Les-Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille – Tome II

II. – LE MOURANT.

En quittant l’auberge du Moutoncouronné, qui devait rappeler à Robert et à Blaise une foulede bons souvenirs, nos trois gentilshommes avaient pris la route deRedon à la Gacilly.

Mais au lieu de poursuivre tout droit leurchemin jusqu’au manoir, ils s’arrêtèrent à la hauteur du bourg deBains, et entrèrent dans le taillis.

Ils descendirent tous trois de cheval.

Jusqu’alors, la route s’était faitesilencieusement, et chacun d’eux semblait en proie à desméditations assez graves.

– Nous allons jeter notre bonnetpar-dessus les moulins !… dit Robert en passant sa brideautour d’une branche de chêne, nous allons jouer le tout pour letout… et ces parties-là se gagnent plus souvent qu’on nepense !

– Nous avons du malheur…, soupiraBibandier.

– Tais-toi ! s’écria Blaise ;sans ta bêtise, les petites seraient au fond de l’eau… et nousaurions dans nos poches les diamants du nabab !

– L’Endormeur, mon ami, répliquaBibandier, tu n’as plus le droit de parler… Ton poison n’a pasmieux réussi que ma noyade… Les petites ont un sort !

– Imbécile !… grommela Blaise.

– La paix !… fit Robert ; nousn’avons pas le temps de nous disputer… Si nous travaillons comme ilfaut, ce soir, la chance peut tourner encore… Et ce qui me plaîtdans cette partie, c’est qu’au moins elle ne sera pas longue àdécider !

– Mais, dit Blaise, si nous laperdons… ?

– À la grâce du diable, monbonhomme !… Si nous la perdons, il n’y a plus rien à faire enFrance… Tu files de ton côté, moi du mien ; Bibandier prendune troisième route, et nous recommençons sur nouveaux frais…

Il s’arrêta sur le bord du taillis qui faisaitface au bourg de Bains, et reprit :

– C’est dur à penser !… Les annéesviennent… et l’on n’est pas beaucoup plus avancé que le premierjour !… Bah ! chaque homme trouve l’occasion de fairefortune une fois dans sa vie… Il ne s’agit que de la saisir… Mesbons amis, c’est peut-être ce soir que notre étoile prendra saplace au ciel…

– Peste !… interrompit Blaise ;te voilà poëte !…

– Tu vas mourir !… marmottaBibandier.

L’Américain fit la grimace à ce dernier mot.Puis il releva la tête et montra du doigt la dernière maison dubourg.

– Si maître Protais le Hivain n’a pointperdu ses vieilles habitudes, reprit-il, nous allons le voir sortirtout à l’heure et venir de ce côté, vers la brune, fumer sa pipe dusoir…

– Mais que diable veux-tu faire de maîtrele Hivain ?… demanda Blaise.

Robert haussa les épaules.

– Penses-tu, répliqua-t-il, queM. le marquis de Pontalès viendrait volontiers à unrendez-vous que nous lui assignerions sur la lande, après la nuittombée ?…

– C’est juste !… c’est juste, ditBlaise ; Macrocéphale nous servira d’appeau… Qui sait ?l’aventure sera drôle et nous allons peut-être rire !…

– Je sais bien, moi, qui ne rirapas !… dit l’Américain en fronçant le sourcil ; le vieuxbrigand de Pontalès y passera, ou bien nous seronsriches !

Bibandier redressa tout d’une pièce sa longuetaille.

– En voilà un que j’exterminerais sansfaiblesse ! prononça-t-il gravement ; jusqu’ici j’ai étéla victime de mon bon cœur… Il est temps que celafinisse !

– Chut !… murmura Robert, etattention !

Il se courba pour cacher sa tête derrière letalus qui bordait le taillis. Blaise et Bibandier l’imitèrent.

La maison de l’homme de loi venait des’ouvrir, et maître Protais le Hivain, surnommé Macrocéphale,s’avançait, en personne, dans la direction du bois.

Sa longue tête était couverte d’un bonnet delaine, mais il avait l’habit noir et les breloques d’un hommed’importance.

Il se promenait tout doucement, les mainsderrière le dos, fumant sa pipe comme un juste, et méditant, àloisir, quelque affreux tour de chicane.

La nuit commençait à devenir sombre lorsqu’ilpassa au ras du talus.

– En avant !… dit Robert qui sautad’un bond sur la lande.

Le pauvre homme de loi voulut pousser un crien voyant ces trois figures trop connues qui l’entouraient àl’improviste ; mais Bibandier lui mit sa main énorme sur labouche.

– Par Satan ! M. de laChicane, dit-il terriblement, si tu soupires seulement, jet’étrangle !

Le Hivain tremblait de tous ses membres, etses dents claquaient.

– Mes bons messieurs…, balbutia-t-ilenfin, mes dignes et chers amis… je suis bien heureux de vousrevoir… Mais l’étonnement… le saisissement… le plaisir !…

Ses petits yeux roulaient et n’osaient pointse fixer.

– Allons, allons !… dit Bibandierqui était tout glorieux de faire peur à quelqu’un, on sait bien quetu nous aimes, M. de la Chicane !… Pas de grandesphrases !… nous avons besoin de toi ; suis-nous.

– Je vous suivrai au bout du monde, meschers messieurs, répliqua le malheureux Macrocéphale, maispourtant…

– Venez !… interrompit Robert.

Le Hivain ne souffla plus mot, et se laissaconduire à l’intérieur du taillis. On se remit en selle, et l’hommede loi fut placé en croupe derrière Bibandier.

– Marchons !… dit Robert qui pritl’arrière-garde pour pouvoir causer avec l’homme de loi.

– Si vous allez au manoir, fit observertimidement celui-ci, je vous engage à prendre le pont desHoussayes, mes dignes messieurs… car nous sommes en déris depuishier… et le bac de Port-Corbeau ne sert plus à grand’chose.

– Benoît Haligan est mort ? demandal’Américain.

– Guère ne s’en faut, mon bonM. de Blois !… Vous savez que le pauvre fou croitdeviner l’avenir… Voilà plus de six mois qu’il agonise… et il aprédit lui-même que la mort entrerait ce soir dans sa cabane.

– Et Pontalès ?… demanda encoreRobert.

– Oh ! celui-là se porte bien, Dieumerci !… Toujours fin comme une demi-douzaine de Normands…toujours dur avec le pauvre monde !… Jésus ! bonDieu ! mon digne M. Robert, je suis un homme paisible,mais lorsque je le vis vous chasser de Penhoël… oh ! jel’avoue franchement, j’eus envie de lui briser mon bâton de houxsur la tête !

– En vérité !… fit Robert, ce fut àce point-là ?…

Macrocéphale prit un air attendri.

– Mes excellents amis…, dit-il, mon digneM. de Blois… mon cher M. Blaise… et vous-même, monbrave M. Bibandier… vous ne pouvez pas savoir combien je voussuis attaché sincèrement et du fond du cœur !… Pour vous êtreseulement agréable, voyez-vous bien, je me ferais hacher en millepièces…

Bibandier éclata de rire.

– J’attendais cette chute-là !…s’écria-t-il. Eh bien ! M. de la Chicane, vous voyezbien que nous vous payons de retour, puisque nous avons fait centlieues pour vous chercher !

– Et m’est-il permis de vousdemander… ? commença l’homme de loi.

– En temps et lieu vous saurez tout cela,M. le Hivain, interrompit Robert. La question importante, pourle moment, est de savoir si vous voulez être avec nous ou contrenous.

– Seigneur Jésus ! s’écria l’hommede loi, moi… contre vous !…

– Pour parler franc, reprit Robert, nousvoulons en finir avec Pontalès !

– Par des voies légales, jesuppose ?

– Très-légales.

– Eh bien ! mon digneM. de Blois… mon cher M. Blaise… mon braveM. Bibandier, je suis à vous… tout à vous !

Ils cheminaient maintenant à travers la lande,suivant à peu près la route que Diane et Cyprienne avaientparcourue, la nuit de la Saint-Louis, en revenant de leurexpédition chez l’homme de loi.

Ils traversèrent le pont des Houssayes, dontles piles de bois tremblaient sous l’effort croissant del’inondation ; puis ils descendirent la rivière jusqu’aupassage du Port-Corbeau.

Comme ils arrivaient sous le manoir, Robert,qui marchait le premier, arrêta son cheval.

– Maître le Hivain, dit-il, votre besognene sera pas bien malaisée, et nous vous payerons chacun de vos pascomme si vous étiez un roi.

– Ce n’est pas l’intérêt qui me faitagir, mon digne monsieur…

– Écoutez !… vous aurez toutsimplement à monter jusqu’au manoir.

– Volontiers !… Pourquoifaire ?

– Pour aller nous chercher M. lemarquis de Pontalès, avec qui je veux avoir une entrevue.

L’homme de loi secoua la tête.

– J’aurais beau monter au manoir,répondit-il, cela ne vous avancerait guère… Pontalès est un hommehabile, je dois en convenir… Il reste là-bas, dans le grandchâteau, pour faire dire aux alentours que les convenances sontgardées et que la maison des Penhoël attend encore ses anciensmaîtres dans le cas où ils viendraient payer le prix du rachat.

– Et il n’y a personne aumanoir ?…

Macrocéphale montra du doigt la façade où nebrillait aucune lumière.

– Personne !… répliqua-t-il, si cen’est un vieux domestique, chargé du bac, qui demeure dans lescommuns… C’est toute une comédie… La grande porte du manoir resteouverte… et Pontalès répète à qui veut l’entendre qu’il espère voirles Penhoël rentrer dans la maison de leurs aïeux.

Robert n’écoutait plus, et semblait méditersur ce contre-temps.

– Mais si vous voulez, ajoutaMacrocéphale, je vais prendre un de vos chevaux et courir jusqu’àPontalès.

– Il faut que l’entrevue ait lieurépliqua Robert.

– Eh bien ! je vous ramènerai votrehomme.

L’Américain examina en dessous l’homme de loi,qui gardait son air doucereux et innocent.

– L’Endormeur !… dit-il, on ne doitpas encore être couché à la ferme… va chercher le petit Francin… etsi l’on t’interroge, dis qu’il s’agit des intérêts de Penhoël.

Blaise s’engagea dans le sentier quiconduisait à la ferme.

– Mon brave M. le Hivain, repritRobert, nous avons toute confiance en vous… mais il faut une grandeheure pour aller et revenir de Pontalès. Et que de choses passentdans la tête d’un homme pendant une heure !… Restez plutôtavec nous… le petit Francin portera la lettre que vous allez écrireà M. le marquis.

– La lettre !… répéta leHivain ; comment voulez-vous que j’écrive au milieu de cetaillis ?

Robert indiqua du doigt une lueur qui brillaità travers les branches des châtaigniers.

– La loge du vieux Benoît nous servira debureau…, répondit-il.

– Ce que nous allons faire, murmural’homme de loi, n’a pas besoin de témoins…

Ils étaient à cinquante pas, tout au plus, dela loge. Bibandier se glissa entre les branches du taillis etdisparut pour revenir presque aussitôt.

– Le pauvre vieux ne nous gênera pas…,dit-il de loin.

– Il est mort ?…

– Donnez-vous la peine d’entrer !…Nous sommes les maîtres de la loge.

Ils s’introduisirent tous les trois dans lacabane, dont l’intérieur sombre et enfumé n’était éclairé que parune mince chandelle de résine, placée au chevet du grabat.

Le vieux Benoît était étendu sur le dos, lesbras en croix, les yeux ouverts et fixes. Il ne respirait plus.

Robert alla prendre la résine, et la posaauprès du trou qui servait de cheminée.

– Allume du feu, Bibandier…, dit-il, carmaître le Hivain a l’air de trembler la fièvre.

L’homme de loi frissonnait en effet.L’aventure tournait au lugubre, et il se demandait avec effroi quelen serait le dénoûment.

Il s’était assis le plus loin possible dugrabat, et de manière à tourner le dos au mort.

Bibandier jeta dans le foyer une brassée debois sec. Quand la flamme s’éleva claire et pétillante, l’Américainrapprocha son escabelle avec un mouvement de bien-être nonéquivoque.

– Les soirées fraîchissent…, dit-il, etle feu commence à ne pas être de trop !… Avez-vous ce qu’ilfaut pour écrire, M. le Hivain ?… Moi, je n’ai que dupapier timbré.

Macrocéphale releva sur lui un regard desurprise.

– Ça vous étonne ? repritl’Américain ; nous allons traiter une affaire sérieuse cesoir… Pontalès nous a joué un bon tour autrefois… mais, après lapartie, vient la revanche… Arrangez-vous le mieux possible, ettâchez d’écrire sur vos genoux.

Le Hivain avait tiré de sa poche une petiteécritoire, une plume et du papier.

– Ma parole !… reprit Robert, j’aisongé un instant à faire en personne une visite à ce vieux coquinde marquis… c’eût été plus simple… Mais on pourrait entrer dans cegrand diable de château et n’en point ressortir… J’aime mieuxtraiter la chose par correspondance… Écrivez.

– Je suis à vos ordres…, ditMacrocéphale.

– Écrivez !… Voyons, qu’allons-nouslui dire ?

– Quelque chose d’adroit…, insinuaBibandier ; si c’était un homme de nos âges, on pourraitrisquer le rendez-vous d’amour…

– Tais-toi !… interrompitRobert ; écrivez… « M. le marquis… » Quediable, M. le Hivain, vous n’êtes pas un enfant… écrivez demanière à ce qu’il vienne, et gagnez votre argent !

L’homme de loi se gratta l’oreille.

– À cette heure de nuit !…murmura-t-il ; et le jour où tombe le terme… D’ailleurs, lemarquis va se dire : « Pourquoi maître le Hivain nevient-il pas jusque chez moi ? »

– Il faut trouver un moyen.

– Je cherche…, dit Bibandier.

– Tais-toi !… Maître le Hivain, vousêtes un homme de ressources…

– Vous êtes bien honnête, mon dignemonsieur… mais Pontalès est si défiant !… Attendezdonc !… s’écria-t-il tout à coup en se touchant lefront ; je crois que j’ai trouvé !

– Voyons ?…

– Il y a une chose qui mettrait Pontalèssur ses deux jambes, quand même il serait à l’agonie : c’estle nom de l’aîné de Penhoël.

– En vérité ?… fit Robert qui seprit à sourire.

– On parle justement dans le pays, depuisdeux ou trois mois, du prétendu retour de M. Louis…,poursuivit Macrocéphale ; vous m’entendez bien… une de cesrumeurs qui se répandent on ne sait pourquoi ni comment… Je vaislui dire qu’il s’agit d’événements graves, où se trouve mêlé Louisde Penhoël.

– Dites-lui cela, maître le Hivain…,répliqua Robert ; et peut-être ne mentirez-vous pas tant quevous croyez.

La plume de l’homme de loi, qui courait déjàsur le papier, s’arrêta net.

– Comment !… balbutia-t-il ;est-ce que vous sauriez… ?

Blaise revenait avec le petit Francin.

– Finissez votre lettre !… ditRobert ; avant une heure, vous en saurez aussi long quenous.

L’homme de loi plia sa missive et la remit aupetit paysan, qui partit au galop, croyant servir les intérêts del’ancien maître de Penhoël.

Dès qu’il se fut éloigné, Robert devinttaciturne, et Macrocéphale essaya en vain de renouer laconversation.

C’était une nuit de novembre noire etfroide ; on entendait gémir le vent dans le taillis, et l’eaudéchaînée, qui roulait en bouillonnant au pied de la colline.

À l’intérieur de la cabane, le silencerégnait.

Une fois, Macrocéphale, qui avait l’oreilleaux aguets, crut entendre un soupir faible, venant du litmortuaire.

Il se leva épouvanté ; mais nos troiscompagnons le forcèrent à se rasseoir, et ne lui épargnèrent pointles moqueries.

Par le fait, le pauvre Benoît Haligan étaittoujours sur son grabat, les bras en croix et les yeux morts.

Au bout d’une heure, on ouït un bruit dechevaux sur la montée.

Nos trois compagnons se cachèrentprécipitamment derrière la porte, et l’homme de loi resta seulauprès du foyer.

L’instant d’après, le vieux marquis dePontalès entrait dans la cabane.

Il avait mis de côté son sourire emmiellé, etsemblait de fort mauvaise humeur.

– Que signifie cela ? s’écria-t-ildu seuil ; pourquoi ce rendez-vous ?… Et depuis quandn’avez-vous plus la force de venir jusque chez moi ?

Macrocéphale faisait de grands saluts.Peut-être eût-il été fort embarrassé pour répondre, si nos troisgentilshommes ne lui en eussent épargné la peine.

Pontalès, en effet, fit trêve à ses questions,parce que la porte venait de se refermer bruyamment derrièrelui.

Il se retourna en tressaillant, et reconnutd’un seul coup d’œil à qui il avait affaire.

– Un guet-apens !… murmura-t-il.

Puis il ajouta sans savoir qu’ilparlait :

– Mon fils m’écrivait hier qu’ils étaienttous à Paris !…

– Voici un pauvre raisonnement pour unhomme de votre force !… répliqua Robert en riant ; nesavez-vous pas bien qu’un quart d’heure avant sa mort,M. de la Palisse était encore en vie ?… Mais nousoublions de nous serrer la main, cher marquis, et de nous demandermutuellement de nos nouvelles…

Pontalès semblait un renard pris au piége.Sous ses paupières, baissées à demi, on voyait ses petits yeux grisqui roulaient tout effarés…

Robert, Blaise et Bibandier lui-même vinrent,tour à tour, lui tendre la main. Il répondit machinalement à cetteironique politesse.

– Messieurs…, balbutia-t-il, c’est voussans doute qui avez induit M. le Hivain à m’indiquer cerendez-vous ?…

– Si vous nous aviez laissé notre beaumanoir de Penhoël, cher marquis, répliqua Robert, nous n’en serionspas réduits à vous recevoir dans une chaumière… Ah ! vousjouâtes là un joli coup de cartes !… Du diable si j’ai vutricher avec plus d’aplomb en ma vie !… Les gendarmes… lesextraits des rôles de la préfecture… tout cela étaittrès-fort !… Mais prenez donc la peine de vous asseoir,M. le marquis, nous avons beaucoup de choses à nous dire, etrester debout sera fatigant.

Pontalès s’assit sur une escabelle.

– Procédons sans plan ni méthode !…reprit l’Américain dont l’air libre contrastait avec la détresse dumarquis ; je ne hais pas cet aimable désordre qui saute d’unsujet à un autre et varie gaiement l’entretien… Vous nous parliezde votre fils ?… Un très-beau cavalier, ma foi ! et quimenait bonne vie là-bas dans la capitale… Vous avez reçu de lui unelettre hier… Je puis vous donner des nouvelles encore plusfraîches…

– Vous l’avez vu récemment ?…demanda Pontalès qui tâchait péniblement à se remettre.

– Mon Dieu, répondit Robert, je ne saistrop comment vous dire cela… Le fait est que c’est une déplorableaffaire !…

Le marquis était père ; sa tête se relevainquiète.

– Vous savez, reprit l’Américain, on estjeune… on est brave… peut-être un peu querelleur… on a desduels…

– Un duel !… s’écria le marquis.

– Un duel extrêmement malheureux, moncher M. de Pontalès… L’aîné de Penhoël lui a mis troispouces de fer dans la poitrine.

Le marquis se leva tout d’une pièce, commes’il eût reçu un choc galvanique. Macrocéphale ne put s’empêcher del’imiter.

Nos trois gentilshommes, assis l’un près del’autre, balançaient leurs jambes croisées et gardaient un calmeparfait.

– L’aîné de Penhoël !… répétaPontalès d’une voix tremblante ; celui qu’on n’a pas vu depuisvingt ans ?… Mes oreilles ne me trompent-elles point… etparlez-vous bien de Louis de Penhoël ?…

À ce nom prononcé, un soupir rauque se fitentendre du côté du grabat.

Macrocéphale chancela sur ses jambes.

– Le mort s’éveille !…murmura-t-il.

Bibandier et Blaise étaient pâles, mais Roberthaussa les épaules.

– Quand les vivants le voudront,prononça-t-il lentement, le mort se rendormira.

Tout le monde, cependant, glissait vers legrabat des regards effrayés.

Comme si le vieux Benoît eût voulu protestercontre cette menace, on le vit s’agiter entre ses draps, puis selever sur son séant.

– C’est aujourd’hui !… dit-il d’unevoix creuse ; voilà bien des jours et bien des nuits quej’attendais ce moment !… La main de Dieu est sur moi… je neverrai pas le retour de Penhoël !

Tout le monde gardait un silence glacé. Robertlui-même, malgré sa forfanterie, ne trouvait pas le couraged’ouvrir la bouche.

– J’avais compté mes heures, reprit levieillard ; je savais bien que la maladie n’aurait pas letemps de me tuer… Je l’avais dit… je l’avais dit !… L’étrangerétait venu par un déris… dans une nuit sombre… c’est dans une nuitsombre et par un déris qu’il devait revenir !… PenhoëlPenhoël ! celui qui tuera ton corps et ton âme va me prendrema vie mortelle !

Son souffle râlait. Chacune de ses parolestombait sourde et pénible.

Il n’y avait pas dans la cabane une seulepoitrine qui ne fût oppressée.

– Qui donc a laissé ouvertes les portesdu manoir ?… reprit encore le vieux passeur dont la voix sefit plus vibrante ; je vois entrer ceux qui n’auraient jamaisdû sortir… celles qu’on croyait mortes ont, autour de leurs lèvresroses, le sourire de la vie…

« Penhoël ne cherche plus ses fillesparmi les belles-de-nuit, qui glissent sous les saules.

« Et l’absent, comme son cœur bat !son noble cœur ! à respirer l’air aimé du pays !…

« Les larmes sont séchées dans les yeuxde la sainte femme. Il y a un nouveau-né dans le berceau, paré defleurs… »

Un sourire étrange éclaira sa face hâve ;il balbutia encore des paroles qu’on ne pouvait plus entendre, etsa tête lourde rebondit sur la paille de son oreiller.

Un long silence régna dans la cabane puisl’Américain rapprocha son escabelle du siége de Pontalès.

– Il y a du vrai dans ce que dit ce vieuxfou, monsieur !… murmura-t-il. L’œuvre que vous avez édifiéepéniblement, à force de trahisons et de mensonges, est sapée par labase… Tel que vous me voyez, marquis de Pontalès, je viens vousapporter la ruine ou le salut… C’est à vous de choisir.

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