La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 18LE CHÂTEAU DE LA GOYA

Nous avions déjà saisi nos rames et nous nousdisposions à gagner le port de Vigo « à la nage », commeon dit entre rameurs, quand un certain bruit de moteur se fitentendre non loin de nous, et nous vîmes bientôt sortir de la nuitde la rade et glisser sur les îlots noirs la masse noire d’unchaland (tel que nous en avions vu au cours de notre malheureuseexcursion) traîné par un petit remorqueur et accompagné par unedemi-douzaine de canots automobiles dont les feux s’éteignirentbrusquement. Nous avions heureusement éteint les nôtres, commeil a été dit, et nous pûmes, derrière le rocher Ardan qui nousavait engloutis dans son ombre, assister à toute la manœuvre.

Nous comprîmes bientôt où elle tendait :ni plus ni moins qu’à faire pénétrer toute cette mystérieuseflottille dans le petit port particulier du château lui-même. Enmême temps que les feux s’étaient éteints les moteurs s’étaienttus !…

Certes ! j’avais été trop intrigué partout ce que j’avais vu et entendu cette nuit dans la baie de Vigo,et aussi j’étais trop poursuivi par le souvenir aigu de toutes lesparoles énigmatiques, menaçantes ou autres relatives à desévénements encore imprécis mais dont cette baie était certainementle théâtre, pour que je ne désirasse point saisir, comme elle seprésentait, l’occasion de m’instruire.

Déjà la double grille qui fermait l’entrée dumôle du château s’entrouvrait avec un double mouvement lent etrégulier comme s’ouvrent les portes d’écluse. Nous étions assezprès pour voir cela, pour assister à cela, sous la lune. Et lepetit remorqueur, en quelques tours de son hélice, eut tôt faitd’entrer dans le port défendu par les vieilles tours moyenâgeuseset dont nous ne pouvions rien apercevoir. Tout le cortègesuivait : le chaland, puis les canots automobiles qui étaientmontés chacun par deux hommes qui me parurent armés jusqu’auxdents.

À ce moment, la lune se cacha. Nous étionsaccrochés au rocher Ardan, tout au plus à une demi-douzaine debrasses derrière le dernier canot. Nous glissâmes jusqu’à lui ensilence et il dut croire que nous faisions partie du cortège car,sans difficulté, nous entrâmes, nous aussi, dans le port du châteaude la Goya et la double grille du môle se referma derrièrenous !…

Qu’est-ce que je risquais ? Le Fritz nem’avait-il pas dit de lui rapporter au plus tôt la réponse ducapitaine Hyx au château même de la Goya ? Obéissant à sesordres pressés, j’étais entré, à mon retour de mon inutile voyageaux îles Ciès, dans le port de la Goya, avec d’autres barques,uniquement dans le désir de lui faire part, sans tarder, del’impossibilité de l’entreprise ! Fort d’un pareil argument,je pouvais montrer quelque audace. Je n’en manquai point.

Du reste, je sentais à côté de moi Potaje dansun état de jubilation excessif. Et je n’étais point fâché de luimontrer, à lui qui aimait tant les aventures qui font peur, que jen’avais pas peur, moi, des aventures !

Nous nous étions rangés au long des quais, ouplutôt contre l’ombre des quais. Car, en vérité, ce qui noussauvait c’était toute cette ombre dans laquelle nous nous mouvions.Jamais je n’ai vu d’ombres aussi épaisses, aussisolides !… On croyait avoir contre soi la nuit etc’étaient des murs. Ce port devait être lui-même une prison.

Pourtant le château qui l’entourait étaithabité. Pourquoi n’y avait-il pas une lumière aux bâtissescirculaires du château ? Pourquoi ?…

Quand nous étions passés pour la première foisdevant lui, il y avait quelques lueurs à quelques fenêtres, toutlà-haut, sous les toits, et maintenant tout était éteint.

Mais, tout à coup, voilà que devant nous leponton noir parut s’entrouvrir. C’est-à-dire qu’au ras de l’eau unebaie lumineuse se découpa dans le sombre bâtiment. Des portesvenaient de s’entrouvrir ou des cloisons de glisser pour nouslaisser apercevoir en partie l’intérieur de cette singulière nef.Nous ne vîmes d’abord que de monstrueux coffres noirs, tout bardésd’épaisses ferrures luisantes, et que les silhouettes noires qui,tout à l’heure, montaient les chaloupes.

Elles s’agitaient maintenant autour descoffres, cependant que nous entendions à nouveau des plaintes sansqu’il nous fût possible de nous rendre compte de leur origine. Toutau plus pouvions-nous dire qu’elles étaient proférées dans leponton lui-même. Tout cela nous paraissait infiniment sinistre,diabolique et incompréhensible.

Poussés par les silhouettes noires, lescoffres se mirent à rouler sur des rails établis sur un chemin deplanches de fer incliné qui avait été jeté du ponton jusqu’auxpierres supérieures d’un quai invisible. Aussitôt ces coffresfurent accrochés à des chaînes et les chaînes halèrent les coffres.Un homme, qui avait toutes les allures d’un officier de marineboche, semblait commander toute la manœuvre. Où allaient lescoffres ?…

Potaje était déjà sur le quai sans que je m’enfusse aperçu, tant tous nos gestes étaient enveloppés de nuit, etmaintenant il me tirait par les cheveux pour que je le suivisse.Personne ne s’occupait de nous, car nul ne soupçonnait encore notreprésence. J’obéis à l’impulsion de Potaje et quittai la barque.

Le quai était formé d’un escalier circulairedont nous gravîmes les degrés à tâtons. Je crois bien que, pour nefaire aucun bruit, mon cul-de-jatte s’était dévissé de saplanchette et la portait sur ses épaules, pendue à son cou, commeje lui ai vu faire depuis. Il se traînait devant moi comme unelarve et mes pieds étaient guidés par cette larve.

Et ainsi, ensemble, nous allions vers lesroulements sourds que faisaient les énormes coffres sur leurs railsinvisibles.

Enfin, nous entendîmes tout près de nous desvoix de commandement et la nuit s’entrouvrit encore, sur notredroite, de la largeur d’une porte basse et d’une sorte de tunneldans lequel s’agitaient et brillaient de rapides lumières etd’étonnants reflets, comme des ténèbres pailletées…

Poussés toujours par les silhouettes noires etobéissant maintenant à la pente qui les attirait, les grandscoffres s’engouffraient dans le tunnel avec un bruit de tonnerre,et nous entrâmes dans le tunnel et dans le bruit, comme si nousaussi eussions été les noirs ouvriers de cette œuvresouterraine.

Nous plongeâmes au plus profond de l’obscur,évitant les ténèbres pailletées, et nous attendîmes.

Ce ne fut pas long.

Probable que les coffres-wagons étaientarrivés à destination car on ne les entendit plus. Et lessilhouettes noires nous frôlèrent dans le chemin du retour,appelées et obéissant à des numéros d’ordre qu’une ombre arméed’une lanterne leur jetait sur le seuil ; et ainsi, quandelles furent toutes comptées et toutes dehors, les portes dusouterrain se refermèrent et nous restâmes là en compagnie de troisautres ombres et de trois lanternes.

L’une d’elles éclairait le profil de l’hommequi, sur le ponton, avait commandé la manœuvre, la seconde memontrait en plein la figure joufflue, ronde comme la pleine lune deFritz von Harschfeld, la troisième se balançait au poing de vonTreischke lui-même !…

Ciel et terre ! Qu’allais-je voir ?Qu’allais-je entendre ? Et n’eussé-je pas mieux fait, ô mamère ! de m’en tenir à la lettre de ma consigne plutôt qued’aller me jeter littéralement dans un gouffre où j’étais à peuprès sûr de rencontrer de tels démons ?…

Va donc, audacieux Herbert de Renich !Aborde en ce moment le Fritz ou le von Treischke !Explique-leur que tu as quelque chose de très pressé à leur dire àpropos du capitaine Hyx, ou de n’importe quoi et que tu es heureuxde les rencontrer par hasard dans ce petit souterrain, quis’est trouvé par hasard sur ta route, au retour des îlesCiès !… Va !… Insensé !…

L’homme qui me parut, à bord du chaland, êtrele maître de la manœuvre, s’est approché d’un coffre et voici quece premier coffre qu’il touche bascule soudain, comme bascule unwagonnet sur son chariot quand on a décroché son agrafe de fer et,devant nous… c’est une avalanche d’or !…

Ah ! le bruit de cela dans le souterrain,et la couleur de cela sous la lueur sanglante des troislanternes !…

Et le danger de cela !

Jésus ! dix pas plus près et nousmourions ensevelis sous l’avalanche d’or !… sous le poids deslingots et de mille objets d’or massif qui glissaient jusqu’à nospieds avec un tumulte d’une magnificence magique, et quirebondissaient quelquefois au loin en pailletant lesténèbres !

Eh quoi ! c’était donc là le secret deces lueurs allumées dans le souterrain au gré du balancement de lalumière accrochée aux trois poings de ces ombres silencieuses… Del’or ! de l’or !…

Le château de la Goya reposait sur uncoffre-fort que nous voyions remplir ! Et nous étions enfermésdans ce coffre-fort-là, qui contenait déjà combien de centainesde millions ?…

Il y avait six coffres qui furent ouverts etqui chavirèrent tour à tour !… Dans les uns il y avait desmonceaux de pièces d’or ; un autre laissait ruisseler de sesflancs des lingots d’argent ; un autre des joyaux et desgemmes incrustées dans les objets les plus hétéroclites quiroulaient, roulaient jusqu’aux murs, avec les sonorités joyeusesdes métaux précieux !

Ainsi, lorsque nous voyions, sur les eauxnoires du golfe, glisser dans la nuit mystérieuse la masse sombredes chalands noirs, c’était un des plus riches chargements de l’ordu monde qui passait devant nous pour aller grossir le nouveautrésor de guerre qui s’accumulait, pour les Boches, dans les cavesdu château de la Goya !

Le château de la Reine ! car lareine se dit Goyaen indien quichua, c’est-à-dire en indiensacré du Pérou, dans l’antique langue des Incas !… LesIncas !… L’or des Incas !… Mais, depuis Pizarre,n’avait-il pas de tous temps afflué sur cette terre deconquistadors ! Et n’était-ce pas l’une des plus belleshistoires du monde que celle des galions de Vigo !… de cetteflotte lourde à sombrer de tout l’or des Indes occidentales,poursuivie jusque dans la baie par les Anglais et les Hollandais etse faisant sauter plutôt que de se rendre, ensevelissant sous elleplus d’un milliard du précieux métal, dîme et butin rapportés de laTerre Nouvelle !

Les galions de Vigo ! Les galions deVigo !… c’était l’or des galions de Vigo que l’on charriaitdevant nous !…

Que d’entreprises avaient tenté jusqu’à cejour de les arracher au lit de la mer, mais toujoursvainement !… D’autres millions avaient été inutilementengloutis pour sortir ces centaines de millions que gardaientjalousement les flots !

Mais voilà que les Boches réussissaient enfinlà où tous les autres avaient échoué, et dans quel moment !…Quel apport formidable allait être pour eux cette coulée inattenduedu précieux métal !… Quelle bataille ils étaient en train degagner au fond des eaux de la baie de Vigo !…

Hein ?… que dis-je ?…Bataille ?… La Bataille invisible ! C’est qu’eneffet cet or ils ne sont point les seuls à savoir qu’il estlà ! D’autres aussi le savent et le veulent peut-être !…Jésus ! le voile se déchire !… Je comprends ! Jecomprends !… On se bat autour des galions de Vigo, au fondde la baie de Vigo !…

La voilà la Bataille invisible !…

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