Agatha Christie La troisième fille

Poirot réfléchit un moment puis composa un numéro.

— Allô, Mr Coby ? Hercule Poirot à l’appareil. Êtes-vous très occupé en ce moment ?

— Assez, mais pour vous obliger, Monsieur Poirot, et si vous êtes pressé, comme c’est généralement le cas… ma foi, je ne dis pas que mes jeunes gens ne pourraient pas suffire au travail courant. Hélas, je n’ai plus le personnel d’autrefois… Aujourd’hui, les garçons ne pensent qu’à eux-mêmes. Ils s’imaginent tout savoir avant d’avoir commencé à s’instruire ! Mais voilà ! On ne peut espérer trouver une vieille tête sur de jeunes épaules, n’est-ce pas ? Je serai heureux de me mettre à votre disposition, Monsieur Poirot. Peut-être pourrais-je m’arranger pour placer un ou deux de mes meilleurs adjoints sur le travail ? Je suppose que c’est la besogne habituelle… recueillir des renseignements ?

Mr Coby approuvait de la tête, en écoutant Poirot énumérer les détails qu’il désirait connaître.

Lorsqu’il en eut terminé, avec Mr Coby, le détective appela Scotland Yard où il obtint un de ses amis. Quand, à son tour, ce dernier eut écouté la requête de Poirot, il répondit :

— Vous ne voulez pas grand-chose, hein ? Un meurtre quelconque, n’importe où ! Heure, lieu et victime inconnus ! Si vous voulez mon avis, mon vieux, ça m’a tout l’air d’une farce ! Il ajouta d’un ton désapprobateur : Je m’étonne que vous vous amusiez à perdre votre temps de cette façon !

À 4 h 15, ce même après-midi, Poirot se trouvait dans le salon de Mrs Oliver, dégustant avec satisfaction une grande tasse de chocolat coiffé de crème fouettée. Son hôtesse déposa près de son invité une assiette pleine de ces biscuits appelés « langues de chats. »

— Chère Madame, que de bontés !

Poirot leva par-dessus sa tasse un regard quelque peu surpris sur la coiffure de Mrs Oliver et aussi sur le nouveau papier peint recouvrant les murs. Les deux lui étaient inconnus. La dernière fois qu’il avait vu son amie, elle se coiffait de façon sobre, presque sévère. À présent, ses cheveux formaient une masse de boucles et bouclettes arrangées en cascades compliquées qui lui encerclaient la tête. Le détective supposa qu’une partie de ce mascaret relevait de l’artifice. Il débattit dans son esprit pour savoir combien de mèches rajoutées pourraient se détacher à l’improviste si Mrs Oliver venait brusquement à s’agiter, en proie à l’un de ses habituels accès de volubilité. Quant au papier peint… Il le montra de sa petite cuillère :

— Ces cerises… c’est nouveau ?

Il avait l’impression de se trouver dans un verger à la fin du printemps.

— Estimeriez-vous qu’il y en a trop ? Il est tellement difficile de prévoir l’effet que donnera un papier peint. Préféreriez-vous l’ancien ?

Poirot se rappelait vaguement une quantité d’oiseaux exotiques aux teintes criardes, au milieu d’une forêt tropicale. Il eut envie de remarquer : « Plus ça change, plus c’est la même chose », mais il se contint.

— Et maintenant – lança Mrs Oliver, alors que son invité replaçait la tasse sur sa soucoupe et se renversait en arrière avec un soupir de satisfaction tout en essuyant des restes de mousse crémeuse sur ses moustaches – de quoi s’agit-il ?

— Je puis vous dire cela tout bonnement. Ce matin, une jeune fille est venue pour me voir. J’ai suggéré qu’elle prenne rendez-vous… On a ses habitudes, n’est-ce pas ? Elle me fit répondre qu’elle voulait me rencontrer sans délai parce qu’elle pensait avoir peut-être commis un crime.

— Voilà qui est étrange ! N’en était-elle pas certaine ?

— Justement pas à ce qu’il semble ! C’est inouï ! J’ai donc prié George de l’introduire et lorsqu’elle s’est trouvée devant moi, elle est restée plantée là, debout, refusant de s’asseoir et me fixant sans bouger ! Elle m’a fait l’effet d’une idiote. J’essayai de l’encourager quand, brusquement, elle me dit qu’elle a changé d’avis, qu’elle ne voulait pas paraître impolie mais que… mais que j’étais vraiment trop vieux… ! Que pensez-vous donc de ça ?

Mrs Oliver s’empressa de réconforter son hôte :

— Mais voyons, les jeunes filles sont toutes ainsi. Elles estiment qu’une personne de plus de trente-cinq ans est à moitié morte. Elles n’ont aucun bon sens, vous devez bien le savoir.

— Cela n’empêche que cette sotte m’a blessé, humilié…

— À votre place, mon cher, je ne me tourmenterais pas pour si peu. Il est évident que la réflexion incongrue de cette personne était d’une grossièreté…

— Je vous en prie, chère Madame, n’en parlons plus. Mais il n’y a pas que mon amour-propre qui ait été malmené… Je ne vous cache pas que je suis inquiet… et même très inquiet.

— Si j’étais vous, j’oublierais cet incident.

— Je crains que vous ne compreniez pas. C’est au sujet de cette jeune fille que je suis inquiet. Elle vient à moi pour que je l’aide. Puis elle décide que je suis trop vieux pour lui apporter le secours espéré, j’imagine. Naturellement, elle se trompe, mais avant que je puisse la faire revenir de son erreur, elle disparaît. Je vous dis que cette fille avait besoin qu’on l’aide.

— Je ne pense pas que ce soit aussi sérieux que vous vous le figurez. Les filles font toujours un tas d’histoires pour des bagatelles.

— Non, j’en suis sûr. Elle a besoin qu’on l’aide.

— Voyons ! Vous ne pensez tout de même pas qu’elle aurait vraiment commis un crime ?

— Pourquoi pas ? C’est ce qu’elle prétendait, en tout cas !

— Vous oubliez qu’elle employait le conditionnel. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ?

— Moi non plus. Ça ne rime à rien.

— Qui a-t-elle ou qui pense-t-elle avoir assassiné ?

Poirot marqua son ignorance par un haussement d’épaules.

— Et dans quel but ?

Nouveau haussement d’épaules de la part de Poirot.

— Bien sûr, les hypothèses sont nombreuses.

L’écrivain commença à s’agiter, sa féconde imagination se mettant en marche.

— Peut-être a-t-elle écrasé quelqu’un avec sa voiture et ne s’est pas arrêtée ? Ou bien, attaquée par un homme au bord d’un ravin, elle l’aura poussé dans le vide ? À moins que, chargée de veiller sur un malade, elle se soit trompée de médicament ? Ou encore, invitée à l’une de ces réunions où l’on se drogue, une bagarre a éclaté et après s’être évanouie, votre visiteuse a repris conscience pour constater qu’elle avait poignardé quelqu’un ?

— Assez, Madame, assez !

Mais son interlocutrice était trop bien lancée pour s’arrêter à la moindre injonction.

— … Assistante dans une salle d’opération, elle aurait pu administrer une trop forte dose d’anesthésique au patient, ou…

Elle s’interrompit brusquement, cherchant à pêcher des détails plus précis.

— Comment était-elle, au fait ?

Poirot réfléchit un moment :

— Une Ophélie dénuée de charme.

— Mon Dieu ! Lorsque vous la décrivez ainsi, je me la représente presque avec certitude. Comme c’est étrange !

— Désarmée devant les difficultés de l’existence… c’est ainsi que je l’imagine. Elle n’est pas de ceux qui viennent facilement à bout d’une difficulté ou savent flairer un danger. Elle est plutôt de ceux que l’on choisit en disant : j’ai besoin d’une victime, en voilà une qui fera l’affaire.

Mrs Oliver n’écoutait pas. Les deux mains crispées sur son abondante coiffure, elle réfléchissait. Une attitude que Poirot lui connaissait bien.

— Attendez ! cria-t-elle d’une voix angoissée. Attendez !

Poirot attendit, les sourcils levés.

— Vous ne m’avez pas dit son nom ? finit-elle par déclarer.

— Elle ne me l’a pas donné. J’avoue que c’est regrettable.

— Attendez ! implora-t-elle à nouveau en un cri tragique.

Brusquement, elle desserra son étreinte et une partie de sa coiffure se déroula sur ses épaules. Une mèche trop lourde tomba par terre et Poirot, la ramassant, la déposa discrètement sur la table.

— Envisageons les événements dans l’ordre, reprit Mrs Oliver, ayant recouvré son calme.

Elle repoussa une ou deux épingles à cheveux et s’enquit :

— Qui a parlé de vous à cette fille, Mr Poirot ?

— Autant que je sache, personne. Elle a forcément entendu parler de moi.

Mrs Oliver pensa que ce « forcément » manquait de modestie. Poirot se croyait universellement connu. En vérité, nombreux seraient ceux qui ne comprendraient rien à votre discours, si vous faisiez allusion à Hercule Poirot, plus particulièrement dans la jeune génération. « Mais, comment lui faire admettre ça, se demandait Mrs Oliver, sans le vexer ? » Elle s’y risqua avec prudence.

— Je crois que vous vous trompez, mon ami. Les jeunes filles… et les jeunes gens actuels, ne savent pas grand-chose des détectives et de ce qui les concerne. Ils n’en entendent pas parler autour d’eux.

— Tout le monde doit avoir entendu parler d’Hercule Poirot ! protesta le petit détective.

C’était là une certitude bien établie à ses yeux.

— Mais ils sont tous tellement mal élevés à l’heure actuelle. Franchement, les seuls noms qu’ils connaissent, ce sont ceux des chanteurs-yéyé ou des présentateurs de disques. S’ils ont besoin d’un docteur, d’un détective ou simplement d’un dentiste, il leur faut requérir l’avis d’autrui ou bien écouter des conversations du genre : « Ma chère, il faut absolument que vous alliez consulter ce merveilleux praticien dans Queen’s Anne’s Street. Il vous plie les jambes trois fois autour du cou et vous voilà guérie » ou encore : « On m’avait volé tous mes diamants et si Henry l’avait appris, il aurait été furieux, je ne pouvais donc pas avoir recours à la police. Heureusement, il y a un détective, un vrai magicien, ma chère, et des plus discrets avec ça, qui les a retrouvés. Henry n’a jamais rien su. » C’est toujours ainsi que les choses se passent. Quelqu’un a dû vous envoyer cette fille.

— J’en doute…

— Vous avez tort car, je m’en souviens à l’instant, c’est moi qui vous ai envoyé cette fille.

Poirot la regarda, stupéfait.

— Vous ? Mais pourquoi ne pas l’avoir dit plus tôt ?

— Parce que cela vient seulement de me revenir à l’esprit Lorsque vous avez parlé d’Ophélie… des longs cheveux de noyée, le genre plutôt quelconque… tout cela correspondait à la description d’une personne rencontrée récemment. Et brusquement, je me suis souvenue.

— Alors, qui est-ce ?

— En réalité, j’ignore son nom mais je puis le découvrir facilement. Nous étions en train de parler de détectives… et j’ai fait allusion à vous et à certains de vos étonnants exploits.

— Vous lui avez donné mon adresse ?

— Pas du tout ! Je ne supposais absolument pas qu’elle avait besoin de vous consulter. Nous conversions sans but. Il faut croire qu’elle aura retenu votre nom et, dès lors, il lui aura été facile de vous dénicher en ouvrant un annuaire téléphonique.

— Avez-vous parlé de crime ?

— Autant que je me le rappelle, non. Je ne sais même plus comment nous en sommes venues à aborder le chapitre des détectives… à moins… attendez… oui, c’est bien elle qui a amené la conversation sur ce sujet.

— Chère Madame, même si vous ignorez son nom, essayez de vous souvenir de tout ce que vous savez sur elle.

— Eh bien, cela se passait le week-end dernier. Je me trouvais chez les Lorrimers. Ils n’ont rien à voir dans l’affaire, sauf que je les accompagnai chez des amis où ils étaient invités à prendre un verre. Il y avait un tas de monde chez ces gens-là… et je ne m’amusai pas beaucoup, car je bois très peu et on fait toujours un tas d’histoires plus ou moins drôles sur mes goûts pour les boissons non alcoolisées. De plus, on me répète toujours les mêmes choses… « Vous savez à quel point on aime vos livres » et « Il y a longtemps que je désirais faire votre connaissance ». Tous ces bavardages me gênent, m’ennuient, et me donnent l’air stupide. Cependant, j’essaie de faire bonne figure. Il y a aussi mon affreux héros, le détective Sven Hjerson que le public adore… Si on se doutait à quel point je le déteste ! Mais mon éditeur m’a interdit de le dire. J’imagine que la conversation a dû, de là, diverger sur les vrais détectives, et j’ai parlé de vous tandis que cette fille, non loin de moi, m’écoutait. Une Ophélie dénuée de charme, c’est exactement ça… Elle doit être un membre de la famille à moins que je ne la confonde avec une autre.

Poirot soupira. Avec Mrs Oliver, il fallait sans cesse témoigner d’une grande patience.

— Qui sont ces gens auxquels vous rendiez visite ?

— Ils s’appellent Trefusis ou Treherne, quelque chose dans ce genre… Lui est un gros bonnet. Riche. Un emploi à la Cité, bien qu’il ait passé la majeure partie de sa vie en Afrique du Sud…

— Il est marié ?

— Oui, à une très jolie femme. Beaucoup plus jeune que lui. Elle a une abondante chevelure dorée. C’est sa seconde femme. La fille est née d’un premier mariage. Il y a aussi un oncle, une véritable antiquité. Assez dur d’oreille, mais terriblement distingué… avec une kyrielle d’abréviations à la suite de son nom. Un ancien amiral ou général, je pense. Il me semble qu’il est aussi un peu astronome. Il y a une sorte de gros télescope qui dépasse du toit de la maison. Bien sûr, il se peut que ce ne soit là qu’une marotte…

Je me souviens encore d’une jeune étrangère, trottant constamment derrière le vieux gentleman. Elle l’accompagne dans ses déplacements à Londres et veille à ce qu’il ne se fasse pas écraser. Elle est assez jolie.

Poirot, occupé à trier les informations que lui transmettait son amie, avait l’impression d’être devenu un ordinateur humain.

— Donc, les gens qui habitent la maison sont Mr et Mrs Trefusis…

— Pas Trefusis… Je me souviens à présent : Restarick !

— Cela me paraît un tout autre genre de nom ?

— C’est bien un nom de Cornouailles, non ?

— Donc, nous avons Mr et Mrs Restarick, l’oncle distingué… S’appelle-t-il aussi Restarick ?

— Sir Roderick quelque chose.

— Et il y a la jeune fille au pair qui n’est peut-être pas au pair. Et enfin la fille… Unique ?

— Je crois mais je ne saurais l’affirmer. D’ailleurs elle ne vit pas chez ses parents. Elle n’était là que pour le week-end. Elle ne s’entend pas avec sa belle-mère, à ce qu’on raconte. Elle a un emploi à Londres et un amoureux qui, d’après ce que je me suis laissé dire, ne plairait pas beaucoup à la famille !

— Vous me donnez l’impression de connaître un tas d’histoires sur cette famille ?

— Oh ! vous savez, on surprend des conversations intéressantes. Les Lorrimers sont très bavards et ils discutent toujours sur les uns et les autres. Les ragots vont bon train. Mais de cette manière, il arrive parfois qu’on confonde tout le monde. C’est probablement ce qui m’est arrivé. Je voudrais me rappeler le prénom de cette jeune fille. Un prénom qui se rapporte à une chanson… Thora ? Parlez-moi, Thora. Thora, Thora. À moins que ce soit Myra ? Myra, oh ! Myra ! mon amour est tout à toi. Est-ce bien cela ? J’ai rêvé que je vivais dans un palais doré. Norma ? ou Maritana ? Norma plutôt… Norma Restarick, c’est cela ! J’en suis sûre ! — Elle ajouta avec une parfaite inconscience : C’est une troisième jeune fille.

— Ne m’avez-vous pas dit que vous ne lui connaissiez ni frère ni sœur ?

— En effet, quoique je n’en sois pas certaine.

— Mais alors que signifie votre remarque ?

— Grand Dieu ! Est-il possible que vous ignoriez ce qu’est une « troisième jeune fille » ? Ne lisez-vous donc jamais le Times ?

— Si, j’y lis les naissances, les décès, et les mariages. Et parfois quelques articles qui me paraissent intéressants.

— Je veux parler des petites annonces qui occupent ou plutôt occupaient la première page. Depuis qu’ils ont changé la place des petites annonces, j’ai décidé d’acheter un autre journal. Je vais vous montrer.

Elle alla à une petite table où elle prit le quotidien, tourna fébrilement les pages et revint vers Poirot.

— Voilà… Regardez : « 3e JEUNE FILLE pour confortable appartement, 2e étage, chambre à part, chauffage central, Earl’s Court. » « 3e jeune fille pour partager appartement, 5 guinées par semaine, chambre à part. » « Cherche 4e jeune fille, Regent’s Park, chambre à part. » C’est ainsi que les jeunes filles aiment à vivre, à présent. C’est mieux qu’une pension de famille. La première loue l’appartement meublé et se dispose à en partager le loyer. La seconde est habituellement une de ses amies. Ensemble, si elles ne connaissent personne, elles en trouvent une troisième par les petites annonces. Et comme vous le voyez, très souvent, elles arrivent à caser une quatrième locataire dans l’appartement. La première garde la meilleure pièce, la seconde paie un loyer moins élevé, la troisième presque rien mais niche dans une alcôve. Elles décident entre elles, laquelle aura la jouissance du logement, une soirée par semaine… Ce système marche généralement assez bien.

— Où cette jeune fille dont le nom est peut-être Norma vit-elle à Londres ?

— Comme je vous l’ai déjà dit, je ne sais presque rien sur elle.

— Mais, vous avez un moyen pour en apprendre davantage ?

— J’imagine, en effet, que je puis aisément me renseigner sur son compte.

— Vous êtes certaine que personne n’a fait devant vous allusion à un décès imprévu ?

— À Londres ou chez les Restarick ?

— L’un et l’autre.

— Je ne pense pas. Voulez-vous que j’essaie de voir ce que je puis découvrir ?

Ses yeux brillaient d’excitation. Il était évident qu’elle s’adaptait avec enthousiasme à la situation.

— Ce serait très aimable à vous.

— Je téléphone aux Lorrimers. C’est la meilleure heure pour les joindre.

Elle alla au téléphone, tout en disant :

— Il faut que je trouve une excuse… que j’invente un prétexte.

L’air hésitant, elle se tourna vers Poirot qui la rassura :

— Je vous fais confiance pour trouver une excuse plausible. Seulement, pas trop de fantaisie, n’est-ce pas ? de la modération…

Mrs Oliver lui lança un coup d’œil entendu.

Elle appela le service des renseignements et demanda un numéro, puis s’adressant à Poirot :

— Vous avez un crayon, du papier ? Au cas où il me faudrait inscrire des noms, des adresses.

Poirot qui tenait déjà son carnet à la main, acquiesça d’un signe de tête.

Ayant obtenu sa communication, Mrs Oliver se lança dans un long discours. Poirot écouta avec attention.

— Allô ? Puis-je parler… Oh ! c’est vous, Naomi ! Ariane Oliver. Oh ! oui… ma foi, il y avait tellement de monde… Vous voulez dire le vieux gentleman ? — Non, vous savez bien que non… Presque aveugle ? Je croyais qu’il allait à Londres avec la jeune étrangère… Oui, ce doit être un gros souci pour eux… mais elle semble assez bien s’occuper de lui… Figurez-vous, ma chère, que je vous ai appelée pour vous demander, entre autres, l’adresse de la jeune fille… non, je veux parler de la fille des Restarick… Quelque part dans South Ken, n’est-ce pas ? ou Knightsbridge ? Je lui ai promis un livre et comme d’habitude, je ne retrouve plus le papier où j’ai inscrit son adresse. Je ne me souviens même plus de son nom. Est-ce Thora ou Norma… ? Oui, je pensais bien que c’était Norma… Attendez, je vais chercher de quoi écrire… Je suis prête… 67 Borodene Mansions… Je sais, c’est ce grand bâtiment qui ressemble à Wormwood Scrubs [2]. J’imagine que les appartements sont très confortables avec chauffage central et tout… Qui sont les deux autres jeunes filles avec lesquelles elle vit ?… Des amies… ? Elle les a peut-être trouvées par les petites annonces… Claudia Reece-Holland… est-ce la fille du député ?… Qui est l’autre ?… Non, il n’y a pas de raison pour que vous le sachiez… Elle est gentille aussi, j’imagine… Que font-elles, toutes ? Secrétaires, bien sûr… Ah ? l’autre est une décoratrice d’appartements… ou plutôt elle s’intéressait à une galerie d’art… ? Non, Naomi, évidemment non. Je ne cherche pas vraiment à savoir… Je me posais simplement la question : que font les jeunes filles, de nos jours ? De toute façon, cela m’intéresse personnellement pour mes livres. Il faut bien se tenir au courant de la vie moderne, n’est-ce pas ? Que me disiez-vous au sujet d’un amoureux ?… Oui, mais on se sent tellement dépassé ! À présent, les jeunes filles ne font que ce qui leur plaît… Est-il vraiment affreux, je veux dire, du genre sale et pas rasé ?… Oh ! ce genre-là… gilet broché et longs cheveux bouclés… lui tombant sur les épaules… Cela devient tellement difficile de différencier les filles et leurs amoureux, vous ne trouvez pas ?… C’est vrai, ils ressemblent parfois à un Van Dyck, quand ils sont jolis garçons… Que dites-vous ? Qu’Andrew Restarick le déteste profondément… Il en est généralement ainsi chez les hommes mûrs… Mary Restarick ?… Je suppose que se disputer avec sa belle-mère est un comportement naturel, non ? Elle a dû être contente lorsque Norma a trouvé un emploi à Londres. Que voulez-vous dire par « On raconte des choses » ?… Pourquoi n’a-t-il pas été possible de découvrir ce qui n’allait pas chez elle ?… Qui a raconté cela ?… Oui, mais qui chuchotait de telles choses ?… Oh ! une infirmière l’a répété à la gouvernante des Jenners ? Vous voulez dire, son mari Oh, je vois… Le médecin n’en a jamais été sûr… Non, mais les gens sont tellement méchants ! Je suis de votre avis. Ces histoires-là sont généralement complètement fausses… Oh ! c’était une maladie d’estomac ?… mais que c’est donc ridicule ! Des gens auraient fait courir le bruit que… comment s’appelle-t-il… ? Andrew… Évidemment ce serait facile avec tous ces herbicides qui traînent partout… Oui, mais pourquoi ? Je veux dire, ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une épouse qu’il aurait détesté durant des années… Sa seconde femme, je sais, beaucoup plus jeune que lui et jolie… Oui, je suppose que c’est possible… Mais quelle raison aurait l’étrangère de le vouloir aussi… ? Elle aurait pu lui tenir rigueur d’une remarque désobligeante ?… C’est une assez jolie fille. Andrew aurait pu s’amouracher d’elle, rien de bien sérieux mais suffisamment tout de même pour contrarier Mary, au point qu’elle aurait dit son fait à l’étrangère et…

Du coin de l’œil, Mrs Oliver remarqua que Poirot lui adressait de grands signes.

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