Agatha Christie La troisième fille

Il s’enquit :

— À votre avis, Monsieur Poirot, pensez-vous que vous pourrez retrouver ma fille ?

— Probablement pas aussi rapidement que le ferait la police mais néanmoins, oui, je la retrouverai.

— … Si vous la retrouvez…

— Mais si vous désirez que je réussisse, Mr Restarick, vous devez me mettre au courant de tout détail la concernant.

— … Vous connaissez tout : l’heure, le lieu, le logement où elle devait se trouver. Je puis aussi vous donner une liste de ses amis…

Poirot hocha énergiquement la tête.

— Non, non, je suggère seulement que vous me disiez la vérité.

— Pourquoi pensez-vous que je vous ai caché quelque chose ?

— Je suis sûr que vous ne m’avez pas tout confié. De quoi donc avez-vous peur ? Quels sont les faits que vous gardez pour vous… ceux que je dois connaître si je veux réussir ? Votre fille n’aime pas sa belle-mère. Bon, rien d’extraordinaire à cela. Réaction naturelle. Il est probable qu’elle vous avait sublimé secrètement, durant des années. Cela arrive souvent lorsque l’un des parents quitte le foyer et que l’enfant souffre de la séparation. Si, si, je sais de quoi je parle. Vous dites qu’un enfant oublie. C’est vrai. Votre fille peut avoir oublié en ce sens que vos traits, votre voix se sont estompés dans son souvenir. À votre image, elle a substitué une image inventée. Vous êtes parti, elle voulait que vous reveniez. Sa mère, sans aucun doute, s’est toujours refusée à parler de vous et il est possible que cela ait incité votre fille à se sentir plus proche de vous. Vous avez alors gagné la partie à ses yeux. Sa mère était là, elle lui attribua la responsabilité d’une absence dont elle souffrait. Elle s’est probablement dit quelque chose comme « daddy m’était très attaché. C’est sûrement mummy qu’il n’aimait pas ». Et de là est née une sorte d’idéalisation, une sorte de lien secret entre vous et elle. Ce qui était arrivé, n’était pas, ne pouvait pas être de la faute de son père ! Je m’y connais un peu en psychologie et je puis vous assurer que les choses se passent souvent ainsi. Lorsqu’elle a su que vous alliez revenir, bien des souvenirs exacts ou imaginaires, enfouis quelque part dans un coin de sa mémoire, se réveillèrent. Son père revenait ! Lui et elle seraient heureux, ensemble ! Elle n’a peut-être pas pensé à la belle-mère jusqu’au moment où elle l’a rencontrée et où elle devint terriblement jalouse. Autre réaction très naturelle. Elle est jalouse, d’une part parce qu’elle estime que la nouvelle Mrs Restarick lui a volé sa place, d’autre part parce que votre femme est belle et qu’elle a de l’allure, ce qui déplaît souverainement aux jeunes filles ne possédant aucune confiance en elles-mêmes. Votre fille est sans doute gauche, et sans doute aussi souffre-t-elle d’un complexe d’infériorité. Il serait donc possible qu’elle se soit mise à haïr sa jeune belle-mère, d’emblée, et avec une force dont seuls les adolescents sont capables.

— Ma foi, c’est bien là ce que le médecin que nous avons consulté, nous a plus ou moins déclaré. Je veux dire…

— Ah ? vous avez consulté un médecin ? Vous deviez avoir une raison bien définie pour agir ainsi ?

— Oh ! presque rien !

— Permettez-moi de penser tout le contraire. Il s’agissait certainement de quelque chose de sérieux et vous feriez mieux de me mettre au courant car si je parviens à découvrir ce qui se passe dans l’esprit de votre fille, je réussirai plus facilement à la retrouver.

Restarick garda longtemps le silence avant de lancer :

— Tout ceci reste entre nous, Monsieur Poirot ? Vous me l’assurez ?

— Certainement. Que s’est-il passé ?

— Je ne suis pas certain…

— Votre fille a-t-elle essayé de nuire à votre femme ? Quelque chose de plus sérieux qu’un enfantillage ? L’aurait-elle, heu… attaquée physiquement ?

— Non, il ne s’agit pas d’une attaque… pas une attaque directe… et, encore une fois, rien n’a été prouvé.

— D’accord.

— Ma femme a traversé une période au cours de laquelle elle n’a pas été bien du tout…

— Je vois… Et quelle était la nature de son mal ? Troubles digestifs ? Une forme d’entérite ?

— Vous allez vite, Monsieur Poirot Très vite. Oui, il était question, en effet, de troubles digestifs. Cet événement nous rendit perplexes, du fait que Mary a toujours joui d’une parfaite santé. Nous l’avons envoyée à l’hôpital, pour observations, comme on dit.

— Et le résultat ?

— Je crois que les médecins n’ont pas su exactement ce qu’elle avait eu… Néanmoins, elle parut recouvrer la santé et fut autorisée à revenir à la maison. Mais bientôt, les troubles se manifestèrent à nouveau. Elle paraissait souffrir d’un empoisonnement intestinal sans cause apparente. Nous vérifiâmes les aliments qu’elle absorbait et fîmes analyser quelques échantillons. On découvrit alors qu’une certaine substance avait été mêlée aux plats que seule, ma femme mangeait.

— En un mot, quelqu’un lui faisait prendre de l’arsenic. Exact ?

— Oui. Les doses étaient minimes mais ajoutées les unes aux autres…

— Vous avez alors soupçonné votre fille ?

— Non.

— Je crois que si, Monsieur Restarick. Qui d’autre auriez-vous pu soupçonner ?

Comme à regret Restarick déclara :

— Bon… eh bien ! oui.

Lorsque Poirot arriva chez lui, George l’avertit :

— Une certaine Edith a téléphoné, Monsieur.

— Edith ? Poirot fronça les sourcils.

— D’après ses dires, elle est au service de Mrs Oliver. Elle m’a demandé de vous informer que sa maîtresse est à l’hôpital St. Giles.

— Que lui est-il arrivé ?

— J’ai cru comprendre qu’on lui avait… heu… assené un coup sur la tête. Le valet ne compléta pas le message qui avait été : « Et vous lui direz que ce qui est arrivé est entièrement de sa faute. »

Poirot eut un clappement de la langue.

— Je l’avais prévenue… Je m’en suis douté lorsque je l’ai appelée au téléphone, hier soir et que je n’ai pu obtenir de réponse ! Ah ! les femmes[8].

CHAPITRE XII

— Achetons un paon, dit brusquement et de manière assez inattendue Mrs Oliver. Elle n’ouvrit pas les yeux mais sa voix, bien que faible, avait un accent indigné.

Ils étaient trois à la contempler, surpris.

Elle ajouta :

— Frappée sur la tête !

Elle ouvrit les yeux et son regard vague chercha à reconnaître le décor environnant. La première personne qu’elle aperçut était un jeune homme, un carnet de notes à la main, le crayon en l’air.

— Un policier, estima Mrs Oliver d’un ton rassuré.

— Je vous demande pardon, Madame ?

— Je vous ai dit que vous étiez un policier. Ai-je raison ?

— Oui, Madame.

— Attaque criminelle, conclut-elle. Elle ferma les yeux, satisfaite.

Lorsqu’elle reprit conscience, elle se sentit assez de force pour s’intéresser à ce qui l’entourait. Elle se trouvait dans un lit, un de ces hauts lits d’hôpital, très hygiéniques, décida-t-elle, le genre de lit qu’on peut faire monter et descendre à l’aide d’une manivelle. Elle constata qu’elle n’était pas chez elle.

— Hôpital ou peut-être maison de repos.

Une surveillante à l’air autoritaire se tenait près de la porte, une infirmière à ses côtés.

Elle identifia une autre silhouette.

— Personne ne pourrait se méprendre sur ses moustaches. Pourquoi êtes-vous là, Mr Poirot ?

L’interpellé s’avança :

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