La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 7BOIS ET MANGE, MAIS PENSE À DIEU

Après cela, sur un signe du prince, mongardien m’emmena et me reconduisit dans ma cellule.

Je voulus interroger Fritz sur sesimpressions, mais il me répondit qu’en une telle matière il étaitdifficile de se prononcer et il me souhaita bonne nuit.

Je ne pus dormir, naturellement. Au fond demoi-même, j’espérais bien n’avoir pas été trop maladroit.

Il était dix heures du matin environ lorsquele Fritz revint et, sans mot dire, me noua un bandeau sur les yeux,Seigneur Jésus ! Allait-on me conduire au poteaud’exécution ? Déjà je fléchissais sur mes jambes, tant cetteidée m’avait surpris avec la dernière rudesse et m’étaitdésagréable, quand Fritz, voyant peut-être qu’il serait obligé deme porter, daigna me rassurer.

« On est content de vous, monsieurHerbert, fit-il, et vous allez être désormais traité comme le plusprécieux des amis. Le herr amiral ne peut plus se passer devous ! Nous allons le rejoindre ! »

D’où promenade nouvelle en une certaine autoclose comme une petite prison roulante, en compagnie de Fritz, d’unpanier de charcuterie et d’une demi-douzaine de bouteilles dechampagne. On mange, on dort là-dedans, on fume, quelcapharnaüm ! quel taudis !

De temps à autre, le Fritz me descend sur laroute, après m’avoir remis mon bandeau et tiré des coups derevolver sur les arbres pour s’amuser ! Colloque avec lechauffeur ! Mots incompréhensibles… Si ! une syllabe,deux syllabes qui reviennent, mais rapides. Est-ce la fin du motWilhemshaven, ou du mot Cuxhaven ? De quel haven, dequel port parlent-ils ?

Enfin on est arrivé dans une grande ville trèsfortifiée et très défendue (cela se comprend, s’entend comme un motde passe, aux consignes).

« Monsieur Herbert, déclara Fritz (aprèsm’avoir remis mon bandeau), l’amiral est de plus en plus content devous ! Il me l’a envoyé dire. Écoutez cela ! Il vousinvite à sa table. C’est le plus grand honneur qu’il puisse vousfaire. Laissez-moi vous conduire ! »

Nous marchâmes assez longtemps. L’air frais etmarin (j’avais un goût de sel sur la langue) me faisait le plusgrand bien. Cependant je n’étais pas encore remis tout à fait, car,dans les paroles de Fritz, je n’avais point trouvé uniquement dessujets de contentement. Cette idée que le herr amiral ne pouvaitplus se passer de moi ne m’enthousiasmait pas outre mesure.

Nous franchîmes bien des portes, après échangede mots d’ordre et de nouvelles consignes. Je devais être dans unarsenal. J’entendis les crosses de fusils des sentinelles. On mefit descendre un escalier. Puis j’eus sous les pieds une planchequi plia élastiquement sous mon poids. Puis je marchai sur quelquechose de très résistant, puis encore un très étroit escalier. Etalors je sentis à l’atmosphère dans laquelle nous étions entrés queje me trouvais dans une habitation. Dans quelle sorte doncd’habitation l’amiral m’invitait à déjeuner ?… Ça ne pouvaitêtre sur un vaisseau, car il nous aurait fallu monter dans quelquecanot ou chaloupe qui nous aurait conduits à la coupée.

Tout à coup, j’entendis un bruit bien connu…un bruit de water-ballast qui s’emplissait… Misère !éternelle misère de ma vie !… Je me retrouvais à bord d’unsous-marin !… d’un sous-marin boche, cette fois-ci !… Etcomme on m’enlevait mon bandeau, je constatai qu’il n’y avait plusà douter !… J’étais dans une petite cabine ! Sipetite ! si petite… On ne pouvait y tenir debout !…C’était plutôt une espèce de « refend » où il y avaittout juste la place d’une couchette pour que je pusse y glisser moncorps ratatiné.

Ah ! elle était loin, ma chambrette duVengeur !…et mon lavabo, et mon armoire à glace, etma commode en noyer ciré dans laquelle Buldeo rangeait avec tant desoins mes pantalons dans leurs plis… Ne m’étais-je échappé duvaisseau maudit, mais confortable, que pour vivre (?) dans cetteboîte à sardines ?

Une lampe électrique venait de s’allumer, laporte de s’entrouvrir et les bonnes joues à claques de Fritz de semontrer.

Il s’aperçut sans doute que je n’avais pointl’air enchanté, car il me dit :

« Ne vous plaignez pas ! Une cabinepour vous seul ! On aurait pu vous mettre dans le dortoircommun avec un bon hamac ! Décidément, l’amiral a pour votrepersonnalité la plus haute estime ! Nous allons bientôtdéjeuner. Avez-vous faim ?

– J’avais faim tout à l’heure, luirépondis-je, mais je sens qu’il me sera absolument impossible detoucher à la moindre nourriture si vous ne me dites ce que noussommes venus faire ici et ce qu’on attend de moi !

– Nous partons en expédition, répliqua-t-ilsans détours, sur un des plus beaux submersibles de notre flotte deguerre, et du dernier modèle, s’il vous plaît ! Et quant àl’expédition en question, vous n’avez certes pas à vous plaindre,puisqu’elle est commandée en personne par le herr amiral vonTreischke et dirigée ni plus ni moins contre ce satanéVengeur ! »

Ah ! que voilà donc une réconfortantenouvelle et digne de mettre un honnête homme en appétit !Contre Le Vengeur ! Contre Le Vengeur !Nous allions nous battre contre Le Vengeur ! Maisnous étions morts d’avance !… et je ne pus m’empêcher, ma foi,d’avoir un ricanement des plus macabres. Fritz me donna une bonnetape sur l’épaule.

« Avec nous et avec un homme comme vous,me dit-il, vous verrez que tout ira pour le mieux ! » etil m’entraîna dans la coursive…

Paraît que nous sommes déjà en pleine mer duNord et qu’il faut nous méfier des filets ! Les Anglais en ontmis partout ! Ils essayent de nous prendre au chalut, maparole ! Si jamais l’on m’avait dit qu’il se trouverait desgens dont la principale occupation consisterait à essayer de mepêcher, moi, un neutre, avec des engins spéciaux, à unesoixantaine de pieds au-dessous du niveau de la mer !…

« Herr Fritz ! Herr Fritz !cela doit être très dangereux, les filets !…

– Très dangereux ! Quand on tombe dedans,il est rare que l’on en sorte ! Mais enfin, on peut en sortir,une fois sur cent à peu près, n’est-ce pas, herrcommandant ? »

Le lieutenant me présenta au commandant herrWenninger, qui me salua gracieusement, après avoir rangé sonregistre de bord dans le tiroir de sa petite table à coulisse (nouspassions devant une cabine à la porte entrouverte)… Le herrcommandant Wenninger, bien connu pour avoir torpillé le bateaufrançais Gravelines et beaucoup plus connu pour avoirdégagé son U-17(le submersible qu’il commandait alors) desfilets d’un bâtiment anglais au cours d’un raid sur les côtesd’Angleterre.

Il me pria de m’asseoir près de lui et se fitapporter (ordres jetés au téléphone) trois fameux cocktails glacés(ces marins boches ne font point les dégoûtés, quoiqu’on en aitdit, devant les boissons anglaises) ; puis il me félicita denaviguer avec lui pour une si dangereuse expédition (on est trèsmal assis, le dos courbé, dans sa petite mansarde)… Puis il pritplaisir, entre les deux pailles de son verre, à m’annoncer que lebarrage de filets le plus redoutable était passé, dépassé. Etmaintenant on ne risque plus de talonner… Les fonds sont profondset libres ; on peut tranquillement naviguer à la boussole, augyroscope et à la sonde pendant deux bonnes heures encore ;après quoi on mettra le nez dehors pour voir ce qui se passe dansl’antique royaume de la vieille humanité ! Délicieusenavigation, enchanteresse et pleine d’angoisse ! Ah !ah ! le herr Wenninger se croit revenu, me dit-il, avec toutesces histoires de plongeons et d’incessantes cachotteries, auxheures bénies de sa plus tendre enfance, « quand il jouait àcoucou » !

Des fleurs sur la table, sur les nappesblanches, dans le carré du commandant. Honneur à l’amiral qui entreet salue ces messieurs d’un Guten Morgen ! trèsengageant. Von Treischke me présente comme un échappé duVengeur, un homme sérieux sur lequel on peut compter etqui sait garder son sang-froid dans les circonstances les plusdifficiles (une bordée de compliments qui ne m’impressionnent plus…rien ne m’impressionne plus depuis que j’ai touché le fond dudésespoir et celui de la mer du Nord, et que je sais que nouscourons à une mort certaine, poussés par cette prétentionextravagante qu’ils ont de manger Le Vengeur. C’est LeVengeur qui ne fera qu’une bouchée de leur damnéU !…)

En attendant, le déjeuner est copieux et bienservi au Champagne, et tout le monde est gai. Je n’avais jamais vusourire la Terreur des Flandres. C’est un spectacle ! Ellesourit à son rêve impossible !

« Je vois, fis-je tranquillement, quel’on va s’amuser un peu sous la mer ! »

J’eus beaucoup de succès en prononçant cesparoles et l’on trinqua en invoquant la protection de Dieu ;l’amiral, même, récita la maxime de Luther : « Trinkund iss, Gott nich vergiss ! »(Bois et mange, maispense à Dieu !)

Il y avait là quatre officiers supérieurs quiétaient célèbres à plus d’un titre et qui, avant de descendre dansles abîmes de herr Neptune (pour parler comme herr von Wenninger),avaient montré ce dont ils étaient capables en commandant descorsaires soumis à la vieille fortune d’Éole ! Soit qu’ilsvoulussent me prouver qu’ils n’étaient pas les premiers venus, soitqu’ils cédassent au besoin que certains éprouvent, après un heureuxrepas, de conter leurs hauts faits, ils ne m’épargnèrent point lesplus beaux récits de guerre, capables de réjouir le cœur des hyèneset des chacals.

Ah ! que ne devais-je pas voir ?…Que ne devais-je pas entendre ?… Ce soir-là, j’ai entendu pourla première fois, vraiment, le rire boche… Maisn’anticipons pas !… Chaque crime à sa place ! Tout serapayé en fin de compte, espérons-le, mon Dieu !… etsouvenez-vous, mère de Dieu ! Déjà, à l’heure où j’écris ceschoses, vous êtes avec nous pour le châtiment de la bête, comme ditle capitaine Hyx !… Et depuis qu’ils ont bu devant moi leurchampagne et qu’ils m’ont fait entendre leurs toasts hideux,combien d’entre eux ont disparu, emportés par le vent de la colèrecéleste !…

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