La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 26Comment on ne perd pas toujours son temps en fouillant dans lesarmoires vides.

La scène que venait d’avoir le duc d’Anjouavec le roi lui avait fait considérer sa position comme tout a faitdésespérée. Les mignons ne lui avaient rien laissé ignorer de cequi s’était passé au Louvre : ils lui avaient montré ladéfaite de MM. de Guise et le triomphe de Henri plusgrands encore qu’ils n’étaient en réalité, il avait entendu la voixdu peuple criant, chose qui lui avait paru incompréhensibled’abord. Vive le roi et Vive la Ligue ! Il se sentaitabandonné des principaux chefs, qui, eux aussi, avaient à défendreleurs personnes. Abandonné de sa famille, décimée par lesempoisonnements et par les assassinats, divisée par lesressentiments et les discordes, il soupirait en tournant les yeuxvers ce passé que lui avait rappelé le roi, et en songeant que,dans sa lutte contre Charles IX, il avait au moins pour confidents,ou plutôt pour dupes, ces deux âmes dévouées, ces deux épéesflamboyantes qu’on appelait Coconnas et la Mole.

Le regret de certains avantages perdus est leremords pour beaucoup de consciences.

Pour la première fois de sa vie, en se sentantseul et isolé, M. d’Anjou éprouva comme une espèce de remordsd’avoir sacrifié la Mole et Coconnas.

Dans ce temps-là, sa sœur Marguerite l’aimait,le consolait. Comment avait-il récompensé sa sœurMarguerite ?

Restait sa mère, la reine Catherine. Mais samère ne l’avait jamais aimé. Elle ne s’était jamais servie de luique comme il se serait servi des autres, c’est-à-dire à titred’instrument ; et François se rendait justice. Une fois auxmains de sa mère, il sentait qu’il ne s’appartenait pas plus que levaisseau ne s’appartient au milieu de l’Océan lorsque souffle latempête.

Il songea que, récemment encore, il avait prèsde lui un cœur qui valait tous les cœurs, une épée qui valaittoutes les épées.

Bussy, le brave Bussy, lui revint tout entierà la mémoire.

Ah ! pour le coup, ce fut alors que lesentiment qu’éprouva François ressembla à du remords, car il avaitdésobligé Bussy pour plaire à Monsoreau ; il avait vouluplaire à Monsoreau, parce que Monsoreau savait son secret, et voilàtout à coup que ce secret, dont menaçait toujours Monsoreau, étaitparvenu à la connaissance du roi, de sorte que Monsoreau n’étaitplus à craindre.

Il s’était donc brouillé avec Bussyinutilement et surtout gratuitement, action qui, comme l’a ditdepuis un grand politique, était bien plus qu’un crime :c’était une faute.

Or quel avantage c’eût été pour le prince,dans la situation où il se trouvait, que de savoir que Bussy, Bussyreconnaissant, et par conséquent fidèle, veillait sur lui ;Bussy l’invincible ; Bussy le cœur loyal ; Bussy lefavori de tout le monde, tant un cœur loyal et une lourde main fontd’amis à quiconque a reçu l’un de Dieu et l’autre duhasard !

Bussy veillant sur lui, c’était la libertéprobable, c’était la vengeance certaine.

Mais, comme nous l’avons dit, Bussy, blessé aucœur, boudait le prince et s’était retiré sous sa tente, et leprisonnier restait avec cinquante pieds de hauteur à franchir pourdescendre dans les fossés, et quatre mignons à mettre hors decombat pour pénétrer jusqu’au corridor.

Sans compter que les cours étaient pleines deSuisses et de soldats.

Aussi, de temps en temps, il revenait à lafenêtre et plongeait son regard jusqu’au fond des fossés ;mais une pareille hauteur était capable de donner le vertige auxplus braves, et M. d’Anjou était loin d’être à l’épreuve desvertiges.

Outre cela, d’heure en heure, un des gardiensdu prince, soit Schomberg, soit Maugiron, tantôt d’Épernon, tantôtQuélus, entrait, et sans s’inquiéter de la présence du prince,quelquefois même sans le saluer, faisait sa tournée, ouvrant lesportes et les fenêtres, fouillant les armoires et les bahuts,regardant sous les lits et sous les tables, s’assurant même que lesrideaux étaient à leur place, et que les draps n’étaient pointdécoupés en lanières.

De temps en temps, ils se penchaient en dehorsdu balcon, et les quarante-cinq pieds de hauteur lesrassuraient.

– Ma foi, dit Maugiron en rentrant defaire sa perquisition, moi j’y renonce ; je demande à ne plusbouger du salon, où, le jour, nos amis viennent nous voir, et à neplus me réveiller, la nuit, de quatre heures en quatre heures, pouraller faire visite à M. le duc d’Anjou.

– C’est qu’aussi, dit d’Épernon, on voitbien que nous sommes de grands enfants, et que nous avons toujoursété capitaines, et jamais soldats : nous ne savons pas, envérité, interpréter une consigne.

– Comment cela ? demanda Quélus.

– Sans doute ; que veut leroi ? c’est que nous gardions M. d’Anjou, et non pas quenous le regardions.

– D’autant mieux, dit Maugiron, qu’il estbon à garder, mais qu’il n’est pas beau à regarder.

– Fort bien, dit Schomberg ; maissongeons à ne point nous relâcher de notre surveillance, car lediable est fin.

– Soit, dit d’Épernon, mais il ne suffitpas d’être fin, ce me semble, pour passer sur le corps à quatregaillards comme nous.

Et d’Épernon, se redressant, frisa superbementsa moustache.

– Il a raison, dit Quélus.

– Bon ! répondit Schomberg, crois-tudonc M. le duc d’Anjou assez niais pour essayer de s’enfuirprécisément par notre galerie ? S’il tient absolument à sesauver, il fera un trou dans le mur.

– Avec quoi ? il n’a pasd’armes.

– Il a les fenêtres, dit assez timidementSchomberg, qui se rappelait avoir lui-même mesuré la profondeur desfossés.

– Ah ! les fenêtres ! il estcharmant, sur ma parole, s’écria d’Épernon ; bravo, Schomberg,les fenêtres ! c’est-à-dire que tu sauterais quarante-cinqpieds de hauteur ?

– J’avoue que quarante-cinq pieds….

– Eh bien, lui qui boite, lui qui estlourd, lui qui est peureux comme….

– Toi, dit Schomberg.

– Mon cher, dit d’Épernon, tu sais bienque je n’ai peur que des fantômes, ça, c’est une affaire denerfs.

– C’est, dit gravement Quélus, que tousceux qu’il a tués en duel lui sont apparus la même nuit.

– Ne rions pas, dit Maugiron ; j’ailu une foule d’évasions miraculeuses… avec les draps, parexemple.

– Ah ! pour ceci, l’observation deMaugiron est des plus sensées, dit d’Épernon. Moi, j’ai vu, àBordeaux, un prisonnier qui s’était sauvé avec ses draps.

– Tu vois ! dit Schomberg.

– Oui, reprit d’Épernon ; mais ilavait les reins cassés et la tête fendue ; son drap s’étaittrouvé d’une trentaine de pieds trop court, il avait été forcé desauter, de sorte que l’évasion était complète : son corpss’était sauvé de sa prison, et son âme s’était sauvée de soncorps.

– Eh bien, d’ailleurs, s’il s’échappe,dit Quélus, cela nous fera une chasse au prince du sang ; nousle poursuivrons, nous le traquerons, et, en le traquant, sans fairesemblant de rien, et nous tâcherons de lui casser quelquechose.

– Et alors, mordieu ! nousrentrerons dans notre rôle, s’écria Maugiron : nous sommes deschasseurs et non des geôliers.

La péroraison parut concluante, et l’on parlad’autre chose, tout en décidant néanmoins que, d’heure en heure, oncontinuerait de faire une visite dans la chambre deM. d’Anjou.

Les mignons avaient parfaitement raison enceci : que le duc d’Anjou ne tenterait jamais de fuir de viveforce, et que, d’un autre côté, il ne se déciderait jamais à uneévasion périlleuse ou difficile.

Ce n’est pas qu’il manquât d’imagination, ledigne prince, et, nous devons même le dire, son imagination selivrait à un furieux travail, tout en se promenant de son lit aufameux cabinet occupé, pendant deux ou trois nuits, par la Mole,quand Marguerite l’avait recueilli pendant la soirée de laSaint-Barthélemy.

De temps en temps, la figure pâle du princeallait se coller aux carreaux de la fenêtre donnant dans les fossésdu Louvre. Au delà des fossés s’étendait une grève d’une quinzainede pieds de large, et, au delà de cette grève, on voyait, au milieude l’obscurité, se dérouler la Seine, calme comme un miroir.

De l’autre côté, au milieu des ténèbres, sedressait comme un géant immobile : c’était la tour deNesle.

Le duc d’Anjou avait suivi le coucher dusoleil dans toutes ses phases ; il avait suivi, avec l’intérêtqu’accorde le prisonnier à ces sortes de spectacles, la dégradationde la lumière et les progrès de l’obscurité. Il avait contemplé cetadmirable spectacle du vieux Paris, avec ses toits dorés, à uneheure de distance, par les derniers feux du soleil, et argentés parles premiers rayons de la lune ; puis, peu à peu, il s’étaitsenti saisi d’une grande terreur en voyant d’immenses nuages roulerau ciel et annoncer, en s’accumulant au-dessus du Louvre, un oragepour la nuit.

Entre autres faiblesses, le duc d’Anjou avaitcelle de trembler au bruit de la foudre.

Alors il eût donné bien des choses pour queles mignons le gardassent encore à vue, dussent-ils l’insulter enle gardant.

Cependant il n’y avait pas moyen de lesrappeler : c’était donner trop beau jeu à leursrailleries.

Il essaya de se jeter sur son lit, impossiblede dormir ; il voulut lire, les caractères tourbillonnaientdevant ses yeux comme des diables noirs ; il tenta de boire,le vin lui parut amer ; il frôla du bout des doigts le luthd’Aurilly resté suspendu à la muraille, mais il sentit que lavibration des cordes agissait sur ses nerfs de telle façon qu’ilavait envie de pleurer.

Alors il se mit à jurer comme un païen et àbriser tout ce qu’il trouva à la portée de sa main. C’était undéfaut de famille, et l’on y était habitué dans le Louvre.

Les mignons entr’ouvrirent la porte pour voird’où venait cet horrible sabbat ; puis, ayant reconnu quec’était le prince qui se distrayait, ils avaient refermé la porte,ce qui avait doublé la colère du prisonnier.

Il venait justement de briser une chaise,quand un cliquetis au son duquel on ne se méprend jamais, uncliquetis cristallin retentit du côté de la fenêtre, et en mêmetemps M. d’Anjou ressentit une douleur assez aiguë à lahanche.

Sa première idée fut qu’il était blessé d’uncoup d’arquebuse, et que ce coup lui était tiré par un émissaire duroi.

– Ah ! traître ! ah !lâche ! s’écria le prisonnier, tu me fais arquebuser comme tume l’avais promis. Ah ! je suis mort !

Et il se laissa aller sur le tapis.

Mais, en tombant, il posa la main sur un objetassez dur, plus inégal et surtout plus gros que ne l’est la balled’une arquebuse.

– Oh ! une pierre, dit-il, c’estdonc un coup de fauconneau ? mais encore, j’eusse entendul’explosion.

Et, en même temps, il retira et allongea lajambe ; quoique la douleur eût été assez vive, le princen’avait évidemment rien de cassé.

Il ramassa la pierre et examina lecarreau.

La pierre avait été lancée si rudement, quelleavait plutôt troué que brisé la vitre.

La pierre paraissait enveloppée dans unpapier.

Alors les idées du duc commencèrent à changerde direction. Cette pierre, au lieu de lui être lancée par quelqueennemi, ne lui venait-elle pas, au contraire, de quelqueami ?

La sueur lui monta au front ;l’espérance, comme l’effroi, à ses angoisses.

Le duc s’approcha de la lumière.

En effet, autour de la pierre, un papier étaitroulé et maintenu avec une soie nouée de plusieurs nœuds. Le papieravait naturellement amorti la dureté du silex, qui, sans cetteenveloppe, eût certes causé au prince une douleur plus vive quecelle qu’il avait ressentie.

Briser la soie, dérouler le papier et le lire,fut pour le duc l’affaire d’une seconde : il étaitcomplètement ressuscité.

Une lettre ! murmura-t-il en jetantautour de lui un regard furtif.

Et il lut :

«Êtes-vous las de garder la chambre ?aimez-vous le grand air et la liberté ? Entrez dans le cabinetoù la reine de Navarre avait caché votre pauvre ami,M. de la Mole ; ouvrez l’armoire, et, en déplaçantle tasseau du bas, vous trouverez un double fond : dans cedouble fond, il y a une échelle de soie, attachez-la vous-même aubalcon, deux bras vigoureux vous roidiront l’échelle au bas dufossé. Un cheval, vif comme la pensée, vous mènera en lieu sûr.

«UN AMI.»

– Un ami ! s’écria le prince ;un ami ! oh ! je ne savais pas avoir un ami. Quel estdonc cet ami qui songe à moi ?

Et le duc réfléchit un moment ; mais, nesachant sur qui arrêter sa pensée, il courut regarder à lafenêtre ; il ne vit personne.

– Serait-ce un piège ? murmura leprince, chez lequel la peur s’éveillait, le premier de tous lessentiments.

– Mais d’abord, ajouta-t-il, on peutsavoir si cette armoire a un double fond, et si, dans ce doublefond, il y a une échelle.

Le duc alors, sans changer la lumière deplace, et résolu, pour plus de précaution, au simple témoignage deses mains, se dirigea vers ce cabinet dont tant de fois jadis ilavait poussé la porte avec un cœur palpitant, alors qu’ils’attendait à y trouver madame la reine de Navarre, éblouissante decette beauté que François appréciait plus qu’il ne convenaitpeut-être à un frère.

Cette fois encore, il faut l’avouer, le cœurbattait au duc avec violence.

Il ouvrit l’armoire à tâtons, explora toutesles planches, et, arrivé à celle d’en bas, après avoir pesé au fondet pesé sur le devant, il pesa sur un des côtés, et sentit laplanche qui faisait la bascule.

Aussitôt il introduisit sa main dans la cavitéet sentit au bout de ses doigts le contact d’une échelle desoie.

Comme un voleur qui s’enfuit avec sa proie, leduc se sauva dans sa chambre emportant son trésor.

Dix heures sonnèrent, le duc songea aussitôt àla visite qui avait lieu toutes les heures ; il se hâta decacher son échelle sous le coussin d’un fauteuil et s’assitdessus.

Elle était si artistement faite, qu’elletenait parfaitement cachée dans l’étroit espace où le duc l’avaitenfouie.

En effet, cinq minutes ne s’étaient pasécoulées, que Maugiron parut en robe de chambre, tenant une épéenue sous son bras gauche et un bougeoir de la main droite.

Tout en entrant chez le duc, il continuait deparler à ses amis.

– L’ours est en fureur, dit une voix, ilcassait tout il n’y a qu’un instant : prends garde qu’il ne tedévore, Maugiron.

– Insolent ! murmura le duc.

– Je crois que Votre Altesse m’a faitl’honneur de m’adresser la parole, dit Maugiron de son air le plusimpertinent.

Le duc, prêt à éclater, se contint enréfléchissant qu’une querelle entraînerait une perte de temps etferait peut-être manquer son évasion.

Il dévora son ressentiment et fit pivoter sonfauteuil de manière à tourner le dos au jeune homme.

Maugiron, suivant les données traditionnelles,s’approcha du lit pour examiner les draps, et de la fenêtre pourreconnaître la présence des rideaux ; il vit bien une vitrecassée, mais il songea que c’était le duc qui, dans sa colère,l’avait brisée ainsi.

– Ouais, Maugiron, cria Schomberg, es-tudéjà mangé, que tu ne dis mot ? Dans ce cas, soupire au moins,qu’on sache au moins à quoi s’en tenir et qu’on te venge.

Le duc faisait craquer ses doigtsd’impatience.

– Non pas, dit Maugiron. Au contraire,mon ours est fort doux et tout à fait dompté.

Le duc sourit silencieusement au milieu desténèbres.

Quant à Maugiron, sans même saluer le prince,ce qui était la moindre politesse qu’il dût à un si haut seigneur,il sortit, et, en sortant, il ferma la porte à double tour.

Le prince le laissa faire, puis, lorsque laclef eut cessé de grincer dans la serrure :

– Messieurs, murmura-t-il, prenez garde àvous, c’est un animal très fin qu’un ours.

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