Agatha Christie La troisième fille

— Mr Poirot ? Vous êtes à l’heure.

— Miss Battersby ?

— Parfaitement.

Elle le pria d’entrer, posa son chapeau sur le porte-habits du hall et le précéda dans une pièce agréable dont la fenêtre ouvrait sur un étroit jardin clos de murs.

D’un signe, elle lui indiqua un siège et s’assit dans une attitude d’attente. Il était clair que miss Battersby n’appartenait pas à la catégorie des personnes qui perdent du temps en préambules.

— Vous êtes, je crois, l’ancienne directrice du collège de Meadowfield ?

— Oui. J’ai pris ma retraite, il y a un an. J’ai cru comprendre que vous désiriez me parler au sujet d’une ancienne élève, Norma Restarick ?

— En effet.

— Dans votre lettre, vous ne me donnez aucun détail. Je sais qui vous êtes, Mr Poirot J’aimerais donc que vous me fournissiez quelques informations complémentaires avant de poursuivre. Avez-vous, par exemple, l’intention d’employer Norma Restarick ?

— Pas du tout ! Si vous le permettez, je vais m’expliquer.

— Je vous en prie.

— Je suis employé par le père de miss Restarick, Andrew Restarick.

— Ah ? Il est depuis peu de retour en Angleterre, j’imagine ? Après bien des années d’absence. Vous avez une lettre d’introduction de sa part ?

— Je ne lui en ai pas demandé.

La vieille dame lui adressa un coup d’œil interrogateur et Poirot poursuivit :

— Il aurait risqué d’insister pour m’accompagner et cela m’aurait gêné pour vous poser les questions qui m’intéressent parce que leurs réponses auraient pu lui causer du chagrin.

— Quelque chose est-il arrivé à Norma ?

— J’espère que non… cependant, c’est une éventualité. Vous souvenez-vous d’elle, Miss Battersby ?

— Je me souviens de toutes mes élèves. J’ai une excellente mémoire et de plus, Meadowfield n’est pas un grand collège. Il ne compte pas plus de deux cents filles.

— Pourquoi avez-vous pris votre retraite, Miss Battersby ?

— Vraiment, Mr Poirot, je ne pense pas que cela soit votre affaire ?

— Non, en effet. Je ne fais qu’exprimer une curiosité toute naturelle.

— J’ai soixante-dix ans. N’est-ce pas là une raison suffisante ?

— Pas dans votre cas. Vous semblez pleine de vitalité et très capable de poursuivre votre tâche pendant encore des années.

— Les temps changent, Mr Poirot. On n’aime pas toujours la manière dont ils changent. Je vais satisfaire votre curiosité. J’ai trouvé que j’avais de moins en moins de patience envers les parents. Les projets qu’ils faisaient pour leurs filles étaient le plus souvent déraisonnables quand ils ne se révélaient pas stupides. Et maintenant, s’il vous plaît, puis-je connaître la raison de votre intérêt pour Norma Restarick ?

— Elle a disparu.

Miss Battersby ne parut pas impressionnée.

— Vraiment ? Lorsque vous dites « disparu » j’imagine que vous voulez dire qu’elle a quitté son foyer sans informer ses parents du lieu où elle se rendait ? Je crois que sa mère est morte, il ne s’agit donc que de son père. Mais cela n’a rien d’anormal de nos jours. Mr Restarick ne s’est pas adressé à la police ?

— Il refuse catégoriquement.

— Je puis vous affirmer que je ne sais absolument pas où est cette petite. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles depuis qu’elle a quitté Meadowfield. Je crains donc de ne pouvoir vous être d’aucune utilité.

— Ce n’est pas exactement le genre de renseignements que je recherche. Je veux savoir quel genre de fille est Norma… comment la décririez-vous ? Je ne parle naturellement pas de son apparence mais de sa personnalité, de son caractère.

— À l’école, Norma était une fille parfaitement quelconque mais dont le travail était passable.

— Vous n’avez pas soupçonné en elle une nature névrosée ?

— Pas exactement. Enfin, pas plus que sa situation à la maison ne le laisse supposer.

— À cause de la santé délicate de sa mère ?

— Oui. Norma venait d’un foyer désuni. Le père auquel elle était très attachée, je crois, partit brusquement avec une autre femme. Mrs Restarick a probablement traumatisé sa fille en lui confiant son ressentiment.

— Je devrais peut-être vous demander votre opinion sur la défunte ?

— Mon opinion personnelle ?

— Si cela ne vous ennuie pas ?

— Non. Mrs Restarick était, à mon avis, une femme vertueuse, probe, puritaine, sévère, et malheureuse dans la vie du fait qu’elle était parfaitement stupide !

— Ah ?…

— Une malade imaginaire, s’inventant toutes sortes de maux. Elle passait son temps dans des maisons de repos. Un décor bien triste pour une jeune fille surtout lorsque celle-ci n’a pas beaucoup de personnalité. Norma n’avait aucune ambition intellectuelle, aucune confiance dans ses moyens. Un bon petit travail ordinaire et une famille étaient ce que j’espérais de mieux pour elle.

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