Les Linottes

LE GORA

Gustave, dit Trognon : Bobéchotte.

BOBÉCHOTTE

Trognon, je vais bien t’épater. Oui, je vaist’en boucher une surface. Sais-tu qui est-ce qui m’a fait uncadeau ? La concierge.

GUSTAVE

Peste ! tu as de belles relations !Tu ne m’avais jamais dit ça !

BOBÉCHOTTE

Ne chine pas la concierge, Trognon ;c’est une femme tout ce qu’il y a de bath ; à preuve qu’ellem’a donné… – devine quoi ? – un gora !

GUSTAVE

La concierge t’a donné un gora ?

BOBÉCHOTTE

Oui, mon vieux.

GUSTAVE

Et qu’est-ce que c’est que ça, ungora ?

BOBÉCHOTTE

Tu ne sais pas ce que c’est qu’ungora ?

GUSTAVE

Ma foi, non.

BOBÉCHOTTE, égayée.

Mon pauvre Trognon, je te savais un peu poire,mais à ce point-là, je n’aurais pas cru. Alors, non, tu ne sais pasqu’un gora, c’est un chat ?

GUSTAVE

Ah !… Un angora, tu veux dire.

BOBÉCHOTTE

Comment ?

GUSTAVE

Tu dis : un gora.

BOBÉCHOTTE

Naturellement, je dis : un gora.

GUSTAVE

Eh bien, on ne dit pas : un gora.

BOBÉCHOTTE

On ne dit pas : un gora ?

GUSTAVE

Non.

BOBÉCHOTTE

Qu’est-ce qu’on dit, alors ?

GUSTAVE

On dit : un angora.

BOBÉCHOTTE

Depuis quand ?

GUSTAVE

Depuis toujours.

BOBÉCHOTTE

Tu crois ?

GUSTAVE

J’en suis même certain.

BOBÉCHOTTE

J’avoue que tu m’étonnes un peu. La conciergedit : un gora, et si elle dit : un gora, c’est qu’on doitdire : un gora. Tu n’as pas besoin de rigoler ; je laconnais mieux que toi, peut-être, et c’est encore pas toi, avec tesairs malins, qui lui feras le poil pour l’instruction.

GUSTAVE

Elle est si instruite que ça ?

BOBÉCHOTTE, avec une grande simplicité.

Tout ce qui se passe dans la maison, c’est parelle que je l’ai appris.

GUSTAVE

C’est une raison, je le reconnais, mais ça nechange rien à l’affaire, et pour ce qui est de dire : unangora, sois sûre qu’on dit : un angora.

BOBÉCHOTTE

Je dirai ce que tu voudras, Trognon ; çam’est bien égal, après tout, et si nous n’avons jamais d’autremotif de discussion…

GUSTAVE

C’est évident.

BOBÉCHOTTE

N’est-ce pas ?

GUSTAVE

Sans doute.

BOBÉCHOTTE

Le tout, c’est qu’il soit joli,hein ?

GUSTAVE

Qui ?

BOBÉCHOTTE

Le petit nangora que m’a donné la concierge,et, à cet égard-là, il n’y a pas mieux. Un vrai amour de petitnangora, figure-toi ; pas plus gros que mon poing, avec dessouliers blancs, des yeux comme des cerises à l’eau-de-vie, et unbout de queue pointu, pointu, comme l’éteignoir de ma grand’mère…Mon Dieu, quel beau petit nangora !

GUSTAVE

Je vois, au portrait que tu m’en traces, qu’ildoit être, en effet, très bien. Une simple observation, monloup ; on ne dit pas : un petit nangora.

BOBÉCHOTTE

Tiens ? Pourquoi donc ?

GUSTAVE

Parce que c’est du français de cuisine.

BOBÉCHOTTE

Eh ben, elle est bonne, celle-là ! je discomme tu m’as dit de dire.

GUSTAVE

Oh ! mais pas du tout ; je proteste.Je t’ai dit de dire : un angora, mais pas : un petitnangora. (Muet étonnement de Bobéchotte) C’est que, dansle premier cas, l’a du mot angora est précédé de la lettren, tandis que c’est la lettre t qui précède, avecle mot petit ?

BOBÉCHOTTE

Ah ?

GUSTAVE

Oui.

BOBÉCHOTTE, haussant les épaules.

En voilà des histoires ! Qu’est-ce que jedois dire, avec tout ça ?

GUSTAVE

Tu dois dire : un petit angora.

BOBÉCHOTTE

C’est bien sûr, au moins ?

GUSTAVE

N’en doute pas.

BOBÉCHOTTE

Il n’y a pas d’erreur ?

GUSTAVE

Sois tranquille.

BOBÉCHOTTE

Je tiens à être fixée, tu comprends.

GUSTAVE

Tu l’es comme avec une vis.

BOBÉCHOTTE

N’en parlons plus. Maintenant, je voudrais tonavis. J’ai envie de l’appeler Zigoto.

GUSTAVE

Excellente idée !

BOBÉCHOTTE

Il me semble.

GUSTAVE

Je trouve ça épatant !

BOBÉCHOTTE

N’est-ce pas ?

GUSTAVE

C’est simple.

BOBÉCHOTTE

Gai.

GUSTAVE

Sans prétention.

BOBÉCHOTTE

C’est facile à se rappeler.

GUSTAVE

Ça fait rire le monde.

BOBÉCHOTTE

Et ça dit bien ce que ça veut dire. Oui, jecrois que pour un tangora, le nom n’est pas mal trouvé. (Ellerit).

GUSTAVE

Pour un quoi ?

BOBÉCHOTTE

Pour un tangora.

GUSTAVE

Ce n’est pas pour te dire des chosesdésagréables, mais ma pauvre cocotte en sucre, j’ai de la peine àme faire comprendre. Fais donc attention, sapristoche ! On nedit pas : un tangora.

BOBÉCHOTTE

Ça va durer longtemps, cetteplaisanterie-là ?

GUSTAVE, interloqué.

Permets…

BOBÉCHOTTE

Je n’aime pas beaucoup qu’on s’offre maphysionomie, et si tu es venu dans le but de te payer mon 24-30, ilvaudrait mieux le dire tout de suite.

GUSTAVE

Tu t’emballes ! tu as bien tort ! Jedis : « On dit un angora, un petit angora ou un grosangora » ; il n’y a pas de quoi fouetter un chien, et tune vas pas te fâcher pour une question de liaison.

BOBÉCHOTTE

Liaison !… Une liaison comme la nôtrevaut mieux que bien des ménages, d’abord ; et puis, si ça nete suffit pas, épouse-moi ; est-ce que je t’en empêche ?Malappris ! Grossier personnage !

GUSTAVE

Moi ?

BOBÉCHOTTE

D’ailleurs, tout ça, c’est de ma faute et jen’ai que ce que je mérite. Si, au lieu de me conduire gentimentavec toi, je m’étais payé ton 24-30 comme les neuf dixièmes desgrenouilles que tu as gratifiées de tes faveurs, tu te garderaisbien de te payer le mien aujourd’hui. C’est toujours le mêmeraisonnement : « Je ne te crains pas ! Jet’enquiquine ! » Quelle dégoûtation, bon Dieu !Heureusement, il est encore temps.

GUSTAVE, inquiet.

Hein ? Comment ? Qu’est-ce que tudis ? Il est encore temps !… Temps de quoi ?

BOBÉCHOTTE

Je me comprends ; c’est le principal.Vois-tu, c’est toujours imprudent de jouer au plus fin avec unefemme. De plus malins que toi y ont trouvé leur maître.Parfaitement ! À bon entendeur… Je t’en flanquerai, moi, duzangora !

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