Chicot arpentait donc sachambre comme un fou, se frappant le front et cherchant une idéeparmi les millions de globules bouillonnant dans son cerveau.

On n’entendait plus rien dans la chambre deson observatoire, Chicot ne pouvait apercevoir que l’angle du litenveloppé dans ses rideaux.

Tout à coup une voix retentit dans l’escalier.Chicot tressaillit : c’était celle du moine.

Gorenflot, poussé par l’hôte, qui voulaitinutilement le faire taire, montait une à une les marches del’escalier, en chantant d’une voix avinée :

Le vin   Et le chagrin

Se battent dans ma tête ;

Ils y font un tel train

Que c’est une tempête.

Mais l’un est le plus fort :   C’est levin !

Si bien que le chagrin   En sort   Grandtrain.

Chicot courut à la porte.

– Silence donc, ivrogne !cria-t-il.

– Ivrogne, dit Gorenflot, parce qu’on abu !

– Voyons ! viens ici, et vous,Bernouillet, vous savez….

– Oui, dit l’aubergiste en faisant unsigne d’intelligence et en descendant les escaliers quatre àquatre.

– Viens ici, te dis-je, continua Chicoten tirant le moine dans sa chambre, et causons sérieusement, si tupeux.

– Parbleu ! dit Gorenflot, vousraillez, compère. Je suis sérieux comme un âne qui boit.

– Ou qui a bu, dit Chicot en levant lesépaules.

Puis il le conduisit à un siège sur lequelGorenflot se laissa aller en poussant un ah ! plein dejubilation.

Chicot alla fermer la porte et revint àGorenflot avec un visage si sérieux, que celui-ci comprit qu’ils’agissait d’écouter.

– Voyons, qu’y a-t-ilencore ? dit le moine, comme si ce mot résumaittoutes les persécutions que Chicot lui faisait endurer.

– Il y a, répondit Chicot fort rudement,que tu ne songes pas assez aux devoirs de ta profession ; tute vautres dans la débauche, tu pourris dans l’ivrognerie, et,pendant ce temps, la religion devient ce qu’elle peut,corbœuf !

Gorenflot leva ses deux gros yeux étonnés surson interlocuteur.

– Moi ? dit-il.

– Oui, toi ; regarde, tu es ignobleà voir. Ta robe est déchirée, tu t’es battu en chemin, tu as l’œilgauche cerclé de noir.

– Moi ! reprit Gorenflot, de plus enplus étonné des reproches auxquels Chicot ne l’avait pointhabitué.

– Sans doute ; tu as de la bouepar-dessus les genoux, et quelle boue ! de la boue blanche, cequi prouve que tu as été t’enivrer dans les faubourgs.

– C’est ma foi vrai, dit Gorenflot.

– Malheureux ! un moinegénovéfain ! si tu étais cordelier encore !

– Chicot, mon ami, je suis donc biencoupable ? dit Gorenflot attendri.

– C’est-à-dire que tu mérites que le feudu ciel te consume jusqu’aux sandales ; prends garde, si celacontinue, je t’abandonne.

– Chicot, mon ami, dit le moine, tu neferais pas cela.

– Il y a aussi des archers à Lyon.

– Oh ! grâce, mon cherprotecteur ! balbutia le moine, qui se mit non pas à pleurer,mais à beugler comme un taureau.

– Fi ! la laide brute !continua Chicot, et dans quel moment, je te le demande, telivres-tu à de pareils déportements ? quand nous avons unvoisin qui se meurt.

– C’est vrai, dit Gorenflot d’un airprofondément contrit.

– Voyons, es-tu chrétien, oui ounon ?

– Si je suis chrétien ! s’écriaGorenflot en se levant, si je suis chrétien ! tripes dupape ! je le suis ; je le proclamerais sur le gril desaint Laurent.

Et, le bras étendu comme pour jurer, il se mità chanter, de façon à briser les vitres :

Je suis chrétien,

C’est mon seul bien.

– Assez, dit Chicot en le bâillonnantavec la main, si tu es chrétien, ne laisse pas mourir ton frèresans confession.

– C’est juste, où est mon frère ?que je le confesse, dit Gorenflot, c’est-à-dire quand j’aurai bu,car je meurs de soif.

Et Chicot passa au moine un pot plein d’eau,que celui-ci vida presque entièrement.

– Ah ! mon fils, dit-il en reposantle pot sur la table, je commence à voir clair.

– C’est bien heureux, répondit Chicot,décidé à profiter de ce moment de lucidité.

– Maintenant, mon tendre ami, continua lemoine, qui faut-il que je confesse ?

– Notre malheureux voisin qui semeurt.

– Qu’on lui donne une pinte de vin aumiel, dit Gorenflot.

– Je ne dis pas non ; mais il a plusbesoin des secours spirituels que des secours temporels. Tu vasl’aller trouver.

– Croyez-vous que je sois suffisammentpréparé, monsieur Chicot ? demanda timidement le moine.

– Toi ! je ne t’ai jamais vu siplein d’onction qu’en ce moment. Tu le ramèneras au bien s’il estégaré, tu l’enverras droit au paradis s’il en cherche la route.

– J’y cours.

– Attends donc, il faut que je t’indiquela marche à suivre.

– Pourquoi faire ? on sait son étatpeut-être, depuis vingt ans qu’on est moine.

– Oui, mais ce n’est pas seulement tonétat qu’il faut que tu fasses aujourd’hui, c’est aussi mavolonté.

– Votre volonté ?

– Et si tu l’exécutes ponctuellement,entends-tu bien ? je te place cent pistoles à la Corned’Abondance, à boire ou à manger, à ton choix.

– À boire et à manger, j’aime mieuxcela.

– Eh bien, soit, cent pistoles, tuentends ? si tu confesses ce digne moribond.

– Je le confesserai, ou la pestem’étouffe. Comment faut-il que je le confesse ?

– Écoute : ta robe te donne unegrande autorité, tu parles au nom de Dieu et au nom du roi ;il faut, par ton éloquence, contraindre cet homme à te remettre lespapiers qu’on vient de lui apporter d’Avignon.

– Pourquoi faire le contraindre à meremettre ces papiers ?

Chicot regarda en pitié le moine.

– Pour avoir mille livres, double brute,lui dit-il.

– C’est juste, fit Gorenflot ; j’yvais.

– Attends donc, il te dira qu’il vient dese confesser.

– Alors, s’il vient de seconfesser ?

– Tu lui répondras qu’il en amenti ; que celui qui sort de sa chambre n’est point unconfesseur, mais un intrigant comme lui.

– Mais il se fâchera.

– Que t’importe, puisqu’il semeurt ?

– C’est juste.

– Alors, tu comprends, tu parleras deDieu, tu parleras du diable, tu parleras de ce que tuvoudras ; mais, d’une façon ou de l’autre, tu lui tireras desmains des papiers qui viennent d’Avignon.

– Et s’il refuse ?

– Tu lui refuseras l’absolution, tu lemaudiras, tu l’anathématiseras.

– Ou je les lui prendrai de force.

– Eh bien, encore, soit ; mais,voyons, es-tu suffisamment dégrisé pour exécuter ponctuellement mesinstructions ?

– Ponctuellement, vous allez voir.

Et Gorenflot, passant une main sur son largevisage, sembla en effacer les traces superficielles del’ivresse ; ses yeux devinrent calmes, bien qu on eût pu, avecde l’attention, les trouver hébétés ; sa bouche n’articulaplus que des paroles scandées avec modération, son geste devintsobre, tout en demeurant un peu tremblant.

Puis il se dirigea vers la porte avecsolennité.

– Un moment, dit Chicot ; quand ilt’aura donné les papiers, serre-les bien dans une main et frappe del’autre à la muraille.

– Et s’il me les refuse ?

– Frappe encore.

– Alors, dans l’un et l’autre cas, jedois frapper ?

– Oui.

– C’est bien.

Et Gorenflot sortit de la chambre, tandis queChicot, en proie à une émotion indéfinissable, collait son oreilleà la muraille, afin de percevoir jusqu’au moindre bruit.

Dix minutes après, le craquement du plancherlui annonça que Gorenflot entrait chez son voisin, et bientôt il levit apparaître dans le cercle que son rayon visuel pouvaitembrasser.

L’avocat se souleva dans son lit, et regardas’approcher l’étrange apparition.

– Eh ! bonjour, mon frère, ditGorenflot s’arrêtant au milieu de la chambre et équilibrant seslarges épaules.

– Que venez-vous faire ici, monpère ? murmura le malade d’une voix affaiblie.

– Mon fils, je suis un religieux indigne,j’apprends que vous êtes en danger, et je viens vous parler desintérêts de votre âme.

– Merci, dit le moribond ; mais jecrois votre soin inutile. Je vais un peu mieux.

Gorenflot secoua la tête.

– Vous le croyez ? dit-il.

– J’en suis sûr.

– Ruse de Satan, qui voudrait vous voirmourir sans confession.

– Satan serait attrapé, dit lemalade ; je viens de me confesser à l’instant même.

– À qui ?

– À un digne prêtre qui vientd’Avignon.

Gorenflot secoua la tête.

– Comment ! ce n’est pas unprêtre ?

– Non.

– Comment le savez-vous ?

– Je le connais.

– Celui qui sort d’ici ?

– Oui, dit Gorenflot avec un accent pleind’une telle conviction, que, si difficiles à démonter que soient engénéral les avocats, celui-ci se troubla.

– Or, comme vous n’allez pas mieux, ditGorenflot, et comme cet homme n’était pas un prêtre, il faut vousconfesser.

– Je ne demande pas mieux, dit l’avocatd’une voix un peu plus forte ; mais je veux me confesser à quime plaît.

– Vous n’avez pas le temps d’en envoyerchercher un autre, mon fils, et puisque me voilà….

– Comment ! je n’aurai pas letemps ! s’écria le malade avec une voix qui se développa deplus en plus ; quand je vous dis que je vais mieux !quand je vous affirme que je suis sûr d’en réchapper !

Gorenflot secoua une troisième fois latête.

– Et moi, dit-il avec le même flegme, jevous affirme à mon tour, mon fils, que je ne compte sur rien de bonà votre égard ; vous êtes condamné par les médecins et aussipar la divine Providence ; c’est cruel à vous dire, je le saisbien ; mais enfin nous en arrivons tous là, soit un peu plustôt, soit un peu plus tard ; il y a la balance, la balance dela justice ; et puis c’est consolant de mourir en cette vie,puisque l’on ressuscite dans l’autre. Pythagoras lui-même ledisait, mon fils, et ce n’était qu’un païen. Allons,confessez-vous, mon cher enfant.

– Mais je vous assure, mon père, que jeme sens déjà plus fort, et c’est probablement un effet de votresainte présence.

– Erreur, mon fils, erreur, insistaGorenflot ; il y a au dernier moment une recrudescencevitale : c’est la lampe qui se ranime pour jeter un dernieréclat. Voyons, continua le moine en s’asseyant près du lit,dites-moi vos intrigues, vos complots, vos machinations.

– Mes intrigues, mes complots, mesmachinations ! répéta Nicolas David en se reculant devant lesingulier moine qu’il ne connaissait pas et qui paraissait leconnaître si bien.

– Oui, dit Gorenflot en disposanttranquillement ses larges oreilles à entendre et en joignant sesdeux pouces au-dessus de ses mains entrelacées ; puis, quandvous m’aurez dit tout cela, vous me donnerez les papiers, etpeut-être Dieu permettra-t-il que je vous absolve.

– Et quels papiers ? s’écria lemalade d’une voix aussi forte et aussi vigoureusement accentuée ques’il eût été en pleine santé.

– Les papiers que ce prétendu prêtrevient de vous apporter d’Avignon.

– Et qui vous a dit que ce prétenduprêtre m’avait apporté des papiers ? demanda l’avocat ensortant une jambe de la couverture et avec un accent si brusque queGorenflot en fut troublé dans le commencement de béatitude quil’assoupissait sur son fauteuil.

Gorenflot pensa que le moment était venu demontrer de la vigueur.

– Celui qui l’a dit sait ce qu’il dit,reprit-il ; allons, les papiers, les papiers, ou pasd’absolution.

– Eh ! je me moque bien de tonabsolution, bélître, s’écria David en bondissant hors du lit et ensautant à la gorge de Gorenflot.

– Eh ! mais, s’écria celui-ci, vousavez donc la fièvre chaude ? vous ne voulez donc pas vousconfesser, vous ?

Le pouce de l’avocat, adroitement etvigoureusement appliqué sur la gorge du moine, interrompit saphrase, qui fut continuée par un sifflement qui ressemblait fort àun râle.

– Je ne veux confesser que toi, frocardde Belzébuth, s’écria l’avocat David, et quant à la fièvre chaude,tu vas voir si elle me serre au point de m’empêcher det’étrangler.

Frère Gorenflot était robuste, mais il enétait malheureusement à ce moment de réaction où l’ivresse agit surle système nerveux et le paralyse, ce qui arrive d’ordinaire enmême temps que, par une réaction opposée, les facultés commencent àreprendre de la vigueur.

Il ne put donc, en réunissant toutes sesforces, que se soulever sur son siège, empoigner la chemise del’avocat à deux mains, et le repousser violemment loin de lui.

Il est juste de dire que, tout paralysé qu’ilétait, frère Gorenflot repoussa si violemment Nicolas David, quecelui-ci alla rouler au milieu de la chambre.

Mais il se releva furieux, et sautant surcette longue épée qu’avait remarquée maître Bernouillet, laquelleétait suspendue à la muraille derrière ses habits, il la tira dufourreau et en vint présenter la pointe au col du moine, qui,épuisé par cet effort suprême, était retombé sur son fauteuil.

– C’est à ton tour de te confesser, luidit-il d’une voix sourde, ou tu vas mourir !

Gorenflot, complètement dégrisé par ladésagréable pression de cette pointe froide sur sa chair, compritla gravité de la situation.

– Oh ! dit-il, vous n’étiez donc pasmalade, c’était donc une comédie que cette prétendueagonie ?

– Tu oublies que ce n’est point à toid’interroger, dit l’avocat, mais de répondre.

– Répondre à quoi ?

– À ce que je te vais demander.

– Faites.

– Qui es-tu ?

– Vous le voyez bien, dit le moine.

– Ce n’est pas répondre, fit l’avocat enappuyant l’épée un degré plus fort.

– Et que diable ! faites doncattention ! si vous me tuez avant que je vous réponde, vous nesaurez rien du tout.

– Tu as raison, ton nom ?

– Frère Gorenflot.

– Tu es donc un vrai moine ?

– Comment, un vrai moine ? je lecrois bien.

– Pourquoi te trouves-tu àLyon ?

– Parce que je suis exilé.

– Qui t’a conduit dans cethôtel ?

– Le hasard.

– Depuis combien de jours yes-tu ?

– Depuis seize jours.

– Pourquoi m’espionnais-tu ?

– Je ne vous espionnais pas.

– Comment savais-tu que j’avais reçu despapiers ?

– Parce qu’on me l’avait dit.

– Qui te l’avait dit ?

– Celui qui m’a envoyé vers vous.

– Qui t’a envoyé vers moi ?

– Voilà ce que je ne puis dire.

– Et ce que tu me diras cependant.

– Oh là ! s’écria le moine.Vertudieu ! j’appelle, je crie.

– Et moi je tue.

Le moine jeta un cri ; une goutte de sangparut à la pointe de l’épée de l’avocat.

– Son nom ? dit celui-ci.

– Ah ! ma foi, tant pis, dit lemoine ; j’ai tenu tant que j’ai pu.

– Oui, va, et ton honneur est à couvert.Celui qui t’a envoyé vers moi ?…

– C’est….

Gorenflot hésita encore, il lui en coûtait detrahir l’amitié.

– Achève donc, dit l’avocat en frappantdu pied.

– Ma foi, tant pis ! c’estChicot.

– Le fou du roi ?

– Lui-même !

– Et où est-il ?

– Me voilà ! dit une voix.

Et Chicot, à son tour, parut sur la porte,pâle, grave, et l’épée nue à la main.

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