La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 8UNE OMBRE VOILÉE

Nous étions dans la mauvaise saison et,maintenant que mes aventures ont fait de moi un vieux marin dudessous de la mer, je puis affirmer qu’à l’époque de ce mauditvoyage il faisait encore meilleur dessous que dessus,surtout pendant que nous naviguions dans les hautes latitudes etqu’il nous était donné de prendre l’air non loin de certainesterres qui doivent avoir nom, si je ne me trompe, sur lacarte : îles Hébrides ; enfin, j’estimai que les rochersque je pus apercevoir, à la dérobée, par un hublot, quand nousnaviguions à l’état lège, devaient appartenir à ce groupeperdu dans le nord du monde. Je pense toujours que nous eûmes avecces rochers quelques subreptices communications, mais on s’arrangeade façon à ce que je fusse gêné dans mes constatations à cetégard.

La vie à bord ne présentait rien de bienparticulier, pour un homme comme moi s’entend ! On mangeaitbien, on buvait bien, on ne se privait de rien ! Je prenais leplus souvent mes repas avec les officiers de second ordre. Fritzétait toujours fort prévenant. Une fois, le von Treischke voulut metâter à nouveau à propos de ces maudites îles Ciès et j’entrevisencore à l’horizon quelques questions frôlant la Batailleinvisible, mais j’étais sur mes gardes et il en fut pour sesfrais.

J’allais bien quelquefois sur le pont, mais ilfaisait un froid de chien ; le tuyau de la pipe vous collaitaux lèvres et vous étiez illico transformé en bonhomme deglace.

N’importe ! quand j’avais le droit demonter sur le pont de ma prison marine, j’en usais. Les appareilstélégraphiques étaient gelés ; les toiles de passerelleétaient comme du fer. On avait la plus grande difficulté à tenir lepanneau du blockhaus libre de glace. Un homme était uniquementoccupé à cette besogne, raclant et martelant sans cesse le tour dupanneau et faisant parfois dégouliner, par le trou de l’échelle,des marmelades de glace sur la figure de ces messieurs dudessous…

Or voici qu’un soir où j’étais allé faire unpetit tour des superstructures, il m’arriva ceci : je venaisd’entendre le premier son de cloche qui annonçait qu’on allaitfermer les écoutilles, je m’étais hâté et je descendais l’échelle,pendant que retentissait le second coup qui ordonnait auxmécaniciens de lâcher les machines à huile pour s’occuper desmoteurs électriques, quand il me sembla entendre (après le secondcoup de cloche et non loin de moi), entendre et reconnaître unevoix de femme !

Je me précipitai et au coin d’une porte je pusapercevoir une seconde la silhouette tout emmitouflée d’unefemme ! Oh ! je n’eus pas une hésitation, pas une !Tout mon être cria : la dame voilée !

Heureusement que personne ne m’entendit !Et puis j’avais dû crier cela « en moi-même » !

Elle avait glissé devant moi et avaitdisparu ; mais, à l’endroit qu’elle foulait de son pied légertout à l’heure, mon pied, à moi, faillit écraser un objet surlequel je me jetai.

J’allai aussitôt m’enfermer dans macabine : j’avais dans les mains une chaîne en or du travail leplus fin et qui était rompue ; à cette chaîne était attaché unmédaillon. Je l’ouvris avec une émotion intense, mais qui,certes ! fut dépassée quand j’eus jeté un coup d’œil sur laphotographie minuscule qu’il contenait : j’étais en facedu portrait du capitaine Hyx !…

Ainsi c’était bien elle ! Elle, celle quel’on croyait morte dans les tortures !… Oh ! damevoilée !… dame voilée ! votre vie est plusmystérieuse encore que votre mort ! Pourquoi cachez-vous votrevie, laquelle pourrait racheter tant d’autres vies ? Pourquoila cachent-ils, eux ?… Et pourquoi, vous, les aidez-vous àla cacher ?… Savez-vous, savez-vous tout ce que vouspourriez faire de bien dans le monde des eaux profondes, en disantsimplement : « Je suisvivante !… »

Et lui, lui le monstre qui a tant à redouterde votre mort, pourquoi n’use-t-il pas de votre vie ?…Quel mystère vous lie donc l’un à l’autre pour que vous vousentendiez si bien pour laisser Mrs G… au fond dutombeau !…

Et qu’est-ce vous faites ici ?…Qu’est-ce que vous faites ici ?… « Ehbien ! me répondis-je tout à coup, c’est bien simple… puisquele von Treischke va au-devant du capitaine Hyx, il lui amène safemme pour que le capitaine Hyx lui rende la sienne !… Commec’est simple ! comme c’est simple, cher Herbert deRenich ! »

Et que voilà une réponse qui répond à tout,n’est-ce pas ? même à la question de savoir pourquoi ilsont fait croire si longtemps à la mort de cette femme, et pourquoielle-même continue de faire croire à sa mort, ALORS QU’IL ESTDE L’INTÉRÊT DE TOUS QU’ELLE SOIT VIVANTE !

Mon Dieu ! que de questions à poser àla dame voiléesi elle voulait m’entendre !… Mais larencontrerai-je encore ? Voilà des jours et des nuits que nousnaviguons dans la même prison et c’est la première fois que nosombres se sont croisées !… Que de choses à lui dire !…Mais la reverrai-je jamais ?… Ainsi, il y a une dame à bord,et je n’en savais rien ! Pourtant elle se promène dans lescoursives de notre sous-marin comme elle se promenait dans les ruesde Renich… libre de ses gestes et de ses paroles… Ah ! sielle voulait parler !… Pourquoi ne veut-elle pointparler ? Tout est là !…

Des pas, on frappe à ma porte ; jedissimule précipitamment chaîne et médaillon ; c’est ce cherFritz, plus joufflu que jamais à cause d’un certain sourire qu’il aet que je n’aime pas. Parle, Fritz ! qu’y a-t-il encore pourton service, mon garçon ?…

Le lieutenant de vaisseau, après avoir referméla porte, s’assied sur un coin de ma couchette et me dittranquillement :

« J’ai à vous dire un petit mot à proposd’une question de vie ou de mort ! »

Je l’arrête immédiatement en haussant lesépaules.

« Herr Fritz, ce langage n’est plus demise entre nous ! Je ne suis plus un enfant à qui l’on faitpeur ! Ma vie ne peut être maintenant plus en danger que lavôtre, je vous en avertis ! Et le capitaine Hyx se chargera denous mettre tous d’accord là-dessus, soyez-en persuadé, avant qu’ilsoit longtemps ! Maintenant, allez-y, je vousécoute !

« Herr Herbert de Renich, vous savezqu’il y a une dame à bord ?

– Ah ! il y a… vraiment… une… quedites-vous ?… : Pardon ! Qu’est-ce que vousracontez ?…

– Ne vous troublez pas, ne rougissezpas !… Vous l’avez rencontrée tout à l’heure.

– Hum !… j’ai rencontré en effet au coind’une porte une ombre… mais je vous assure qu’il était trèsdifficile de se rendre compte…

– Suffit ! suffit !… Cela vousétonne qu’il y ait une dame à bord ?…

– Mais rien ne m’étonne ! mon cherFritz !… Rien ne m’étonne, je vous jure !… Ayez dix damesà bord, deux cents dames à bord, cela ne m’intéresse en aucunefaçon !…

– Parfait ! Parfait !… Ce que jevous en dis est pour vous éviter quelques ennuis pendant latraversée… à cause de la manie que vous avez desressemblances ; je viens simplement vous avertir qu’ilvaudrait mieux pour tout le monde que vous surveilliez cettemanie-là !… Avez-vous compris ?

– J’ai compris !…

– Tant mieux !… Au plaisir de vousrevoir, cher monsieur Renich… »

Il s’en alla… Je m’allongeai sur macouchette ; je m’enfouis la tête dans les mains et je fisappel à toute mon intelligence pour essayer de démêler l’écheveaude l’incroyable intrigue… Je me tournai et me retournai. Soudain,j’entendis un soupir tout près de moi. Je me redressai. J’avaisdevant moi, dans ma cabine, la dame voilée qui meregardait, un doigt sur la bouche.

« Silence ! monsieur Herbert deRenich !… »

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