La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 29Les amants.

Les pâmoisons de joie ne sont jamais bienlongues ni bien dangereuses. On en a vu de mortelles, maisl’exemple est excessivement rare.

Diane ne tarda donc point à ouvrir les yeux,et se trouva dans les bras de Bussy ; car Bussy n’avait pasvoulu céder à madame de Saint-Luc le privilège de recueillir lepremier regard de Diane.

– Oh ! murmura-t-elle en seréveillant, oh ! c’est affreux, comte, de nous surprendreainsi.

Bussy attendait d’autres paroles. Eh, quisait ? les hommes sont si exigeants ! qui sait,disons-nous, s’il n’attendait pas autre chose que des paroles, luiqui avait expérimenté plus d’une fois les retours à la vie aprèsles pâmoisons et les évanouissements ?

Non seulement Diane en demeura là, mais encoreelle s’arracha doucement des bras qui la tenaient captive et revintà son amie, qui, discrète d’abord, avait fait plusieurs pas sousles arbres ; puis, curieuse comme l’est toute femme de cecharmant spectacle d’une réconciliation entre gens qui s’aiment,était revenue tout doucement, non pas pour prendre sa part de laconversation, mais assez près des interlocuteurs pour n’en rienperdre.

– Eh bien, demanda Bussy, est-ce doncainsi que vous me recevez, madame ?

– Non, dit Diane ; car, en vérité,monsieur de Bussy, c’est tendre, c’est affectueux, ce que vousvenez de faire là… Mais….

– Oh ! de grâce, pas de mais…soupira Bussy en reprenant sa place aux genoux de Diane.

– Non, non, pas ainsi, pas à genoux,monsieur de Bussy.

– Oh ! laissez-moi un instant vousprier comme je le fais, dit le comte en joignant les mains, j’ai silongtemps envié cette place.

– Oui ; mais, pour la venir prendre,vous avez passé par-dessus le mur. Non seulement ce n’est pasconvenable à un seigneur de votre rang, mais c’est bien imprudentpour quelqu’un qui aurait soin de mon honneur.

– Comment cela ?

– Si l’on vous avait vu, parhasard ?

– Qui donc m’aurait vu ?

– Mais nos chasseurs, qui, il y a unquart d’heure à peine, passaient dans le fourré, derrière lemur.

– Oh ! tranquillisez-vous, madame,je me cache avec trop de soin pour être vu.

– Caché ! Oh ! vraiment, ditJeanne, c’est du suprême romanesque ; racontez-nous cela,monsieur de Bussy.

– D’abord, si je ne vous ai pas rejointeen route, ce n’est pas ma faute ; j’ai pris un chemin et vousl’autre. Vous êtes venue par Rambouillet, moi, par Chartres. Puis,écoutez, et jugez si votre pauvre Bussy est amoureux ; je n’aipoint osé vous rejoindre, et je ne doutais pas cependant que je nele pusse. Je sentais bien que Jarnac n’était point amoureux, et quele digne animal ne s’exalterait que médiocrement à revenir àMéridor ; votre père aussi n’avait aucun motif de se hâter,puisqu’il vous avait près de lui. Mais ce n’était pas en présencede votre père, ce n’était pas dans la compagnie de vos gens, que jevoulais vous revoir ; car j’ai plus souci que vous ne lecroyez de vous compromettre ; j’ai fait le chemin étape parétape, en mangeant le manche de ma houssine ; le manche de mahoussine fût ma plus habituelle nourriture pendant ces jours.

– Pauvre garçon ! dit Jeanne ;aussi, vois comme il est maigri.

– Vous arrivâtes enfin, continuaBussy ; j’avais pris logement au faubourg de la ville ;je vous vis passer, caché derrière une jalousie.

– Oh ! mon Dieu, demanda Diane,êtes-vous donc à Angers sous votre nom ?

– Pour qui me prenez-vous ? dit ensouriant Bussy ; non pas, je suis un marchand quivoyage ; voyez mon costume couleur cannelle ; il ne metrahit pas trop, c’est une couleur qui se porte beaucoup parmi lesdrapiers et les orfèvres, et, puis encore, j’ai un certain airinquiet et affairé qui ne messied pas à un botaniste qui cherchedes simples. Bref, on ne m’a pas encore remarqué.

– Bussy, le beau Bussy, deux jours desuite dans une ville de province, sans avoir encore étéremarqué ? On ne croira jamais cela à la cour.

– Continuez, comte, dit Diane enrougissant. Comment venez-vous de la ville ici, parexemple ?

– J’ai deux chevaux d’une racechoisie ; je monte l’un d’eux, je sors au pas de la ville,m’arrêtant à regarder les écriteaux et les enseignes ; mais,quand une fois je suis loin des regards, mon cheval prend un galopqui lui permet de franchir en vingt minutes les trois lieues etdemie qu’il y a d’ici à la ville. Une fois dans le bois de Méridor,je m’oriente et je trouve le mur du parc ; mais il est long,fort long, le parc est grand. Hier j’ai exploré ce mur pendant plusde quatre heures, grimpant çà et là, espérant vous apercevoirtoujours. Enfin, je désespérais presque, quand je vous ai aperçuele soir, au moment où vous rentriez à la maison ; les deuxgrands chiens du baron sautaient après vous, et madame de Saint-Lucleur tenait en l’air un perdreau qu’ils essayaientd’atteindre ; puis vous disparûtes.– Je sautai là ;j’accourus ici, où vous étiez tout à l’heure ; je vis l’herbeet la mousse assidûment foulées, j’en conclus que vous pourriezbien avoir adopté cet endroit, qui est charmant pendant lesoleil ; pour me reconnaître alors, j’ai fait des briséescomme à la chasse ; et, tout en soupirant, ce qui me fait unmal affreux….

– Par défaut d’habitude, interrompitJeanne en souriant.

– Je ne dis pas non, madame ; ensoupirant donc, ce qui me fait un mal affreux, je le répète, j’airepris la route de la ville ; j’étais bien fatigué ;j’avais en outre déchiré mon pourpoint cannelle en montant auxarbres, et, cependant, malgré les accrocs de mon pourpoint, malgrél’oppression de ma poitrine, j’avais la joie au cœur : je vousavais vue.

– Il me semble que voilà un admirablerécit, dit Jeanne, et que vous avez surmonté là de terriblesobstacles : c’est beau et c’est héroïque ; mais moi, quicrains de monter aux arbres, j’aurais, à votre place, conservé monpourpoint et surtout ménagé mes belles mains blanches. Voyez dansquel affreux état sont les vôtres, tout égratignées par lesronces.

– Oui. Mais je n’aurais pas vu celle queje venais voir.

– Au contraire ; j’aurais vu, etbeaucoup mieux que vous ne l’aviez fait, Diane de Méridor, et mêmemadame de Saint-Luc.

– Qu’eussiez-vous donc fait ?demanda Bussy avec empressement.

– Je fusse venu droit au pont du châteaude Méridor, et j’y fusse entré. M. le baron me serrait dansses bras, madame de Monsoreau me plaçait près d’elle à table,M. de Saint-Luc me comblait de caresse, madame deSaint-Luc faisait avec moi des anagrammes. C’était la chose dumonde la plus simple : il est vrai que la chose du monde laplus simple est celle dont les amoureux ne s’avisent jamais.

Bussy secoua la tête avec un sourire et unregard à l’adresse de Diane.

– Oh ! non ! dit-il, non. Ceque vous eussiez fait là, c’était bon pour tout le monde, et nonpour moi.

Diane rougit comme un enfant, et le mêmesourire et le même regard se reflétèrent dans ses yeux et sur seslèvres.

– Allons ! dit Jeanne, voilà, à cequ’il paraît, que je ne comprends plus rien aux bellesmanières !

– Non ! dit Bussy en secouant latête. Non ! je ne pouvais aller au château. Madame est mariée,M. le baron doit au mari de sa fille, quel qu’il soit, unesurveillance sévère.

– Bien, dit Jeanne, voilà une leçon decivilité que je reçois ; merci, monsieur de Bussy, car jemérite de la recevoir ; cela m’apprendra à me mêler aux proposdes fous.

– Des fous ? répéta Diane.

– Des fous ou des amoureux, réponditmadame de Saint-Luc, et en conséquence….

Elle embrassa Diane au front, fit unerévérence à Bussy et s’enfuit.

Diane la voulut retenir d’une main, mais Bussysaisit l’autre, et il fallut bien que Diane, si bien retenue parson amant, se décidât à lâcher son amie.

Bussy et Diane restèrent donc seuls.

Diane regarda madame de Saint-Luc, quis’éloignait en cueillant des fleurs, puis elle s’assit enrougissant.

Bussy se coucha à ses pieds.

– N’est-ce pas, dit-il, que j’ai bienfait, madame, que vous m’approuvez ?

– Je ne vais pas feindre, répondit Diane,et, d’ailleurs, vous savez le fond de ma pensée, oui, je vousapprouve, mais ici s’arrêtera mon indulgence ; en vousdésirant, en vous appelant comme je faisais tout à l’heure, j’étaisinsensée, j’étais coupable.

– Mon Dieu ! que dites-vous donc là,Diane ?

– Hélas ! comte, je dis lavérité ! j’ai le droit de rendre malheureuxM. de Monsoreau, qui m’a poussée à cette extrémité ;mais je n’ai ce droit qu’en m’abstenant de rendre un autre heureux.Je puis lui refuser ma présence, mon sourire, mon amour ;mais, si je donnais ces faveurs à un autre, je volerais celui-là,qui, malgré moi, est mon maître.

Bussy écouta patiemment toute cette morale,fort adoucie, il est vrai, par la grâce et la mansuétude deDiane.

– À mon tour de parler, n’est-cepas ? dit-il.

– Parlez, répondit Diane.

– Avec franchise ?

– Parlez !

– Eh bien, de tout ce que vous venez dedire, madame, vous n’avez pas trouvé un mot au fond de votrecœur.

– Comment ?

– Écoutez-moi sans impatience, madame,vous voyez que je vous ai écoutée patiemment ; vous m’avezaccablé de sophismes.

Diane fit un mouvement.

– Les lieux communs de morale, continuaBussy, ne sont que cela quand ils manquent d’application. Enéchange de ces sophismes, moi, madame, je vais vous rendre desvérités. Un homme est votre maître, dites-vous ; maisavez-vous choisi cet homme ? Non, une fatalité vous l’aimposé, et vous l’avez subi. Maintenant, avez-vous dessein desouffrir toute votre vie des suites d’une contrainte siodieuse ? Alors c’est à moi de vous en délivrer.

Diane ouvrit la bouche pour parler, Bussyl’arrêta d’un signe.

– Oh ! je sais ce que vous m’allezrépondre, dit le jeune homme. Vous me répondrez que, si je provoqueM. de Monsoreau et si je le tue, vous ne me reverrezjamais. – Soit, je mourrai de douleur de ne pas vous revoir ;mais vous vivrez libre, mais vous vivrez heureuse, mais vouspourrez rendre heureux un galant homme, qui dans sa joie, béniraquelquefois mon nom, et dira : «Merci ! Bussy,merci ! de nous avoir délivrés de cet affreuxMonsoreau ;» et vous-même, Diane, vous qui n’oseriez meremercier vivant, vous me remercierez mort.

La jeune femme saisit la main du comte et laserra tendrement.

– Vous n’avez pas encore imploré, Bussy,dit-elle, et voilà que vous menacez déjà.

– Vous menacer ? Oh ! Dieum’entend, et il sait quelle est mon intention ; je vous aimesi ardemment, Diane, que je n’agirai point comme ferait un autrehomme. Je sais que vous m’aimez. Mon Dieu ! n’allez pas vousen défendre, vous rentreriez dans la classe de ces espritsvulgaires dont les paroles démentent les actions. Je le sais, carvous l’avez avoué. Puis, un amour comme le mien, voyez-vous,rayonne comme le soleil, et vivifie tous les cœurs qu’iltouche ; ainsi je ne vous supplierai pas, je ne me consumeraipas en désespoir. Non, je me mettrai à vos genoux, que je baise, etje vous dirai, la main droite sur mon cœur, sur ce cœur qui n’ajamais menti ni par intérêt ni par crainte, je vous dirai :«Diane, je vous aime, et ce sera pour toute ma vie ! Diane, jevous jure à la face du ciel que je mourrai pour vous, que jemourrai en vous adorant.» Si vous me dites encore : «Partez,ne volez pas le bonheur d’un autre, » je me relèverai sans soupir,sans un signe, de cette place, où je suis si heureux cependant, etje vous saluerai profondément en me disant : «Cette femme nem’aime pas ; cette femme ne m’aimera jamais.» Alors jepartirai et vous ne me reverrez plus jamais. Mais, comme mondévouement pour vous est encore plus grand que mon amour, comme mondésir de vous voir heureuse survivra à la certitude que je ne puispas être heureux moi-même, comme je n’aurai pas volé le bonheurd’un autre, j’aurai le droit de lui voler sa vie en y sacrifiant lamienne : voilà ce que je ferai, madame, et cela de peur quevous ne soyez esclave éternellement, et que ce ne vous soit unprétexte à rendre malheureux les braves gens qui vous aiment.

Bussy s’était ému en prononçant ces paroles.Diane lut dans son regard si brillant et si loyal toute la vigueurde sa résolution : elle comprit que ce qu’il disait, il allaitle faire ; que ces paroles se traduiraient indubitablement enaction, et, comme la neige d’avril fond aux rayons du soleil, sarigueur se fondit à la flamme de ce regard.

– Eh bien ! dit-elle, merci de cetteviolence que vous me faites, ami. C’est encore une délicatesse devotre part, de m’ôter ainsi jusqu’au remords de vous avoir cédé.Maintenant, m’aimerez-vous jusqu’à la mort, comme vous dites ?maintenant, ne serai-je pas le jeu de votre fantaisie, et ne melaisserez-vous pas un jour l’odieux regret de ne pas avoir écoutél’amour de M. de Monsoreau ? Mais non, je n’ai pasde conditions à vous faire ; je suis vaincue, je suislivrée ; je suis à vous, Bussy, d’amour, du moins. Restezdonc, ami, et maintenant que ma vie est la vôtre, veillez surnous.

En disant ces mots, Diane posa une de sesmains si blanches et si effilées sur l’épaule de Bussy, et luitendit l’autre, qu’il tint amoureusement collée à ses lèvres ;Diane frissonna sous ce baiser.

On entendit alors les pas légers de Jeanne,accompagnés d’une petite toux indicatrice : elle rapportaitune gerbe de fleurs nouvelles et le premier papillon qui se fûtencore hasardé peut-être hors de sa coque de soie : c’étaitune atalante aux ailes rouges et noires.

Instinctivement, les mains entrelacées sedésunirent.

Jeanne remarqua ce mouvement.

– Pardon, mes bons amis, de vousdéranger, dit-elle, mais il nous faut rentrer sous peine que l’onvienne nous chercher ici. Monsieur le comte, regagnez, s’il vousplaît, votre excellent cheval qui fait quatre lieues en unedemi-heure, et laissez-nous faire le plus lentement possible, carje présume que nous aurons fort à causer, les quinze cents pas quinous séparent de la maison. Dame ! voici ce que vous perdez àvotre entêtement, monsieur de Bussy : le dîner du château, quiest excellent surtout pour un homme qui vient de monter à cheval etde grimper par-dessus les murailles, et cent bonnes plaisanteriesque nous eussions faites, sans compter certains coups d’œiléchangés qui chatouillent mortellement le cœur. – Allons, Diane,rentrons.

Et Jeanne prit le bras de son amie et fit unléger effort pour l’entraîner avec elle.

Bussy regarda les deux amies avec un sourire.Diane, encore à demi retournée de son côté, lui tendit la main.

Il se rapprocha d’elles.

– Eh bien ! demanda-t-il, c’est toutce que vous me dites ?

– À demain, répliqua Diane, n’est-ce pasconvenu ?

– À demain seulement ?

– À demain et à toujours !

Bussy ne put retenir un petit cri dejoie ; il inclina ses lèvres sur la main de Diane ; puis,jetant un dernier adieu aux deux femmes, il s’éloigna ou plutôts’enfuit.

Il sentait qu’il lui fallait un effort devolonté pour consentir à se séparer de celle à laquelle il avait silongtemps désespéré d’être réuni.

Diane le suivit du regard jusqu’au fond dutaillis, et, retenant son amie par le bras, écouta jusqu’au son leplus lointain de ses pas dans les broussailles.

– Ah ! maintenant, dit Jeanne,lorsque Bussy fut disparu tout à fait, veux-tu causer un peu avecmoi, Diane ?

– Oh ! oui, dit la jeune femmetressaillant comme si la voix de son amie la tirait d’un rêve. Jet’écoute.

– Eh bien ! vois-tu, demain j’irai àla chasse avec Saint-Luc et ton père.

– Comment ! tu me laisseras seule auchâteau ?

– Écoute, chère amie, dit Jeanne ;moi aussi, j’ai mes principes de morale, et il y a certaines chosesque je ne puis consentir à faire.

– Oh ! Jeanne, s’écria madame deMonsoreau en pâlissant, peux-tu bien me dire de ses duretés-là, àmoi, à ton amie ?

– Il n’y a pas d’amie qui tienne,continua mademoiselle de Brissac avec la même tranquillité. Je nepuis continuer ainsi.

– Je croyais que tu m’aimais, Jeanne, etvoilà que tu me perces te cœur, dit la jeune femme avec des larmesdans les yeux ; tu ne veux pas continuer, dis-tu, eh !quoi donc ne veux-tu pas continuer ?

– Continuer, murmura Jeanne à l’oreillede son amie, continuer de vous empêcher, pauvres amants que vousêtes, de vous aimer tout à votre aise.

Diane saisit dans ses bras la rieuse jeunefemme, et couvrit de baisers son visage épanoui. Comme elle latenait embrassée, les trompes de la chasse firent entendre leursbruyantes fanfares.

– Allons, on nous appelle, ditJeanne ; le pauvre Saint-Luc s’impatiente. Ne sois donc pasplus dure envers lui que je ne veux l’être envers l’amoureux enpourpoint cannelle.

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