La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 19OÙ L’ON COMMENCE À PARLER DES APÔTRES

Quand les coffres furent vides et que toutecette musique d’or se fut tue, le von Treischke parla pour lapremière fois. Il demanda :

« ToujoursSaint-Jean-l’Évangéliste ?

– Oui, répondit le maître demanœuvre, mais c’est la fin et notre besogne va forcément seralentir maintenant que nous avons perduSaint-Marc !

– Herr Jésus ! gronda vonTreischke, paraît que c’était le plus généreux ! Il auraitdonné sans compter ! Voilà une bien méchante nouvelle dontcertainement Sa Majesté ne s’accommodera pas !…

– Herr amiral ! pardonnez-moi, mais toutn’est pas encore dit dans cette affaire. Si nous avons perdu leSaint-Marc au dernier abordage, les autres ne l’ont pasencore gagné ! Nous en avons rendu l’approche impossible etnous le tenons nuit et jour sous un feu d’enfer. Nosdernières culasses carrées à air comprimé font merveille ! Etpour peu que nous tenions deux jours encore la seconde ligne detranchées à la cote six mètres quatre-vingt-cinq nouspourrons, dès après-demain soir, tenter un mouvement tournant quinous rendra le Saint-Marc !…

– Je vous le souhaite ! prononçale von Treischke, et j’attendrai jusque-là pour envoyer monrapport… À combien estimez-vous ?… » Ici la voix seperdit dans la profondeur du tunnel. Les trois hommess’éloignaient, regagnaient l’issue.

Potaje et moi nous nous étions glissésderrière les wagons-coffres. Maintenant qu’ils étaient vides, nousavions pensé qu’ils allaient être tirés immédiatement de là, car,de toute évidence, c’était là un outillage spécial dont on devaitavoir besoin dehors !… Dans ma pensée, ces coffres devaientêtre descendus au fond des eaux pour être remplis par lesscaphandriers. Du reste, je les touchai et ils étaient humides.Leurs parois de fer étaient même visqueuses, attestant un longséjour au fond de l’eau.

Mais voilà ! Sans doute, dans ce moment,on n’en avait plus besoin ! Peut-être en était-il ainsiparce que le Saint-Marc avait été pris par les autres àl’abordage !… Toujours est-il que les portes des caves duchâteau de la Goya s’ouvrirent devant les trois ombres etse refermèrent sur nous !…

Vous décrire notre embarras ou, pour être plusjuste, notre effroi, serait tout à fait inutile car il est tropconcevable. Qu’allions-nous devenir ? Ces caves devaient être,comme l’on pense bien, sévèrement gardées, et si l’on venaitchercher les wagons-coffres au cours de la journée suivante nous nevoyions pas bien comment nous pourrions nous éloigner de là.

Et encore, même si, plus tard, une nouvelleoccasion se représentait, lors de l’ouverture du souterrain, denous glisser, comme nous l’avions fait, derrière leursombres, nous n’étions nullement assurés d’une nouvelle réussite,car, pour peu que nous y réfléchissions, nous devions compter surles nouvelles difficultés qui allaient naître pour nous de ladécouverte de notre embarcation dans le port même de laGoya !

La présence de la Spuma sur ces eauxsecrètes était tout à fait indésirable et l’on nemanquerait point, dès le lendemain matin au plus tard (en mettantles choses au mieux), de se mettre à la recherche forcenée de ceuxqui avaient eu l’imprudence de l’amener jusque-là !…

Enfin, ce qui ressortait de plus clair pournous, au fond de cette obscurité tant dorée, c’est que nous avionsdésormais toutes les chances de n’en point ressortirrapidement.

À ces angoisses morales vinrent s’ajouter,comme une incroyable et inattendue force, deux tortures nouvelles,celles de la faim et de la soif. En ce qui me concerne toutparticulièrement, j’aurais certainement donné bon nombre desmillions qui étaient là pour une croûte de pain et un verred’eau !

Et, quand j’y pense maintenant, il me semblebien qu’il y eut là comme une sorte de suggestion due à unesituation, sans doute exceptionnelle dans la vie ordinaire deshommes, mais, à coup sûr, peu rare dans le romanesque !Combien d’histoires avais-je lues dans lesquelles des malheureuxégarés comme nous au centre d’incalculables richesses, se mouraientde ne pouvoir satisfaire les appétits les plus vulgaires sansqu’ils pussent utilement se servir d’un maravédis !

L’idée que nous nous traînions, comme ceshéros inventés pour distraire ou instruire notre jeunesse, dans unecave pleine d’or, parmi des sommes capables de faire vivre le mondependant des mois et de sauver peut-être la Bocherie de la famine,devait inévitablement me faire craindre que tous ces trésors, en cequi nous concernait, ne pussent servir que de litière à notreagonie !…

Au fait, je dirai tout de suite que nous fûmesassez tôt débarrassés de cette hantise par une suite decirconstances des plus heureuses qui s’offrit à nous pour nousfaire sortir de là, quasi avec la même facilité que nous y étionsentrés. La fortune est ainsi capricieuse, tantôt se présentant,comme on voit à la roulette, avec des alternances répétées ou avecdes séries suivies de faveur ou de défaveur. Nous étions dans unesérie favorable, il faut croire. Car il n’y avait pas plus d’unquart d’heure (approximativement) que nous nous traînions sur toutcet or obscur, dont le bruit, sous nos pas chancelants, nousfaisait, à chaque instant, tressaillir, car nous redoutions quetoute cette musique métallique ne donnât l’éveil à nos ennemis etnous avancions avec une prudence extrême, errant de cases en cases,gravissant des monticules de vaisselle d’or et d’argent qui, tout àcoup, s’effondraient et se répandaient au-dessous de nous (avec unnouveau tumulte qui nous retenait tout à coup immobiles,haletants), quand Potaje fit entendre une sourde exclamation.

« Là ! là ! faisait-il,là !… »

Je le rejoignis et, à mon tour, je pus voir unpetit carré de lueur lunaire qui brillait au fond d’une étroitegalerie qui coupait à angle droit celle où nous nous trouvions.

Une minute plus tard, nous étions auprès de cepetit carré-là ; c’était un degré de pierre éclairé par lalune et nous nous trouvions sur un escalier tout humide et visqueuxqui avait quelque chance, selon moi, d’être ignoré des maîtres decéans, car, à mon avis, les eaux devaient le recouvrir le plussouvent. Peut-être même cet escalier ne se montrait-il que lors desgrandes marées ; et il était possible, après tout, que nousbénéficions de l’une de ces marées-là.

Tant est que ce petit escalier de pierre, quiavait dû servir jadis à de bien sombres besognes, nous conduisitpar un soupirail jusqu’au niveau même de l’eau du port intérieur dela Goya !

Nous étions sortis de notrecoffre-fort !…

Avec quelle joie intime nous remerciâmes leciel, je vous le laisse à deviner ! Et nous étions sortis toutprès de la grille qui fermait ce port et qui, à cause même de labaisse exceptionnelle de la marée, se trouvait elle-même à unehauteur suffisante au-dessus de l’eau pour que nous puissions nousy glisser sans avoir à prendre la peine de plonger !

Et même j’étais assuré, dès lors, qu’avec unpeu d’effort et d’adresse il nous eût été possible de faire glisserlà-dessous notre barque, si la Spuma avait encore été ànotre disposition !…

Il est remarquable que, depuis que nous nousétions échappés du souterrain et que nous n’avions plus à craindred’être accusés d’avoir forcé son formidable secret, je recouvraistous mes esprits ! C’est qu’en effet je pensais à nouveau que,si j’étais surpris dans le port de la Goya, mon crime n’était pasgrand ! Du moins je pouvais l’imaginer, et vous savez de quelargument je disposais !

Très lucidement alors, je me rendis compte deschoses et permis à Potaje d’aller à la découverte de laSpuma, qu’il me ramena un quart d’heure plus tard,profitant de deux gros nuages qui passaient sous la lune et sefirent bien à propos nos complices !…

Que vous dirai-je de plus en ce qui concernela Spuma ?Nous la ramenions à Vigo une demi-heureplus tard, sans aucun incident, et nous l’abandonnions à son sortsans plus vouloir en entendre parler ! J’imagine même que lebarcilleur ne se vanta point, une fois qu’il eut retrouvé sonembarcation, de l’événement mystérieux qui, pendant quelquesheures, l’en avait privé, car il devait avoir lui aussi, en toutceci, une certaine responsabilité…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer