La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 13D’UNE PRUDENTE RÉSOLUTION QUE JE PRIS PRÈS MA LONGUE CONVERSATIONAVEC GABRIEL ET COMMENT JE L’EXÉCUTAI

En somme, d’après ce que je savais,moi, des histoires de Dolorès, je restai persuadé que lecapitaine Hyx n’avait laissé partir Gabriel que parce qu’il gardaitDolorès aux îles Ciès et qu’ainsi il n’avait plus à craindre que laseñorita, par de nouvelles confidences, excitât son fiancécontre un homme que le capitaine s’était entièrement réservé et quiappartenait, avant tout « à la vengeance duVengeur » ! Eh bien ! ce que nul n’avait dit àGabriel, j’allais le lui révéler, moi !… N’avions-nous pasjuré de tout nous dire, de nous aider ? de nous servir ?…Je ne sais, en vérité, quand j’y réfléchis à cerveau reposé, si jeservais Gabriel en lui faisant cette terrible confidence, mais àcoup sûr je servais l’humanité en augmentant les chances qu’elleavait d’être débarrassée de von Treischke ; je servais Amalia,qui ne pouvait aimer ce monstre hideux, et je me servais moi-même,qui l’eusse vu avec bonheur et pour plusieurs raisons disparaître àjamais de mon horizon ! En ma qualité de neutre il m’étaitdéfendu de le combattre directement, mais je pouvais déchaînercontre le misérable un ennemi naturel sans que ma conscience eût àen souffrir ! Ainsi fus-je amené, après avoir tout fait poursauver von Treischke des griffes du capitaine Hyx, à le rejeterdans celles, tout aussi redoutables, du fiancé de Dolorès. C’estdonc avec une astuce dont je n’ai point à rougir que je commençaipar parler de von Fritz qui était à bord du sous-marin que jevenais de quitter. Jusqu’alors je n’avais pas prononcé le nom devon Fritz. Immédiatement ce que j’avais prévu arriva.

« Malédiction ! s’écriaGabriel, si j’avais su que ce bandit fût à bord du sous-marin,j’aurais fait crever l’Anne-Marie plutôt que de lâchervotre damné U. Ah ! que n’ai-je été renseigné plustôt !

– Sans compter, continuai-je, qu’il n’yavait pas que le Fritz à bord ; il y avait l’amiral vonTreischke lui-même…

– En vérité ! s’exclama-t-il, levon Treischke aussi était là !… Le von Treischkecontinua-t-il, aura son compte comme les autres ; soyez assuréque son tour viendra. Et ce n’est pas moi qui l’épargnerai s’il metombe jamais sous la main ! Outre que c’est le plus hideuxanimal qui ait été jamais mis à la tête d’une administrationmaritime, même boche, et qu’il n’a droit à aucune pitié en saqualité de terreur de Bruges et de bourreau des Flandres, je nesaurais oublier la part qu’il a prise dans mon malheurparticulier ! Il a assisté au crime perpétré contre Dolorèsavec une complaisance qui pourra, à l’occasion, lui coûtercher !…

– Voulez-vous m’écouter, Gabriel ?interrompis-je ; vous m’en avez assez dit pour que je soisassuré que vous continuez de naviguer dans les eaux troubles d’uneerreur, dont, à mon avis, le von Treischke a suffisammentbénéficié ! Je vous dirai tout ce que je sais, et, ma foi,tant pis pour le capitaine Hyx si, connaissant toute la vérité,vous allez à rencontre de ses desseins et ruinez du coup sonabominable programme ! Oui, la vérité est tout autre,Gabriel ! Von Treischke n’a point assisté seulement aucrime ; c’est lui qui l’a préparé, c’est lui qui l’avoulu ! C’est lui qui l’a imposé à la nature faible deFritz !

– Le Fritz n’avait besoin d’aucunencouragement ! me riposta Gabriel en me jetant un méchantcoup d’œil. Mais avez-vous les preuves de toutcela ?…

– Hélas ! on a la preuve de tout,et quand vous saurez tout, vous ne pourrez plus douter derien ! Ce n’est pas Fritz qui, en se ruant sur Dolorès, adéterminé celle-ci à sauter dans la mer…

– La señorita Dolorès n’a pas sauté dansla mer ?…

– Non !

– Hein ?…

– On l’a jetée dans lamer !…

– Par le sang de laVierge ! Et qui donc l’a jetée dans la mer ?

– Mais précisément le von Treischke,aidé de ses acolytes. Pendant que le Fritz râlait, ils ont lié lespieds et les mains de Dolorès et l’ont enfermée dans un grand sacde dépêches qui était là et ils ont jeté le sac dans lamer !

– Par les plaies du Christ ! Cecin’est pas une histoire inventée pour me faire découper le vonTreischke en morceaux, Herbert de Renich ? » hurlaGabriel.

Il s’était jeté sur moi, littéralement,m’avait saisi les poignets et me les serrait à les broyer. Unefureur souveraine bouleversait sa belle et noble figure ; sabouche était tordue par la haine et ses yeux injectés desang…

« Je jure que je dis vrai, sur latête de ma mère et sur ma part de paradis ! » m’écriai-jeavec l’élan le plus sincère et le plus ardent dont je pus êtrecapable, désireux que j’étais de le convaincre au plus tôt pourqu’il desserrât une étreinte qui commençait à me faire crier dedouleur…

Il vit qu’il n’y avait pas à douter etil me lâcha. Je poussai un soupir de soulagement et desatisfaction.

« Décidément, fis-je, il n’estpoint besoin de vous regarder à deux fois dans un pareil momentpour comprendre combien le capitaine Hyx, qui tenait à savengeance, a eu raison, en ce qui le concerne, de tout faire pourque vous ignoriez la vérité et d’exiger de la señorita Dolorèsqu’elle ne vous la dise pas tout entière !

– Dolorès, elle aussi, sera punie pourm’avoir traité comme un enfant ! gronda le coléreux ettumultueux garçon. Mais c’est affaire entre elle et moi !…Parlez-moi encore de von Treischke et dites-moi comment vous avezété mis au courant de toutes ces belles choses… »

Je ne le fis pas languir et rapportaitout ce qu’il voulut. Je n’omis aucun détail susceptibled’augmenter sa haine et sa fureur.

Je vis bientôt que j’avais lieu d’êtrecontent de moi : Gabriel ne vivrait plus que pour assouvir unevengeance que je trouvais juste et qui arrivait bien pour arrangernos affaires.

Toutefois, pour que les miennes, enparticulier, ne devinssent point pires qu’elles ne l’étaient déjà,je demandai à Gabriel, qui pouvait avoir l’occasion de revoir lecapitaine Hyx, de ne point me découvrir en tout ceci et de megarder le secret, ce à quoi il acquiesça du reste avec une bonnegrâce bourrue qui finit de me rassurer tout à fait.

Il se reprit à me serrer les mains, maisavec amitié cette fois, et je n’eus pas à crier dedouleur.

« Vous êtes un ami ! unvéritable ami ! déclara cet honnête et spontané jeune homme.Je n’oublierai jamais ce que vous venez de faire pour moi !…Et maintenant, dites-moi ce que je puis pour votre service. Tout àl’heure, vous avez fait allusion à certain projet qui pourrait voussauver de tous vos ennemis et vous m’avez fait entendre que jepourrais vous être utile, parlez !…

– Merci de ne pas l’avoir oublié,Gabriel ! Sachez donc que les événements m’ont placé, enquelque sorte, entre l’enclume et le marteau… Je suis poursuivi àla fois par le ressentiment dangereux du capitaine Hyx et parl’intérêt diabolique que me porte en ce moment le von Treischke,lequel n’a pas hésité, comme je vous l’ai déjà dit, à emprisonnerma mère pour être sûr que je me plierais à tous ses caprices…J’ignore encore ce qu’il me réserve, mais à coup sûr ses desseinsne peuvent être que criminels !

– Certes ! approuva Gabriel… Lecerveau de cet homme doit enfanter le crime avec la même facilitéqu’une poule pond un œuf !

– Aussi vous comprendrez facilement quel’idée me soit venue, pour échapper aussi bien à l’amiral qu’aucapitaine Hyx, non point de me donner la mort, comme vous avez putout à l’heure le craindre un instant, mais de passer pourmort !

– L’idée, assurément, n’estpoint mauvaise, fit Gabriel ; les circonstances, ajouta-t-ilaussitôt, s’y prêtent merveilleusement.

– Ce sont elles, continuai-je, qui m’ontdonné l’idée de la chose !… À la suite de la catastrophe duLot-et-Garonne, il vous sera facile de dire que vous avezreconnu ou cru reconnaître mon cadavre flottant sur les eaux ;comme je n’étais pas inscrit sur la liste des passagers dupaquebot, il faudra en tirer cette conclusion que j’étais à bord dusous-marin. Votre déclaration publique à cet effet instruira le vonTreischke, qui, lui, ne doutera plus de ma mort, et si le bruit enarrive jusqu’au capitaine Hyx il ne s’étonnera point outre mesurede ma présence auprès de l’amiral et croira à ma mort, luiaussi ! Enfin, pour corroborer votre déclaration, jedisparaîtrai !…

– Ma foi ! fit Gabriel après avoirréfléchi un instant, je ne vois aucun inconvénient à faire unedéclaration semblable : j’ai vu ou cru voir votrecadavre !… et si vous disparaissez convenablement dans le mêmemoment, votre plan n’est point trop mal imaginé… Seulement, il fautdisparaître !…

– C’est là où je compte particulièrementsur vous !…

– Cette fois, je vous comprends tout àfait mon ami ! exprima Gabriel avec effusion ; oui, vouspouvez compter sur moi ! Vous resterez à mon bord tandis queje débarquerai tous mes naufragés et que je ferai madéclaration ! Nous reprenons la mer ensemble ! Nul nepeut savoir que vous êtes à mes côtés. Ensemble nous courons sus ausous-marin et sus au von Treischke !… Vous verrez quelleexistence merveilleuse est la nôtre : pleine d’imprévu et dedangers, toujours nouveaux, toujours vaincus ! Quand vous laconnaîtrez, vous n’en voudrez pointd’autre !… »

Je toussai légèrement et, comme mon airétait assez embarrassé, Gabriel s’en étonna :

« Que vous arrive-t-il donc ?me fit-il. Ma proposition ne vous agréerait-elle point autant queje l’avais espéré ?…

– Mon Dieu ! dis-je, je voudrais,Gabriel, que vous preniez la peine de vous abaisser jusqu’à monpropre état d’âme. Après toutes les aventures que j’ai subies, iln’est point brillant ! Quoique neutre, il s’est trouvé quej’ai beaucoup combattu !… Je suis fatigué !… Je croisavoir droit à quelque repos !… Si j’ai imaginé de disparaître,c’est pour goûter, autant que possible, ce repos-là !… Or vousm’avouerez que ce serait une singulière façon de me reposer de mesaventures sur la mer, sous la mer, sur la terre et dans les airs,en sous-marin, en hydravion, en auto blindée et autresexceptionnels véhicules que de monter sur un chalutier qui fait lachasse aux sous-marins de l’amiral von Treischke !…

– Très juste ! très juste !répondit Gabriel sans autrement insister. Pardonnez-moi maproposition : elle partait d’un bon naturel… Maisalors ?

– Mais alors, j’ai pensé que vouspourriez me débarquer sans tambour ni trompette dans un endroitsauvage de cette côte que vous connaissez si bien, chez un de cessauvages qui vous sont si dévoués, et que vous pourriez vousarranger pour que je vive là comme si réellement j’étais mort pourtous, excepté pour moi et pour vous ! »

Gabriel resta quelques instants sans merépondre, puis me dit :

« J’ai votre affaire ! Leschoses se passeront selon votre désir ! »

Pour le moment, il ne me donna pointd’autres explications, car ses devoirs l’appelaient sur le pont. Unmatelot vint, sur un ordre, me chercher et me fit descendre à fondde cale, où je restai quelques heures interminables dans uneobscurité profonde, incommodé par une odeur insupportable, trempépar toutes les eaux de la sentine, chaviré par le mal de mer, maissoutenu par l’espoir que désormais tout irait bien pour moi surcette terre, puisque le monde m’ignorerait.

Les bruits et les mouvements du bordm’apprirent bientôt que nous arrivions dans un port. Et, comme vouspensez bien, je n’eus garde de me montrer. On devait, dès lors,débarquer les naufragés. Gabriel dut avoir d’assez longspourparlers avec les autorités. D’après ce que j’avais crucomprendre, nous devions nous trouver dans un port de la côteespagnole, à Santander ou à Bilbao.

La nuit même, je fus fixé.L’Anne-Marie reprenait la mer et Gabriel lui-mêmem’apprenait que nous venions de laisser derrière nousSantander.

Une demi-heure plus tard, je quittais àmon tour l’Anne-Marieaprès force embrassades et parolesd’encouragement, et ce fut très mystérieusement qu’un canot du bordme débarqua, par une mer assez grosse, sur une grève rocheuse etcalcaire.

J’étais accompagné par un maîtred’équipage qui ne m’abandonna point tout de suite. Il dirigea mespas jusqu’à environ mille mètres de là, près le cabomayor.

Là, dans une anfractuosité de lafalaise, nous trouvâmes une petite cabane de pêcheurs, si petite,par ma foi, que, dans l’obscurité, il fallait se pencher pour lavoir.

Des coups furent frappés par moncompagnon, d’une façon assez singulière, contre la porte quis’ouvrit. Quelques mots, auxquels je ne compris rien, furentéchangés, sur le seuil, entre mon guide et une ombre assezfarouche, puis l’homme qui m’avait accompagné me salua ets’éloigna.

L’ombre me poussa dans son trou, onreferma la porte et je me trouvai en quelque sorte dans une tombe,où je pensai qu’il ne me serait point difficile de passer pourmort.

Ne l’étais-je déjà pas presque àmoitié ? Mais n’était-ce pas ce que j’avaisvoulu ?

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