La Bataille invisible – Aventures effroyables de M. Herbert de Renich – Tome II

Chapitre 5OÙ JE M’APERÇOIS QUE JE NE SUIS PAS ENCORE SORTI D’AFFAIRE

En route, comme le feldwebel ne répondait mêmepas à mes questions, je me mis à réfléchir à tout ce que m’avaitdit le vieux Peter et j’en conclus que c’était lui qui devait avoirraison. J’avais été abusé par une ressemblance (et quoi de plusprobable, puisque mon imagination ne reposait que sur un dessin, ensomme, une peinture, enfin quelque chose de tout à faitaléatoire ?) et aussi je pouvais avoir été impressionné par lavisite que l’amiral avait faite à la dame voilée. J’avaismêlé tout cela dans ma cervelle, stupidement, car enfin, si cettedame avait été Mrs G…, l’amiral von Treischke eût été bien heureuxde l’échanger contre sa propre femme et ses propres enfants. Jamaistroc de prisonniers n’eût été mieux accueilli de part et d’autre etn’aurait amené assurément de plus heureux résultats !

J’en étais là quand nous arrivâmes à la halleaux blés, transformée en caserne. Je fus introduit immédiatementauprès de l’amiral.

Il était seul, assis à son bureau, dans unevaste salle dont les portes étaient gardées par une véritabletroupe. Je lui trouvai un air singulièrement sévère et qui étaitfait pour m’étonner après les explications de la veille.

Le tyran des Flandres, le fléau de la mer, neme pria point de m’asseoir, et il se mit à m’interroger comme unjuge un accusé. Je fus tout de suite ahuri par ses premièresparoles :

« Il paraît, monsieur, que vous avezinsulté grossièrement une dame fort honorable que vous avezrencontrée dans un magasin de cette ville !

– Moi ! m’exclamai-je, en rougissantautant et plus, tellement j’étais surpris de l’algarade. Qui a puvous rapporter un pareil mensonge ?

– Elle-même, monsieur, elle sort d’ici où elleest venue se plaindre…

– Et de quoi donc s’est-elleplainte ?

– De votre audace à lui adresser la parole,alors que vous ne lui avez jamais été présenté, monsieur !Prétendez-vous qu’un tel acte soit d’un garçon bienélevé ?

– J’ai peut-être manqué à la parfaitebienséance, répondis-je, assez embarrassé, car j’avais le sentimentque je m’embarquais là dans une nouvelle affaire des plus graves etpeut-être des plus compromettantes, mais il y a loin d’une faute decivilité mondaine à une grossière insulte !

– Je vous répète les termes dont elle s’estservie, mon cher monsieur Herbert !… Que lui avez-vous doncdit à cette très honorable dame ?… »

Où voulait-il en venir ? Où voulait-il envenir ?… Connaissait-il déjà toute l’histoire ? Luiavait-elle ou lui avait-on déjà répété les mots qui étaient sortisavec tant de spontanéité de ma bouche ? Après tout, qu’est-ceque je risquais à avouer la vérité ? Plût à Dieu que monimagination eût été réalité pour tous, et particulièrement pourl’amiral je le répète !… Alors je me penchai vers lui etconfessai :

« Figurez-vous, amiral, que j’ai ététrompé par une ressemblance, une étrange ressemblance, incroyableressemblance, ressemblance qui m’avait réjoui le cœur, car enfincela pouvait être la fin des plus terribles maux, la conclusion detoutes les angoisses nées de la folie du capitaine enquestion… Quel soulagement pour tous !…

– Allez donc !… Allez donc !… fitl’amiral, impatienté.

– Eh bien ! ! j’ai cru reconnaîtredans une certaine dame voilée la femme même – vous allez toutcomprendre, amiral – la femme du capitaine Hyx !… Etma joie était tellement grande que je ne pus me retenir d’appelercette dame même par le nom que je croyais être le sien !…

– Ça, c’est drôle ! »

Il continuait de me regarder, sans plus direun mot, avec son sourire crispé (son sourire aux moustaches detigre), et je dus détourner la tête, de plus en plus gêné.

Tout à coup, je me mis à parler comme sij’avais résolu de l’entretenir de choses vraiment sérieuses etbeaucoup plus urgentes que des histoires de dame voilée, et je luiracontai ce qui s’était passé cette nuit même, chez nous, après sondépart : la visite des ombres inconnues, leur brutalité avecles deux soldats de garde et le désir où nous étions, ma bonnevieille mère et moi, de passer en Hollande.

Il me regardait toujours en silence, avec sonsourire.

« Ne croyez-vous pas, finit-il par dire,que cette agression était dirigée contre moi ? Neseraient-ce point là vos hommes ?

– Ils sont capables de tout,amiral ! et s’ils savent que vous êtes ici, vous ne saureztrop vous garder, je vous le répète…

– En somme, la conclusion, fit-il, toujoursavec son sourire, est que l’air de Renich est mauvais pour vous etpour moi ? Eh bien ! nous allons enchanger ! »

Là-dessus, il sonna, et l’officier qui m’avaitconduit en auto de Zeebrugge à Renich parut.

« Fritz ! lui dit-il, nouspartons ; dans une heure, que tout soit prêt ! Je vousconfie monsieur. Vous me répondez de lui !… J’aimerais mieuxperdre un bras que le plaisir de sa compagnie.

– Laissez-moi prévenir ma mère !m’écriai-je…

– Votre mère sera prévenue, monsieur !Nous ne sommes pas des barbares ! »

Sur quoi Fritz m’emmena dans un étroit cabinetde travail adjacent, me fit asseoir devant une table-bureau surlaquelle on avait étalé plusieurs belles feuilles de papier blancet qui supportait aussi des encres de diverses couleurs, et destire-lignes, et des compas, et des crayons de toutes sortes.

« Le herr amiral désire, m’expliqua toutde suite le Fritz, que vous vous mettiez, sans perdre une minute,au travail. Vous comprendrez qu’il y a une grande urgence à ce quevous nous fassiez connaître par des plans précis les dimensions, etla construction, et tout le mystère de ce damné vaisseau danslequel vous avez pénétré et qui, depuis quelques mois donne tant defil à retordre !… »

Pendant qu’il me débitait ces phrases d’unpetit air tranquille et doux, je le regardais à loisir. Il penchaitsur la table sa figure poupine et pleine de fraîcheur. C’était untout jeune homme charmant. Soudain, je tressaillis en découvrantune forte cicatrice qui descendait de sa joue gauche sur son cou,tout près de l’artère, et s’enfonçait dans le col. Il avait dûrecevoir là un joli coup ! Coup de sabre ? Coup decouteau ? Coup de ciseaux ?… Ah ! ils’appelait Fritz et il était l’homme de von Treischke, et il avaitune cicatrice pareille !… Sacrerlot ! (commedisait le vieux Peter) ce ne pouvait être que le ressuscité del’affaire de Vigo, l’amoureux de Dolorès, le rival deGabriel !

Eh là ! Cette fois, je gardai cettedécouverte pour moi !

Je me mis au travail du mieux que je pus,traçant un plan sommaire du Vengeur et donnant desindications et des chiffres aussi précis que je le pouvais. Fritzne fut point mécontent quand il revint me prendre. Il roula mespapiers et me pria de le suivre. Nous descendîmes.

Alors je vis le genre d’auto qui nous étaitdestinée. C’était une auto-canon ni plus ni moins.

« Nous ferons le chemin en auto-canon, medit Fritz, car on nous a signalé toute une expédition d’aérosbombardiers ennemis qui se dirigent sur nos réserves entre Liège etNamur, et nous sommes obligés de passer par là ! »

Charmante matinée ! (comme disent lesFrançais).

Dans cette petite forteresse animée, jetrouvai l’amiral qui me salua d’un coup de tête et me dit que nousaurions beau temps pour la route. Il y avait là les mécaniciens,les servants, Fritz et deux officiers de marine. Trois autres autosnon cuirassées celles-là, mais qui étaient pleines de soldats etqui étaient armées chacune d’une mitrailleuse, s’apprêtaient à nousaccompagner. Allons ! allons ! le von Treischke n’est pasencore près d’aller moisir dans les cages du capitaine Hyx !La Terreur des Flandres n’est pas un petit imprudent !

Je m’étais assis sur ma valise, entre lesjambes de Fritz, et von Treischke passait déjà en revue mesdessins. Il hochait la tête, et de temps à autre me regardait avecétonnement. De toute évidence, il était stupéfait de mes chiffres,qui indiquaient la puissance exceptionnelle duVengeur.

« N’avez-vous rien exagéré ? medit-il.

– Je suis sûr, répondis-je, d’être au-dessousde la vérité… Je vous assure que vous feriez bien de traiter avecces gens-là !… »

Je devais avoir dit une chose énorme car Fritzme considérait aussitôt avec un effroi inquiétant. Quant àl’amiral, il ricana d’une façon si lugubre que j’en eus les veinesglacées.

« Probable ! » grognal’amiral…

Ce n’est que très tard, dans la nuit suivante,après maints détours, que nous parvîmes au terme de notre voyage.J’étais moulu de fatigue et j’allais demander qu’on voulût bienm’accorder quelque repos, quand j’entendis la voix de l’amiralm’annoncer « que j’avais un quart d’heure pour me préparerà passer devant le conseil de guerre ».

J’en fus comme foudroyé…

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