Les-Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille – Tome II

XXV. – LA PETITE SERRURE.

Ce matin, le nabab avait quitté l’hôtel un peuavant le jour.

Au moment où sa voiture partait, un homme quiétait en observation devant la porte cochère fit le tour desjardins en courant, et gagna la ruelle située sur les derrières del’hôtel.

La nuit était encore assez noire.

– Êtes-vous là ? murmura-t-il.

Deux hommes sortirent d’un enfoncement de lamuraille.

C’étaient MM. le chevalier de las Mataset le comte de Manteïra, en costume d’aventures.

– Eh bien ?… demandèrent-ils.

– Disparu !… répliqua le noble baronBibander ; je viens de le voir partir avec le grand sec demajordome et les deux nègres.

Les deux bougies que Nawn avait allumées à ladernière fenêtre de l’aile gauche n’avaient brillé qu’un seulinstant.

– Et le signal ?… demanda Bibandierà son tour.

– Tout va bien !… réponditRobert ; et puisque milord a emmené ses deux chiens de garde,nous n’aurons guère à enfoncer que des portes ouvertes… Voyons, ysommes-nous ?

– Présent !… répliqua Bibandier,sans peur et sans reproche…

– Moi, dit Blaise, ça me va énormémentcette petite partie fine !… Mais convenons un peu de nosfaits… Si nous emportons le gros lot, allons-nous toujours àPenhoël ?

– Toujours !… répliqua Robert ;René a bu de l’eau-de-vie toute la journée, et m’aime comme laprunelle de ses yeux… Nous rachetons le manoir et tout ce quis’ensuit… nous donnons un coup de bas au vieux Pontalès, et noussommes les seigneurs suzerains de la contrée !…

– Et cette fois, dit Blaise,M. Robert ne fera pas de mauvaise plaisanterie ?

– Nous n’aurons pas l’ombre d’unediscussion, mon brave ! Entre millionnaires, on emploie lesformes. Qui est-ce qui saute le premier ?

– Moi ! dit Blaise, ça me rappellemon bon temps, et je me sens tout gaillard… En avant, mes petits,et qui m’aime me suive !

Entre la ruelle et la maison, il y avait lamuraille du jardin, qui était fort basse en cet endroit.

Blaise l’escalada le premier, et ce ne fut paslong, car il n’avait point perdu ses anciens mérites.

L’Américain et Bibandier sautèrent bientôt àleur tour sur le sol gras des plates-bandes.

Ce n’était pas le côté du grand jardincouvert. Il n’y avait là qu’un étroit banc de gazon et quelques arbres aufeuillage desséché.

Robert fit entendre un petit coup de sifflet,auquel on répondit de la fenêtre où brillaient naguère les deuxbougies.

Un cordon se déroula et vint tomber aux piedsde nos trois gentilshommes. Robert y attacha l’extrémité d’uneéchelle de soie, et le cordon remonta. L’instant d’après, ilsfaisaient tous les trois, par la fenêtre, leur rentrée à l’hôtel dunabab.

– La petite dame est accouchée…, dit Nawnqui ne tremblait point trop fort.

– Bah fit Robert ; on ne pourra doncpas l’emmener ?

– Elle est bien faible !…

– Américain, dit Bibandier, je demande àêtre le parrain de l’enfant ; cela resserrera les liensd’estime et d’affection qui nous unissent.

Ils étaient gais comme des pinsons, les troisexcellents camarades !

– Ah çà ! reprit Robert ens’adressant à Nawn, tu as fait ta besogne, toi ?

Nawn secoua lentement sa tête cuivrée.

– J’avais dans un petit flacon,répondit-elle, un mélange des quatre meilleurs poisons de monpays…

– Où il y a tant d’excellentspoisons ! interrompit Bibandier.

– Avec cela, reprit Nawn, j’aurais envoyédans l’autre monde une douzaine de gentlemen bien portants commevous l’êtes… Les pauvres enfants ont bu la moitié de ma fiole, àelles toutes seules !

Bibandier essaya encore de rire pour se faireun mérite d’esprit fort auprès de ses collègues ; mais il nepouvait plus.

– Et puis ?… dirent en même tempsRobert et Blaise.

– Ça dure cinq minutes…, répliqua Nawn,quelquefois un quart d’heure… Après cela, tout est fini.

– Et tu es bien sûre ?…

– À l’heure où je vous parle, elles sontmortes…, repartit Nawn qui baissa ses yeux noirs et brûlants.

Une fois déjà Robert avait entendu cesmots : « Elles sont mortes. » On l’avait trompé. Ildoutait.

– Peux-tu nous les montrer ?demanda-t-il.

– Suivez-moi…, répliqua Nawn sanshésiter.

Robert fit un pas en avant. L’Endormeur etBibandier restèrent immobiles.

– Je vais vous mener jusqu’à leurchambre…, dit Nawn, mais vous entrerez tout seul… car je nevoudrais pas revoir leur visage !

Le jour se faisait bien lentement, et lesténèbres étaient encore épaisses. On entendit au fond du corridoroù était située la chambre des deux jeunes filles une voix faiblequi criait :

– Diane !… Cyprienne !…

Un frisson parcourut le corps de Robert.

– Écoutez !… dit Nawn ; ellesne répondront pas !

Nos trois compagnons prêtèrent attentivementl’oreille, et nul son ne répondit en effet à la voix deBlanche.

– Elles ne répondront pas !… répétaNawn ; la jeune dame qui les appelle ne peut pas lesapercevoir dans l’ombre… mais moi, je sais bien qu’elles sontcouchées sur le tapis… toutes deux côte à côte… les yeux mornes…les lèvres livides… Oh ! ajouta-t-elle en baissant la voixtout à coup, elles s’aimaient bien !… elles étaient bellescomme les anges… Je ne sais pas si je recommencerais !…

– Diane !… Cyprienne !… ditencore la voix de Blanche.

– Elles ne répondront pas !… murmuraNawn.

Blaise et Robert, bien qu’ils fussent descoquins sans cœur, se sentaient du froid dans les veines. Quant àBibandier, une sueur glacée mouillait ses tempes.

Il avait vu déjà une fois les deux jeunesfilles, côte à côte, couchées sur le bord de leur tombe.

La parole de Nawn évoquait pour lui deux pâlesfantômes.

– Oh ! oui !… balbutia-t-ilsans savoir qu’il parlait, elles étaient belles !… et ceux quiles ont tuées n’auront plus jamais de sommeiltranquille !…

– Diane !… Cyprienne !…prononça pour la troisième fois la voix toujours plus faible del’Ange.

Et point de réponse encore.

– Eh bien !… dit Nawn à Robert quirestait immobile, le corridor est court et la porte est ouverte… nevoulez-vous plus aller voir les mortes ?

Robert se retourna brusquement.

– Tu seras payée !… dit-il.Conduis-nous à la chambre de Montalt.

Nawn obéit.

L’appartement du nabab était situé, comme nousl’avons dit, à l’autre extrémité de l’hôtel.

Nos trois gentilshommes et leur guidetraversèrent avec précaution les longues galeries. La porteextérieure de la chambre à coucher était fermée. Blaise, quiportait sous son manteau une pince et divers instruments deserrurerie, fut chargé d’ouvrir. Cela prit du temps, soit que laserrure eût des combinaisons difficiles, soit que Blaise eût oubliéson adresse d’autrefois.

Quand on put entrer enfin, il faisait jourdans le corridor.

Mais nos trois compagnons retrouvèrent lesténèbres à l’intérieur de la chambre, dont les contrevents étaientsoigneusement fermés.

Comme Robert regardait derrière lui avecinquiétude, Nawn lui dit :

– Personne ne viendra vous surprendre…Les valets dans cette maison suivent l’exemple du maître…, onveille la nuit, on dort le jour… Les plus vigilants ne se lèventguère qu’à dix heures.

Elle tendit la main.

– J’ai fait ce que j’avais promis…,ajouta-t-elle ; payez-moi, car il faut que je quitte cethôtel.

Robert lui donna une bourse pleine d’or. Nawns’éloigna lentement et la tête baissée.

Nos trois gentilshommes étaient seuls, etmaîtres du terrain.

La porte fut fermée ; on alluma unelampe.

Robert fouilla d’abord les tiroirs dusecrétaire pour trouver la clef du petit meuble où la boîte dediamants devait être serrée.

Au lieu de la clef absente, il rencontra çà etlà quelques billets de banque dont il fit son profit.

Sur la tablette du secrétaire, une lettrecommencée attira son attention.

– Pardieu ! dit-il en parcourant lespremières lignes, je puis bien lire sans être indiscret, car cettelettre est à mon adresse… Savez-vous bien, messieurs, que ce pauvrelord menaçait de devenir maniaque ?… Trois lettres hier, deuxcette nuit ! cela commençait sur le pied de trente-cinq àquarante messages par semaine !… Et le tout pour me prier àgenoux de lui vendre un chiffon de papier griffonné par unefemme !…

– Voyons ! interrompit Blaise ;tu ne trouves pas la clef ?

L’Américain frappa gaiement sur la poche de saredingote.

– Certes, ceci est un détail mais je suisflatté d’avoir là, dans mon portefeuille, un crédit de centcinquante mille francs… peut-être davantage… car chaque lettrenouvelle de milord m’offre deux mille louis de plus !

Il s’arrêta, et son regard exprima une subiteinquiétude.

– La chose est si étrange, poursuivit-ilen baissant la voix, que j’aurais presque peur, si notre hommen’avait affaire ce matin à forte partie !…

– Peur de quoi ?… demandaBlaise.

– Mais il y a juste cinq à parier contreun, poursuivit Robert au lieu de répondre, que milord ne nousgênera plus désormais !… À la besogne, l’Endormeur, monami !… À défaut de clefs, essayons un peu de tesustensiles !…

Bibandier n’avait point pris part à ce courtentretien, mais si sa langue chômait, ses mains ne restaient pasoisives. Le noble baron furetait de meuble en meuble, et faisaitmain basse sur tout ce qu’il trouvait à sa convenance.

Si les fauteuils n’eussent point été tropgros, il les eût fourrés dans les vastes poches de saredingote.

Le petit meuble indiqué par Lola était à demicaché derrière les rideaux de brocart, dont les draperies, largeset lourdes, tombaient autour du lit de Montalt.

C’était une espèce de coffre, supporté parquatre pieds contournés, et couvert, du haut en bas,d’incrustations artistement variées ; au milieu de cerenflement, en forme de ventre, qui distingue les bahuts du tempsde Louis XV, on voyait une petite serrure mignonne, délicate,microscopique, qui semblait bien facile à forcer.

À défaut d’adresse, d’ailleurs, on pourraitemployer la force, car ces meubles si coquets sont fragiles, et lemoindre coup, vigoureusement appliqué, peut disjoindre leursplanchettes légères.

Nos trois gentilshommes bénissaient inpetto le caprice du nabab, qui avait choisi, pour renfermerson trésor, cette gentille armoire, au lieu d’une laide caisse defer.

L’Endormeur se mit à genoux sur le tapis, etcommença son office de serrurier.

Autrefois, à l’époque où il avait mérité sonsurnom, on n’aurait point pu compter les serrures habilementcrochetées par lui ; il ne possédait peut-être pas aussiparfaitement que l’Américain, son frère d’armes, le côtéintellectuel de l’art du voleur ; mais sa main était preste,et on pouvait citer de lui des exploits vraiment notables.

Fallait-il que cette vieille gloire vînt sebriser contre un jouet d’enfant ?

Le malheureux Blaise travaillait comme unnègre, suait à grosses gouttes, et faussait l’un après l’autre tousses instruments. On eût dit que la petite serrure était fée.

Le temps passait. Robert et Bibandiersuivaient la vaine besogne de leur compagnon avec une impatiencecroissante.

– Donne-moi cela !… s’écria enfinl’Américain en repoussant Blaise qui s’essuya le front sans motdire ; tu n’es plus bon à rien.

Il saisit l’une des tiges d’acier recourbées,et sonda la serrure à son tour.

Même résultat ! La tige d’acier setordit, et la serrure demeura inattaquable.

Robert se releva ; Bibandier voulutessayer à son tour, et ce fut avec aussi peu de succès.

– Le diable est dans cetteserrure !… grommela-t-il.

Nos trois gentilshommes étaient debout, latête basse et regardant d’un œil piteux ce charmant petit meublequi semblait si facile à ouvrir…

Ils ne s’étaient pas découragés trop vite, etun temps considérable s’était écoulé déjà depuis leur entrée àl’hôtel.

– C’est infernal !… murmural’Américain. Échouer au port ! Je parierais ma tête que lesdiamants sont dans ce coffre !…

– Ça me paraît clair !… appuyatristement Bibandier. Une si bonne petite serrure doit servir àquelque chose !…

Blaise tourna la tête par hasard, et ses yeuxtombèrent sur l’une des fenêtres.

– Regardez, dit-il d’un ton defrayeur.

Les regards de Blaise et de Robert suivirentsa main étendue.

Malgré la lumière de la lampe, on apercevaitaux fentes des contrevents fermés deux ou trois de ces pointsétincelants qui annoncent le grand soleil.

– Il faut en finir !… ditRobert.

Il se recula jusqu’à l’autre bout de lachambre et, prenant son élan, il vint donner de toute sa forcecontre le petit meuble. Le choc de son talon produisit un son secet faible. Ce fut tout.

Le ventre du bahut n’avait même pasfléchi.

– Il y a du fer sous le bois !…murmura-t-il en laissant retomber ses deux mains.

Nos trois gentilshommes, au comble del’embarras, se regardèrent en silence pendant une bonne minute.

– Messieurs, dit enfin Robert, il fautjouer le tout pour le tout !… Les gens de la maison vonts’éveiller, s’ils ne le sont pas déjà… En cavant au mieux, nousn’avons plus que quelques instants… Ne les perdons pas en effortsinutiles !… Je me souviens d’avoir vu une hache dans lachambre où Nawn nous a introduits d’abord… À l’aide de cette hache,nous aurons bien raison de la doublure de fer !

– Je vais la chercher !… s’écriaBlaise.

– Allons tous les deux !… ajoutaBibandier.

Ils se faisaient ce raisonnement que la fuiteserait plus aisée, en cas de danger, s’ils étaient une fois hors decette chambre.

Ils sortirent ensemble.

Nawn ne les avait point trompés. Malgrél’heure avancée, aucun bruit ne se faisait encore dans l’hôtel.

Resté seul, Robert prit la lampe et l’approchade la serrure pour l’examiner mieux. Il y avait autour desornements d’or guilloché, figurant une arabesque extrêmementlégère.

Au milieu des lignes enchevêtrées du dessin,Robert distingua un petit bouton d’argent.

Son cœur battit comme s’il avait eu déjà en sapossession la fameuse boîte aux diamants. Et tout de suite, il eutl’excellente idée de s’adjuger le trésor à lui tout seul.

La moins tordue des tiges d’acier futintroduite de nouveau dans la serrure, et Robert la fit jouer enmême temps qu’il pressait le bouton.

Le couvercle du petit meuble s’ouvrit etbascula de lui-même.

Robert poussa un cri de joie folle à la vuedes diamants qui renvoyèrent, en gerbes étincelantes, la lumière dela lampe.

Il saisit la boîte et s’élança vers laporte.

Mais, au lieu de franchir le seuil, ils’arrêta comme frappé de la foudre, et la boîte s’échappa de samain tremblante…

Il y avait devant lui deux fantômes :Diane et Cyprienne de Penhoël, qui tenaient à la main les pistoletsdu nabab, et qui, droites et fermes au-devant du seuil, dirigeaientles deux canons contre la poitrine de Robert.

Celui-ci toucha son front, qui se mouillaitd’une sueur froide.

– Encore !… encore !…murmura-t-il d’une voix étouffée.

La signification de ce mot dut échapper auxdeux jeunes filles, qui ne se doutaient même pas du danger récentqu’elles avaient couru par le fait de Nawn.

Pendant que cette dernière, en effet, aprèsavoir versé le poison dans la bouilloire, s’éloignaitprécipitamment pour jeter au dehors le flacon accusateur, Séidétait entré sans bruit dans la chambre de Blanche. Il avaitrenversé dans les cendres la liqueur empoisonnée, et rempli denouveau la bouilloire avec de l’eau pure.

De sorte que Nawn, au lieu de son poisonmalais, avait servi d’excellent thé aux deux jeunes filles.

Celles-ci veillaient dans leur chambre,attendant le retour du nabab. Blanche dormait auprès de son enfant.Diane et Cyprienne sortaient, de temps à autre, dans le corridor,pour prêter l’oreille.

Au moindre bruit, annonçant le retour espéréde Montalt, elles voulaient s’élancer au-devant de lui, le supplierde vivre et vaincre sa résolution fatale à force de caresses.

Un bruit se fit, c’était le coup de pied deRobert, essayant de forcer le petit meuble.

Cyprienne et Diane traversèrent aussitôt lecorridor. En un clin d’œil elles furent à la porte de Montalt.

Cette entrée dont nous parlons, et quicommuniquait avec l’appartement donné à Blanche, était située à latête du lit. Au moment où les deux jeunes filles y arrivaient,l’Endormeur et Bibandier sortaient par l’autre porte pour allerchercher la hache.

Robert ne pouvait voir entrer les deux sœurs,qui étaient masquées pour lui par le brocart épais des rideaux.

Quand elles s’avancèrent dans la chambre etqu’il eût pu les apercevoir, la découverte du secret l’absorbaitdéjà.

Il était tout entier à sa besogne.

Diane et Cyprienne demeurèrent d’abordétonnées à la vue d’un étranger. Il n’y avait point à s’yméprendre, cet homme était un voleur.

Grâce au bruit que faisait Robert entravaillant la serrure, elles purent, sans éveiller son attention,décrocher deux grands pistolets anglais, pendus aux deux côtés dusecrétaire, et gagner la porte principale.

Elles ne reconnurent Robert qu’au moment oùcelui-ci se retournait pour sortir.

– Vous êtes notre prisonnier,M. de Blois ! dit Diane ; n’essayez pas defuir… ne faites pas un mouvement, ou vous êtes mort !

L’Américain regarda tour à tour les deuxpistolets dont les gueules lui semblèrent énormes.

– Vous ne vous attendiez pas à nousretrouver ici !… reprit Diane, et pourtant vous avez habité laBretagne assez longtemps pour connaître nos vieilles légendes… lesbelles-de-nuit voyagent sur l’aile du vent… Hier, nous tourmentionsmadame la marquise d’Urgel à Paris… cette nuit, nous avons dormi ànotre place, derrière l’église de Glénac… et ce matin,M. de Blois, nous avons enfourché le dernier rayon delune pour venir vous mettre le pistolet sous la gorge…

– Ma sœur !… ma sœur ! ditCyprienne d’un ton plus sarcastique encore, c’est mal de railler unvaincu !… Je suis sûre que si nous laissions passer le pauvreM. de Blois en ce moment, il nous donnerait sa paroled’honneur de se convertir et de faire pénitence… Mais les morts ontde la rancune, M. de Blois… et nous allons vous garder làjusqu’au retour de milord.

L’Américain avait très-sérieusement peur.

– Écoutez-moi !… dit-il auhasard ; je sais bien que vous pouvez me perdre, mais je saisaussi que vous avez le cœur généreux, mesdemoiselles… Ayez pitié demoi !

– Pitié !… répliqua Diane ;l’eau est bien profonde au tournant de laFemme-Blanche !…

– Et les pierres étaient bienlourdes !… ajouta Cyprienne.

L’œil de Robert s’éclaira subitement pendantqu’elles parlaient ainsi, et un rayon s’alluma sous sa paupière,rapidement baissée.

– Ainsi…, murmura-t-il en redoublantd’humilité, vous n’aurez point compassion ?…

Son regard, qui se releva, prenait, en cemoment, une expression si étrange, que Cyprienne et Diane seretournèrent avec vivacité pour découvrir la cause de cechangement…

Robert éclata de rire.

Diane était prisonnière entre les bras deBibandier ; Cyprienne entre ceux de Blaise.

Les deux pauvres enfants courbèrent la têtesans essayer même de se défendre.

– Tudieu ! mesdemoiselles, ditl’Américain, il faut jouer serré, quand vous êtes de lapartie !… Pour aujourd’hui nous allons vous traiter seulementcomme vous avez traité Lola, car nous ne sommes pas encore à laporte de ce maudit hôtel…

L’Américain n’avait pas achevé sa phrase quesa figure changea une troisième fois.

L’apparition des jeunes filles et celle de nosdeux gentilshommes s’étaient succédé rapidement.

Une troisième péripétie arriva plus viteencore.

Au moment où Robert nouait son mouchoir, rouléen bandeau, sur la bouche de Diane, la porte que Bibandier etBlaise avaient laissée entr’ouverte s’ouvrit tout à fait et donnapassage au grand jour du dehors.

La haute taille de Berry-Montalt, qui tenait àla main ses deux épées de combat, se dessina en silhouette sur leseuil.

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