La Dame de Monsoreau – Tome II

Chapitre 9Comment Chicot revint au Louvre et fut reçu par le roi HenriIII.

Tout dormait au Louvre, car il n’était encoreque onze heures du matin ; les sentinelles de la coursemblaient marcher avec précaution ; les chevaliers quirelevaient la garde allaient au pas.

On laissait reposer le roi, fatigué de sonpèlerinage.

Deux hommes se présentèrent en même temps à laporte principale du Louvre : l’un, sur un barbe d’unefraîcheur incomparable ; l’autre, sur un andalous toutfloconneux d’écume.

Ils s’arrêtèrent de front à la porte et seregardèrent ; car, venus par deux chemins opposés, ils serencontraient là seulement.

– Monsieur de Chicot, s’écria le plusjeune des deux en saluant avec politesse, comment vous portez-vousce matin ?

– Eh ! c’est le seigneur de Bussy.Mais, à merveille, monsieur, répondit Chicot avec une aisance etune courtoisie qui sentaient le gentilhomme pour le moins autantque le salut de Bussy sentait son grand seigneur et son hommedélicat.

– Vous venez voir le lever du roi,monsieur ? demanda Bussy.

– Et vous aussi, je présume ?

– Non. Je viens pour saluer monseigneurle duc d’Anjou. Vous savez, monsieur de Chicot, ajouta Bussy ensouriant, que je n’ai pas le bonheur d’être des favoris de SaMajesté ?

– C’est un reproche que je ferai au roiet non à vous, monsieur.

Bussy s’inclina.

– Et vous arrivez de loin ? demandaBussy. On vous disait en voyage.

– Oui, monsieur, je chassais, répliquaChicot. Mais, de votre côté, ne voyagiez-vous pointaussi ?

– En effet, j’ai fait une course enprovince ; maintenant, monsieur, continua Bussy, serez-vousassez bon pour me rendre un service ?

– Comment donc, chaque fois queM. de Bussy voudra disposer de moi pour quelque chose quece soit, dit Chicot, il m’honorera infiniment.

– Eh bien, vous allez pénétrer dans leLouvre, vous le privilégié, tandis que moi, je resterai dansl’antichambre ; veuillez donc faire prévenir le duc d’Anjouque j’attends.

– M. le duc d’Anjou est au Louvre,dit Chicot, et va sans doute assister au lever de Sa Majesté ;que n’entrez-vous avec moi, monsieur ?

– Je crains le mauvais visage du roi.

– Bah !

– Dame ! il ne m’a point jusqu’àprésent habitué à ses plus gracieux sourires.

– D’ici à quelque temps, soyeztranquille, tout cela changera.

– Ah ! ah ! vous êtes doncnécromancien, monsieur de Chicot ?

– Quelquefois. Allons, du courage, venez,monsieur de Bussy.

Ils entrèrent en effet, et se dirigèrent, l’unvers le logis de M. le duc d’Anjou, qui habitait, nous croyonsl’avoir déjà dit, l’appartement qu’avait habité jadis la reineMarguerite, l’autre vers la chambre du roi.

Henri III venait de s’éveiller ; il avaitsonné sur le grand timbre, et une nuée de valets et d’amis s’étaitprécipitée dans la chambre royale : déjà le bouillon devolaille, le vin épicé et les pâtes de viandes étaient servis,quand Chicot entra tout fringant chez son auguste maître, etcommença, avant de dire bonjour, par manger au plat et boire àl’écuelle d’or.

– Par la mordieu ! s’écria le roiravi, quoiqu’il jouât la colère, c’est ce coquin de Chicot, jecrois ; un fugitif, un vagabond, un pendard !

– Eh bien ! eh bien ! qu’as-tudonc, mon fils, dit Chicot en s’asseyant sans façon avec ses bottespoudreuses sur l’immense fauteuil à fleurs de lis d’or où étaitassis Henri III lui-même, nous oublions donc ce petit retour dePologne où nous avons joué le rôle de cerf, tandis que les magnatsjouaient celui de chiens. Taïaut ! taïaut !…

– Allons, voilà mon malheur revenu, ditHenri ; je ne vais plus entendre que des choses désagréables.J’étais bien tranquille cependant depuis trois semaines.

– Bah ! bah ! dit Chicot, tu teplains toujours ; on te prendrait pour un de tes sujets, lediable m’emporte. Voyons, qu’as-tu fait en mon absence, mon petitHenriquet ? A-t-on un peu drôlement gouverné ce beau royaumede France ?

– Monsieur Chicot !

– Nos peuples tirent-ils la langue,hein ?

– Drôle !

– A-t-on pendu quelqu’un de ces petitsmessieurs frisés ? Ah ! pardon ! monsieur de Quélus,je ne vous voyais pas.

– Chicot, nous nous brouillerons.

– Enfin, reste-t-il quelque argent dansnos coffres ou dans ceux des juifs ? Ce ne serait pasmalheureux, nous avons bien besoin de nous divertir, ventre debiche ! c’est bien assommant, la vie !

Et il acheva de rafler sur le plat de vermeildes pâtes de viandes dorées à la poêle.

Le roi se mit à rire : c’était toujourspar là qu’il finissait.

– Voyons, dit-il, qu’as-tu fait pendantcette longue absence ?

– J’ai, dit Chicot, imaginé le plan d’unepetite procession en trois actes.

Premier acte. – Des pénitents habillés d’unechemise et d’un haut-de-chausses seulement, se tirant les cheveuxet se gourmant réciproquement, montent du Louvre à Montmartre.

Deuxième acte. – Les mêmes pénitents,dépouillés jusqu’à la ceinture et se fouettant avec des chapeletsde pointes d’épine, descendent de Montmartre à l’abbaye deSainte-Geneviève.

Troisième acte. – Enfin, ces mêmes pénitentstout nus, se découpant mutuellement, à grands coups de martinet,des lanières sur les omoplates, reviennent de l’abbayeSainte-Geneviève au Louvre.

J’avais bien pensé, comme péripétieinattendue, à les faire passer par la place de Grève, où lebourreau les eût tous brûlés depuis le premier jusqu’audernier ; mais j’ai pensé que le Seigneur avait gardé là-hautun peu de soufre de Sodome et un peu de bitume de Gomorrhe, et jene veux pas lui ôter le plaisir de faire lui-même la grillade. –Ça, messieurs, en attendant ce grand jour, divertissons-nous.

– Et d’abord, voyons : Qu’es-tudevenu ? demanda le roi, sais-tu que je t’ai fait chercherdans tous les mauvais lieux de Paris ?

– As-tu bien fouillé le Louvre ?

– Quelque paillard, ton ami, t’auraconfisqué.

– Cela ne se peut pas, Henri, c’est toiqui as confisqué tous les paillards.

– Je me trompais donc ?

– Eh ! mon Dieu ! oui ;comme toujours, du tout au tout.

– Nous verrons que tu faisaispénitence.

– Justement. Je me suis mis un peu enreligion pour voir ce que c’était, et, ma foi, j’en suis revenu.J’ai assez des moines. Fi ! les sales animaux !

En ce moment M. de Monsoreau entrachez le roi, qu’il salua avec un profond respect.

– Ah ! c’est vous, monsieur le grandveneur ! dit Henri. Quand nous ferez-vous faire quelque bellechasse ? voyons.

– Quand il plaira à Votre Majesté. Jereçois la nouvelle que nous avons force sangliers àSaint-Germain-en-Laye.

– C’est bien dangereux, le sanglier, ditChicot. Le roi Charles IX, je me le rappelle, a manqué être tué àune chasse au sanglier ; et puis les épieux sont durs, et celafait des ampoules à nos petites mains. N’est-ce pas, monfils ?

M. de Monsoreau regarda Chicot detravers.

– Tiens, dit le Gascon à Henri, il n’y apas longtemps que ton grand veneur a rencontré un loup.

– Pourquoi cela ?

– Parce que, comme les Nuées du poèteAristophane, il en a retenu la figure, l’œil surtout ; c’estfrappant.

M. de Monsoreau se retourna, et diten pâlissant à Chicot :

– Monsieur Chicot, je suis peu fait auxbouffons, ayant rarement vécu à la cour, et je vous préviens que,devant mon roi, je n’aime point à être humilié, surtout lorsqu’ils’agit de son service.

– Eh bien, monsieur, dit Chicot, vousêtes tout le contraire de nous, qui sommes gens de cour ;aussi avons-nous bien ri de la dernière bouffonnerie.

– Et quelle est cette bouffonnerie ?demanda Monsoreau.

– Il vous a nommé grand veneur ;vous voyez que, s’il est moins bouffon que moi, il est encore plusfou, ce cher Henriquet.

Monsoreau lança un regard terrible auGascon.

– Allons, allons, dit Henri, quiprévoyait une querelle, parlons d’autre chose, messieurs.

– Oui, dit Chicot, parlons des mérites deNotre-Dame de Chartres.

– Chicot, pas d’impiétés, dit le roi d’unton sévère.

– Des impiétés, moi ? dit Chicot,allons donc ; tu me prends pour un homme d’Église, tandis queje suis un homme d’épée. Au contraire, c’est moi qui te préviendraid’une chose, mon fils.

– Et de laquelle ?

– C’est que tu en uses mal avecNotre-Dame de Chartres, Henri, on ne peut plus mal.

– Comment cela ?

– Sans doute. Nôtre-Dame avait deuxchemises accoutumées à se trouver ensemble, et tu les as séparées.À ta place, je les eusse réunies, Henri, et il y eût eu chance aumoins pour qu’un miracle se fit.

Cette allusion un peu brutale à la séparationdu roi et de la reine fit rire les amis du roi.

Henri se détira les bras, se frotta les yeuxet sourit à son tour.

– Pour cette fois, dit-il, le fou a,mordieu, raison.

Et il parla d’autre chose.

– Monsieur, dit tout bas Monsoreau àChicot, vous plairait-il, sans faire semblant de rien, d’allerm’attendre dans l’embrasure de cette fenêtre ?

– Comment donc, monsieur ! ditChicot, mais avec le plus grand plaisir.

– Eh bien, alors, tirons à l’écart.

– Au fond d’un bois, si cela vousconvient, monsieur.

– Trêve de plaisanteries, elles sontinutiles, car il n’y a plus personne pour en rire, dit Monsoreau enrejoignant le bouffon dans l’embrasure où celui-ci l’avait précédé.Nous sommes face à face, nous nous devons la vérité, monsieurChicot, monsieur le fou, monsieur le bouffon ; un gentilhommevous défend, entendez-vous bien ce mot, vous défend de rire delui ; il vous invite surtout à bien réfléchir avant de donnervos rendez-vous dans les bois, car dans ces bois où vous vouliez meconduire tout à l’heure, il pousse une collection de bâtons volantset autres, tout à fait dignes de faire suite à ceux qui vous ont sirudement étrillés de la part de M. de Mayenne.

– Ah ! fit Chicot sans s’émouvoir enapparence, bien que son œil noir eût lancé un sombre éclair.Ah ! monsieur, vous me rappelez tout ce que je dois àM. de Mayenne ; vous voudriez donc que je devinssevotre débiteur comme je suis le sien, et que je vous plaçasse surla même ligne dans mon souvenir et vous gardasse une part égale dema reconnaissance ?

– Il me semble que, parmi vos créanciers,monsieur, vous oubliez de compter le principal.

– Cela m’étonne, monsieur, car je mevante d’avoir excellente mémoire ; quel est donc ce créancier,je vous prie ?

– Maître Nicolas David.

– Oh ! pour celui-là, vous voustrompez, dit Chicot avec un sourire sinistre ; je ne lui doisplus rien, il est payé.

En ce moment, un troisième interlocuteur vintse mêler à la conversation.

C’était Bussy.

– Ah ! monsieur de Bussy, ditChicot, venez un peu à mon aide. Voici M. de Monsoreauqui m’a détourné comme vous voyez, et qui veut me mener ni plus nimoins qu’un cerf ou un daim ; dites-lui qu’il se trompe,monsieur de Bussy, qu’il a affaire à un sanglier, et que lesanglier revient sur le chasseur.

– Monsieur Chicot, dit Bussy, je croisque vous faites tort à M. le grand veneur en pensant qu’il nevous tient pas pour ce que vous êtes, c’est-à-dire pour un bongentilhomme. Monsieur, continua Bussy en s’adressant au comte, j’ail’honneur de vous prévenir que M. le duc d’Anjou désire vousparler.

– À moi ? fit Monsoreau inquiet.

– À vous-même, monsieur, dit Bussy.

Monsoreau dirigea sur son interlocuteur unregard qui avait l’intention de pénétrer jusqu’au fond de son âme,mais fut forcé de s’arrêter à la surface, tant les yeux et lesourire de Bussy étaient pleins de sérénité.

– M’accompagnez-vous, monsieur ?demanda le grand veneur au gentilhomme.

– Non, monsieur, je cours prévenir SonAltesse que vous vous rendez à ses ordres, tandis que vous prendrezcongé du roi.

Et Bussy s’en retourna comme il était venu, seglissant, avec son adresse ordinaire, parmi la foule descourtisans.

Le duc d’Anjou attendait effectivement dansson cabinet et relisait la lettre que nos lecteurs connaissentdéjà. Entendant du bruit aux portières, il crut que c’étaitMonsoreau qui se rendait à ses ordres, et cacha cette lettre.

Bussy parut.

– Eh bien ? dit le duc.

– Eh bien, monseigneur, le voici.

– Il ne se doute de rien ?

– Et quand cela serait, lorsqu’il seraitsur ses gardes ? dit Bussy ; n’est-ce pas votrecréature ? Tiré du néant par vous, ne pouvez-vous pas leréduire au néant ?

– Sans doute, répondit le duc avec cetair préoccupé que lui donnait toujours l’approche des événements oùil fallait développer quelque énergie.

– Vous paraît-il moins coupable qu’il nel’était hier ?

– Cent fois plus ! ses crimes sontde ceux qui s’accroissent quand on y réfléchit.

– D’ailleurs, dit Bussy, tout se borne àun seul point : il a enlevé par trahison une jeune fillenoble ; il l’a épousée frauduleusement et par des moyensindignes d’un gentilhomme ; il demandera lui-même larésolution de ce mariage, ou vous la demanderez pour lui.

– C’est arrêté ainsi.

– Et au nom du père, au nom de la jeunefille, au nom du château de Méridor, au nom de Diane, j’ai votreparole ?

– Vous l’avez.

– Songez qu’ils sont prévenus, qu’ilsattendent dans l’anxiété le résultat de votre entrevue avec cethomme.

– La jeune fille sera libre, Bussy, jet’en engage ma foi.

– Ah ! dit Bussy, si vous faitescela, vous serez réellement un grand prince, monseigneur.

Et il prit la main du duc, cette main quiavait signé tant de fausses promesses, qui avait manqué à tant deserments jurés, et il la baisa respectueusement.

En ce moment on entendit des pas dans levestibule.

– Le voici, dit Bussy.

– Faites entrerM. de Monsoreau, cria François avec une sévérité quiparut de bon augure à Bussy.

Et cette fois le jeune gentilhomme, presquesûr d’atteindre enfin au résultat ambitionné par lui, ne putempêcher son regard de prendre, en saluant Monsoreau, une légèreteinte d’ironie orgueilleuse ; le grand veneur reçut, de soncôté, le salut de Bussy avec ce regard vitreux derrière lequel ilretranchait les sentiments de son âme, comme derrière uneinfranchissable forteresse.

Bussy attendit dans ce corridor que nousconnaissons déjà, dans ce même corridor où la Mole, une nuit, avaitfailli être étranglé par Charles IX, Henri III, le duc d’Alençon etle duc de Guise, avec la cordelière de la reine mère. Ce corridor,ainsi que le palier auquel il correspondait, était pour le momentencombré de gentilshommes qui venaient faire leur cour au duc.

Bussy prit place avec eux, et chacuns’empressa de lui faire sa place, autant pour la considération dontil jouissait par lui-même que pour sa faveur près du duc d’Anjou.Le gentilhomme enferma toutes ses sensations en lui-même, et, sansrien laisser apercevoir de la terrible angoisse qu’il concentraitdans son cœur, il attendit le résultat de cette conférence où toutson bonheur à venir était en jeu.

La conversation ne pouvait manquer d’êtreanimée : Bussy avait assez vu de M. de Monsoreaupour comprendre que celui-ci ne se laisserait pas détruire sanslutte. Mais, enfin, il ne s’agissait pour le duc d’Anjou qued’appuyer la main sur lui, et s’il ne pliait pas, eh bien, alors ilromprait.

Tout à coup l’éclat bien connu de la voix duprince se fît entendre. Cette voix semblait commander.

Bussy tressaillit de joie.

– Ah ! dit-il, voilà le duc qui metient parole.

Mais à cet éclat il n’en succéda aucun autre,et, comme chacun se taisait en se regardant avec inquiétude, unprofond silence régna bientôt parmi les courtisans.

Inquiet, troublé dans son rêve commencé,soumis maintenant au flux des espérances et au reflux de lacrainte, Bussy sentit s’écouler minute par minute près d’un quartd’heure.

Tout à coup la porte de la chambre du ducs’ouvrit, et l’on entendit à travers les portières sortir de cettechambre des voix enjouées.

Bussy savait que le duc était seul avec legrand veneur, et que, si leur conversation avait suivi son coursordinaire, elle ne devrait être rien moins que joyeuse en cemoment.

Cette placidité le fit frissonner.

Bientôt les voix se rapprochèrent, la portièrese souleva. Monsoreau sortit à reculons et en saluant. Le duc lereconduisit jusqu’à la limite de sa chambre, en disant :

– Adieu ! notre ami. C’est choseconvenue.

– Notre ami, murmura Bussy,sangdieu ! que signifie cela ?

– Ainsi, monseigneur, dit Monsoreautoujours tourné vers le prince, c’est bien l’avis de VotreAltesse ; le meilleur moyen à présent, c’est la publicité.

– Oui, oui, dit le duc, ce sont jeuxd’enfants que tous ces mystères.

– Alors, dit le grand veneur, dès ce soirje la présenterai au roi.

– Marchez sans crainte, j’aurai toutpréparé.

Le duc se pencha vers le grand veneur et luidit quelques mots à l’oreille.

– C’est fait, monseigneur, réponditcelui-ci.

Monsoreau salua une dernière fois le duc, qui,sans voir Bussy, caché qu’il était par les plis d’une portière àlaquelle il se cramponnait pour ne pas tomber, examinait lesassistants.

– Messieurs, dit Monsoreau se retournantvers les gentilshommes qui attendaient leur tour d’audience, et quis’inclinaient déjà devant une faveur à l’éclat de laquelle semblaitpâlir celle de Bussy ; messieurs, permettez que je vousannonce une nouvelle : monseigneur me permet que je rendepublic mon mariage avec mademoiselle Diane de Méridor, ma femmedepuis plus d’un mois, et que, sous ses auspices, je la présente cesoir à la cour.

Bussy chancela ; quoique le coup ne fûtdéjà plus inattendu, il était si violent, qu’il pensa en êtreécrasé.

Ce fut alors qu’il avança la tête, et que leduc et lui, tous deux pâles de sentiments bien opposés, échangèrentun regard de mépris de la part de Bussy, de terreur de la part duduc d’Anjou.

Monsoreau traversa le groupe desgentilshommes, au milieu des compliments et des félicitations.

Quant à Bussy, il fit un mouvement pour allerau duc ; mais celui-ci vit ce mouvement, et le prévint enlaissant retomber la portière ; en même temps, derrière laportière, la porte se referma, et l’on entendit le grincement de laclef dans la serrure.

Bussy sentit alors son sang affluer chaud ettumultueux à ses tempes et à son cœur. Sa main, rencontrant ladague pendue à son ceinturon, la tira machinalement à moitié dufourreau ; car, chez cet homme, les passions prenaient unpremier élan irrésistible ; mais l’amour, qui l’avait poussé àcette violence, paralysa toute sa fougue ; une douleur amère,profonde, lancinante, étouffa la colère : au lieu de segonfler, le cœur éclata.

Dans ce paroxysme de deux passions quiluttaient ensemble, l’énergie du jeune homme succomba, commetombent ensemble, pour s’être choquées au plus fort de leurascension, deux vagues courroucées qui semblaient vouloir escaladerle ciel.

Bussy comprit que, s’il restait là, il allaitdonner le spectacle de sa douleur insensée ; il suivit lecorridor, gagna l’escalier secret, descendit par une poterne dansla cour du Louvre, sauta sur son cheval et prit au galop le cheminde la rue Saint-Antoine.

Le baron et Diane attendaient la réponsepromise par Bussy ; ils virent le jeune homme apparaître,pâle, le visage bouleversé et les yeux sanglants.

– Madame, s’écria Bussy, méprisez-moi,haïssez-moi ; je croyais être quelque chose dans ce monde, etje ne suis qu’un atome ; je croyais pouvoir quelque chose, etje ne peux pas même m’arracher le cœur. Madame, vous êtes bien lafemme de M. de Monsoreau, et sa femme légitime reconnue àcette heure, et qui doit être présentée ce soir. Mais je suis unpauvre fou, un misérable insensé, ou plutôt, ou plutôt, oui, commevous le disiez, monsieur le baron, c’est M. le duc d’Anjou quiest un lâche et un infâme.

Et, laissant le père et la fille épouvantés,fou de douleur, ivre de rage, Bussy sortit de la chambre, seprécipita par les montées, sauta sur son cheval, lui enfonça sesdeux éperons dans le ventre, et, sans savoir où il allait, lâchantles rênes, ne s’occupant que d’étreindre son cœur grondant sous samain crispée, il partit, semant sur son passage le vertige et laterreur.

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