Agatha Christie La troisième fille

— Pourquoi parlez-vous des Kew Gardens ?

— Parce que l’on peut y admirer de très beaux spécimens d’arbres et de plantes, ou simplement s’y asseoir sur un banc et lire un bon livre.

Il lui adressa un sourire désarmant et remarqua que le trouble de la jeune fille augmentait.

— Mais je ne dois pas vous retenir, Mademoiselle, vous avez peut-être des amis qui vous attendent dans quelque ambassade ?

— Qu’est-ce qui vous le fait croire ?

— Aucune raison particulière. Vous êtes, comme vous venez vous-même de me le dire, une étrangère et il est normal que vous ayez des amis travaillant ici à votre ambassade.

— Je suis sûre qu’on vous a débité des histoires sur mon compte ! Mrs Restarick ! C’est sûrement elle qui vous a raconté des mensonges ! Elle ne m’aime pas ! C’est le genre de femme dans lequel je n’ai aucune confiance.

— Vraiment ?

— Oui. Je crois qu’elle cache quelque chose. Elle va très souvent à Londres et ne dit jamais à son mari ce qu’elle y fait. Lui est très pris par ses affaires et n’a pas le temps de se demander à quoi elle emploie ses journées. Elle est plus souvent à Londres qu’à la campagne et cependant, elle prétend aimer follement les jardins !

— Et Norma, que savez-vous d’elle ?

— Si vous voulez mon opinion sur elle… eh bien, je vais vous la donner ! Elle est folle.

— Qu’est-ce qui vous porte à le croire ?

— Parfois, elle tient des propos étranges. Elle voit des choses qui n’existent pas.

— Des choses qui n’existent pas ?

— Des gens qui ne sont pas là. Tantôt, elle est très excitée et tantôt plongée dans une sorte de torpeur. Vous lui parlez et elle ne vous entend pas. Je crois qu’elle souhaite la mort de certains.

— Mrs Restarick ?

— Et son père ! Elle le regarde avec haine.

— Parce qu’ils s’opposent tous deux à ce qu’elle épouse le jeune homme qu’elle a choisi ?

— Oui. Ils ont tout à fait raison, bien sûr, mais cela la rend furieuse. Bon, je m’en vais à présent.

— Dites-moi juste encore une chose. Mrs Restarick porte-t-elle une perruque ?

— Une perruque ? – Elle réfléchit et finit par admettre : C’est possible. Les perruques sont à la mode. J’en porte moi-même une, parfois. Une verte ! Enfin, cela m’est arrivé. Je m’en vais, à présent.

Elle s’en fut.

CHAPITRE XVI

Le lendemain, la première visite de Poirot fut pour les Borodene Mansions, où il se rendit en taxi. Abandonnant le véhicule dans la cour, il jeta un coup d’œil alentour. Un portier en uniforme se tenait en faction devant l’une des entrées principales et sifflait une rengaine.

Remarquant l’inconnu venant à lui, il s’empressa.

— Vous désirez, Monsieur ?

— Je me demande si vous pourriez me parler d’une triste histoire qui s’est déroulée ici, récemment ?

— Une triste histoire ? Pas que je sache, Monsieur.

— Quelqu’un qui est tombé du 7e étage et s’est tué.

— Oh ! ça ! Je ne sais rien à ce sujet car je ne suis ici que depuis une semaine. Eh, Joe ?

Un autre portier émergea du bâtiment contigu et s’approcha d’eux.

— Vous devez être au courant de l’histoire de la femme qui est tombée du 7e ? C’est arrivé le mois dernier, non ?

— Il n’y a pas si longtemps, remarqua le nouveau venu, un homme d’un certain âge, s’exprimant sans hâte. Une vilaine affaire.

— Morte sur le coup ?

— Oui.

— Comment s’appelait-elle ? Voyez-vous, il pourrait s’agir d’une de mes parentes, expliqua Poirot, n’éprouvant aucun scrupule à farder la vérité.

— Vraiment, Monsieur ? Je serais désolé pour vous. Une Mrs Charpentier.

— Habitait-elle ici depuis longtemps ?

— Voyons, laissez-moi réfléchir. Environ un an, un an et demi. Peut-être deux ans. N°76 au 7e étage.

— C’est le dernier étage ?

— Oui, Monsieur.

Poirot ne réclama pas de détails qu’il était censé connaître sur sa parente. Il se contenta de dire :

— À quelle heure de la journée est-ce arrivé ?

— À cinq ou six heures du matin, je crois.

— Vivait-elle seule ?

— Oui, Monsieur.

— Je suppose qu’elle avait des amis parmi les autres locataires ?

Joe haussa les épaules.

— Possible. Je ne pourrais l’affirmer. Je ne l’ai jamais vue se mêler aux autres dans le restaurant. Si vous tenez à en savoir plus sur son compte, ajouta-t-il en prenant un ton rébarbatif, vous feriez mieux de vous adresser à Mr Farlane qui est l’administrateur des Mansions.

— Merci. Je vais suivre votre conseil.

— Son bureau est au rez-de-chaussée de ce bloc, là-bas. Son nom est inscrit sur la porte.

L’administrateur était un homme d’environ quarante-cinq ans, aux manières aimables et au regard vif qui s’efforça de le renseigner de son mieux, Poirot se faisant toujours passer pour un parent de la défunte.

— Elle logeait chez nous depuis deux ans environ. J’imagine que la locataire précédente devait être de ses relations et qu’elle l’a avertie de son départ.

— À vos yeux, Mrs Charpentier a-t-elle été une bonne locataire ?

Mr McFarlane hésita légèrement avant de répondre par l’affirmative.

— Vous pouvez me confier votre opinion en toute liberté, insista Poirot. Elle organisait des soirées très animées, hé ? Une personne un peu trop… dirons-nous, désinvolte dans ses divertissements ?

Son vis-à-vis abandonna son air réservé.

— Nous avons eu, en effet, quelques plaintes mais venant surtout de locataires âgés.

Poirot porta à ses lèvres un verre imaginaire.

— Et puis, peut-être un penchant prononcé pour la bouteille ?

— … Et des amis trop bruyants qui nous créaient parfois des ennuis.

— Aimait-elle surtout la compagnie masculine ?

— Ma foi, je n’irai pas si loin.

— Non, bien sûr, mais nous nous comprenons.

— Mrs Charpentier n’était plus très jeune.

— Les apparences sont souvent trompeuses. Quel âge avait-elle à votre avis ?

— Difficile à dire. Quarante, quarante-cinq ans… Sa santé n’était pas excellente.

— C’est ce que j’ai cru comprendre.

— Elle buvait trop et ses excès étaient suivis de moments de dépression. Inquiète au sujet de sa santé, consultant sans arrêt des médecins dont elle n’acceptait pas les diagnostics. Elle pensait avoir un cancer. À l’enquête, son médecin attitré affirma qu’elle avait toujours joui d’une parfaite santé. Elle a dû se monter la tête et un beau jour…

— Comptait-elle des amis parmi les autres locataires ?

— Pas que je sache.

— Miss Reece-Holland ? Non, je ne le crois pas. Sans doute se connaissaient-elles de vue. N’oubliez pas qu’elles appartenaient à deux générations différentes. Je veux dire… Mr McFarlane parut se troubler et Poirot se demanda pourquoi.

— Et les jeunes filles qui partagent l’appartement de Miss Reece-Holland… Miss Norma Restarick la connaissait-elle ?

— Je ne saurais l’affirmer. Cette jeune personne n’est ici que depuis peu. Elle a l’air plutôt sauvage. Puis-je autre chose pour vous, Monsieur ?

— Non, merci. Vous avez été très aimable. Je me demande s’il me serait possible de visiter l’appartement. Juste afin de pouvoir… Poirot s’interrompit sans préciser ce qu’il aurait pu dire.

— Voyons, le nouveau locataire est un Mr Travers qui passe toute la journée dans la Cité. Je vais vous y accompagner, si vous le voulez ?

Ils se rendirent au 7e étage. Au moment où l’administrateur introduisait la clé dans la serrure, un des chiffres se détacha de la porte et rata de justesse la chaussure vernie de Poirot qui exécuta un petit saut de côté avant de remettre le numéro à sa place.

— Ces chiffres tiennent mal, remarqua-t-il.

— Désolé, Monsieur. Cela arrive parfois et j’en prendrai note. Nous voici arrivés.

Poirot pénétra dans le salon d’une parfaite banalité. Les murs étaient recouverts d’un papier en imitation de boiserie et les meubles conventionnels semblaient toutefois confortables.

— Tous ces logements sont partiellement meublés, expliqua Mr McFarlane.

— Et ils sont tous meublés de la même façon ?

— Pas tous, non, mais nos locataires semblent préférer cet effet de boiserie qui est un excellent fond convenant bien aux tableaux.

Poirot s’approcha de la fenêtre.

— C’est d’ici ?

— Oui. Il y a un balcon.

Poirot se pencha au-dehors.

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