La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 9CE QUE DIT LA « DAME VOILÉE » M’ÉPOUVANTE, MAIS CE QU’ELLE NE MEDIT PAS ME REND MALADE

Elle était voilée plus que jamais.

Quelle chose étrange que cette femme qui sepromenait ainsi dans ce sous-marin, la figure cachée sous uneépaisse voilette comme sous un masque, n’adressant la parole àpersonne et un doigt sur les lèvres !…

Car, les jours suivants, quand je larencontrai, je la vis toujours, ombre mystérieuse, fantôme muet,glissant parmi l’équipage, croisant, dans la coursive centrale, lesofficiers, toujours voilée, ne se détournant jamais, et, quand ellem’apercevait, un doigt sur les lèvres !…

Les hommes ne lui adressaient jamais la paroleet les officiers ne la saluaient même pas. Sans doute devait-elleêtre pour eux comme si elle n’existait pas !… C’étaitl’ordre !…

Étrange, étrange ! Qu’avait-on pu dire àces hommes ? Je me rappelle que l’on trouva dans les débrisd’un zeppelin, qui avait tenté un raid sur Paris et qui était venus’écraser derrière les lignes françaises, les tiges calcinées dedeux hautes bottines de femme. Il s’était donc rencontré une femme,une horrible curieuse de crimes, pour monter dans un dirigeable quiavait mission de jeter des bombes sur d’innocentes familles !L’affaire n’était donc point si exceptionnelle !

Peut-être avait-on dit à l’équipage de notresous-marin : « Nous avons à bord une grande dame quitient à garder l’incognito et qui a le désir d’assister à vosexceptionnels exploits. Vous ferez comme si vous ne la voyiezpas !… » Sans compter que l’amiral von Treischke étaitassez puissant pour introduire à son bord toutes les créaturesqu’il voulait sans avoir à fournir aucune explication.

Mais laissons ces idées générales pour revenirà la dame voilée dans le moment qu’elle pénétra dans macabine. Elle souleva légèrement sa voilette pour découvrir seslèvres qui murmurèrent : « Rendez-moi le portrait de monmari ! »

J’étais troublé plus que je ne sauraisl’exprimer, et je lui tendis en tremblant la chaînette et lemédaillon.

« Rassurez-vous, me dit-elle, personne nem’a vue entrer. On me croit dans ma cabine. Je ne suis que peusurveillée. On n’a rien à craindre de moi. On le sait. On saitqui je suis, qu’il faut que je sois morte et que toute paroleimprudente relative à la chose redoutée que je pourrais dire et quiexpliquerait tout équivaudrait à un arrêt de mortimmédiat !Mon silence me garde ici, comme il me gardait àRenich ! Je n’ai plus d’espoir ! hélas ! que dansmon silence !

– Madame ! madame !… Vous avouezdonc qui vous êtes ! Qui me dit que vous n’allez pas vousplaindre aujourd’hui à l’amiral von Treischke de l’audace que j’aide savoir qui vous êtes !…

– Je vous avoue qui je suis, monsieur, parceque je ne puis faire autrement ! Vous avez vu lemédaillon !… Je n’ai plus à nier… Mais devant tous les autresje crierai à m’enrouer que je ne suis pas celle que je vous avoueêtre ! Question de vie ou de mort pour vous et pour moi !Enfin il vaut mieux pour vous et pour moi que l’on ne sache pas quece médaillon existe ou tout au moins que j’ai l’imprudence de legarder sur moi, et surtout de le perdre ! On me l’arracheraittout de suite !… Alors que deviendrais-je ?… quedeviendrais-je ?… Monsieur ! monsieur ! c’est laseule image que je possède de mon mari, en dehors de celle que jeporte toujours dans mon cœur, ajouta-t-elle avec une pointe desentimentalité qui me toucha profondément, malgré la banalité de laphrase. »

La dame voilée poussa encore unsoupir et je vis des larmes couler sous sa voilette.

J’étais bouleversé, bouleversé ! Je n’aijamais pu voir une belle femme pleurer, même quand cette femmen’était pas Amalia, sans me sentir ému jusqu’au fond de l’âme. Lavoix de cette femme était d’une grande douceur et d’un tontendrement désespéré quand elle parlait de son mari. Elle devaitl’aimer autant qu’il l’aimait, et tous les gestes avec lesquelselle exprimait sa douleur étaient d’une admirable grâce françaiseet dénotaient une origine pleine de charme en même temps que denoblesse.

« Le malheureux me croit morte,soupira-t-elle, ce qu’il doit souffrir !…

– Madame ! il ne vit que pour vousvenger !

– On m’a dit cela ! on m’a ditcela ! Monsieur Herbert ! monsieur Herbert !dites-moi tout, vous qui l’avez vu !… »

À ces mots, je sursautai etl’interrompis :

« Qui vous a dit, madame, que j’avais vuvotre mari ?

– Mais l’amiral lui-même, dans la nuit même oùvous êtes arrivé à Renich ! »

Ainsi, cette nuit-là, quand je regardais, duhaut de ma petite lucarne, les deux ombres de la damevoilée et de l’amiral qui avaient cette conversation si animéedans la maison de la folle, c’était de moi qu’ilss’entretenaient !

« Est-il vrai, me demanda-t-elle,haletante, qu’il soit devenu fou… et qu’il cherche à venger ma mortpar des actes d’une cruauté sans nom, lui que j’ai toujours connusi doux et si bon ! Lui, le meilleur et le plus tendre deshommes !…

– Il est devenu comme une bête pleine de rage,madame ! À ce point de vue, je ne pense pas que l’amiral aitpu vous dire quelque chose qui fût au-dessus de la vérité ! MG… se fait appeler maintenant le capitaine Hyx. Il a consacré safortune à venger votre mort et vos tortures par des mortsinnombrables et des supplices hideux… car, chose incroyable, lemonde entier et lui-même vous croient morte dans les tourments.Heureusement, le ciel a voulu que je vous rencontrasse sur monchemin pour vous crier : Dites simplement un mot : Jesuis vivante ! et le monde entier vous entendra !…et votre mari sera délivré de l’enfer moral dans lequel il vit, dela géhenne dans laquelle il s’est enfermé ! Car quel supplicepour le plus grand philanthrope de la terre de vivre uniquementpour la haine ?…

– Vous avez raison ! Ah !vous avez raison ! gémit la malheureuse. Mieux vaudrait lamort pour nous tous !… Ah ! pourquoi ne sommes-nous pasmorts ensemble ?

« Il n’y a de vrai que l’amour !c’est l’amour qui sauvera le monde !

– Je retiens la formule, dis-je,profondément remué par l’accent avec lequel elle venait de jetercette phrase au destin ; mais cette formule-là, votre mari nela comprendra jamais tant qu’il vous croira morte !… Pourquoine lui apprenez-vous pas que vous êtes vivante ?

– Parce que je ne puis pas le dire !Parce que je ne puis pas le dire !

– Alors, je n’ai plus d’espoir en rien !déclarai-je.

– Monsieur Herbert de Renich, fit-elle,renoncez pour le moment à comprendre et racontez-moi, tout au long,je vous en prie, tout au long, les heures que vous avez passéesauprès de lui ! Dites-moi tout ce qu’il vous a dit,tout !… Je veux tout savoir ! Peut-être n’est-il pas troptard, mon Dieu ! pour tout réparer !

– Il ne serait peut-être pas trop tard, encoreune fois, si vous vouliez dire un mot, un seul !

– Encore une fois, je ne peux pas ledire !

– Eh bien !écrivez-le !

– Je ne veux pasl’écrire !… »

À ces dernières paroles, je laissai retomberma tête, si désespéré que mon étrange visiteuse se rapprocha de moiavec un geste de pitié dont il me semble qu’elle ne fût point toutà fait maîtresse, car sa main n’eut pas plutôt touché la miennequ’elle se recula immédiatement et attendit dans une attitudepleine d’une excessive réserve que je voulusse bien commencer monrécit.

Heures douloureuses ! Heures terribles duVengeur, je ne pourrai donc jamais vous oublier ! Mefaudra-t-il toujours vous revivre pour de nouveaux étonnements, denouvelles malédictions et de nouvelles larmes ? Quand j’eusexprimé l’idée farouche qui animait tous ces cœurs sombresavec lesquels j’avais vécu, quand j’eus répété presquetextuellement les discours qui m’avaient été tenus dans la petitechapelle, quand j’eus évoqué la scène inoubliable pendant laquellele capitaine Hyx m’avait courbé sur son fameux registre et sur leLivre du Tabernacle, la dame voilée leva la tête vers leciel et pria.

C’était une âme pleine de charité, digne decelle qu’elle avait voulu sauver et qui ne pouvait rien comprendreà une horreur pareille ! L’esprit de miss Campbell l’habitait.Elle eût préféré être martyre que bourreau ; et d’apprendreque son mari était devenu ce bourreau-là – pour elle, pourelle ! – devait la jeter aux pieds divins de Jésus, dans unesupplication que je lisais dans ses yeux, à travers savoilette !

Incompréhensible, mystérieuse, inexplicable,désespérée dame voilée !… Quand elle redescendit surla terre et qu’elle reposa sur moi son regard égaré, cette trèsnoble et très généreuse et très douloureuse fille de la nobleFrance répétait encore :

« Pour moi ! Pourmoi !… »

Je voulus lui saisir les mains et la supplierà mon tour, comme tout à l’heure elle avait supplié son Dieu, maiselle se réfugia dans le coin le plus sombre de ma cellule :« Ne me touchez pas !… »

Que craignait-elle, ô Seigneur ! quepouvait-elle craindre de moi ? N’étais-je pas devant elle leplus humble et le plus triste et le plus suppliant deshommes ? Alors, pourquoi ce mouvement d’effroi ? pourquoice cri ?

Elle s’aperçut de ma stupéfaction et de mapeine profonde, car aussitôt elle se rapprocha de moi et medit :

« Pardonnez-moi !… tout me faitpeur !… le moindre geste autour de moim’épouvante !… Il faut m’excuser !… Si vous saviezpar où nous avons passé ! Si vous saviez ce que nous avonssouffert !… Alors, tout me surprend… un geste un peu brusquem’inquiète… c’est maladif… vous ne m’en voulez pas, monsieurHerbert de Renich ? »

Soudain, une idée terrible me traversa lacervelle. Mon Dieu ! cette femme ne voulait plus revoir sonmari qu’elle adorait parce qu’elle ne voulait pas lui apporter uncorps indigne de sa vertu première, sali par les crimes de laguerre !

Je balbutiai quelques mots qui lui permirentde saisir ma pensée, rien qu’à la façon dont je maudissais lesHuns, « qui ne respectent rien » ; mais elleprotesta en rougissant.

« Dieu et la Vierge m’ontpréservée », répondit-elle avec une grande simplicité.

Alors, ne sachant plus que lui dire etcomprenant de moins en moins, dans le dessein de l’apitoyer, voilàque je me mis à lui parler d’Amalia dans des termes à la fois siamoureux et si chastes, et à lui conter notre aventure vertueuse etcruelle avec une émotion si sincère que bientôt, nous mêlions noslarmes…

Quand j’eus finis de parler, j’attendis fortanxieusement de connaître l’effet produit et aussi ce qui allaitrésulter de notre mutuel émoi…

« Vous êtes un homme plein d’honneur,dit-elle… Ne pouvant rien vous dire de plus en ce qui me concerne,je vais porter à votre connaissance tout de suite une chose quivous touche de très près… Vous pourrez juger aussi combien je vousestime, et combien je vous plains, et combien aussi j’ai confianceen vous… Écoutez, monsieur Herbert, vous deviez apprendre cettechose prochainement ; je préfère que vous la connaissiez de mabouche, car vous avez en moi une amie véritable et reconnaissanteet qui communie avec vous dans la même religion de la pitié et dumalheur !… Un malheur vous a frappé que vous ne connaissezpas encore, mais que vous devez continuer d’ignorer après quej’aurai parlé… Vous n’en entretiendrez personne !… Vous nedemanderez aucune explication à personne ! Vous me lepromettez !… Songez que si vous faites quelque esclandre à lasuite de ma confidence, on se retournera contre moi et nous nepourrons plus jamais rien faire l’un pour l’autre !

– Madame ! madame !soupirai-je, le malheur que vous m’annoncez m’inquiète moins que neme donne d’espoir votre dernière parole ! Je pourrai doncfaire un jour quelque chose pour vous ?…

– Peut-être ! Peut-être !Oui, un jour, peut-être ! Et maintenant, écoutez, mon pauvreami… »

Tout de même mon cœur battait, battait…qu’est-ce que j’allais encore apprendre ?… Ah ! j’étais àcent lieues de m’attendre à ce nouveau coup du sort…

« Lorsque, me dit la damevoilée, vous m’eûtes interpellée d’une façon aussi inattenduedans le magasin de fourrures, je m’empressai de me rendre avec madame de compagnie auprès de l’amiral pour le mettre au courant del’incident, car, ne vous connaissant pas, je craignais surtoutqu’il y eût là un coup monté de sa part, dans le désir qu’il avaitsans doute de savoir comment j’agirais en une telle occurrence.

« Pendant l’audience qu’il m’accordaaussitôt à la halle aux blés, je pus constater qu’il ne s’attendaità rien de pareil et je vis bien que je lui apprenais du nouveau.D’autre part, j’apprenais à qui j’avais eu à faire et je fus aussieffrayée que lui (dans un autre sens, bien entendu) de la tournureque pouvaient prendre les événements. Je redoutai surtout quel’intérêt réel que vous pouviez me porter vous devînt fatal et nevous poussât à quelque démarche ou nouvelle manifestationinconsidérée.

« Je savais que votre maison touchait àla mienne ; c’est en hâte que je rentrai chez moi, espérantune nouvelle rencontre, une coïncidence !… Comprenez ce quevous étiez maintenant pour moi ! Vous veniez de vivre auxcôtés de mon mari ! Hélas ! je ne vous rencontraipas !…

« Et sur un ordre venu de la halle auxblés je dus rester chez moi. Quelle fin de journée ! Quellenuit ! Je ne dormais pas. J’avais laissé ma fenêtreentrouverte dans la maison de la folle, mes yeux ne quittaient pasles toits de votre demeure, où je croyais que vous reposiez !…Plusieurs fois, en passant devant votre home, j’avaisaperçu à une fenêtre le doux visage vénérable de votre mère !Je pensais à vous ! Je pensais à elle ! Je savais qu’elleavait beaucoup souffert de votre absence ! À des titres diversnous étions tous victimes plus ou moins de l’affreux vonTreischke…

« C’est vous dire que je nourrissais aufond de mon cœur la plus grande sympathie pour votre maman, qui neme connaissait pas !…

« Or, voilà que, vers trois heures dumatin, j’entendis des bruits bizarres qui venaient du fond dujardin, ou plutôt de votre maison, dont le mur bordait votre vergersauvage de ce côté… En même temps une lueur parut à la petitelucarne qui prend jour de ce côté Cette lueur s’éteignit presqueaussitôt, mais, comme la nuit était assez claire, je pus distinguerdeux formes humaines qui se glissaient par cette lucarne jusquevers le toit, avec les plus grandes difficultés, du reste. Etbientôt, je me rendis compte que ces formes humaines appartenaientà deux pauvres femmes qui se cachaient sur le toit, les piedsappuyés à la gouttière, les mains aux fers de la lucarne, et dansune situation des plus critiques assurément !

– Ma mère et Gertrude ! dis-je d’une voixsourde…

– Oui, monsieur, votre mère et sa servante.Ah ! les pauvres femmes !…

– Elles pouvaient se tuer ! Ellespouvaient se tuer ! Ah ! madame, jurez-moi qu’il ne leurest rien arrivé de terrible… Elles sont peut-être mortes !… Etvous me le cachez !…

– Non ! non !… Je vous jure quenon !… Dix minutes se passèrent sans qu’elles fissent unmouvement ! C’est sur le toit que l’on vint leschercher !… Ah ! l’affaire ne dura pas longtemps !…La vitre de la lucarne, qu’elles avaient rabaissée, fut à nouveausoulevée ; une ombre qui avait une lanterne au poing apparutet dit tout de suite, en allemand : « Elles sontlà ! » Et, s’adressant aux deux malheureuses, quidevaient avoir une peur telle qu’elles étaient assurément dansl’impossibilité de prononcer un mot, l’homme dit : « Vousn’êtes pas folles ? Vous auriez pu tomber et voustuer ! »

« Deux autres ombres sortirent de lalucarne et, s’emparant des femmes, qui, alors, se mirent à crier,les firent rentrer brutalement dans le grenier.

« Puis il n’y eut plus aucune lueur, puisil n’y eut plus aucun cri.

– Et vous, madame, et vous, vous n’avez pasappelé au secours ?

– Moi, je ne puis pas appeler au secours,hélas ! monsieur Herbert de Renich, ni pour moi ni pour lesautres ! Moi, il m’est défendu de pousser aucun cri !…Mais si j’avais pu sauver ces pauvres femmes, je vous assure bienque j’aurais tout fait pour cela… Je vais vous dire une chose pourque vous ne me croyiez pas un cœur tout à fait desséché, mon chermonsieur Herbert, ajouta-t-elle avec une tristessesingulière : lorsque j’ai vu les pauvres femmes sur le toit,j’ai pensé qu’une bonne longue échelle aurait pu les sauver… etcomme il y avait justement, dans le verger, allongée par terre,contre le mur, depuis la veille, une bonne longue échelleque j’avais remarquée comme on remarque toutes les nouveautés, etqui avait été apportée là je ne sais par qui et je ne savaispourquoi, je suis descendue dans la chambre de ma gouvernante, jel’ai réveillée, j’ai levé le rideau de sa fenêtre et lui ai montréles deux femmes sur le toit et je lui ai dit d’aller les sauveravec l’échelle !…

– Et alors ? Et alors ?

– Alors, elle n’a pas voulu ! Elle m’agrossièrement grondée parce que je m’occupais de choses qui ne meregardaient pas et elle a ajouté que si je n’allais pas me reposersur-le-champ elle raconterait tout, à la première occasion, à herrvon Treischke !

« Cette menace aurait pu m’effrayer, etcependant la première chose que je fis quand je vis von Treischke àla première occasion, c’est-à-dire ici, monsieur, fut de luidemander ce qu’il comptait faire de ces deux pauvres vieillesfemmes, car il ne faisait point de doute pour moi qu’aucun malheurautour de moi et aussi, peut-être, autour de vous, ne pouvaitsurvenir sans son ordre !

« Il ne fit aucune difficulté pourm’avouer qu’il s’était assuré de la personne de votre mère (ce sontses termes) et, par-dessus le marché, de celle de sa servante,dans le dessein d’avoir à son entière disposition la bonnevolonté quelquefois hésitante de M. Herbert deRenich ! Exactement ses termes.

– Le bandit ! Que veut-il donc encore demoi ?… Que va-t-il me demander ?… Je ne vais plus pouvoirrien lui refuser, maintenant, absolument rien !… Hélas !hélas ! madame, vous ne pourriez pas me donner une indication,si mince fût-elle, sur l’endroit vers lequel on a dirigé ma mère etsa vieille servante !…

– Aucune, hélas ! hélas !

– Oui, oui ! plus de doute, certes !C’était donc elle ! c’était donc elle qu’ils étaient venuschercher la nuit précédente ! Les misérables avaient comptétrouver ma mère seule dans sa chambre et ils étaient repartis aprèsavoir constaté que nous veillions tous trois, ma mère, Gertrude etmoi, tous trois enfermés, dans les bras les uns des autres !Et ils se sont enfuis parce qu’il y avait un homme, leslâches ! et aussi pour ne pas faire d’esclandre, parce quenous sommes des neutres, d’aimables neutres avec lesquels, autantque possible, il ne faut pas avoir d’histoires ! C’est aussipourquoi, quand ils viennent la nuit emporter comme otages devieilles femmes neutres qu’ils croient sans défense, ils mettentdes bâillons aux soldats de la kultur pour que l’on ne soupçonnepas la kultur d’un pareil forfait contre les neutres qui leur onttoujours été agréables ! Que cela soit une leçon pourcertains ! Je me comprends ! Mais tout cela se payera unjour ! Le capitaine Hyx n’est peut-être pas aussi loin qu’onle pense… »

Je disais tout cela à tort et à travers, dansun grand bouleversement douloureux de tout mon être, mais ensourdine, hélas ! en sourdine, étant dans la nécessité degarder au fond de moi le plus tumultueux de la colère !…

La dame voilée s’était levée, avaitrabaissé, tout doucement, tout tristement, d’un geste lent de sesdeux mains gainées de mitaines noires, sa voilette, ou plutôt sonmasque (le masque qui cachait Mrs G… aux vivants) et je songeaisaussi au masque de l’autre là-bas, Dieu savait où !… Deuxmasques qui couraient l’un après l’autre au fond des mers et qui serencontreraient peut-être un jour prochain, peut-être à une heureprochaine, pour quelque nouveau prodigieux drame que je sentaisarriver sans le comprendre ; hélas ! sans lecomprendre !

La dame voilée allait s’en alleraprès avoir entrouvert ma porte et jeté un coup d’œil sur lacoursive déserte. Je l’arrêtai encore une seconde dans le momentqu’elle allait me glisser dans les doigts.

« Madame ! il ne fallait pasréveiller cette méchante dame de compagnie ! Pourquoi,pourquoi, pendant qu’elle dormait, n’êtes-vous pas descendue dansle verger, vous ? Et pourquoi n’avez-vous pas, vous-même,apporté à ces pauvres femmes le secours de l’échelle ?

– Parce qu’il m’est défendu de toucher auxéchelles ! » me glissa-t-elle, dans un souffle, toutprès, tout près de mon oreille.

Elle s’en alla. J’étais tout à fait étonné dela voir partir si tranquillement (à peu près si tranquillement),alors qu’elle m’avait dit que sa démarche nous faisait courir untel risque… Je la suivis sans qu’elle s’en aperçût. À quelques pasde là, elle entrait dans la petite cabine où j’avais déjà pris deuxcocktails avec le herr commandant.

Ce ne pouvait être là le logement de ladame voilée. La porte s’était refermée.

Je me glissai encore jusque-là et j’appliquaimon oreille contre cette porte et j’entendis la voix du herr vonTreischke qui disait :

« Vous êtes restée bien longtemps partie,mais s’il est persuadé, maintenant, bien persuadé que vous nevoulez pas être reconnue, on pourra peut-être faire quelque chosede ce garçon-là !

– Je l’espère, répondit la voix de ladame voilée. »

Puis il y eut un gros soupir et elledit :

« Je crois qu’il était tout à faitinutile d’inquiéter ces deux pauvres femmes, il fera de sonmieux pour vous satisfaire !

– Possible ! mais quand ilsaura que j’ai la haute main sur le régime de la maman, je pourraile lâcher dans la rue sans crainte qu’il raconte à tous lespassants qu’il s’est rencontré nez à nez avec le fantôme de MrsG… l’épouse si ardemment pleurée du plus grand philanthrope dela terre ! »

Après cette épouvantable voix railleuse,j’entendis à nouveau l’autre douce voix suppliante :

« Monsieur, il fera ce que vousvoudrez ! Promettez-moi qu’il ne sera pas fait de mal à samère !… »

Ah ! oui ! tu peux me demander tout,tout ! et encore davantage, inexplicable, inquiétante,douloureuse dame voilée, tout !… ma vie pour toiaprès une phrase pareille !…

J’entendis des pas et je dus m’enfuir… Je merenfermai chez moi… Quelle nuit encore ! quelle nuit !…Tout ce que m’avait dit la dame voilée, tout ce qu’ellem’avait appris était pour moi un nouveau sujet d’épouvante, maistout ce qu’elle ne m’avait pas dit me rendait atrocement malade.Ah ! comprendre ! comprendre !…

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