La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 31Diplomatie de M. le duc d’Anjou.

Quand le bruit des mousquets se fut un peucalmé dans les rues, quand les battements de la cloche eurentralenti leurs vibrations, quand les antichambres furent dégarnies,quand enfin Bussy et le duc d’Anjou se trouvèrent seuls :

– Causons, dit le duc.

En effet, grâce à sa perspicacité, Françoiscomprenait que Bussy, depuis leur rencontre, avait fait beaucoupplus d’avances qu’il n’avait l’habitude d’en faire ; il jugeaalors, avec sa connaissance de la cour, qu’il était dans uneposition embarrassée, et que, par conséquent, il pouvait, avec unpeu d’adresse, prendre avantage sur lui.

Mais Bussy avait eu le temps de se préparer,et il attendait son prince de pied ferme.

– Causons, monseigneur,répliqua-t-il.

– Le dernier jour que nous nous vîmes,dit le prince, vous étiez bien malade, mon pauvre Bussy !

– C’est vrai, monseigneur, répliqua lejeune homme ; j’étais très malade, et c’est presque un miraclequi m’a sauvé.

– Ce jour-là, il y avait près de vous,continua le duc, certain médecin bien enragé pour votre salut, caril mordait vigoureusement, ce me semble, ceux qui vousapprochaient.

– C’est encore vrai, mon prince, car leHaudoin m’aime beaucoup.

– Il vous tenait rigoureusement au lit,n’est-ce pas ?

– Ce dont j’enrageais de toute mon âme,comme Votre Altesse a pu le voir.

– Mais, dit le duc, si vous eussiez sifort enragé, vous auriez pu envoyer la Faculté à tous les diables,et sortir avec moi, comme je vous en priais.

– Dame ! fit Bussy en tournant etretournant de cent façons entre ses doigts son chapeau depharmacien.

– Mais, continua le duc, comme ils’agissait d’une grave affaire, vous avez eu peur de vouscompromettre.

– Plaît-il ? dit Bussy en enfonçantd’un coup de poing le même chapeau sur ses yeux : vous avezdit, je crois, que j’avais eu peur de me compromettre, monprince ?

– Je l’ai dit, répliqua le ducd’Anjou.

Bussy bondit sur sa chaise, et se trouvadebout.

– Eh bien ! vous en avez menti,monseigneur, s’écria-t-il, menti à vous-même, entendez-vous, carvous ne croyez pas un mot, mais pas un seul, de ce que vous venezde dire ; il y a sur ma peau vingt cicatrices, qui prouventque je me suis compromis quelquefois, mais que je n’ai jamais eupeur ; et, ma foi, je connais beaucoup de gens qui nesauraient pas en dire et surtout en montrer autant.

– Vous avez toujours des argumentsirréfragables, monsieur de Bussy, reprit le duc fort pâle et fortagité ; quand on vous accuse, vous criez plus haut que lereproche, et alors vous vous figurez que vous avez raison.

– Oh ! je n’ai pas toujours raison,monseigneur, dit Bussy, je le sais bien ; mais je sais bienaussi dans quelles occasions j’ai tort.

– Et dans lesquelles avez-voustort ? dites, je vous prie.

– Quand je sers des ingrats.

– En vérité, monsieur, je croie que vousvous oubliez, dit le prince en se levant tout à coup avec cettedignité qui lui était propre dans certaines circonstances.

– Eh bien ! je m’oublie,monseigneur, dit Bussy ; une fois dans votre vie, faites-enautant, oubliez-vous ou oubliez-moi.

Bussy fit alors deux pas pour sortir ;mais le prince fut encore plus prompt que lui, et le gentilhommetrouva le duc devant la porte.

– Nierez-vous, monsieur, dit le duc, que,le jour où vous avez refusé de sortir avec moi, vous ne soyez sortil’instant d’après ?

– Moi, dit Bussy, je ne nie jamais rien,monseigneur, si ce n’est ce qu’on veut me forcer d’avouer.

– Dites-moi donc alors pourquoi vous vousêtes obstiné à rester en votre hôtel ?

– Parce que j’avais des affaires.

– Chez vous ?

– Chez moi ou ailleurs.

– Je croyais que, quand un gentilhommeest au service d’un prince, ses principales affaires sont lesaffaires de ce prince.

– Et, d’habitude, qui donc les fait, vosaffaires, monseigneur, si ce n’est moi ?

– Je ne dis pas non, dit François ;et d’ordinaire je vous trouve fidèle et dévoué, je dirai même plus,j’excuse votre mauvaise humeur.

– Ah ! vous êtes bien bon.

– Oui, car vous aviez quelque raison dem’en vouloir.

– Vous l’avouez, monseigneur ?

– Oui. Je vous avais promis la disgrâcede M. de Monsoreau. Il paraît que vous le détestez fort,M. de Monsoreau ?

– Moi, pas du tout. Je lui trouve unelaide figure et j’aurais voulu qu’il s’éloignât de la cour pour nepoint avoir cette figure sous les yeux. Vous, au contraire,monseigneur, vous aimez cette figure-là. Il ne faut pas discutersur les goûts.

– Eh bien ! alors, comme c’étaitvotre seule excuse que de me bouder comme eût fait un enfant gâtéet hargneux, je vous dirai que vous avez doublement eu tort de nepas vouloir sortir avec moi, et de sortir après moi pour faire desvaillantises inutiles.

– J’ai fait des vaillantises inutiles,moi ? et tout à l’heure vous me reprochiez d’avoir eu….Voyons, monseigneur, soyons conséquent ; quelles vaillantisesai-je faites ?

– Sans doute ; que vous en vouliez àM. d’Épernon et à M. de Schomberg, je conçois cela.Je leur en veux, moi aussi, et même mortellement ; mais ilfallait se borner à leur en vouloir, et attendre le moment.

– Oh ! oh ! dit Bussy, qu’ya-t-il encore là-dessous, monseigneur ?

– Tuez-les, morbleu ! tuez-les tousdeux, tuez-les tous quatre, je ne vous en serai que plusreconnaissant ; mais ne les exaspérez pas, surtout quand vousêtes loin : car leur exaspération retombe sur moi.

– Voyons, que lui ai-je donc fait, à cedigne Gascon ?

– Vous parlez de d’Épernon, n’est-cepas ?

– Oui.

– Eh bien ! vous l’avez faitlapider.

– Moi ?

– Au point que son pourpoint a été mis enlambeaux, son manteau en pièces, et qu’il est rentré au Louvre enhaut-de-chausses.

– Bon, dit Bussy, et d’un ; passonsà l’Allemand. Quels sont mes torts enversM. de Schomberg ?

– Nierez-vous que vous ne l’ayez faitteindre en indigo ? Quand je l’ai revu trois heures après sonaccident, il était encore couleur d’azur ; et vous appelezcela une bonne plaisanterie. Allons donc !

Et le prince se mit à rire malgré lui, tandisque Bussy, se rappelant de son côté la figure que faisait Schombergdans son cuvier, ne pouvait s’empêcher de rire aux éclats.

– Alors, dit-il, c’est moi qui passe pourleur avoir joué ce tour.

– Pardieu ! c’est moipeut-être ?

– Et vous vous sentez le courage,monseigneur, de venir faire des reproches à un homme qui a de cesidées-là. Tenez, je vous le disais tout à l’heure, vous êtes uningrat.

– D’accord. Maintenant, voyons, et si tues réellement sorti pour cela, je te pardonne.

– Bien sûr ?

– Oui, parole d’honneur ; mais tun’es pas au bout de mes griefs.

– Allez.

– Parlons de moi un peu.

– Soit.

– Qu’as-tu fait pour me tirerd’embarras ?

– Vous le voyez bien, dit Bussy, ce quej’ai fait.

– Non, je ne le vois pas.

– Eh bien ! je suis parti pourl’Anjou.

– C’est-à-dire que tu t’es sauvé.

– Oui, car en me sauvant je voussauvais.

– Mais, au lieu de te sauver si loin, nepouvais-tu donc rester aux environs de Paris ? Il me sembleque tu m’étais plus utile à Montmartre qu’à Angers.

– Ah ! voilà où nous différonsd’avis, monseigneur : j’aimais mieux venir en Anjou.

– C’est une médiocre raison, vous enconviendrez, que votre caprice….

– Non pas, car ce caprice avait pour butde vous recruter des partisans.

– Ah ! voilà qui est différent. Ehbien ! voyons, qu’avez-vous fait ?

– Il sera temps de vous l’expliquerdemain, monseigneur, car voici justement l’heure à laquelle je doisvous quitter.

– Et pourquoi me quitter ?

– Pour m’aboucher avec un personnage desplus importants.

– Ah ! s’il en est ainsi, c’estautre chose ; allez, Bussy, mais soyez prudent.

– Prudent, à quoi bon ? Nesommes-nous pas les plus forts ici !

– N’importe, ne risque rien ; as-tudéjà fait beaucoup de démarches ?

– Je suis ici depuis deux jours, commentvoulez-vous….

– Mais tu te caches, au moins.

– Si je me cache, je le crois morbleubien ! Voyez-vous sous quel costume je vous parle, est-ce quej’ai l’habitude de porter des pourpoints cannelle ? C’estpourtant pour vous encore que je suis entré dans cet affreuxfourreau.

– Et où loges-tu ?

– Ah ! voilà où vous apprécierez mondévouement. Je loge… je loge dans une masure près du rempart, avecune sortie sur la rivière, mais vous, mon prince, à votre tour,voyons, comment êtes-vous sorti du Louvre ? comment vous ai-jetrouvé sur un grand chemin, avec un cheval fourbu entre les jambeset M. d’Aubigné à vos côtés ?

– Parce que j’ai des amis, dit leprince.

– Vous, des amis ? fit Bussy. Allonsdonc !

– Oui, des amis que tu ne connaispas.

– À la bonne heure ! et quels sontces amis ?

– Le roi de Navarre et M. d’Aubignéque tu as vu.

– Le roi de Navarre !… Ah !c’est vrai. N’avez-vous point conspiré ensemble ?

– Je n’ai jamais conspiré, monsieur deBussy.

– Non ! demandez un peu à la Mole età Coconnas.

– La Mole, dit le prince d’un air sombre,avait commis un autre crime que celui pour lequel on croit qu’ilest mort.

– Bien ! laissons la Mole etrevenons à vous ; d’autant plus, monseigneur, que nous aurionsquelque peine à nous entendre sur ce point-là. Par où diableêtes-vous sorti du Louvre ?

– Par la fenêtre.

– Ah ! vraiment. Et parlaquelle ?

– Par celle de ma chambre à coucher.

– Vous connaissiez donc l’échelle decorde ?

– Quelle échelle de corde ?

– Celle de l’armoire.

– Ah ! il paraît que tu laconnaissais, toi ? dit le prince en pâlissant.

– Dame ! dit Bussy. Votre Altessesait que j’ai eu quelquefois le bonheur d’entrer dans cettechambre.

– Du temps de ma sœur Margot, n’est-cepas ! et tu entrais par la fenêtre ?

– Dame ! vous sortez bien par là,vous. Ce qui m’étonne seulement, c’est que vous ayez trouvél’échelle.

– Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée.

– Qui donc ?

– Personne ; on me l’a indiquée.

– Qui cela ?

– Le roi de Navarre.

– Ah ! ah ! le roi de Navarreconnaît l’échelle ; je ne l’aurais pas cru. Enfin, tant il y aque vous voici, monseigneur, sain et sauf et bien portant !nous allons mettre l’Anjou en feu, et, de la même traînée,l’Angoumois et le Béarn s’enflammeront : cela fera un assezjoli petit incendie.

– Mais ne parlais-tu pas d’unrendez-vous ? dit le duc.

– Ah ! morbleu ! c’estvrai ; mais l’intérêt de la conversation me le faisaitoublier. Adieu, monseigneur.

– Prends-tu ton cheval ?

– Dame ! s’il est utile àmonseigneur, Son Altesse peut le garder ; j’en ai unsecond.

– Alors, j’accepte ; plus tard nousferons nos comptes.

– Oui, monseigneur, et Dieu veuille quece ne soit pas moi qui vous redoive quelque chose !

– Pourquoi cela ?

– Parce que je n’aime pas celui que vouschargez d’ordinaire d’apurer vos comptes.

– Bussy !

– C’est vrai, monseigneur ; il étaitconvenu que nous ne parlerions plus de cela.

Le prince, qui sentait le besoin qu’il avaitde Bussy, lui tendit la main.

Bussy lui donna la sienne, mais en secouant latête.

Tous deux se séparèrent.

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