La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 28L’ATLANTIDE

Et maintenant, nous voici tous à bord duVengeur ! Oui, la fatalité a fini par nous réunirtous dans ses flancs redoutables !… Que va-t-il advenir denous ?… Que va-t-on faire de nous… et d’eux ?… de ceux-làqui ont été promis à la vengeance des Anges des Eaux et que l’on nevoit plus jamais maintenant, sous aucun prétexte (sous aucun)glisser dans les coursives ou se grouper dans la grande salle pourquelque spectacle nouveau ou quelque redoutablecérémonie !

Non ! non ! on ne les voitplus ! On ne les entend plus !…

Ils sont enfermés dans leur prison, tout aufond du Vengeur,là-bas ! et nul n’a le désir d’allerlà-bas, d’approcher de là-bas ! Une vingtaine d’hommes armésjusqu’aux dents et qui ont conservé, en dépit de tous lesévénements et de toutes les attentes, l’amour du capitaine Hyx etle sentiment de la discipline, ne bougent point de la porte quiconduit chez les prisonniers promis au supplice, et cela moins pourles surveiller que pour les garder contre l’entreprise farouche desautres Anges des Eaux qui rôdent autour des morceaux de chairhumaine promise et qui guettent leur proie ! Et qui neveulent pas laisser échapper leur proie !

Car ils n’ont plus confiance enpersonne !… en personne !… Et il y a des grondementsterribles au fond des postes d’équipage contre le maître !… Etplus d’une fois le maître a croisé des ombres qui avaient desgestes de menace !… Qu’attend-il ? qu’attend-il pourdonner le signal ?… Voilà huit jours que le von Treischkeest à bord et la besogne de représailles n’a pas encorecommencé !…

Les Anges des Eaux ne sont pas sans savoir quele capitaine Hyx a retrouvé sa femme !… Mais eux, est-cequ’ils ont retrouvé la leur ?… est-ce que l’arrivée à bord duVengeur de cette dame voilée de noir a ressuscité lespères, les mères, les sœurs, les fiancées, les petits enfantsmartyrisés par les Boches !…

Allons ! Allons ! on leur a promisdes martyrs !… Ils réclament leurs martyrs !…

Oh ! ces derniers jours passés sur LeVengeur !…

Maintenant que je touche à la fin de cetteformidable aventure (du moins je l’espère de toutes les forces demon âme et je vous le demande, ô mon Dieu !) maintenant que jepuis mesurer tout le chemin accompli depuis la nuit de Noël àFunchal, et compter tous mes maux, toutes mes plaies, tous messoupirs, je compare et je dis : rien, rien n’a été plusépouvantable que ces derniers jours-là… mais j’ajouteaussitôt : rien n’a été aussi beau que la dernière heure deces jours maudits !…

Et pour avoir vu cette heure-là j’oublie, jeveux oublier bien des choses, ô mon Dieu.

Je n’avais pas revu Amalia, et je n’avais mêmepas tenté de l’approcher.

On m’avait fait savoir que depuis que lafamille était réunie, le père, la mère et les enfants ne sequittaient plus !

Ainsi, le capitaine Hyx, qui était rentré enpossession de sa femme, avait-il rendu la sienne au Tigre desFlandres !

Mais ceci importait peu à l’équipage, n’est-cepas ?…

Et je me promenais, ou plutôt j’errais, moiaussi, comme un fou, dans ce vaisseau plein de fantômes et defous !… Et il y avait certaines heures où je glissais dans lescoursives autour de l’appartement de la famille von Treischke,certaines heures où je m’arrachais les chairs avec les ongles et oùje prenais une âpre joie à me supplicier, sans que j’eusse besoindes bourreaux officiels du Vengeur, au fond des petitesbaignoires grillées !…

Chaque jour, chaque nuit qui s’écoulaitajoutait à notre affreuse angoisse, à l’oppression qui pesait surnos cœurs… (car j’avais rencontré le docteur et le midship, quim’avaient déclaré, eux aussi, ne rien comprendre à ce qui sepassait ou plutôt à ce qui ne se passait pas, et ils avaient ajoutétrès vite qu’ils redoutaient le pire, car on ne pouvait plusadresser la parole au capitaine Hyx : le capitaine nerépondait plus à personne !…)

Cependant, il y avait eu, tous ces jours-ci,un grand remue-ménage dans les bas-fonds du vaisseau et cesbas-fonds avaient été cadenassés et nul n’avait su ce quesignifiait tout ce mouvement et tout ce bruit ; et nous avionsfait ainsi deux rapides voyages, toujours entre deux eaux, et nuln’eût pu dire où nous nous trouvions alors, et nous avions faitescale, nous ne savions où, au fond de la mer…

Où étions-nous ? Où étions-nousmaintenant ?… Une question à laquelle nul ne pouvait répondre…Le capitaine Hyx, toujours muet, opéraitla manœuvrelui-même !

Enfin, certain matin qu’échoué sur un divan dela grand-salle de marbre je m’étais appesanti comme une brute surje ne sais plus quel ouvrage ramassé dans la bibliothèque, je fusfrappé à l’épaule et je me retournai : j’avais devant moi lecapitaine Hyx !

J’ai déjà dit qu’il ne portait plus sonmasque, mais, en vérité, du temps qu’il portait le masque, il nem’avait jamais paru plus sombre ni plus mystérieux.

« Monsieur Herbert de Renich, me dit-il,je ne vous ai pas encore exprimé toute ma reconnaissance : jesais tout ce que vous avez fait pour ma femme. Vous êtes un bravehomme et un honnête homme ! Le seul peut-être que jeconnaisse ! Et, en tout cas, le seul en qui je veux avoirconfiance !… »

Là-dessus, il appela l’Irlandais, qui setrouvait dans la galerie supérieure, et lui recommanda de veiller àce que nul ne vînt nous déranger ni ne pénétrât dans lagrand-salle.

Puis il appuya d’une certaine façon sur uncoin de la paroi, comme je le lui avais vu faire déjà plusieursfois, et aussitôt la fameuse tapisserie de Ruyter s’écarta et lesvolets de fer du Vengeur glissèrent, laissant à nul’épaisse glace grâce à laquelle nous avions assisté déjà à tant despectacles sous-marins instructifs ou terribles !…

Les phares, de toute leur puissance,éclairaient alors le fond de la mer, et voici ce que je vis au fondde la mer : une ville !… Une ville avec ses temples, sesrues, ses places, ses parvis, sa citadelle !…

J’avais poussé une sourde exclamation etmaintenant je joignais les mains :

« Est-il possible ! Est-ilpossible ! m’écriai-je. Quelle est cette ville ?…

– Je n’en sais rien ! me répondit lecapitaine… je me suis promené dans ces ruines millénaires… dix foismillénaires, mais je ne sais pas le nom de cette ville !…Certes ! on la connaîtra un jour… un jour que quelque nouveauChampollion viendra déchiffrer les caractères bizarres et quin’appartiennent à aucune écriture connue, mais qui se lisent encoreau fronton de ses monuments !… En tous les cas, une ville dehaute civilisation !… une ville qui devait appartenir à cettemystérieuse Atlantide, à ce continent qui continuait l’Afrique àl’ouest s’il faut en croire certains auteurs anciens et qui a étésoudain recouvert par les eaux de l’Océan ! Et encore, je nepense point que cette dépression de la terre et cet envahissementdes eaux aient été si rapides qu’on l’a prétendu !

« Le cataclysme, continua le capitaineHyx en appuyant son front brûlant à la vitre, le cataclysme avaitdû être prévu, car je n’ai point rencontré là les traces de la mortsubite d’une ville comme à Pompéi et à Herculanum… Les citoyensavaient fui emportant leurs richesses… car je n’y ai point trouvéde richesses non plus !…

« Il n’y a de trésors dans cette villeque ceux que le capitaine Hyx y apporte !… »

Et alors, moi, Herbert de Renich, je viss’avancer dans la rue principale qui profilait son prodigieuxcouloir devant nous… je vis s’avancer des équipes de scaphandriersqui traînaient de grands coffres hermétiquement clos, et quand ilsavaient poussé ces coffres dans les caves d’un vaste bâtiment quidressait son péristyle au-dessus des temples environnants, ilsrevenaient au Vengeur pour revenir au temple avec d’autrescoffres !…

« Les milliards des galions deVigo ! me dit le capitaine. Herbert de Renich, regardez passerles milliards des galions de Vigo !…

« Ces hommes qui furent mes soldats de laGrande Bataille invisible, ne savent point, ces hommes ne saurontjamais où se trouvent les milliards des galions de Vigo !… Ilsont leur part ! Je ne leur dois plus rien ! et ils ne medoivent plus rien que de ranger mes trésors !… Mais le pointsur la carte du monde où gisent ces trésors, l’endroit perdu aufond des mers où se dresse la ville de l’antique Atlantide qui megarde mes trésors, ils l’ignoreront toujours !… Moi seul saisoù nous sommes exactement, par quel degré de latitude et delongitude ! Regardez sur cette carte, monsieur Herbert deRenich ! Nous sommes là… exactement là… Et vous voyez, d’aprèsla carte même, que les fonds ne sont points tels qu’il soitimpossible aux appareils courants d’y atteindre. Je les ai choisistels exprès, car, enfin, on ne sait ce qui peut arriver !fit-il en secouant singulièrement la tête… Et maintenant,continua-t-il, il y a deux hommes au monde qui savent où sont cesmilliards d’or : vous et moi !… »

Sur quoi, il laissa retomber sa tête sur sapoitrine… Puis, après quelques instants d’un silence que je netroublai point, il dit encore avec force :

« Qu’en ferai-je ?… Que dois-je enfaire ? Le donner le plus tôt possible à la cause de lacivilisation ?… Je le ferai, certes ! sitôt que jele pourrai avec sécurité !… En ce moment, il n’y faut passonger !… Je suis poursuivi sur les eaux, car on sait dequelle prodigieuse denrée j’ai rempli, à plusieurs reprises, lesflancs du Vengeur.

« Les mers du Nord me sont momentanémentinterdites si je ne veux faire courir à cet or, à cette rançon dumonde, aucun risque… J’ai donc résolu que cet or reposerait là,momentanément… Mais si, par hasard, je ne pouvais revenir l’ychercher, vous savez maintenant où il se trouve, monsieur Herbertde Renich !… »

Je serrai la main du capitaine Hyx en silence.Je ne pouvais parler, tant j’étais accablé par cette effroyableresponsabilité.

Les volets de fer s’étaient refermés, latapisserie de Ruyter avait glissé sur la vision de l’Atlantide… Uneffroyable soupir s’échappa de la poitrine du capitaine.

« Mon Dieu ! vous souffrezcapitaine… Vous étouffez !… Ces luttes extraordinaires, cessoucis fabuleux… cet or, gage de la victoire…

– Hélas ! hélas ! gémit-il, en selaissant tomber sur le divan, tout ceci que vous dites nem’arracherait ni un soupir, ni une larme, sachez-le !…

– Oui, je sais, capitaine ! Je sais quelconflit vous divise en ce moment, vous et les Anges des Eaux !Mais ceci, hélas ! n’était-il pas à prévoir ?…Qu’importe ! Prenez courage, capitaine, oubliez les mauvaisesheures du passé et les raisonnements du démon, et je ne doutecertes point que vous ne fassiez triompher l’humanité !

– Quel charabia, est-ce là ? gronda-t-ilen se relevant. Il ne s’agit point de tout ceci, mais uniquement dema femme, dont la conduite avec moi est réellementinexplicable !… Et si je vous en parle, monsieur Herbert deRenich, c’est ni plus ni moins dans l’espoir que vous m’aiderezpeut-être à l’expliquer !…

– Qu’arrive-t-il donc ? demandai-je surle ton du plus amical intérêt et en même temps avec une grandecuriosité.

– Il arrive que je ne la reconnais plus dansses façons d’être avec moi… Tout prétexte lui est bon pourm’éloigner d’elle, moi qui ne vivais que pour elle, elle qui nevivait que pour moi !… Non ! non ! je ne lareconnais plus… Certes ! qu’après les terribles aventures deces derniers jours il y ait eu chez elle une détente nerveuse quil’ait abattue au point qu’elle ait besoin des soins les plusassidus et d’un repos parfait… je comprends ! jecomprends !… Mais que voulez-vous ?… il y a en elleun embarras quand je m’approche d’elle que je ne comprendspas !… Et jamais nous ne sommes seuls… Elle ne veutpas que la camériste la quitte, ni jour ni nuit !… Et je sensque ma présence la gêne… Mieux que cela, ou plutôt pire !… jesuis sûr qu’elle redoute ma présence… Pourquoi ?…pourquoi ?… Pourriez-vous me le dire ?… Auriez-vous uneidée ?… Je l’ai interrogée le plus humblement, le plustendrement du monde… Elle n’a pu me répondre qu’une chose, c’estqu’elle était d’une faiblesse extrême et qu’elle ne pourraitreprendre de forces que lorsque j’aurais débarqué mes prisonniersen Angleterre et que je les aurais tous remis aux autoritésanglaises.

– Eh bien, m’écriai-je, mais c’est parfaitcela ! Et ne doutez point qu’en effet Mrs G… ne soit malade dece que cette chose si simple n’ait pas été déjà faite depuislongtemps. Je lui ai dit, je ne vous le cache pas, les dangers quecouraient les prisonniers à votre bord, capitaine ! Etconnaissant son âme comme vous la connaissez, comment pouvez-vousdouter qu’elle ne meure point de cela ?… »

Le capitaine Hyx me regarda longuement sans merépondre, puis il fit un mouvement vers la porte en mejetant :

« Non !… il y a autre chose !…quelque chose de plus terrible que cela !… et ilfaudra bien que je sache quoi !… »

À ce moment, on vint lui apporter untélégramme reçu par le service de télégraphie sans fil dubord :

« Parfait ! fit-il, en reprenanttout à fait cet air sombre que je lui avais connu jadis et quim’avait souvent mis dans de telles transes… Parfait ! uncombat naval ! Mon service d’espionnage en Allemagne me faitconnaître que la flotte boche se prépare à une sortie dans la merdu Nord !… Je fais avertir aussitôt l’amirauté anglaise… etnous accourrons au combat nous-mêmes… Espérons que nous arriveronsencore à temps pour être utiles à nos amis !… et puisse cecombat mortel nous être utile à nous-mêmes s’il n’est plus d’amourau monde l… »

Sur cette dernière parole farouche, ildisparut et je m’apprêtais moi-même à quitter la grand-salle quandil me sembla entendre quelque chose remuer derrière moi et uneombre se glisser derrière les meubles et je courus à cetteombre.

Je ne la retrouvai point.

Entre nous, j’avais bien cru reconnaître leneveu de l’amiral von Treischke… Il se trouvait donc à bord ?Sans doute avait-il été fait prisonnier lors de l’attaque de laGoya…

Mais comment errait-il ainsi à l’aventure,dans Le Vengeur, au lieu d’être enfermé avec lesautres ?…

Au fond, tout était possible, dans l’étatd’anarchie où toutes choses et toutes gens se trouvaient en cemoment à notre bord.

Le plus terrible était qu’il avaitpeut-être entendu ma conversation avec le capitaine, et qu’en cecas il n’ignorait point de quel secret formidable était dépositairele petit Herbert de Renich !

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