La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 27COMMENT SE TERMINA LA BATAILLE INVISIBLE

Il nous fit monter, Potaje et moi, dans uneauto, comme de juste, et nous reprîmes la fameuse route de laplage. Je commençais à la connaître. Je trouvai cependant un sujetde consolation, cette fois, dans le fait que Potaje la suivait avecmoi.

« Tu tiens donc à assister à ma mort, monbrave Potaje ! lui demandai-je, les larmes aux yeux, car jesentais que le demi-garçon, en bas, sur sa planchette que l’onavait jeté entre deux sièges, me couvrait les pieds de baisers.

– Señor !… Señor !… laissez-moifaire et dire, et pour peu que saint Jacques de Compostelle nousprotège, je ne donnerais pas seulement une piécette pour notreDe profundis ! »

Cette fois, la chaloupe qui nous attendait àla plage de Coryta ne nous conduisait pas à bord duVengeur. Nous n’avions pas plus tôt quitté la grève qu’onhissait au bout d’un mât les trois lanternes jaunes que j’avaisvues déjà à la Spuma (la barque du barcilleur), et j’enconclus que nous allions mettre le cap droit à l’ouest et pénétrerdans les eaux des îles Ciès, ce qui, en effet, arriva.

Pour des gens avertis comme nous l’étions,Potaje et moi, il était impossible de ne point remarquer certaineschoses qui nous rappelaient la bataille de dessous.

Là-bas, du côté du château et de l’anse de laGoya, les indices du combat étaient rares. Mais ici, nous leurpassions dessus carrément. Et, en dépit de l’obscurité, etpeut-être aussi à cause de l’obscurité, nous revoyions certaineslueurs peu naturelles, en nous penchant sur l’abîme noir des eaux,et je crois vous avoir déjà expliqué que ces lueurs n’étaientnullement le résultat de la phosphorescence.

Quant aux pontons noirs que nous ne voyionspas, à plusieurs reprises, nous pûmes entendre, non loin de nous,leurs soupirs…

Oui, oui ! cette nuit-là encore, desbêtes féroces se battaient sous la mer, autour des galions de Vigo,enfouis par trente et quarante mètres de fond ! Et nous fûmestout à fait sûrs de cela en approchant du cap Vicor, à l’extrémitésud de l’île de Saint-Martin.

Cette île-là je ne la connaissais point, carl’île que j’avais abordée autrefois était la centrale, où s’ouvraitl’anse de la Spumaau fond de laquelle j’avais vu débarquertant de blessés !

Dans cette île de Saint-Martin, il ne me parutpoint qu’il y eût une installation quelconque de laCroix-Noire et je n’y vis que des hommes valides, maiscombien nombreux ! qui se préparaient à aller prendre part aucombat ; et j’y vis bien d’autres choses aussi, capables, dupremier coup, de faire jeter des cris d’épouvante au plusbrave.

Nous avions doublé le cap Vicor et étionsentrés dans la baie qui se creuse au sud de l’île, entre le capVicor et la pointe Conerilo. Cette baie ne regarde pas la rade deVigo, mais la pleine mer du côté du sud, et, tout à coup, noussortîmes de l’obscurité pour entrer dans la pleine clarté et leplein mouvement d’un petit port caché dans un retour de rocs et defalaises.

Là, comme à la baie de Barra, desscaphandriers par troupes, des trains d’artillerie, des wagonnetschargés de statues de guerre immobiles descendaient silencieusementjusqu’à la mer, et s’engouffraient dans la mer, et disparaissaientdans la mer.

Potaje en tressaillait d’allégresse sur sapetite planchette et faillit plusieurs fois tomber à l’eau, en sepenchant trop imprudemment au-dessus du bordage.

Enfin, nous accostâmes. Je ne savais ce qu’onallait faire de moi, mais j’étais tellement abruti par la rapiditédes événements et la succession inattendue de mes nouveaux malheursde toutes mes entreprises que, sans aucune force de réaction, je melaissais aller moralement et physiquement à toutes les fantaisiesde mon méchant destin.

Cependant, Potaje, lui, n’avait jamais étéaussi vif, ni aussi frétillant, ni aussi sursautant.

L’Irlandais nous fit débarquer lui-même etnous conduisit à de vastes bâtiments qui se dressaient au bord del’eau, au fond de l’anse en question.

Nous pénétrâmes, par une petite porte, dansune immense cour assez vivement éclairée… Mais aussitôt je poussaiun cri d’horreur et Potaje fit un véritable looping theloop sur sa petite planchette : nous avions en face denous trois monstres antédiluviens, rampants et remuants, grinçants,grimaçants, agitant cent bras tranchants, harpons et griffes quidevaient réduire en sanglante bouillie toute chair qu’ilsrencontraient !

Dans un coin de la cour, je reconnus au centred’un groupe d’hommes qui considéraient paisiblement ces monstres,l’ingénieur Mabell, lequel jeta, quand nous passâmes, au lieutenantSmith :

« Vous direz au capitaine que lestanks sont parés ! »

Songez que, jusqu’à cette minute, je n’avaisjamais entendu parler de tanks et que, du reste, aucunn’était encore apparu sur aucun champ de bataille.

Vous voyez l’effet produit sur Potaje et surmoi.

Après sa pirouette, Potaje, tout tremblant,était venu se réfugier dans mes jambes et m’avait saisi lamain.

Et je me rappelais ces mots de MédéricEristal : « Le capitaine Hyx est un homme étonnant !étonnant ! Il leur prépare une petite surprise desa façon ! »

De fait, les tanks décidèrent d’unemanière définitive du sort de la Bataille invisible et anéantirentjusque dans ses fondations et tranchées l’entreprise boche au fondde la baie de Vigo !

C’est grâce à ces damned things quefut remportée l’une des plus importantes victoires de la Guerre dumonde : la victoire de la cote six mètresquatre-vingt-cinq !…

Nous étions arrivés à l’extrémité de la couret j’étais haletant, car les tanks avaient eu certains mouvementsqui me semblaient dirigés spécialement contre moi.

Nous pénétrâmes dans une maisonnette trèssimple, en bois, comme on en voit sur les chantiers desentrepreneurs de travaux publics, et tout de suite on nous enfermadans un petit espace très noir. Quand je dis qu’on nous enferma, ilserait plus juste de dire : on m’enferma, car c’est en vainque, la porte refermée, je cherchai Potaje autour demoi !…

Il avait disparu…

Certainement l’Irlandais s’était imaginél’avoir enfermé avec moi et de là, en toute tranquillité, avaitrejoint dans la pièce adjacente les officiers qui se pressaientautour d’une table devant laquelle était assise, dans un énormefauteuil, l’une des plus étranges figures de guerre qu’il m’eût étéjamais donné d’apercevoir !

Ainsi voyais-je tout cela par le truchement dedeux planches mal jointes et laissant passer quelques rais delumière. Ces bâtisses, hâtivement construites de frustes madrierset planches mal équarries ne sont jamais bien closes, et, comme dejuste, j’en profitai.

L’étonnant guerrier n’était autre que lecapitaine Hyx lui-même, qui avait déjà revêtu (moins le casque)l’armure formidable du Prince Noir, que je lui avais vue au fonddes eaux.

Il avait devant lui une carte de la baie deVigo, et sa tête, hors de l’armure, se penchait sur sa carte, dedroite ou de gauche, suivant les indications qu’il donnait de vivevoix relativement à la bataille autour de la cote six mètresquatre-vingt-cinq.

Ses ordres n’étaient nullement discutés, carce n’étaient point des conseils qu’il demandait. Il déclarait surun ton simple qu’avec l’aide des tanks il ne resteraitplus de Boches, cette nuit-là, dans la baie de Vigo, et quel’entreprise des Douze Apôtres en serait pour longtempsdébarrassée : juste le temps qu’il fallait pour la mener àbien !

Tout à coup, une voix s’éleva comme de dessousterre, une petite voix aiguë et glapissante que je connaissais bienet qui dit :

« Pardon, capitaine, permettez un petitmot, s’il vous plaît ! »

Je ne m’attarderai pas à décrire l’effetproduit par l’intervention de Potaje, effet d’autant plusconsidérable que le cul-de-jatte d’un bond fut sur la table, àhauteur de la noble et menaçante tête qui sortait de l’armure duPrince Noir !

« Quel est ce myrmidon ? demanda lecapitaine Hyx.

– Tel qu’il est, répliqua Potaje du tac autac, il se fait fort de vous mettre en possession de tout l’or queles Boches ont déjà pu soustraire aux Douze Apôtres !… Mais jene parlerai que lorsque nous serons seuls, si toutefois vous n’avezpas peur de rester seul avec moi, capitaine ! » ajoutaPotaje.

À ces mots tout le monde se mit à rire, et surun signe de tête du capitaine Hyx tout le monde disparut.

Alors, Potaje, s’approchant du capitaine, luidit :

« Cet or se trouve dans les caves duchâteau de la Goya !

– Eh ! pardon ! je le sais diantrebien ! exprima le capitaine, mais il ne m’est point permisd’attaquer ce château ni sur terre ni sur mer ! Et je ne doisfaire aucun esclandre. Vous qui êtes si bien renseigné,demi-garçon, ne le savez-vous pas ?…

– Ce qui ne vous a pas empêché, capitaine, deprendre le von Treischke en pleine ville de Vigo ! ricana lepetit demi-démon…

– Sans esclandre ! sans esclandre !gronda soudainement le capitaine et prends garde !… tu en saisvraiment trop long pour que je te laisse courir bien loin sur taplanchette !

– Ma planchette ne demande qu’à vous suivre,capitaine ! ou plutôt laissez-vous guider par elle… et vous nevous en trouverez pas mal !… c’est Potaje qui vous ledit ! M’est avis que si vous ne pouvez attaquer le châteaupar-dessus, vous avez le droit parfait de le surprendrepar-dessous !… Ah ! ah ! vous daignezm’écouter, Votre Seigneurie !… Laissez-moi encore vous direque je connais comme le fond de ma bourse le chemin qui, sousla mer, vous permettrait de pénétrer dans ses caves pleinesd’or et qui, pour l’heure, doivent contenir autre choseaussi ! »

Là-dessus il se souleva légèrement sur saplanchette et parla à l’oreille du capitaine.

Je voyais le mouvement de ses lèvres et je nedoutais point qu’il n’entretînt le Prince Noir de la dame voilée etqu’il lui rapportât toutes les confidences que je lui avaisfaites.

En même temps, je me rappelai le soupirail etle petit escalier marin par lesquels nous avions pu nous échapperdes eaux de la Goya… et je renaissais une fois de plus à l’espoir.Est-ce que le Potaje allait convaincre le capitaine ?…

En tout cas, l’entreprise par le dessous de lamer devait bien le tenter.

Pour pénétrer jusque-là il fallait êtrevainqueur de l’armée boche sous-marine sur toute la ligne. Mais,avec ses tanks, n’allait-il pas l’être ?

Tant est que je l’entendis rappeler tout sonmonde ; on lui vissa sur la tête son casque de généralscaphandrier ; quelqu’un le poussa dans son fauteuil àroulettes jusque dans la cour et tout le monde suivait… Et quisuivait-on ? Ma foi, Potaje lui-même, qui semblait donner lebranle à tout ce cortège.

Dans la cour, un des tankss’entrouvrit pour engloutir le capitaine et Potaje, et d’autreschefs entrèrent dans les deux autres tanks ; et les troisbêtes antédiluviennes rampèrent aussitôt monstrueusement sur lagrève, par les larges portes ouvertes qui me laissaient apercevoirce pan de mer éclairé, au ras des flots, par des feux électriques…Quelle vision ! quelle vision !…

C’est sur cette vision-là qu’enfermé dans cepetit réduit comme dans un coffre je finis par m’assoupircontinuant dans mon rêve l’affreux cauchemar de ma vie…

Certes, je puis dire que j’assistais, sans m’ytrouver autrement que par ma pensée en délire, à cette phaseformidable et finale de la bataille des tanks, au fond dela baie de Vigo !…

J’assistais à l’épouvante, à la fuite, aumassacre des troupes sous-marines de von Treischke, lesquellesvenaient en outre d’apprendre qu’elles étaient privées de leurchef, tombé aux mains de l’ennemi.

Oui, je vis ce désordre et cette horreur derêve. Mais Potaje m’a raconté depuis ce qui s’était réellementpassé ; et il paraît que mon rêve avait été bien au-dessous,bien au-dessous de la réalité ! Ce que je puis croireassurément, après ce que l’on nous a officiellement fait savoir del’intervention des tanks dans la bataille du nord du monde, sur lefront occidental !…

Ah ! les damnedthings !…

Quand je les revis, moi, j’étaisréveillé ; l’Irlandais était venu me chercher dans mon trouet, dans la cour, j’étais entouré par une foule àdemi-scaphandrière, je veux dire de soldats qui ne s’étaient pasencore entièrement libérés des uniformes du combattant des eaux etqui poussaient des hurlements de victoire !

Quant aux damned things, ellessortaient plus monstrueuses que jamais, ruisselantes d’eau et desang, du sein des ondes qu’elles rougissaient sur leur passage… et,titubantes, rampantes, s’arrêtaient enfin devant nous !

La première personne que je vis sauter lapremière de ces diaboliques chars fut mon Potaje, et avec quelleallégresse et quel bruit de roulettes !

La seconde qui descendit fut le capitaine Hyx,qui s’était déjà débarrassé de son scaphandre dans la salle étanchequi se trouvait à bord du tank.

La troisième fut la damevoilée !

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