La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 24Comment le roi nomma un chef qui n’était ni son altesse le ducd’Anjou ni monseigneur le duc de Guise.

Messieurs, dit le roi au milieu du plusprofond silence, et après s’être assuré que d’Épernon, Schomberg,Maugiron et Quélus, remplacés dans leur garde par un poste de dixSuisses, étaient venus le rejoindre et se tenaient derrièrelui ; Messieurs, un roi entend également, placé qu’il est,pour ainsi dire, entre le ciel et la terre, les voix qui viennentd’en haut et les voix qui viennent d’en bas, c’est-à-dire ce quecommande Dieu et ce que demande son peuple. C’est une garantie pourtous mes sujets, et je comprends aussi parfaitement cela, quel’association de tous les pouvoirs réunis en un seul faisceau pourdéfendre la foi catholique. Aussi ai-je pour agréable le conseilque nous a donné mon cousin de Guise. Je déclare donc la sainteLigue bien et dûment autorisée et instituée, et, comme il fautqu’un si grand corps ait une bonne et puissante tête, comme ilimporte que le chef appelé à soutenir l’Église soit un des fils lesplus zélés de l’Église, et que ce zèle lui soit imposé par sanature même et sa charge, je prends un prince chrétien pour lemettre à la tête de la Ligue, et je déclare que désormais ce chefs’appellera….

Henri fit à dessein une pause.

Le vol d’un moucheron eût fait événement aumilieu de l’immobilité générale.

Henri répéta.

– Et je déclare que ce chef s’appelleraHenri de Valois, roi de France et de Pologne.

Henri, en prononçant ces paroles, avait hausséla voix avec une sorte d’affectation, en signe de triomphe et pouréchauffer l’enthousiasme de ses amis prêts à éclater, comme aussipour achever d’écraser les ligueurs dont les sourds murmuresdécelaient le mécontentement, la surprise et l’épouvante.

Quant au duc de Guise, il était demeuréanéanti : de larges gouttes de sueur coulaient de sonfront ; il échangea un regard avec le duc de Mayenne et lecardinal son frère, qui se tenaient au milieu des deux groupes dechefs, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche.

Monsoreau, plus étonné que jamais de l’absencedu duc d’Anjou, commença à se rassurer en se rappelant les parolesde Henri III.

En effet, le duc pouvait être disparu sansêtre parti.

Le cardinal quitta sans affectation le groupedans lequel il se trouvait et se glissa jusqu’à son frère.

– François, lui dit-il à l’oreille, ou jeme trompe fort, ou nous ne sommes plus en sûreté ici. Hâtons-nousde prendre congé, car la populace est étrange, et le roi qu’elleexécrait hier va devenir son idole pour quelques jours.

– Soit, dit Mayenne, partons. Attendeznotre frère ici : moi, je vais préparer la retraite.

– Allez.

Pendant ce temps, le roi avait signé l’actepréparé sur la table et dressé d’avance parM. de Morvilliers, la seule personne qui fût, avec lareine mère, dans la connaissance du secret ; puis il avait, dece ton goguenard qu’il savait si bien prendre dans l’occasion, diten nasillant à M. de Guise :

– Signez donc, mon beau cousin.

Et il lui avait passé la plume.

Puis, lui désignant la place du bout dudoigt :

– Là, là, avait-il dit, au-dessous demoi. Maintenant passez à M. le cardinal et à M. le duc deMayenne.

Mais le duc de Mayenne était déjà au bas desdegrés et le cardinal dans l’autre chambre.

Le roi remarqua leur absence.

– Alors, passez à M. le grandveneur, dit-il.

Le duc signa, passa la plume au grand veneur,et fit un mouvement pour se retirer.

– Attendez, dit le roi.

Et, pendant que Quélus reprenait d’un airnarquois la plume des mains de M. de Monsoreau, et quenon seulement toute la noblesse présente, mais encore tous leschefs de corporations convoqués pour ce grand événements’apprêtaient à signer au-dessous du roi, et sur des feuillesvolantes auxquelles devaient faire suite les différents registresoù, la veille, chacun avait pu, qu’il fût petit ou grand, noble ouvilain, inscrire son nom en toutes lettres, pendant ce temps, leroi disait au duc de Guise :

– Mon cousin, c’était votre avis, jecrois : faire, pour garde de notre capitale, une bonne arméeavec toutes les forces de la Ligue ? L’armée est faite etconvenablement faite, puisque le général naturel des Parisiens,c’est le roi.

– Assurément, sire, répondit le duc sanstrop savoir ce qu’il disait.

– Mais je n’oublie pas, continua le roi,que j’ai une autre armée à commander, et que ce commandementappartient de droit au premier homme de guerre du royaume. Tandisque moi je commanderai à la Ligue, allez donc commander l’armée,mon cousin.

– Et quand dois-je partir ? demandale duc.

– Sur-le-champ, répondit le roi.

– Henri ! Henri ! fit Chicotque l’étiquette empêcha de courir sus au roi pour l’arrêter enpleine harangue, comme il en avait bonne envie.

Mais, comme le roi ne l’avait pas entendu, ou,s’il l’avait entendu, ne l’avait pas compris, il s’avançarévérencieusement, tenant à la main une énorme plume, et, sefaisant jour jusqu’à ce qu’il fût près du roi :

– Tu te tairas, j’espère, double niais,lui dit-il tout bas.

Mais il était déjà trop tard. Le roi, commenous l’avons vu, avait déjà annoncé au duc de Guise sa nomination,et lui remettait son brevet signé à l’avance, et cela malgré tousles gestes et toutes les grimaces du Gascon.

Le duc de Guise prit son brevet et sortit.

Le cardinal l’attendait à la porte de lasalle, et le duc de Mayenne les attendait tous deux à la porte duLouvre.

Ils montèrent à cheval à l’instant même, etdix minutes ne s’étaient pas écoulées, que tous trois étaient horsde Paris.

Le reste de l’assemblée se retira peu à peu.Les uns criaient : Vive le roi ! les autres : Vivela Ligue !

– Au moins, dit Henri en riant, j’airésolu un grand problème.

– Oh ! oui, murmura Chicot, tu es unfier mathématicien, va !

– Sans doute, reprit le roi, en faisantpousser à tous ces coquins les deux cris opposés, je suis parvenu àleur faire crier la même chose.

– Sta bene ! dit la reinemère à Henri en lui serrant la main.

– Crois cela et bois du lait, dit leGascon ; elle enrage : ses Guises sont presque aplatis ducoup.

– Oh ! sire, sire, s’écrièrent lesfavoris en s’approchant tumultueusement du roi, la sublimeimagination que vous avez eue là !

– Ils croient que l’argent va leurpleuvoir comme manne, dit Chicot à l’autre oreille du roi.

Henri fut reconduit en triomphe à sonappartement ; au milieu du cortège qui accompagnait et suivaitle roi, Chicot jouait le rôle du détracteur antique en poursuivantson maître de ses lamentations.

Cette persistance de Chicot à rappeler audemi-dieu du jour qu’il n’était qu’un homme frappa le roi au pointqu’il congédia tout le monde et demeura seul avec Chicot.

– Ah ça ! dit Henri en se retournantvers le Gascon, savez-vous que vous n’êtes jamais content, maîtreChicot, et que cela devient assommant ? Que diable ! cen’est pas de la complaisance que je vous demande, c’est du bonsens.

– Tu as raison, Henri, dit Chicot, carc’est ce dont tu as le plus besoin.

– Conviens, au moins, que le coup estbien joué ?

– C’est justement de cela que je ne veuxpas convenir.

– Ah ! tu es jaloux, monsieur le roide France !

– Moi, Dieu m’en garde ! jechoisirais mieux mes sujets de jalousie.

– Corbleu ! monsieurl’épilogueur !….

– Oh ! quel amour-propreféroce !

– Voyons, suis-je, ou non, roi de laLigue ?

– Certainement, et c’est incontestable,tu l’es. Mais…

– Mais quoi ?

– Mais tu n’es plus roi de France.

– Et qui donc est roi deFrance ?

– Tout le monde, excepté toi,Henri ; ton frère d’abord.

– Mon frère ! de qui veux-tuparler ?

– De M. d’Anjou, parbleu !

– Que je tiens prisonnier ?

– Oui, car, tout prisonnier qu’il est, ilest sacré, et toi, tu ne l’es pas.

– Par qui est-il sacré ?

– Par le cardinal de Guise ; envérité, Henri, je te conseille de parler encore de ta police ;on sacre un roi à Paris devant trente-trois personnes, en pleineéglise Sainte-Geneviève, et tu ne le sais pas.

– Ouais ; et tu le sais,toi ?

– Certainement que je le sais.

– Et comment peux-tu savoir ce que je nesais pas ?

– Ah ! parce que tu fais faire tapolice par M. de Morvilliers, et que moi je fais mapolice moi-même.

Le roi fronça le sourcil.

– Nous avons donc déjà, comme roi deFrance, sans compter Henri de Valois, nous avons François d’Anjou,puis nous avons encore, voyons, dit Chicot en ayant l’air dechercher, nous avons encore le duc de Guise.

– Le duc de Guise ?

– Le duc de Guise, Henri de Guise, Henrile Balafré. Je répète donc : nous avons encore le duc deGuise.

– Beau roi, en vérité, que j’exile, quej’envoie à l’armée !

– Bon ! comme si on ne t’avait pasexilé en Pologne, toi ; comme s’il n’y avait pas plus près deLa Charité au Louvre que de Cracovie à Paris ! Ah ! ilest vrai que tu l’envoies à l’armée ; voilà où est la finessedu coup, l’habileté de la botte ; tu l’envoies à l’armée,c’est-à-dire que tu mets trente mille hommes sous ses ordres ;ventre de biche ! et quelle armée ! une vraie armée… cen’est pas comme ton armée de la Ligue… Non… une armée de bourgeois,c’est bon pour Henri de Valois, roi des mignons ; à Henri deGuise, il faut une armée de soldats, et de quels soldats !durs, aguerris, roussis par le canon, capables de dévorer vingtarmées de la Ligue ; de sorte que si, étant roi de fait, Henride Guise avait un jour la sotte fantaisie de le devenir de nom, iln’aurait qu’à tourner ses trompettes du côté de la capitale, etdire : «En avant ! avalons Paris d’une bouchée, et Henride Valois et le Louvre avec.» Ils le feraient, les drôles, je lesconnais.

– Vous oubliez une chose seulement dansvotre argumentation, illustre politique que vous êtes, ditHenri.

– Ah ! dame, cela c’est possible,surtout si ce que j’oublie est un quatrième roi.

– Non ; vous oubliez, dit Henri avecun suprême dédain, que, pour songer à régner sur la France, quandc’est un Valois qui porte la couronne, il faut un peu regarder enarrière et compter ses ancêtres. Que pareille idée vienne àM. d’Anjou, passe encore ; il est de race à y prétendre,lui, ses aïeux sont les miens ; il peut y avoir lutte etbalance entre nous, car, entre nous, c’est une question deprimogéniture, et voilà tout. Mais M. de Guise… allonsdonc, maître Chicot ! allez étudier le blason, notre ami, etdites-nous si les fleurs de lis de France ne sont pas de meilleuremaison que les merlettes de Lorraine.

– Eh ! eh ! fit Chicot, voilàjustement où est l’erreur, Henri.

– Comment, où est l’erreur ?

– Sans doute. M. de Guise estde bien meilleure maison que tu ne crois, va.

– De meilleure maison que moipeut-être ? dit Henri en souriant.

– Il n’y a pas de peut-être, mon petitHenriquet.

– Vous êtes fou, monsieur Chicot.

– Dame ! c’est mon titre.

– Mais je dis véritablement fou, mais jedis fou à lier. Allez apprendre à lire, mon ami.

– Eh bien, Henri, dit Chicot, toi quisais lire, toi qui n’as pas besoin de retourner comme moi àl’école, lis un peu ceci.

Et Chicot tira de sa poitrine le parchemin surlequel Nicolas David avait écrit la généalogie que nousconnaissons, celle-là même qui était revenue d’Avignon, approuvéepar le pape, et qui faisait descendre Henri de Guise deCharlemagne.

Henri pâlit dès qu’il eut jeté les yeux sur leparchemin, et reconnut, près de la signature du légat, le sceau desaint Pierre.

– Qu’en dis-tu, Henri ? demandaChicot, les fleurs de lis sont un peu distancées, hein ?Ventre de biche ! les merlettes me paraissent vouloir voleraussi haut que l’aigle de César ; prends-y garde, monfils !

– Mais par quels moyens t’es-tu procurécette généalogie ?

– Moi, est-ce que je m’occupe de ceschoses-là ? elle est venue me trouver toute seule.

– Mais où était-elle avant de venir tetrouver ?

– Sous le traversin d’unavocat ?

– Et comment s’appelait cetavocat ?

– Maître Nicolas David.

– Où était-il ?

– À Lyon.

– Et qui l’a été prendre à Lyon, sous letraversin de cet avocat ?

– Un de mes bons amis.

– Que fait cet ami ?

– Il prêche.

– C’est donc un moine ?

– Juste.

– Et qui se nomme ?

– Gorenflot.

– Comment ! s’écria Henri ; cetabominable ligueur qui a fait ce discours incendiaire àSainte-Geneviève, et qui, hier, dans les rues de Paris,m’insultait ?

– Te rappelles-tu l’histoire de Brutusqui faisait le fou….

– Mais c’est donc un profond politiqueque ton génovésain ?

– Avez-vous entendu parler deM. Machiavelli, secrétaire de la république de Florence ?votre grand’mère est son élève.

– Alors il a soustrait cette pièce àl’avocat.

– Ah ! bien oui, soustrait, il lalui a prise de force.

– À Nicolas David, à cespadassin ?

– À Nicolas David, à ce spadassin.

– Mais il est donc brave, tonmoine ?

– Comme Bayard !

– Et, ayant fait ce beau coup, il nes’est pas encore présenté devant moi pour recevoir sarécompense ?

– Il est rentré humblement dans soncouvent, et il ne demande qu’une chose, c’est qu’on oublie qu’il enest sorti.

– Mais il est donc modeste !

– Comme saint Crépin.

– Chicot, foi de gentilhomme, ton amiaura la première abbaye vacante, dit le roi.

– Merci pour lui, Henri.

Puis à lui-même :

– Ma foi, se dit Chicot, le voilà entreMayenne et Valois, entre une corde et une prébende ; sera-t-ilpendu ? sera-t-il abbé ? Bien fin qui pourrait le dire.En tous cas, s’il dort encore, il doit faire en ce moment-ci dedrôles de rêves.

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