La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 3LA DAME VOILÉE

Je retrouvai ma mère et Gertrude au bas del’échelle. Gertrude avait eu toutes les peines du monde à empêcherma mère de monter. Elles se disputèrent copieusement, mais avecprudence et à voix basse. Nous redescendîmes à la cuisine, oùj’espérais trouver nos deux bombardiers un peu dégrisés parl’aventure et capables de nous servir quelques renseignements.

Lors, ils étaient devant de nouveaux potsqu’ils étaient allés remplir au cellier, et tout ce que je pus entirer ne fut que sot bavardage.

Tout ceci me parut de plus en plus louche. Mamère me faisait des signes. Je la suivis dans sa chambre et nous yrestâmes jusqu’au jour enfermés avec Gertrude et derrière lesverrous bien tirés. Ma mère disait :

« Je suis persuadée qu’ils en savent pluslong qu’ils ne veulent dire et qu’ils pourraient très bien nousrenseigner sur les brigands qui se sont introduits, cette nuit,dans notre demeure !… Qu’a voulu tenter le von Treischke cettenuit ?… Sans doute quelque nouveau crime ?… »

Alors, je l’interrompis :

« Le von Treischke, lui non plus, nes’est pas couché ; je viens de le voir, il n’y a pas dixminutes, pénétrer en se dissimulant dans la maison de lafolle !…

– Chez la dame voilée !…s’écrièrent aussitôt ma mère et Gertrude, d’une même voix. En es-tusûr ? Personne n’entre jamais chez la dame voilée quesa servante !…

– D’abord, fis-je, j’ai vu cette dame, quin’était pas voilée du tout.

– Tu es le seul ! Tu es le seul à Renichà l’avoir vue sans son voile !

– Moi et l’amiral von Treischke,alors ! »

Et je racontai toute la scène à laquellej’avais assisté du haut de ma lucarne. Quand j’eus terminé monrécit, nous restâmes un instant silencieux.

« Il y a combien de temps, fis-je, que ladame voilée habite la demeure de la folle ?

– Six mois environ, me répondit ma mère. Unjour nous fûmes bien étonnés de voir s’arrêter une voiture devantla porte de cette maison qui était restée déserte depuis tantd’années. Deux femmes en descendirent, la servante et une femmevoilée. Elles pénétrèrent dans le jardin et la voiture s’enretourna. Ce n’était pas une voiture de Renich et nous n’avonsjamais revu cet équipage. Quant à la dame, elle sort quelquefois,mais toujours avec sa servante, et toujours voilée.

– Elle n’est donc pas prisonnière ?demandai-je.

– Mais non, puisqu’elle se promène à son gréet parle à qui elle veut !

– À qui parle-t-elle ?

– Mais elle entre dans les boutiques et parleà ses fournisseurs ! Elle ne connaît personne ici et personnene la connaît.

– Tout de même, elle donne bien un nom à sesfournisseurs ?

– Nullement ! c’est le nom de la servantequi est donné et tout est adressé à la servante… Oh ! ladame voilée a intrigué et intrigue encore tout le monde àRenich.

– Qu’est-ce qu’on en dit ?

– Mon Dieu ! comme elle est toujoursnoire et toujours voilée, on dit que c’est une pauvre dame endeuil, sans doute depuis la guerre, et qui a tenu à pleurer en paixson mari ou son enfant. La guerre a déchaîné tant de misèresmorales aussi bien que physiques que cette explication a fini parparaître naturelle à tout le monde…

– Quelle langue parle-t-elle ?

– L’allemand… oh ! le pur allemand… c’estune Allemande certainement.

– Vous l’avez entendue, vous, maman ?

– Non ! non !… Moi, je sors encoremoins qu’elle, mais des personnes de la ville l’ont entendue etnous avons eu l’occasion de nous en entretenir ici même, car,pendant un temps, on ne parlait que de la dame voilée àRenich.

– Et l’amiral vient souvent àRenich ?

– Deux ou trois fois par mois. Mais tu en saisla raison ; il te l’a dite à toi-même et nous n’avons guère àen douter ! C’était pour nous, hélas ! qu’il venait, pourtoi ! pour nous torturer à cause de toi !… Mais jamaisnul n’a pensé qu’il pourrait s’intéresser en quoi que ce fût à ladame voilée. Nous ne l’avons jamais vu entrer dans lamaison de la folle. Bien mieux, un jour, il n’y a pas longtemps decela, l’amiral et la dame voilée se sont croisés devantnos fenêtres. Ils ne se sont même pas regardés. Nous étionspersuadés qu’ils ne se connaissaient pas.

– L’amiral ne venait pas à Renich avant monaventure de Madère ?

– Oh ! si !… On l’a aperçu de tempsen temps !…

– Ah ! vous voyez bien, il venait déjà àRenich avant, et ce n’était pas à cause de moi !… C’était pourvoir la dame voilée !…

– Tu me le dis, c’est possible !Mais avant, nous n’attachions pas grand intérêt au passage del’amiral à Renich. Par sa femme, il y possède, dans les environs,quelques propriétés ; il n’y avait donc rien d’extraordinaireà ce qu’il s’arrêtât ici quelques heures entre deux voyages…

– C’est ce que je vais vous dire, maman :moi, je crois que je la connais, la dame voilée !

– Ah ! tu vas nous dire qui elleest !

– Mais je n’en sais rien ! Je memartyrise l’esprit pour essayer de me rappeler qui elle peut bienêtre ! Je l’ai vue certainement quelque part !… Et j’ail’intuition qu’il n’y a pas bien longtemps de cela !…

– Avant la guerre ?…

– Non ! non !… depuis laguerre !… Et même tout récemment !… Il y a quelquessemaines à peine…

– À Madère, alors ?

– Oui, à Madère, sans doute… Enfin, c’est uneidée que j’ai et dont je ne puis me débarrasser.

– Écoute, mon fils, me dit ma vénérable mère,laisse de côté cette idée-là et ne complique pas ta vieavec cette histoire, qui ne nous regarde en rien, de la damevoilée. Nous avons assez à faire sans cela !… »

Parole de sagesse dont je ne tins, du reste,aucun compte, comme vous allez le voir dans le chapitresuivant.

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