La Burlesque Équipée du cycliste

Chapitre 33LA CAPITULATION

À Ringwood, ils déjeunèrent, et Jessie éprouva un grosdésappointement : il n’y avait pas de lettre pour elle à la posterestante.

En face l’Hôtel de la Bonne Halte, se trouvait uneboutique de mécanicien, à la devanture de laquelle s’étalait, commeune curiosité, un tricycle tandem, et une enseigne annonçant qu’onlouait à l’intérieur des cycles de tous genres.

M. Hoopdriver remarqua d’une façon spéciale cet établissement,parce que le propriétaire, aussitôt qu’ils furent arrivés, traversala rue et inspecta minutieusement leurs machines. Cettemanifestation de curiosité raviva certaines impressionsdésagréables mais n’eut heureusement pas d’autre résultat fâcheux.Pendant que nos deux voyageurs achevaient leur déjeuner, unclergyman de haute taille, la figure rouge et ruisselante, entra etvint s’asseoir à la table voisine de la leur. Il portait une sortede costume de vacances : un faux col plus haut que d’ordinaire, unde ces faux cols qui se boutonnent par-derrière, et d’autant plusincommode par la grande chaleur ; au lieu de laredingote à longues basques, un veston noir remarquablement court,et comme chaussures, des souliers jaunes décolorés. Ses bas depantalons étaient tout gris de poussière et, au lieu du couvre-chefhabituel aux ecclésiastiques, il avait un chapeau de paille blancet noir.

Il fit preuve tout de suite d’intentions sociables.

— Une journée superbe, monsieur, — dit-il, d’une voixclaironnante.

— Superbe, — acquiesça M. Hoopdriver, devant une portion depâté.

— À ce que je vois, vous parcourez à bicyclette cette délicieusecontrée ?

— Nous excursionnons.

— Je m’imagine aisément qu’avec une machine convenablementhuilée il ne doit y avoir aucune façon meilleure ni plus agréablede voir le pays.

— En effet, ce n’est pas une mauvaise façon de voyager.

— Pour un couple de jeunes mariés, un tandem doit être, jesuppose, un délicieux véhicule.

— Assurément, — approuva M. Hoopdriver en rougissant.

— Vous voyagez en tandem ?

— Non… nous sommes… séparés, — bégaya le faux frèreChristian.

— La sensation qu’on a de se mouvoir avec rapidité dans l’airest indiscutablement délicieuse.

Sur cette assertion, le clergyman se tourna vers le garçon pourcommander son repas d’une voix ferme et autoritaire : du thé, deuxtablettes de gélatine, du pain et du beurre, avec ensuite du pâtéet de la salade.

— Il me faut absolument des tablettes de gélatine : elles sontindispensables pour précipiter le tanin de mon thé, — expliqua-t-ilpour la galerie.

Puis, les coudes sur la table et le menton dans ses mains, ildemeura quelque temps ainsi, contemplant fixement un petit tableauau-dessus de la tête de M. Hoopdriver.

— Je suis moi-même cycliste, — révéla-t-il en redescendant à lahauteur des deux voyageurs. — Nous sommes tous cyclistes à présent,— ajouta-t-il, avec un large sourire.

— Vraiment ? — fit M. Hoopdriver, attaquant sa moustache. —Puis-je vous demander quelle machine vous montez ?

— J’ai fait récemment l’acquisition d’un tricycle. Labicyclette, j’ai le regret de le dire, est considérée comme trop…trop risquée, trop cavalière, par mes paroissiens. Il faut avoirégard aux opinions de ses frères, de nos jours en particulier,alors que l’Église a besoin de toutes les bonnes volontés. Ainsidonc, j’ai un tricycle que je viens de haler jusqu’ici.

— De haler ? — s’écria Jessie, surprise.

— Avec un cordon de soulier, quand je ne le portais pas sur mondos.

Le silence qui suivit fut inattendu. Jessie éprouva quelquedifficulté à faire franchir son gosier à quelques miettes. Lestraits de M. Hoopdriver exprimèrent tour à tour le doute, ladéfiance et l’ébahissement. Après quoi, il devinal’explication.

— Vous avez eu un accident ?

— Il serait difficile d’appeler cela un accident. Les roues onttout à coup refusé de tourner et je me suis trouvé à cinq millesd’ici, avec une machine absolument immobile.

— Comment cela ? — questionna le jeune homme s’efforçantd’arborer un air intelligent, tandis que Jessie dévisageaitfurtivement le singulier personnage.

— Mon domestique, — exposa le clergyman, satisfait de l’effetqu’il avait produit, — avait pris bien soin de nettoyer lesroulements et les billes puis de les laisser sécher et de lesremonter sans les enduire de graisse à nouveau. La conséquence futqu’ils s’échauffèrent à un degré excessif et se bloquèrent. Dès ledépart la machine roulait mal et bruyamment, mais, attribuant cefonctionnement défectueux à ma propre lassitude, je redoublaid’efforts.

— Vous y êtes allé vigoureusement.

— Vous ne pouviez choisir un terme plus approprié. C’est unprincipe chez moi de faire avec toute la vigueur possible labesogne qui se présente. Je crois bien, ma foi, que les coussinetss’échauffèrent jusqu’au rouge, et finalement l’une des roues sebloqua complètement. C’était une des roues de côté, de sorte quecet arrêt comporta un renversement de l’appareil entier,renversement auquel je participai.

— C’est-à-dire que vous avez fait la culbute ? — précisa M.Hoopdriver, tout à coup fort amusé.

— Exactement. Ne voulant pas m’avouer vaincu, j’en fus puni dela même façon plusieurs fois de suite. Il est naturel, n’est-cepas, qu’en de tels instants on manifeste une certaine impatience.Je pestai… sans mauvaise humeur, certes. Par bonheur, la routeétait déserte et en plein champ. Finalement, l’appareil tout entierdevint rigide et je renonçai à une lutte inégale. Pour tout usagepratique, mon tricycle ne valait pas mieux qu’un fauteuilmonumental sans roulettes. Il n’y avait pas d’autre alternative quede le haler ou de le porter. Le repas du clergyman apparut sur leseuil.

— À cinq milles d’ici, — ajouta-t-il.

Sans plus tarder, il se mit avec voracité à s’empiffrer de painet de beurre.

— Heureusement, — reprit-il, la bouche pleine, — je suis parprincipe, autant que par tempérament, énergique et eupeptique. Ilserait à souhaiter que tout le monde fût de même.

— Ce serait bien souhaitable, en effet, — répondit M.Hoopdriver.

Pendant un moment, la conversation laissa la place auxtartines.

— La gélatine, — disserta bientôt le loquace ecclésiastique, enremuant pensivement son thé, — la gélatine précipite le tanin duthé et en facilite la digestion.

— C’est une chose utile à savoir.

— Il ne tient qu’à vous d’en profiter, — répliqua généreusementle clergyman, en mordant vigoureusement dans deux tartines repliéesl’une sur l’autre.

Dans l’après-midi, les deux excursionnistes se dirigèrent àpetite allure vers Stoney Cross, n’échangeant que de rares propos,depuis que le sujet de l’Afrique du Sud était en suspens. Despensées désagréables imposaient le silence à M. Hoopdriver : àRingwood, il avait changé sa dernière pièce d’or, et cette simpleaction l’avait considérablement ébahi. Trop tard, maintenant, ilréfléchissait à ses ressources. Il possédait bien vingt et quelqueslivres sterling, à la Caisse d’Épargne postale de Putney, mais sonlivret était sous clef dans sa malle, sans quoi le jeune toquéaurait à coup sûr subrepticement retiré la somme entière, afin deprolonger de quelques jours encore ces ravissants vagabondages.Mais à présent, l’ombre de la fin obscurcissait son bonheur.Cependant, chose étrange, en dépit de son anxiété et de sonhumiliation du matin, il était encore dans un état de surexcitationémotionnelle qui ne ressemblait certainement pas à de la tristesse.Il oubliait ses poses chimériques, il s’oubliait lui-même tout àfait en appréciant davantage sa compagne. Son ennui le plus graveétait d’avoir à lui exposer la difficulté.

Une interminable montée les fatigua longtemps avant StoneyCross ; ils mirent pied à terre et s’assirent à l’ombre d’unpetit bois de chênes, près de la crête ; la route revenait surelle-même, de sorte que, en regardant en arrière, elle s’éloignaiten pente sur la droite pour revenir ensuite au-dessous d’eux. Lachaussée sablonneuse était bordée de chaque côté par un fosséprofond surmonté de chênes rabougris par-delà lesquels s’étendaitune lande couverte de hautes bruyères. Au bas de la côte,cependant, la route était barrée d’ombres épaisses projetées pardes bouquets de grands arbres.

M. Hoopdriver, nerveux et gauche, fouilla dans toutes ses pochespour découvrir ses cigarettes.

— Il y a quelque chose qu’il faut que je vous dise, —articula-t-il enfin, s’efforçant de paraître calme.

— Ah ! — fit-elle.

— Je voudrais bien m’entretenir un peu de vos plans.

— Je suis fort indécise, — répondit Jessie.

— Vous pensez à écrire des livres ?

— Ou faire du journalisme, ou entrer dans l’enseignement, ouquelque chose comme cela.

— Vous voulez vous créer une situation indépendante de votrebelle-mère ?

— Oui.

— Combien de temps vous faut-il pour obtenir une de cesoccupations ?

— Je ne sais pas. Je crois qu’il y a quantité de femmes qui sontjournalistes, ou dessinateurs, ou inspectrices sanitaires. Mais jesuppose qu’il faut beaucoup de temps pour obtenir ces postes-là.Vous savez que les femmes de nos jours dirigent des journaux.George Egerton le dit. Il serait bon, je crois, que je pusse entreren rapports avec un agent littéraire.

— Ce sont là, certes, des travaux qui vous conviendraient, etqui ne sont pas aussi éreintants que dans la nouveauté.

— Il y a du travail cérébral qui est éreintant, croyez-lebien.

— Il n’en est pas qui puisse vous éreinter, — madrigalisa M.Hoopdriver, — Oui, mais voilà… — reprit-il après un instant desilence. — À ce propos, il y a une difficulté bien vexante… il nenous reste plus beaucoup d’argent.

Bien qu’il ne la regardât pas, il remarqua que Jessietressaillait.

— Je comptais, comprenez-vous, que votre amie vous écrirait etque vous auriez adopté un plan d’action aujourd’hui même.

— L’argent ! — murmura Jessie. — Je n’avais pas pensé àl’argent !

— Tiens ! Voilà un tandem ! — fit M. Hoopdriver,indiquant le bas de la route avec sa cigarette.

Elle tourna la tête dans cette direction et aperçut, au| pied dela côte, deux petites formes, sur une même machine, émergeant d’unbouquet d’arbres. Les cyclistes paraissaient fort actionnés à leurouvrage, et| tentèrent valeureusement, mais sans succès, «d’emballer la côte ». Selon toute évidence, la machine avait unemultiplication beaucoup trop forte pour ce genre I d’exploit, etbientôt le cycliste d’arrière se dressa sur sa selle et sauta àbas, abandonnant son compagnon au hasard du sort. Le cyclisted’avant, fort peu expérimenté sans doute avec les tandems, semblaitignorer la façon dont on en descend. Il décrivit, avec l’engin,plusieurs courbes fantastiques, leva la jambe comme s’il se fût agid’une bicyclette simple, heurta son pied contre le guidon d’arrièreet culbuta lourdement, l’épaule en avant.

— Ciel ! — s’écria Jessie, en se levant. — J’espère qu’iln’est pas blessé.

Le second cycliste accourut au secours de son compagnon.Hoopdriver se leva aussi, pour mieux suivre ! les péripétiesde la scène. La longue machine fut soulevée et traînée à l’écart,et le cycliste tombé, assisté de l’autre, se remit péniblement surses jambes i en se frictionnant le bras, sans paraître autrementéclopé ; tous deux s’occupèrent alors du tandem.

Ces touristes, fit remarquer M. Hoopdriver, n’étaient pas vêtusselon les règles du sport cycliste. L’un portait le grotesquecostume dont est responsable la découverte du jeu de golf. À cettedistance même, on distinguait sa petite casquette plate, sescourtes molletières de cuir jaune et les dessins de ses bas delaine. L’autre, celui qui occupait la selle d’arrière, était unpetit homme grêle, vêtu de gris.

— Des amateurs ! — gouailla M. Hoopdriver. Jessie demeurapensive, indifférente maintenant aux deux hommes qui réparaientleur machine.

— Combien vous reste-t-il ? — s’enquit-elle. Hoopdriverglissa la main droite dans sa poche et en tira six pièces demonnaie qu’il compta en les poussant avec son index gauche.

— Treize shillings et quatre pence et demi, en tout, — dit-il,les lui montrant.

— J’ai un demi-souverain, — fit-elle.

— Partout où nous nous arrêterons, notre note s’élèvera…

Le silence était plus éloquent que bien des paroles.

— Je n’avais pas pensé que l’argent viendrait nous arrêterainsi, — avoua-t-elle.

— C’est diablement contrariant.

— L’argent ! — continua Jessie. — Est-ce possible ?Les conventions… N’y a-t-il donc que les gens ayant des ressourcesassurées qui puissent vivre leur propre vie ? S’il faut voirles choses sous ce jour…

Un nouveau silence intervint.

— Voilà encore d’autres cyclistes, — annonça M. Hoopdriver.

Les deux hommes étaient encore affairés autour de leur tandem,mais à présent, d’entre les arbres, débouchait la masse imposanted’un tricycle à deux places, monté par une dame en gris et unpersonnage corpulent. Immédiatement derrière eux, survint une hauteforme noire coiffée d’un chapeau blanc et noir, et chevauchant untricycle d’un modèle suranné avec deux larges roues en avant.L’homme en gris resta penché par-dessus le tandem, la poitrineappuyée sur une selle, mais son compagnon se releva et il semblaéchanger quelques remarques avec les gens du tricycle, en étendantles bras dans la direction de la colline où M. Hoopdriver et Jessiese tenaient debout côte à côte. La dame en gris se livra alors àune pantomime assez surprenante : elle agita un instant sonmouchoir ; puis, sur un brusque mouvement de son compagnon,elle cessa.

— C’est curieux, — fit Jessie, la main au-dessus des yeux. —Est-ce que par hasard… ?

Le tricycle attaqua la montée, zigzaguant péniblement d’un bordà l’autre, et il était clair que le personnage corpulent, quiinclinait le buste à chaque coup de pédale, ne ménageait pas sesefforts. Sur son tricycle démodé, le voyageur en costumeecclésiastique prenait la forme d’un point d’interrogation. Enfin,comme suite à ce cortège, apparut un dog-cart. Sur le siège, à côtédu cocher, coiffé d’un chapeau melon, était assise une dame vêtued’une robe vert sombre.

— On dirait une partie de campagne, — remarqua Hoopdriver.

Jessie ne répondit pas. Elle observait toujours l’étrangeprocession.

— C’est curieux ! — fit-elle encore.

Les efforts du clergyman devenaient convulsifs. Avec une brusquesaccade, son tricycle tourna soudain sur lui-même, et le dignehomme, essayant de descendre, fut jeté à terre. Il se relevaimmédiatement, remit sa machine en position et la poussa devantlui. Au même instant, le personnage corpulent mit pied à terre etaida courtoisement la dame en gris à descendre : tous deux parurentn’être plus d’accord, la dame insistant pour pousser avec lui letricycle vide. Elle finit par céder, et le cavalier s’attela seulau véhicule ; son visage, sur le fond gris et vert du bas dela colline, faisait une tache rutilante. Le tandem était de nouveauen état de rouler, car il se joignit à la procession. Les deuxhommes marchaient derrière le dog-cart d’où la dame en vert et lecocher étaient descendus.

— M. Hoopdriver, — dit Jessie, — je suis presque sûre que cesgens…

— Bonté divine ! — s’exclama M. Hoopdriver, lisant le restesur le visage de sa compagne, et il se précipita vers sa machine,qu’il laissa presque aussitôt pour aider Jessie à se mettre enselle.

À la vue de Jessie pédalant contre l’horizon, les gens quimontaient la côte manifestèrent tout à coup une effervescencecurieuse. Deux mouchoirs s’agitèrent, et quelqu’un lança plusieursappels. Jessie n’eut plus de doutes. Les deux hommes du tandem semirent à courir en poussant leur instrument et eurent bientôtdépassé les autres véhicules.

Mais nos jeunes gens n’attendirent pas la suite de cespéripéties. En quelques secondes, il furent hors de vue, descendantà toute allure une côte rapide. Avant de disparaître au coude de laroute, Jessie regarda en arrière et aperçut le tandem au sommet dela colline : le cavalier d’arrière enjambait sa monture.

— Ils viennent, — dit-elle, et elle se pencha sur son guidon,comme une véritable professionnelle.

Ils dégringolèrent dans la vallée, franchirent un petit pont ettombèrent sur une bande de poulains qui gambadaient au travers dela route. Involontairement ils ralentirent.

— Chou-ou ! Chou-ou ! — fit M. Hoopdriver.

Mais les poulains se cabrèrent et ruèrent comme pour le narguer.Alors il perdit patience et chargea droit sur le troupeau qui,sautant le fossé, se dispersa sous les arbres et laissa le passagelibre à Jessie.

Dès lors, la route monta lentement, mais avec persistance. Lespédales devenaient pesantes. M. Hoopdriver respirait avec un bruitde scie. Au bas de la pente, le tandem apparut, faisant des effortsfrénétiques, alors que les pourchassés n’étaient pas encore enhaut. Mais, Dieu merci, le sommet est proche et ensuite c’est unelongue perspective de légers vallonnements, dont le seuldésavantage est d’être impitoyablement exposés au soleil. Le tandemapparemment dut monter la côte à pied, car il ne reparut contre leciel fulgurant qu’alors que les fugitifs atteignaient un bouquet debois à un mille de distance.

— Nous gagnons sur eux, — affirma M. Hoopdriver, avec unecascade de transpiration tombant de son front sur ses joues. —Cette côte… Mais à cela se borna leur avantage. Ils étaient tousdeux presque épuisés. Hoopdriver, à vrai dire, l’était entièrement,et l’amour-propre seul l’empêchait d’avouer la faillite de sesforces. Dès lors le tandem se rapprocha avec régularité. À RufusStone, il était à peine à cent mètres derrière. Après un coup decollier désespéré, ils se trouvèrent au haut d’une descente rapidequi s’allongeait à travers un bois de pins. Dans une descente rienne peut battre un tandem à grande multiplication. Instinctivement,M. Hoopdriver contrepédalait de toutes ses forces et Jessieralentissait aussi son allure. L’instant d’après, ils perçurentderrière eux le bruissement des gros pneumatiques ; le tandemfrôla Jessie et dépassa Hoopdriver, qui éprouva une envie folled’entrer en collision avec l’abominable machine. Sa seuleconsolation fut de constater que les cyclistes, lancés à toutevitesse, étaient aussi échevelés et trempés que lui-même et biendavantage couverts de poussière. Tout aussitôt Jessie s’arrêta etdescendit.

— Les freins ! — cria Dangle, juché sur la selle d’arrière,et se dressant sur les pédales.

Pendant quelques secondes, la vélocité de la machine s’accrut,et les freins, en comprimant le pneu et en serrant la jante,soulevèrent un nuage de poussière. Dangle sauta sur la route ets’affala sur les genoux. Le tandem oscilla dangereusement.

— Tenez-le ! — hurla Phipps, par-dessus son épaule, etcontinuant à pédaler malgré lui. — Je ne puis descendre si vous nele tenez pas !

Il appuya de toutes ses forces sur les freins et la machines’arrêta presque sur place. Se sentant peu stable dans cetteposition, Phipps se remit à pédaler.

— Mettez un pied par terre ! — cria Dangle.

Ces difficultés entraînèrent les poursuivants à une centaine demètres plus bas. Enfin Phipps, se rendant compte de la manœuvre,fit à nouveau jouer les freins, et se laissa pencher sur la droitejusqu’à ce que son pied fût à terre. La jambe gauche encore sur laselle, et les deux mains aux poignées, il commença à adresser àDangle des remarques peu flatteuses.

— Vous ne pensez qu’à vous-même ! — ronchonnait-il, lafigure écarlate.

— Ils nous ont oubliés, — avait dit Jessie, après la chute deDangle, et elle fit demi-tour.

— En haut de la côte, il y a une route qui mène à Lyndhurst, —répondit Hoopdriver, suivant son exemple.

— À quoi bon ? l’argent nous manque. Il faut y renoncer.Mais retournons à l’hôtel de Rufus Stone. Je ne vois pas lanécessité de se faire ramener en triomphe comme des captifs.

C’est ainsi qu’à la consternation des tandémistes Jessie et soncompagnon regagnèrent le sommet de la colline.

Au moment où ils mettaient pied à terre devant le porche del’hôtel, le tandem les rattrapa, tandis que, sur la gauche,apparaissait le dog-cart. Dangle sauta à terre.

— Miss Milton, je crois, — balbutia Dangle, haletant etsoulevant sa casquette trempée sur ses cheveux ruisselants etembroussaillés.

— Dites donc ! — appelait Phipps, continuantinvolontairement sa route. — Voyons ! Ne recommencez pas,Dangle, prêtez-moi la main.

— Une minute ! — fit Dangle, qui courut au secours de soncollègue.

Jessie appuya sa machine contre le mur et pénétra dans l’hôtel.Hoopdriver, fourbu mais intrépide, resta sur le seuil.

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