La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 25Étéocle et Polynice.

Cette journée de la Ligue finissaittumultueuse et brillante comme elle avait commencé.

Les amis du roi se réjouissaient ; lesprédicateurs de la Ligue se préparaient à canoniser frère Henri, ets’entretenaient, comme on avait fait autrefois pour saint Maurice,des grandes actions guerrières de Valois, dont la jeunesse avaitété si éclatante.

Les favoris disaient : «Enfin le renard adeviné le piège.»

Et, comme le caractère de la nation françaiseest principalement l’amour-propre, et que les Français n’aiment pasles chefs d’une intelligence inférieure, les conspirateurseux-mêmes se réjouissaient d’être joués par leur roi.

Il est vrai que les principaux d’entre euxs’étaient mis à l’abri.

Les trois princes lorrains, comme on l’a vu,avaient quitté Paris à franc étrier, et leur agent principal,M. de Monsoreau, allait sortir du Louvre pour faire sespréparatifs de départ, dans le but de rattraper le duc d’Anjou.

Mais, au moment où il allait mettre le piedsur le seuil, Chicot l’aborda. Le palais était vide de ligueurs, leGascon ne craignait plus rien pour son roi.

– Où allez-vous donc en si grande hâte,monsieur le grand veneur ? demanda-t-il.

– Auprès de Son Altesse, réponditlaconiquement le comte.

– Auprès de Son Altesse ?

– Oui ! je suis inquiet demonseigneur. Nous ne vivons pas dans un temps où les princespuissent se mettre en route sans une bonne suite.

– Oh ! celui-là est si brave, ditChicot, qu’il en est téméraire.

Le grand veneur regarda le Gascon.

– En tout cas, lui dit-il, si vous êtesinquiet, je le suis bien plus encore, moi !

– De qui ?

– Toujours de la même Altesse.

– Pourquoi ?

– Vous ne savez pas ce que l’ondit ?

– Ne dit-on pas qu’il est parti ?demanda le comte.

– On dit qu’il est mort, souffla tout basle Gascon à l’oreille de son interlocuteur.

– Bah ! fit Monsoreau avec uneintonation de surprise qui n’était pas exempte d’une certainejoie ; vous disiez qu’il était en route.

– Dame ! on me l’avait persuadé. Jesuis de si bonne foi, moi, que je crois toutes les bourdes qu’on meconte ; mais maintenant, voyez-vous, j’ai tout lieu de croire,pauvre prince ! que, s’il est en route, c’est pour l’autremonde.

– Voyons, qui vous donne ces funèbresidées ?

– Il est entré au Louvre hier, n’est-cepas ?

– Sans doute, puisque j’y suis entré aveclui.

– Eh bien, on ne l’en a pas vusortir.

– Du Louvre ?

– Non.

– Mais Aurilly ?

– Disparu !

– Mais ses gens ?

– Disparus ! disparus !disparus !

– C’est une raillerie, n’est-ce pas,monsieur Chicot ?

– Demandez !

– À qui ?

– Au roi.

– On n’interroge point SaMajesté ?

– Bah ! il n’y a que manière de s’yprendre.

– Voyons, dit le comte, je ne puis resterdans un pareil doute.

Et, quittant Chicot, ou plutôt marchant devantlui, il s’achemina vers le cabinet du roi.

Sa Majesté venait de sortir.

– Où est allé le roi ? demanda legrand veneur ; je dois lui rendre compte de certains ordresqu’il m’a donnés.

– Chez M. le duc d’Anjou, luirépondit celui auquel il s’adressait.

– Chez M. le duc d’Anjou ! ditle comte à Chicot ; le prince n’est donc pas mort ?

– Heu ! fit le Gascon, m’est avisqu’il n’en vaut guère mieux.

Pour le coup, les idées du grand veneurs’embrouillèrent tout à fait : il devenait certain queM. d’Anjou n’avait pas quitté le Louvre. Certains bruits qu’ilrecueillit, certains mouvements de gens d’office, lui confirmèrentla vérité.

Or, comme il ignorait les véritables causes del’absence du prince, cette absence l’étonnait au delà de toutemesure dans un moment si décisif.

Le roi, en effet, était allé chez le ducd’Anjou ; mais, comme le grand veneur, malgré le grand désiroù il était de savoir ce qui se passait chez le prince, ne pouvaity pénétrer, force lui fut d’attendre les nouvelles dans lecorridor.

Nous avons dit que, pour assister à la séance,les quatre mignons s’étaient fait remplacer par des Suisses ;mais, aussitôt la séance finie, malgré l’ennui que leur causait lagarde qu’ils montaient près du prince, le désir d’être désagréablesà Son Altesse en lui apprenant le triomphe du roi l’avait emportésur l’ennui, et ils étaient venus reprendre leur poste, Schomberget d’Épernon dans le salon, Maugiron et Quélus dans la chambre mêmede Son Altesse.

François, de son côté, s’ennuyaitmortellement, de cet ennui terrible doublé d’inquiétudes, et, ilfaut le dire, la conversation de ces messieurs n’était pas faitepour le distraire.

– Vois-tu, disait Quélus à Maugiron d’unbout de la chambre à l’autre, et comme si le prince n’eût point étélà, vois-tu, Maugiron, je commence, depuis une heure seulement, àapprécier notre ami Valois ; en vérité, c’est un grandpolitique.

– Explique ton dire, répondit Maugiron ense carrant dans une chaise longue.

– Le roi a parlé tout haut de laconspiration, donc il la dissimulait ; s’il la dissimulait,c’est qu’il la craignait ; s’il en a parlé tout haut, c’estqu’il ne la craint plus.

– Voilà qui est logique, réponditMaugiron.

– S’il ne la craint plus, il va lapunir ; tu connais Valois : il brille certainement par ungrand nombre de qualités, mais sa resplendissante personne estassez obscure à l’endroit de la clémence.

– Accordé.

– Or, s’il punit la susdite conspiration,ce sera par un procès ; s’il y a procès, nous allons jouir,sans nous déranger, d’une seconde représentation de l’affaired’Amboise.

– Beau spectacle, morbleu !

– Oui, et dans lequel nos places sontmarquées d’avance, à moins que….

– À moins que… c’est possible encore… àmoins qu’on ne laisse de côté les formes judiciaires, à cause de laposition des accusés, et qu’on arrange cela sous le manteau de lacheminée, comme on dit.

– Je suis pour ce dernier avis, ditMaugiron ; c’est assez comme cela que se traitent d’habitudeles affaires de famille, et cette dernière conspiration est unevéritable affaire de famille.

Aurilly lança un coup d’œil inquiet auprince.

– Ma foi, dit Maugiron, je sais unechose, moi : c’est qu’à la place du roi je n’épargnerais pasles grosses têtes, en vérité, parce qu’ils sont deux fois pluscoupables que les autres en se permettant de conspirer ; cesmessieurs se croient toute conspiration permise. Je dis donc quej’en sanglerais un ou deux, un surtout, mais là, carrément ;puis je nouerais tout le fretin. La Seine est profonde au devant deNesle, et à la place du roi, parole d’honneur, je ne résisteraispas à la tentation.

– En ce cas, dit Quélus, je crois qu’ilne serait point mal de faire revivre la fameuse invention dessacs.

– Et quelle était cette invention ?demanda Maugiron.

– Une fantaisie royale qui date de 1350 àpeu près ; voici la chose : on enfermait un homme dans unsac en compagnie de trois ou quatre chats, puis on jetait le tout àl’eau. Les chats, qui ne peuvent pas souffrir l’humidité, ne sesentaient pas plutôt dans la Seine qu’ils s’en prenaient à l’hommede l’accident qui leur arrivait ; alors il se passait dans cesac des choses que malheureusement on ne pouvait pas voir.

– En vérité, dit Maugiron, tu es un puitsde science, Quélus, et ta conversation est des plusintéressantes.

– On pourrait ne pas appliquer cetteinvention aux chefs : les chefs ont toujours droit de réclamerle bénéfice de décapitation en place publique ou de l’assassinatdans quelque coin ; mais comme tu le disais, au fretin, et parle fretin j’entends les favoris, les écuyers, les maîtres d’hôtel,les joueurs de luth….

– Messieurs ! balbutia Aurilly pâlede terreur.

– Ne réponds donc pas, Aurilly, ditFrançois, cela ne peut s’adresser à moi ni par conséquent à mamaison : on ne raille pas les princes du sang en France.

– Non, on les traite plus sérieusement,dit Quélus, on leur coupe le cou ; Louis XI ne s’en privaitpas, lui, le grand roi ! témoin M. de Nemours.

Les mignons en étaient là de leur dialogue,lorsqu’on entendit du bruit dans le salon ; puis la porte dela chambre s’ouvrit, et le roi parut sur le seuil.

François se leva.

– Sire, s’écria-t-il, j’en appelle àvotre justice du traitement indigne que me font subir vos gens.

Mais Henri ne parut ni avoir vu ni avoirentendu son frère.

– Bonjour, Quélus, dit Henri en baisantson favori sur les deux joues ; bonjour, mon enfant, la vue meréjouit l’âme ; et toi, mon pauvre Maugiron, commentallons-nous ?

– Je m’ennuie à périr, ditMaugiron ; j’avais cru, quand je me suis chargé de gardervotre frère, sire, qu’il était plus divertissant que cela.Fi ! l’ennuyeux prince ! est-ce bien le fils de votrepère et de votre mère ?

– Sire, vous l’entendez, dit François,est-il donc dans vos intentions royales que l’on insulte ainsivotre frère ?

– Silence, monsieur, dit Henri sans seretourner, je n’aime pas que mes prisonniers se plaignent.

– Prisonnier tant qu’il vous plaira, maisce prisonnier n’en est pas moins votre….

– Le titre que vous invoquez estjustement celui qui vous perd dans mon esprit. Mon frère, coupable,est coupable deux fois.

– Mais s’il ne l’est pas ?

– Il l’est !

– De quel crime ?

– De m’avoir déplu, monsieur.

– Sire, dit François humilié, nosquerelles de famille ont-elles besoin d’avoir destémoins ?

– Vous avez raison, monsieur. Mes amis,laissez-moi donc causer un instant avec monsieur mon frère.

– Sire, dit tout bas Quélus, ce n’est pasprudent à Votre Majesté de rester entre deux ennemis.

– J’emmène Aurilly, dit Maugiron àl’autre oreille du roi.

Les deux gentilshommes emmenèrent Aurilly, àla fois brûlant de curiosité et mourant d’inquiétude.

– Nous voici donc seuls, dit le roi.

– J’attendais ce moment avec impatience,sire.

– Et moi aussi, Ah ! vous en voulezà ma couronne, mon digne Étéocle ; ah ! vous vous faisiezde la Ligue un moyen et du trône un but. Ah ! l’on voussacrait dans un coin de Paris, dans une église perdue, pour vousmontrer tout à coup aux Parisiens tout reluisant d’huilesainte ?

– Hélas ! dit François, qui sentaitpeu à peu la colère du roi, Votre Majesté ne me laisse pasparler.

– Pourquoi faire ? dit Henri, pourmentir, ou pour me dire du moins des choses que je sais aussi bienque vous ? Mais non, vous mentiriez, mon frère ; carl’aveu de ce que vous avez fait, ce serait l’aveu que vous méritezla mort. Vous mentiriez, et c’est une honte que je vousépargne.

– Mon frère, mon frère, dit Françoiséperdu, est-ce bien votre intention de m’abreuver de pareilsoutrages ?

– Alors, si ce que je vous dis peut êtretenu pour outrageant, c’est moi qui mens, et je ne demande pasmieux que de mentir. Voyons, parlez, parlez, j’écoute ;apprenez-nous comment vous n’êtes pas un déloyal, et, qui pis est,un maladroit.

– Je ne sais ce que Votre Majesté veutdire, et elle semble avoir pris à tâche de me parler parénigmes.

– Alors je vais vous expliquer mesparoles, moi, s’écria Henri d’une voix pleine de menaces et quivibrait à la portée des oreilles de François : oui, vous avezconspiré contre moi, comme vous avez autrefois conspiré contre monfrère Charles ; seulement autrefois c’était à l’aide du roi deNavarre, aujourd’hui c’est à l’aide du duc de Guise. Beau projet,que j’admire et qui vous eût fait une riche place dans l’histoiredes usurpateurs. Il est vrai qu’autrefois vous rampiez comme unserpent, et qu’aujourd’hui vous voulez mordre comme un lion ;après la perfidie, la force ouverte ; après le poison,l’épée.

– Le poison ! Que voulez-vous dire,monsieur ? s’écria François, pâle de rage et cherchant, commecet Étéocle à qui Henri l’avait comparé, une place où frapperPolynice avec ses regards de flamme, a défaut de glaive et depoignard. Quel poison ?

– Le poison avec lequel tu as assassinénotre frère Charles ; le poison que tu destinais à Henri deNavarre, ton associé. Il est connu, va, ce poison fatal ;notre mère en a déjà usé tant de fois ! Voilà sans doutepourquoi tu y as renoncé à mon égard ; voilà pourquoi tu asvoulu prendre des airs de capitaine, en commandant les milices dela Ligue. Mais regarde-moi bien en face, François, continua Henrien faisant vers son frère un pas menaçant, et demeure bienconvaincu qu’un homme de ta trempe ne tuera jamais un homme de lamienne.

François chancela sous le poids de cetteterrible attaque ; mais, sans égards, sans miséricorde pourson prisonnier, le roi reprit :

– L’épée ! l’épée ! je voudraisbien te voir dans cette chambre seul à seul avec moi, tenant uneépée. Je t’ai déjà vaincu en fourberie, François, car, moi aussi,j’ai pris les chemins tortueux pour arriver au trône deFrance ; mais ces chemins, il fallait les franchir en passantsur le ventre d’un million de Polonais ; à la bonneheure ! Si vous voulez être fourbe, soyez-le, mais de cettefaçon ; si vous voulez m’imiter, imitez-moi, mais pas en merapetissant. Voilà des intrigues royales, voilà de la fourberiedigne d’un capitaine ; donc, je le répète, en ruses tu esvaincu, et dans un combat loyal tu serais tué ; ne songe doncplus à lutter d’une façon ni de l’autre ; car, dès à présent,j’agis en roi, en maître, en despote ; dès à présent, je tesurveille dans tes oscillations, je te poursuis dans tes ténèbres,et à la moindre hésitation, à la moindre obscurité, au moindredoute, j’étends ma large main sur toi, chétif, et je te jettepantelant à la hache de mon bourreau.

Voilà ce que j’avais à te dire relativement ànos affaires de famille, mon frère ; voilà pourquoi je voulaiste parler tête à tête, François ; voilà pourquoi je vaisordonner à mes amis de te laisser seul cette nuit, afin que, dansla solitude, tu puisses méditer mes paroles. Si la nuit portevéritablement conseil, comme on dit, ce doit être surtout auxprisonniers.

– Ainsi, murmura le duc, par un capricede Votre Majesté, sur un soupçon qui ressemble à un mauvais rêveque vous auriez fait, me voilà tombé dans votre disgrâce ?

– Mieux que cela François : te voilàtombé sous ma justice.

– Mais au moins, sire, fixez un terme àma captivité, que je sache à quoi m’en tenir.

– Quand on vous lira votre jugement, vousle saurez.

– Ma mère ! ne pourrais-je pas voirma mère ?

– Pourquoi faire ? Il n’y avait quetrois exemplaires au monde du fameux livre de chasse que mon pauvrefrère Charles a dévoré, c’est le mot, et les deux autressont : l’un à Florence et l’autre à Londres. D’ailleurs, je nesuis pas un Nemrod, moi, comme mon pauvre frère. Adieu !François.

Le prince tomba atterré sur un fauteuil.

– Messieurs, dit le roi en rouvrant laporte, messieurs, M. le duc d’Anjou m’a demandé la liberté deréfléchir cette nuit à une réponse qu’il doit me faire demainmatin. Vous le laisserez donc seul dans sa chambre, sauf lesvisites de précaution que, de temps en temps, vous croirez devoirfaire. Vous trouverez peut-être votre prisonnier un peu exalté parla conversation que nous venons d’avoir ensemble ; maissouvenez-vous qu’en conspirant contre moi M. le duc d’Anjou arenoncé au titre de mon frère ; il n’y a par conséquent iciqu’un captif et des gardes ; pas de cérémonies : si lecaptif vous désoblige, avertissez-moi ; j’ai la Bastille sousma main, et dans la Bastille, maître Laurent Testu, le premierhomme du monde pour dompter les rebelles humeurs.

– Sire ! sire ! murmuraFrançois tentant un dernier effort, souvenez-vous que je suisvotre…

– Vous étiez aussi le frère du roiCharles IX, je crois, dit Henri.

– Mais, au moins, qu’on me rende messerviteurs, mes amis.

– Plaignez-vous ! je me prive desmiens pour vous les donner.

Et Henri referma la porte sur la face de sonfrère, qui recula pâle et chancelant jusqu’à son fauteuil, danslequel il tomba.

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