Les-Belles-de-nuit ou Les Anges de la famille – Tome II

VI. – L’HÔTEL MONTALT.

Nehemiah Jones, le majordome de Montalt, étaitun gentleman et un homme de goût parfait. Il avait acheté pour sonmaître un des plus confortables hôtels du faubourgSaint-Honoré ; un hôtel largement séparé de la voie oùfourmille la foule bruyante et gênante, isolé au beau milieu de lagrande ville, ombragé par des arbres centenaires et ouvrant lahaute porte de ses salons sur des jardins de prince.

Nehemiah Jones avait trouvé cela entre lesChamps-Élysées et la place Beauveau. C’était une retraite choisied’où la vue rencontrait partout des arbres, du gazon, des fleurs,et nulle part l’autre côté de la rue, cette odieuse barrière quiborne l’horizon parisien ! nulle part la fenêtre curieuse duvoisin ; nulle part le dos de ces civilisés qui passent desheures en contemplation devant les vitres des cordonniers ou desmarchands de parapluies.

Et c’était charmant ! Une sorte de riantpalais, bâti sous le règne de Louis XV, alors que les bosquetsde Beaujon étaient bien loin de Paris encore et cachaient seulementles façades mignonnes des foliesnobles ou financières.

L’hôtel Montalt, comme on l’appelait déjà dansle faubourg, affectait la forme régulière d’un château duXVIIIe siècle dessiné par Péronnet ou Gabriel.

C’était un corps de bâtiment carré, flanqué dedeux pavillons symétriques. Au-dessus du deuxième étage, dontchaque fenêtre avait à son sommet des têtes rieuses de nymphes oude satyres, régnait une galerie ajourée, tournant autour du toit etle masquant presque entièrement. Sur le fronton triangulaire,Coustou le jeune avait taillé deux dryades, couchées à demi etsoutenant un écusson de marbre.

Sous le fronton, quatre colonnes doriquessupportaient un large balcon, dont la saillie abritait la dernièremarche d’un perron circulaire, où s’étageaient douze paires devases à fleurs.

En quittant la cour plantée d’arbres pourmonter les degrés du perron, vous trouviez un spacieux vestibule,soutenu par un péristyle d’ordre corinthien en marbre violet, avecchapiteaux de bronze ; l’œil enfilait le corps de logis, percéà jour, et allait se reposer sur la belle verdure du jardin situéderrière l’hôtel.

Aux deux côtés du vestibule, pavé en mosaïqueromaine, s’ouvraient, à droite, le salon, la galerie, labibliothèque, le tout en enfilade ; à gauche, sous une tête decerf monstrueuse, la salle à manger, où pouvaient s’asseoircinquante convives.

En face du perron, l’escalier d’honneurmontrait sa haute rampe d’acier ciselé, rehaussé de volutes d’or,de pampres et de fleurs. Du côté opposé à la rampe, au-dessus d’unlambris en marbre violet comme celui des colonnes, Desportes avaitmis quelques-unes de ses larges peintures, sur lesquelles le dômetransparent qui terminait l’escalier jetait la lumière à grandsflots.

La terrasse, tournant deux fois sur elle-mêmeavec ses balustrades de marbre blanc, s’ouvrait au delà duvestibule et descendait au jardin. C’était un vrai petit parc, quis’étendait à gauche de l’avenue Marigny jusqu’aux maisons dufaubourg d’une part, de l’autre, jusqu’aux abords desChamps-Élysées.

On était là surtout en plein XVIIIesiècle. Après le beau parterre, venait le boulingrin Pompadour etles tilleuls énormes, taillés en arcades. Puis c’étaient desstatues, habillées de mousse et cachées dans des niches de verdure,des jets d’eau qui voulaient être rustiques, des naïades, destritons, Neptune, Amphitrite, etc., le tout entouré d’un cercle debuis centenaires à qui le ciseau avait donné mille formesarchitecturales ou fantastiques.

Par delà les grands buis, il y avait deslabyrinthes ombreux où Cupidon et sa sœur se jouaient, aimaient,souriaient, se groupaient sous la feuillée, suivant le lascifcaprice de l’art au siècle de Louis XV.

Lors de son arrivée, Montalt avait trouvé cemythologique paradis en pleine verdure et en pleines fleurs. Iln’avait eu garde de regretter son froid palais de Portland-Place, àLondres. Mais quand vinrent les jours pluvieux de septembre, adieula riche feuillée des grands arbres, adieu les corbeilles defleurs.

Le nabab était inconstant par système. Il seserait fatigué bien vite des fleurs et des arbres, mais il n’aimaitpas à voir son caprice contrarié avant l’heure de la satiété.

Il fit appeler Nehemiah Jones, son majordome,et il lui dit :

– M. Jones, ne pourrait-on mettremon jardin en serre ?

– Si c’est la volonté de milord, répliquaNehemiah Jones le plus simplement du monde, pourquoi non ?

Il eût semblé, en vérité, à entendre ce braveAnglais, que la volonté de milord était la règle de l’univers.

Milord répondit :

– C’est ma volonté, M. Jones.

Nous ferons remarquer en passant que ce titrede lord, appliqué à Montalt, était de pure convention. L’Angleterrene prodigue pas ainsi la seigneurie : seulement, tout millionest noble pour les pauvres gens. Montalt, d’ailleurs, n’y tenaitpoint, et se vantait volontiers d’être sorti du peuple.

Nehemiah Jones salua et se retira. Quelquesheures après, une armée d’ouvriers envahissait le jardin, au-dessusduquel s’éleva comme par enchantement une toiture transparente.

Cela coûta un prix insensé. Mais NehemiahJones revint dire à Montalt un beau matin :

– Milord, on a mis en serre le jardin deVotre Seigneurie.

C’était bien la perle des majordomes, que ceNehemiah Jones.

Paris s’est, ému, un jour, ému pour tout debon vraiment, parce qu’on lui a ouvert, moyennant un francd’entrée, un Éden qui se nommait le Jardin d’Hiver, et quiétait grand comme la salle des Pas-Perdus, au Palais de Justice. Leparc de Montalt aurait contenu à l’aise une demi-douzaine deJardins d’Hiver.

Jugez si Paris se mit en fièvre ! Lespremiers qui entendirent parler de cette merveille n’y voulurentpoint croire ; puis, comme on racontait des détails précis,vraisemblables, circonstanciés, les moins curieux désirèrentvoir.

Mais il ne s’agissait pas ici de donner unfranc et de confier au contrôle sa canne ou son parapluie :personne n’entrait, sinon les amis de Montalt, ou encore lesprotégés de Nehemiah Jones.

C’est à peine si, des fenêtres hautes dufaubourg, on voyait briller à travers les arbres, dans ce pays dejardins et de bosquets, l’immense voûte de verre ; mais onn’en grimpait pas moins aux mansardes et c’étaient souvent debelles dames qui laissaient en bas leurs équipages pourentreprendre cette ascension.

Il y eut des grisettes aussi pauvresqu’honnêtes qui gagnèrent trois cents livres de rente à prêterainsi leur modeste asile, d’où l’on apercevait le dôme desInvalides, le Val-de-Grâce, l’Institut, la Salpêtrière, mais non dutout le mystérieux paradis du nabab.

Le champ était ouvert aux suppositions, auxdescriptions apocryphes, à la poésie des nouvellistes rêveurs,et Dieu sait que nul ne se faisait faute d’avoir enpoche son petit plan du jardin miraculeux ! On en comptait lesberceaux, les grottes et les statues. Plus il était difficile d’ypénétrer, plus il y avait de véritable gloire à dire :« Je l’ai vu. »

Personne ne s’en privait. Et comme le thèmedescriptif était varié par l’imagination de chacun, l’idée que s’enfaisaient les simples dépassait toutes les limites dumerveilleux.

Les uns, frottés de saine littérature,refaisaient tout doucement les bosquets d’Amide, ou l’Éden deMilton ; les autres prouvaient certaines connaissancesd’histoire naturelle en décrivant les mille plantes desplates-bandes et des corbeilles ; d’autres enfin, prenant soind’animer la scène, montraient le beau nabab errant sous sesféeriques ombrages, au milieu d’un essaim d’almées.

Car l’idée du sérail de Montalt avait franchile détroit, et ceux qui avaient aperçu, par hasard, Séid et sonnoir compagnon, leur confiaient tout naturellement la garde d’unharem nombreux et choisi.

Quant à l’idée qu’on se faisait de la richessedu nabab, c’était quelque chose de prodigieux et de fou. Ceux quine voulaient pas exagérer disaient seulement qu’il était plus richeque le roi ; mais le commun des croyants ne cherchait pas mêmeune comparaison.

Les hâbleurs parlaient de fourgons chargésd’or…

Et de tout cela se dégageait une sorte decrainte superstitieuse. Un homme qui disposait de tels trésorsdevait être au-dessus des lois du monde et se rire des barrièresimposées à la foule.

Parmi tous ces on dit, le vrai avaitsa part, le faux la sienne. Ce qu’il faut affirmer, c’est que cefameux jardin n’avait point peut-être son pareil en Europe.

Quant à l’hôtel, œuvre d’une ère sensuelles’il en fut, Montalt l’avait orné suivant son goût bizarre. Là, semêlaient aux voluptueux souvenirs de notre XVIIIesiècle, les molles délices des mœurs asiatiques. Le confort anglaisbrochait sur le tout et doublait l’originalité de cet hybrideaccord.

Boucher se trouvait avoir jeté en grappesailées ses Amours dodus sur les panneaux d’une salle que Montaltavait fait daller de marbre et où des tuyaux lançaient l’eau tièdeet parfumée des bains, suivant la mode de Tebriz ou de Dir. Sousles tentures se montraient encore les guirlandes de fleurs et defruits. Les vives couleurs des pans de cachemire faisaient tort auxnuances un peu passées qui chatoient encore aux robes desmarquises-bergères de Watteau.

Et tout près, à dix pas de ces coussinsparesseusement amoncelés, l’attirail austère du sportbritannique.

Le palais de Montalt réunissait la mollesse duXVIIIe siècle aux mollesses de l’Orient, sans craindrele voisinage des modes roides du gentlemanry pur sang.

Car Montalt, malgré toute sa puissance, nepouvait façonner que le dedans à sa guise. Entre les murs del’hôtel ses souvenirs pouvaient prendre une forme et lui rendreaisément l’aspect aimé de sa vie indienne ; il pouvait secroire encore à Mascate, ou parcourant en vainqueur, avec sescipayes, un coin de la Perse, une province du Kaboul…

Mais au dehors, c’était l’Europe. Impossiblede refaire les mœurs de tout le monde. Au lieu du palanquinasiatique aux balancements indolents, il fallait le fougueuxattelage.

Et point n’est besoin de dire que les écuriesdu nabab n’avaient pas de rivales dans Paris.

La richesse, le luxe prodigue et somptueuxétendaient comme un vernis sur les contrastes trop heurtés quieussent pu déparer la demeure de Montalt. Le désordre est plus beauparfois que toute symétrie. Cela était beau comme le désordre.

Montalt était là, d’ailleurs, servant lui-mêmede lien vivant à toutes ces choses disparates, et adoucissant lescontrastes, à force de présenter en sa propre personne tous lescontrastes réunis.

C’était son œuvre ; l’œuvre achevée, iln’y songeait plus guère, et vivait là comme il eût vécu ailleurs,indifférent à ces merveilles créées avec tant de passion.

Suivant la morale commune, qui est assurémentla meilleure, il menait là, dans sa délicieuse retraite, uneexistence assez peu exemplaire.

Les trois dieux idiots du vaudeville : lejeu, le vin, les belles, étaient sa religion.

Il buvait comme un vrai lord ; il jouaitcomme un possédé du diable ; il aimait comme don Juan. Où soninconstant amour n’avait-il pas été, depuis les pécheressesdivinisées par la mode et se faisant une gloire de leur galanterie,jusqu’à ces Madeleines modestes qui glissent et tombent derrière levoile ? Depuis Lola, notre belle Lola, madame la marquised’Urgel, jusqu’à telle jolie dame, que Lovelace lui-même eût craintd’attaquer.

Il est vrai de dire, pourtant, que Montaltn’opérait jamais de séductions et n’abusait de personne. Il n’avaitni le temps, ni le vouloir. Pour séduire, il faut au moins unsemblant d’amour, et la comédie jouée eût fatigué Montalt presqueautant que la réalité même…

Elles l’eussent aimé, car il était généreux,noble, brave et beau comme un demi-dieu ; elles l’aimaientpeut-être. C’était malgré lui et à son insu. Lui n’aimait rien etdonnait tout à ses sens qui s’éveillaient, ardents et jeunes, àcôté du sommeil lourd de son cœur.

On est ainsi parfois, à la suite d’un de cesamours mortels où l’on avait mis tout son être et que la déceptiona brisés. Mais le nabab disait bien souvent que jamais il n’avaitaimé…

C’était sa nature, sans doute.

Il fallait croire cela, bien que difficilementon pût concilier ce vide glacé du cœur, ce matérialisme sanscontre-poids avec la belle générosité qui perçait, non point dansses paroles, mais dans ses actions.

Il y avait tant de contrastes dans cethomme ! Ceux qui l’approchaient le plus intimement n’auraientpoint osé le juger, encore moins le définir. En principe, son âmesemblait perdue ; il n’y avait plus rien en lui que doute,négation, blasphème. Tout ce qui est bon, tout ce qui est saint,excitait son mépris ou sa raillerie. Il ne voulait croire qu’aumal. Et pourtant, à part les fautes de sa vie systématiquementdissolue, il ne faisait que le bien.

C’était comme une lutte entre sa nature bonne,sensible, miséricordieuse, et quelque système impie, qu’il s’étaitimposé de force à lui-même. C’était, si l’on peut s’exprimer ainsi,un homme arrivé à la religion du vice, et tâchant d’expier sesvertus. C’était surtout, du moins aurait-on pu le croire s’iln’avait pris à tâche de le nier constamment, un homme blessé par lesort injuste et qui avait cette folie bizarre de tourner savengeance contre Dieu même.

Ses bonnes actions, il les cachait avec unsoin minutieux et jaloux, avec un soin presque égal à celui qu’ilmettait à se parer de ses fautes. Vis-à-vis même du serviteurchargé de répandre ses bienfaits, il s’en excusait comme d’unefaiblesse honteuse. Par un raffinement d’ironie, ce même serviteurremplissait auprès de lui un emploi sans nom.

C’était un Anglais appelé Smith. Des sommesénormes passaient par les mains de ce Smith. La plus grande partétait affectée à des aumônes, bien que Montalt fît semblant decroire parfois que le tout passait au budget de ses plaisirs.

Le soir, en revenant du jeu, Montalt entraitdans une chambre ornée de tout ce que le luxe peut offrir de plusmerveilleux. Une fois sortie de cette chambre, la femme qui y étaitentrée n’y devait plus rentrer jamais. Ce n’était pas néanmoins unexil, car elle avait droit dorénavant de franchir la porte close del’hôtel et d’assister aux magnifiques fêtes du nabab.

Ce qui n’était pas un mince privilége.

M. Smith n’avait pas encore été audépourvu, et pas une fois, la chambre consacrée ne s’était trouvéevide à l’heure où le nabab rentrait d’ordinaire.

Mais celui-ci, en cela comme en toute autrechose, avait ses caprices soudains et impérieux. Il lui arrivaitbien souvent de passer franc devant la chambre, au devant delaquelle veillaient les deux noirs, sans même jeter un regard àl’intérieur.

Ces soirs-là, il entrait seul dans sonappartement, dont il fermait la porte à double tour. On l’entendaitse promener longtemps et à grands pas sur le parquet de sa chambreà coucher. Parfois, ses serviteurs curieux prétendaient avoir ouï,à travers la porte, comme un sourd gémissement…

Le lendemain, on le trouvait sur son lit, pâleet brisé de lassitude. On n’osait point lui adresser laparole ; à peine prenait-on le courage de regarder à ladérobée son visage défait et bouleversé.

Ces jours-là, il ne mangeait point. Il restaitjusqu’au soir assis sur son divan, tandis que ses deux nègres,immobiles et muets, attendaient ses ordres.

Ceux qui eussent pu pénétrer le secret de savie auraient remarqué que ces tristesses mornes et profondes leprenaient chaque fois que les hasards du jeu le forçaient à enleverun diamant au couvercle de sa boîte de sandal.

Et assurément, ce n’était pas la perteelle-même qui le navrait ainsi, car on n’avait jamais vu au Cercledes Étrangers un joueur plus calme et plus impassible.

Les jours dont nous parlons, personne nepénétrait près de lui, pas même Étienne et Roger qu’il aimait tantà voir d’habitude.

Car, en ceci du moins, le nabab avait faitexception à son inconstance. Cette amitié de hasard, nouée dans lecoupé d’une diligence, eût gardé pour bien des gens, dans sonorigine même, un germe de rupture. Mais, pour Montalt, c’était toutle contraire ; il se disait avec un souverain plaisir quecette liaison n’avait aucune cause logique : on n’était niparent ni voisin ; on n’avait point été élevé ensemble ;on ne s’était point dévoué mutuellement l’un pour l’autre :donc, il y avait chance que l’on pût s’aimer…

Pour sa part, il aimait les deux jeunes gensbeaucoup plus que le premier jour. Il était fou du talentd’Étienne ; il applaudissait de tout son cœur aux moindressaillies de Roger. Vous eussiez dit parfois, lorsqu’ils étaientensemble, un père entre ses deux fils chéris tendrement.

Mais c’était plus souvent encore un joyeuxcamarade, et alors il n’était plus possible de ramener la moindreidée paternelle. Montalt, jeune comme eux par la beauté, parl’esprit, par l’élégance exquise, pouvait passer facilement pour lefrère aîné, à qui deux ou trois années de plus donnent du poids etde l’aplomb.

Il poursuivait avec une héroïque patiencel’œuvre entamée sur la route de Rennes à Paris. Chaque fois que lesdeux jeunes gens et lui se trouvaient ensemble, il prêchait ;c’était sa manie. Il voulait faire d’Étienne et de Roger desphilosophes à son image ; il voulait leur donner surtout ceprofond mépris de l’espèce féminine qu’il affectait en touteoccasion.

Pour en arriver là, il faisait mieux queraisonner, il tentait. À plusieurs reprises, Étienne et Rogers’étaient trouvés en face d’occasions charmantes etimprévues ; mais le nabab avait beau les entourer deséductions, Étienne et Roger résistaient vaillamment ; Étiennesurtout dont le cœur était plus fort.

Du reste, ils se laissaient aller tous deuxsans trop réfléchir, et avec l’insouciance de leur âge, à la pentede cette bonne et molle vie que le hasard leur faisait. Étiennetravaillait et recevait de son labeur une récompense royale ;Roger ne travaillait point, mais il portait le titre de secrétairede milord et touchait, sous ce prétexte, des appointementsmagnifiques.

Tout, dans la maison du nabab, voitures,chevaux, valets, était à leurs ordres.

Charmants cavaliers comme ils l’étaient,distingués, spirituels, élégants, et riches par la grâce du hasard,ils faisaient, en vérité, figure dans le monde.

Au commencement, et d’un commun accord, ilss’étaient promis de mettre à exécution ce cher dessein qu’ilsavaient fait un soir dans le jardin de Penhoël, thésauriser,thésauriser comme des avares, pour revenir bien vite en Bretagne oùles attendait le bonheur.

Étienne restait fidèle à son projet. Chaquesomme que lui donnait le nabab était religieusement placée, et lejeune artiste tressaillait d’aise en voyant s’augmenter rapidementson trésor, car c’était la dot de Diane, de Diane qui était sonrêve de toutes les heures, son amour unique et passionné.

Car, à travers l’éloignement, Étienne lavoyait encore plus noble et plus belle.

Roger pensait bien, lui aussi, à Cyprienne,mais sait-on comment l’argent se dépense à Paris ? La dot deCyprienne était lente à venir.

Il aimait pourtant, le bon garçon ; maisplus d’une enchanteresse, placée sur son passage par ce perfideMontalt, lui avait semblé bien adorable.

Tandis qu’Étienne peignait des panneaux ouesquissait des cartons, Roger allait se promener. Quand il revenaitet qu’Étienne le questionnait en frère, Roger ne faisait pastoujours confession générale.

Une chose cependant rapprochait les deuxjeunes gens et les réunissait en une commune inquiétude, c’étaitl’absence de nouvelles de Bretagne, le silence complet etinexplicable des amis qu’ils avaient laissés derrière eux.

Étienne avait écrit à Diane plusieursfois ; Roger avait écrit à Cyprienne et à Madame. Point deréponse.

Des lettres avaient été adressées au vieuxGéraud qui, de tout temps, avait témoigné à Étienne et à Roger uneaffection sincère. Point de réponse encore.

Les semaines s’étaient écoulées ; onattendait toujours. Étienne et Roger faisaient mille suppositionset s’ingéniaient à chercher le mot de l’énigme. Jamais, dans leurshypothèses, ils n’arrivaient à côtoyer même la tristeréalité !…

En désespoir de cause, Étienne avait écrit àun de ses confrères dont la famille habitait les environs deRedon ; et il comptait les heures en attendant la réponse,qui, cette fois, ne pouvait pas lui manquer.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer