La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 11LE CHALUTIER

J’étais épuisé et je m’évanouis.

Dès que je rouvris les yeux, je déclarai queje me sentais si bien que je voulais immédiatement aider ausauvetage. L’homme qui était penché au-dessus de moi et qui devaitêtre quelque « toubib » me déclara qu’il n’y avait plusrien à tenter de ce côté et qu’on faisait déjà route vers la côtepour mettre à l’abri dans quelque port les survivants de lacatastrophe.

Je réclamai le capitaine.

On me répondit qu’il était trop occupé en cemoment pour me recevoir. Alors je fis quelques pas sur le pont,dans le dessein d’apporter mon aide aux survivants et aux blessés.Quel lugubre encombrement !

L’Anne-Marie (ainsi s’appelait lechalutier qui avait son port d’attache à Saint-Jean-de-Luz) étaitplein de la troupe désespérée des naufragés échappés à la mort. Quede pleurs ! Quel désespoir chez certains de ces malheureux quiavaient perdu des êtres chers, qui un enfant, une mère, une épouse,un mari bien-aimé ! Et quelle malédiction sur lesBoches !…

C’est en vain qu’on eût voulu leur tenirquelques propos consolants, ils n’entendaient rien, certes !Et puis, que leur dire qui valût la peine d’ouvrir labouche ?

Ils n’écoutaient que ceux qui vouaient auxpires supplices leurs bourreaux.

Je m’étais glissé comme j’avais pu jusqu’àl’échelle qui conduisait à la dunette, dans l’espoir de hâter lemoment où je pourrais apercevoir à nouveau Gabriel et me fairereconnaître de lui.

J’étais assis sur une marche, et, pendant queles hommes de l’équipage distribuaient des boissons chaudes auxmalheureux qui m’entouraient, je fus rejoint par le« toubib », qui était un homme de Dinant, en Belgique, etqui en avait vu assez de ses propres yeux et entendu assez de sespropres oreilles pour qu’on n’eût plus rien à lui apprendre sur lesBoches !

Le crime nouveau auquel il venait d’assisterne l’étonnait nullement, vous pensez bien ! Avant d’assister àleurs assassinats sur les eaux, il avait vu ce qu’ils étaientcapables de faire sur la terre ferme.

Dans le moment, il était exténué à cause dessoins qu’il avait prodigués aux naufragés, et il venait des’arracher au désespoir d’une mère qui n’avait pas quitté lescadavres de ses deux petites filles et qui le conjurait de lesfaire revenir à la vie, lui jurant qu’elles n’étaient point tout àfait mortes, et qu’il n’y connaissait rien !…

Cet homme me dit, les larmes auxyeux :

« Le plus épouvantable est de penser quecet affreux attentat remplira le monde d’horreur pendant quatrejours et qu’il y aura ensuite des gens pour se demander :« Tout ce que l’on raconte des Boches peut-il êtrevrai ? »

Quand j’appris que plus de huit centspassagers avaient péri sous les coups du sous-marin je ne pusm’empêcher de m’écrier, pour le plus grand étonnement de ceux quim’entouraient :

« Le capitaine Hyx a raison !

– Je commence à le croire comme vous, mon chermonsieur Herbert de Renich », dit une voix derrière moi.

Je me retournai et me trouvai devant Gabriel,qui me demanda avec le plus touchant intérêt des nouvelles de masanté.

« Vous étiez donc sur leLot-et-Garonne, mon pauvre monsieur ? me fit-il, enme serrant chaleureusement les deux mains. Il faut vous avouer quepour un neutre vous n’avez vraiment pas de chance !

– J’en ai encore beaucoup moins que vous ne lesupposez, répliquai-je à voix basse, car je n’étais pas à bord duLot-et-Garonne, mais bel et bien à bord du sous-marin quil’a torpillé !

– Voilà un mystère que vous allez m’expliquer,me dit Gabriel en clignant de l’œil pour me faire comprendre qu’ilavait saisi le désir où j’étais que cette petite histoire restâtentre nous ; et il ajouta : En tout cas vous n’avez pas àvous plaindre du sort qui, entre le sous-marin et leLot-et-Garonne, vous a fait monter surl’Anne-Marie ! Venez donc dans ma cambuse ! Nousallons prendre un cocktail à votre santé et à celle des absents, etnous serons tranquilles pour causer !… »

Le chalutier à vapeur de Gabriel n’était niplus ni moins confortable que les autres du même type qui seconstruisirent dans les années qui précédèrent la grande guerre.Sans doute celui-ci prit-il dans ce temps-là beaucoup de poisson,mais j’imaginai, d’après les on-dit qui se chuchotaient dans lescoursives du Vengeur, que l’Anne-Marie avaitservi plus d’une fois à son jeune capitaine pour une autre besognequi lui faisait rechercher les coins les plus secrets de la falaiseau golfe de Biscaye, de la côte de France à celle d’Espagne.

Besogne dangereuse s’il en fut et prohibée parles lois, mais qui prépare merveilleusement un homme, en pleinepaix, aux jeux terribles et sournois de la guerre…

Et, depuis qu’on était en guerre, avec quellejoie et quel entrain Gabriel avait dû recevoir certaines missionsspéciales sitôt que les mers, vers le sud, avaient commencé d’êtreempoisonnées par le fretin de la sous-marine allemande ! Avecquelle ardeur il avait dû surveiller les bases secrètes deravitaillement et aussi courir sus à la mauvaise bête, dès qu’ellevenait renifler à la surface !

Mais avec quelle douleur il avait dû renoncer,pendant quelques semaines, à cette existence glorieuse et noblementtragique de balayer la mer, quand, par surprise et par amour deDolorès, il s’était vu le prisonnier du capitaine Hyx !

Et maintenant il avait hissé à nouveau saflamme de guerre à la misaine de l’Anne-Marie !

Après quelles aventures ? Il fallait lesavoir ! Je n’étais pas moins curieux de connaître les siennesque lui de pénétrer le secret mystère de mon aventureusevie !

Mais quel bel air il avait dans son suroît etdans ses grandes bottes qui lui dépassaient les genoux, et commeses joues étaient brûlantes du vent du large, avec des couleursmirifiques, et combien l’azur de ses yeux avait de lumière !Tout cela, tout cela parce qu’il avait quitté le fond de l’abîme oùse traînent la ruse et le crime et la vengeance sans gloire etqu’il était redevenu le combattant du dessus deseaux !

Et avec quel équipage, monseigneur ! Icipoint de galons, ou guère ! Des gars tout jeunes ou trèsvieux, figures d’enfants de chœur et gueules de vieilles sorcièresau menton poilu ! Et des canonniers qui paraissent tout droitdescendre des galères du roi, du temps où il y avait des rois avecdes galères ; des masques cuivrés de la flibuste, encoreflamboyants de l’abordage assurément…

Les cales, où autrefois s’entassaientsoi-disant les réserves de morue fraîche ou autre engeance marine,sont pleines maintenant à crever de mines, de grenades et decaisses d’obus !

Et le pont, où avaient séché dans desalignements impeccables les gros thons péchés en mer hispanienne ousur les côtes de Lusitanie (il faut bien avoir l’air de pêcherquelque chose pour faire plaisir à la douane), supportaitdorénavant une artillerie confortable !…

Quelques pas trébuchants dans le roulis,quelques coups de tête dans le tangage (prenons garde au mal demer, espèce de sous-marin moi-même !) et un coup d’œil surtout cet équipage et tout ce fourbi de fortune et d’aventure lancésà travers l’embrun, pour la guerre, la mort ou le sauvetage desnaufragés du crime allemand…

Les canons ici ont été peints de l’habituellecouleur du ciel en cette saison, en bleu pâle ; toujourschargés, ils s’allongent sur leur crinoline de fer près de laquelleles servants leur tiennent nuit et jour compagnie, avec des proposd’une douceur encourageante.

Dans la cambuse du capitaine (quel tangagepour un navire de guerre !), dans tous les roofs, lesrâteliers, où jadis s’accrochaient les longues-vues ou les harponsà marsouins servent maintenant à suspendre des engins tout autres,tels que revolvers d’ordonnance ou fusils modèle 94… Oui, oui, parma foi ! je plains Fritz quand ils lui tomberont sur le dos,et ce sacré von Treischke qu’ils ont failli crever avec son damnésous-marin. Il s’en est fallu de ça !… de ça !…

Les cocktails sont là. Pour peu que l’on aitl’habitude des traversées et l’amitié du capitaine, on auracertainement remarqué qu’il n’est point de bonne conversation avecde véritables gens de mer sans cocktails !… Les uns les fontd’une façon, les autres de l’autre, mais généralement leurscocktails sont à la mode forte et réchauffante !

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