La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 16LA BAIE DE VIGO, LA NUIT

« À la rame !… à la rame !… eten silence !… »

Potaje et moi, sur les eaux noires de l’ansede San Francisco, derrière le môle, hors du port de Vigo, oùbrillent mille lumières, reflétées par la vague clapotante auxquais et aux carènes, nous poussons notre petite barque dansl’ombre des rochers, dont l’écran nous protège.

Et maintenant, nous pouvons aller de l’avant.Nous n’avons plus rien à redouter des bruits révélateurs. J’allumele moteur, et teuf ! teuf ! teuf ! en route pour lesîles Ciès et à la grâce de Dieu !…

Ce Potaje est décidément le plus précieux descompagnons d’aventure. Son imagination n’est jamais à court etpeut-être vient-elle de me sauver du plus cruel embarras.

Le retour de mes lettres m’avait jeté dans unesombre consternation. Non seulement elles n’étaient pas allées auxîles Ciès, mais il ne faisait point de doute que le facteur spécialdu capitaine Hyx eût refusé d’en prendre livraison. De touteévidence, pour correspondre avec les îles Ciès, il fallaitconnaître « la façon », certains signes imposés par lehaut commandement occulte de l’affaire et communiquésseulement à ceux dont on pouvait avoir besoin. Ma correspondance àmoi, comme celle de beaucoup d’autres, sans doute, étaitindésirable. On me la laissait pour compte.

Qu’allais-je décider ?

En rentrant dans ma chambre, j’avais trouvéune lettre cachetée et sans timbre, qui était arrivée là par lemiracle sans cesse renouvelé de l’espionnage allemand, je nepouvais en douter, et je n’en doutai point ; et cette lettre,qui ne portait aucune signature, me donnait encore vingt-quatreheures pour aborder les îles Ciès et voir le capitaine Hyx, qui,m’affirmait-on, s’y trouvait en personne. En P.-S. cesmots : « Aussitôt que vous aurez la réponse orale ouécrite du capitaine, l’apporter sans une seconde de retard auchâteau de la Goya, où vous demanderez M. FritzSchnitze. » (C’est ainsi que s’était toujours fait appelerdans ce pays Fritz von Harschfeld.)

Hélas ! je savais qui était derrière leFritz et qui était pressé d’avoir la réponse ducapitaine !

Mais encore une fois, comment faire ? Sil’on n’était pas prévenu aux îles Ciès de mon arrivée, je seraiscertainement accueilli à coups de fusil ou de mitrailleuse, commeGabriel en avait été menacé lui-même.

C’est alors que, me voyant dans un aussi cruelembarras, Potaje voulut que je lui fisse part de la cause de monennui, et, ma foi, je me confiai à lui ! Aborder aux îles Cièscoûte que coûte, mais y aborder vivant, autant que possible, telétait le programme qui, vu les conditions du voyage que je luidévoilai, présentait à mes yeux une insurmontable difficulté.

Là-dessus, Potaje m’avait quitté, ne mecachant point que mes gémissements l’empêchaient de réfléchir.

Une heure plus tard, il était de retour :il me trouva à la place où il m’avait quitté. Il était toutfrétillant sur sa petite planchette. Il me tira par les piedssuivant son habitude et me déclara qu’il fallait le suivre :que tout était arrangé. Il dressait vers moi ses mainsarmées de patins triomphants : « Mais pas une minute àperdre, ajouta-t-il, pas une seule !… »

Nous nous jetâmes dans l’ascenseur. Sur lequai j’avais peine à le suivre. Pour me faire hâter le pas iltournait autour de moi avec son assourdissante planchette àroulettes. Un chien autour de son maître qui part pour la chassen’aurait pas été plus insupportable. De temps en temps il daignaitm’accorder un bout d’explication. Et je vais vous dire tout desuite ce qu’il avait trouvé : en premier, il avait cherché àlouer un canot pour faire le voyage ; bien entendu, personnen’aurait voulu prendre la responsabilité de conduire des voyageursaux îles Ciès : d’abord c’était défendu, et puis c’étaitdangereux !

Alors Potaje avait cherché à acheter un canot.Il n’en avait pas trouvé à vendre. Puisqu’il ne pouvait rien louer,ni acheter, il avait eu l’idée d’en voler un ! Et c’est cequ’il avait fait ! Et quel canot ! La seuleembarcation qui pouvait nous sauver !… La barque du barcilleurlui-même, celui chez qui, quelques semaines auparavant, lemidship m’avait envoyé frapper, dans le temps qu’il favorisait monévasion aux îles Ciès !…

Comment cette barque se trouvait-ellejustement, cette nuit-là, à Vigo, et par quelle coïncidence Potajeavait-il été conduit vers elle ? Voyez comme c’est simple,mais encore fallait-il avoir l’imagination et le coup d’œil dePotaje !

Sur le seuil du cabaret à matelots où ilvenait d’acquérir la triste certitude qu’il ne trouverait personnepour le conduire aux îles Ciès, Potaje considérait la rade fortmélancoliquement, le regard vaguement tourné vers le sombrehorizon, quand tout à coup son regard fut attiré par un faisceaulumineux d’une puissance exceptionnelle, qui balayait les eaux toutlà-bas, tout là-bas… du côté des îles Ciès ! »

« Qu’est-ce cela ? demanda-t-il.

– C’est le phare du mont Faro, lui fut-ilrépondu.

– Et le mont Faro, qu’est-ce cela ?

– Le mont Faro est une des îlesCiès !

– Et le gardien du phare de l’île Faro, leconnaissez-vous ?

– Ils sont deux gardiens qui se relèvent l’unl’autre tous les huit jours. Personne ne les connaît dans la ville,car ils sont nouveaux et ne parlent à personne, vivant en famillecomme des ours et observant certainement une consigne qui ne nousregarde pas ! » expliqua assez vivement l’un desmatelots.

Peut-être même n’aurait-il pas été aussibavard si Potaje n’avait fait, dès l’abord qu’il était entré dansle cabaret, rire tout le monde avec ses tours de cul-de-jatte.

Et puis ils n’avaient aucune raison de seméfier de Potaje, lequel prétendait, dans l’occasion, s’être mis àla disposition d’un touriste nouvellement arrivé dans la ville etdésireux de visiter les îles Ciès.

Pour mieux voir le phare et son pinceau delumière sur l’horizon, Potaje avait fini par monter sur la cheminéedu cabaret, qui se trouvait juste en face de la porte ouverte.

Ainsi placé, prétendait-il, il avait l’aird’un objet d’art et aurait pu passer au besoin pour un sujet dependule si l’on avait pris la précaution de lui attacher deuxaiguilles au nombril. Il disait ceci et cela pour les faire rire,comme font les culs-de-jatte et généralement les infirmes, lesquelsaiment à plaisanter les premiers de leur misère pour s’épargner lapitié des cœurs sensibles. Mais il poursuivait son idée.

« Tout de même, disait-il, ces gardiensde phare ne se relèvent point à la nage !

– Non ! non ! lui fut-ilrépondu… tous les huit jours le barcilleur vient chercher leremplaçant et remmène l’autre… Tiens ! le voilà justement quiarrive, le barcilleur !… »

Et le matelot montrait à Potaje une petiteembarcation qui venait de doubler le môle et qui allait accoster àun escalier du quai à cent mètres du cabaret.

« C’est la Spuma, dit-il(l’Écume). Elle est bien reconnaissable aux trois feuxjaunes de sa misaine, qui lui permettent de naviguer dans les eauxdes Ciès… Le barcilleur sera ici dans cinqminutes !… »

Il arriva, en effet. C’était un vieux de lavieille, toujours la chique à la bouche et qui aimait bien le rhumde la Jamaïque. Mais pas bavard ! Il disait couramment qu’ilvenait chercher des nouvelles, mais qu’il n’en apportaitpas !

Ce n’est pas avec lui que l’on aurait pusavoir ce qui se passait exactement aux Ciès. Au fait, il étaitbien possible qu’il n’en sût pas grand-chose lui-même, racontaientles matelots autour de Potaje.

Mais Potaje avait son plan. Le barcilleuravait déclaré qu’il s’en retournerait avec la marée et qu’il avaitau moins pour une heure de courses dans la ville avant d’embarquerle gardien du Faro.

C’était plus de temps qu’il n’en fallait pourvenir me prévenir, nous jeter dans la Spuma, descendre endouceur les feux jaunes pour n’être pas reconnus lors du départ,larguer les ancres et doubler le môle à la rame.

Une fois dans l’anse de San-Francisco, il yavait du bon ! D’autant plus que nous avions découvert que laSpuma avait son petit moteur automobile (je me souvenaismaintenant que le midship m’en avait parlé) et que nous pouvionsmaintenant espérer arriver assez vite dans les eaux des Ciès oùnous hisserions nos trois feux jaunes, ce qui nous permettraitd’aborder sans encombre.

Dans la rade, nous naviguions sous nos feuxordinaires. Décidément, avec Potaje, tout s’arrangeait…

Mon cul-de-jatte s’était établi sur la proueet son regard ardent perçait les ténèbres.

Parfois elles étaient opaques et parfoiss’éclairaient d’un brusque rayonnement lunaire, car il y avait duvent et des nuages, de gros nuages qui accouraient de l’ouest enplein et nous présageaient un grain assez rude.

Bien que nous eussions le vent quasimentdebout, grâce à notre moteur et à quelques savantes manœuvres(j’avais fait jadis du canotage dans la Moselle) la Spumase conduisait fort convenablement.

Nous allions doubler sur notre gauche lapointe del Molino derrière laquelle on apercevait déjà le feu deBrasileiro (j’ai appris depuis, et dans quelles conditions,hélas ! à donner un nom à tous les coins, à tous lespromontoires, à tous les rochers, de cette damnée baie d’enfer, lesoir ; bouche du Paradis le jour !…) donc, nous étionslà, que je vous dis, mon Potaje à la proue, et moi à la poupe, trèsattentifs tous deux à la manœuvre, quand, sur la côte rocheuse, àsoixante brasses environ, à une demi-encâblure, quoi (on se seraitjeté quasi dessus) grimpa, surgit dans le ciel et sous la lune uneespèce de château-fort qui nous avait été caché jusqu’alors et quiavait l’air de sortir de l’eau juste pour nous regarderpasser !…

J’eus tout de suite comme un frisson tant jem’attendais peu à cette apparition… et cependant je ne doutai pointque nous ne fussions en face du château de la Goya… telqu’il m’avait été à peu près décrit par Dolorès, un châteaus’avançant par endroits dans la baie, plus loin même que lerocher.

Une maçonnerie formidable pour l’époque avaitdressé bien au-dessus du niveau des plus hautes marées une sorte demôle circulaire percé en son milieu et fermé par une grille telleune porte de prison.

Ce môle en demi-cercle, couronné de créneauxet de mâchicoulis qui n’étaient point tous tombés en poussière,formait comme une sorte de port intérieur appartenant en propre auchâteau, le cachant en partie aux yeux des profanes venus de la meret le défendant tout à fait du côté de la terre.

Il m’était d’autant moins permis de douter queje fusse là en face du château de la Goya qu’il setrouvait à l’extrémité de l’anse dite de la Goya. Enfin, àl’extrémité ouest de tout le bâtiment, entre deux tours quiplongeaient leurs assises directement dans le golfe, il me semblareconnaître dans le mur en retrait, gardé de droite et de gauchepar les deux tours, la fenêtre à balcon d’où Dolorès avait étéjetée dans un sac…

Cependant, je pouvais hésiter sur ce point,car, entre le balcon et la fenêtre, une grille épaisse se dressaitqui me paraissait devoir interrompre toute communication tropdirecte entre la chambre et l’extérieur…

Mais déjà nous étions passés, la lune s’étaitderechef cachée derrière les nuages et nous glissions à nouveau surdes flots d’encre.

Tout à coup (nous avions alors dépassé labouée qui indique des hauts-fonds rocheux, à un mille marin environaprès le feu de Brasileiro) nous commençâmes de remarquer certainsphénomènes marins qui nous parurent, à Potaje et à moi, tout à faitinexplicables.

Jusque-là, le ciel et la mer (depuis que lalune s’était cachée) se confondaient dans une obscurité quetrouaient çà et là et à une distance appréciable les feux verts etrouges des rares bâtiments entrant en rade ou en sortant, maisvoilà que, dans les eaux, des lueurs passèrent…

Cela ne pouvait pas être et n’était pas de laphosphorescence…

Cela passait dans les eaux, au-dessous denous, comme des étoiles filantes, et cependant cela ne pouvait pasêtre un reflet puisqu’on ne voyait aucune étoile au ciel (filanteou autre).

C’étaient comme des chandelles romaines, trèspâles, qui traçaient une courbe bizarre et puis s’éteignaientinstantanément. Cela, il est vrai, était si fugitif qu’il n’étaitpas impossible que nous fussions victimes de quelque illusiond’optique ; en tout cas, cette illusion était double, carPotaje et moi nous voyions la même chose, nous étions penchés surla même vision, si rapide et si incroyable fût-elle…

Si bien que, lorsque cette inexplicablefantasmagorie sous-marine se fut éteinte, car nous étions passésau-dessus d’elle assez rapidement, Potaje et moi eûmes sur leslèvres la même question : « Qu’est-ce quececi ?… » et, d’instinct, nous cherchâmes encore,au-dessus de la mer, là-bas vers la terre, là-haut au ciel, quelquechose qui eût pu être la réalité de ce que nous ne pensions pouvoirêtre qu’un reflet ! Mais quoi ? Nous ne trouvâmes rien etnous pensâmes chacun avoir la berlue…

Plus loin, nous eûmes encore une autre sorted’étonnement.

Nous avions mis le cap au nord-ouest, dirigésque nous étions par le feu du mont Faro, et nous nous trouvions, àpeu près au centre de l’immense baie, dans un endroit où ne passeaucune route marine et que ne fréquentent guère les grandspaquebots qui viennent faire escale et « charbonner », etsoudain, sur ces flots déserts, nous entendîmes des plaintes.Il y avait des plaintes. Il y avait des soupirs sur lamer…

Potaje et moi commencions à être sérieusementintrigués par le mystère nocturne de la baie de Vigo. Haletants,nous étions penchés sur les soupirs… Et, pour mieux les entendre,et aussi pour ne pas nous faire entendre, j’arrêtai lemoteur et nous mîmes à la voile… ou plutôt nous avançâmessimplement appuyés sur notre foc…

Nous sautions à la lame… et, dans le vent, lessoupirs approchaient… Tout à coup j’entendis Potaje qui, tournévers moi, me soufflait : « Attention ! » … Etson bras me montrait une masse noire, une espèce de chaland, à unecinquantaine de brasses qui, par instants, était éclairépar-dessous. Oui, par instants, il semblait flotter sur unenappe lumineuse, mais d’une lumière très pâle, une lumière de rêvequi s’allumait et s’éteignait sous lui… Sur lui,le chaland n’avait que du noir ; il était plus noir quel’obscurité du ciel et nous ne l’apercevions au-dessus des eauxqu’à cause de cela ; mais au-dessous, de temps en temps, il yavait cette nappe de lumière… C’est de la phosphorescence… c’est dela phosphorescence, me disais-je… Je n’en croyais pas un mot… etpuis il y avait aussi ces plaintes, ces soupirs !…

Tout à coup tout se tut, et tout s’éteignit…et il nous parut que la masse noire se déplaçait… venait surnous, glissait vers nous, allait nous écraser… et nous nousenfuîmes !… nous nous sauvâmes dans le noir, de toute la forcede notre moteur… que j’avais remis en marche…

Potaje n’était point plus brave que moi !Il m’avouait qu’il n’avait jamais eu aussi peur ! et qu’il nesavait pas pourquoi ! et qu’il adorait ça !… Cequi lui plaisait dans les aventures, c’était d’avoir peur !« Quelle drôle de mer ! disait-il, quelle drôle derade !… Que va-t-il maintenant nous arriver ? »

Il devait être bientôt renseigné.

Nous approchions des îles Ciès et j’avais jugébon de hisser mes trois feux jaunes. Nous n’avions pas à noustromper sur le chemin à suivre. Le phare du Faro nous guidaittoujours merveilleusement. J’allais bientôt aborder à cette pointeque je connaissais, où le barcilleur avait sa cabane et quis’appelait, du reste, comme la barque elle-même, la Spuma(l’Écume).

Une fois à terre, pensais-je, je saurais bienme faire entendre et me faire conduire à tel personnage dontj’avais besoin ; le tout était, n’est-ce pas ? d’entreren conversation.

Or, malheureusement, malgré nos trois feuxjaunes, la conversation s’engagea quand je n’étais pas encore àterre.

Sans doute avais-je fait quelques faussesmanœuvres. En tout cas, j’avais donné l’éveil à quelque vedette carune chaloupe, surgie tout à coup de la nuit, nous apparut par letravers et nous héla.

« Holà ! du canot ! Quiêtes-vous ?… (en espagnol).

– Je suis le barcilleur et je rentre !répondis-je (toujours en espagnol ou presque).

– Le mot de passe ? »

Je n’avais pas le mot de passe et je restaicoi. Puis je balbutiai :

« Je n’ai pas eu le temps de prendre lemot de passe ! »

J’entendis rire dans la nuit, en face demoi.

« Au large, cria la voix, si vous nevoulez pas d’histoires !… Descendez vos feux jaunes et nerecommencez pas cette plaisanterie si vous tenez à ne pas êtredénoncés à l’amirauté. »

Alors, je fus pris d’une sorte de rage et,oubliant toute prudence, je m’écriai :

« Question de vie ou de mort ! Quique vous soyez, je vous ordonne de me conduire au capitaineHyx !…

– Et ta sœur ! répondit la voix(en français)… Armez la mitrailleuse. Que diable ! la rade estassez grande pour que tout le monde puisse s’y promener sans entrerdans les eaux réservées ! »

Nous leur tournions déjà le dos. La voixrailleuse nous conseillait de remonter vers la Redonda (vers laporte ouest de l’entrée de la rade) si nous tenions à ne pointprolonger cette mauvaise aventure ; et, ma foi, la partie sudde la baie ne nous avait pas été assez propice pour que nousinsistions plus longtemps…

Nous prîmes donc le chemin du retour par lenord. Décidément, j’en avais assez ! J’estimais que j’avaistenté l’impossible ; je raconterais au plus tôt au Fritz monéchec de la nuit et les dangers courus. Ces messieurs ne pouvaientdésirer ma mort ! Puisqu’ils m’employaient, c’est qu’ilsavaient besoin de moi !… Dans le dessein même de pouvoircontinuer à leur être utile, mon devoir était de me conserver aussientier que possible ! On verrait ensemble à aborder lecapitaine Hyx par un autre chemin que celui-ci !

J’en étais là de mes réflexions et, aprèsavoir glissé au long de la côte nord, je pensais déjà à mettre lecap en plein sur la pointe de Molino quand, passant par le traversde la baie de Limens, il nous en arriva bien d’une autre… Desclaquements secs se firent entendre, comme des coups defouet ; mais ce n’étaient pas des coups de fouet !Oh ! nous connaissions maintenant très exactement le bruit dela poudre moderne quand elle chasse les petites balles coniqueschantantes et sifflantes ! On nous tirait dessus, toutsimplement. On nous tirait dessus, du fond de la baie deLimens !

Croyait-on donc que nous allions yaborder ? Je me rappelais les histoires de Gabriel relatives àla baie de Limens et à la baie de Barra, toute proche, et je ne fuspas longtemps à mettre le cap au sud-est (et comment !)…

Teuf ! teuf ! teuf !… Cemoteur, décidément, faisait beaucoup de bruit sur cette raderedevenue silencieuse, trop silencieuse, et si singulièrement parinstants, paraissant s’éclairer par-dessous !…

Droit sur Molino !… Cette fois, c’est lefeu de Brasileiro qui nous guide… Mais, là !… dans le noir ducentre de la rade, juste en face la pointe des Moulins… encore unponton noir ! encore un ponton noir quipleure !…

Ah ! fuyons ! fuyons les soupirs duponton noir ! Et éteignons notre moteur !… et à la rame,maintenant, à la rame, sur les flots noirs… et en silence !…en silence !… Encore un effort, Potaje’… Ce Potaje manie larame comme un athlète ! On ne se douterait jamais de la forcequi peut se cacher dans les bras d’un cul-de-jatte !…Maintenant nous approchons à nouveau de la baie de la Goya.Attention, attention au château qui avance sa proue dans lamer ! Et attention aussi au rocher Ardan ! Juste en facede nous se dresse le rocher Ardan ! Glissons-nous entre cesdeux monstres avec toute l’adresse désirable !

Miséricorde ! Revoilà les deux tours, et,entre les deux tours, la fenêtre grillée !… Et, à la fenêtre,la lune qui se dévoile me montre une femme voilée.

La dame voilée ! la damevoilée !

J’aurais dû m’y attendre, puisque le Fritz, etaussi sans doute, le von Treischke sont là, ils ont dû amener aveceux la dame voilée !…

Prisonnière, cette fois, tout à faitprisonnière en Espagne.

Et c’est en son honneur, certes ! en sonunique honneur que l’on a mis des barreaux de fer à la fenêtretragique de Dolorès !…

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