La Burlesque Équipée du cycliste

Chapitre 37L’ENVOI

Ainsi se termine notre histoire.

M. Hoopdriver, couché à plat ventre dans la fougère, y restesans que nous allions l’épier et tâcher de surprendre les motsincohérents qui se mêlent à sa respiration.

De ce qu’il advint des beaux projets caressés, des six années delabeur, et du reste, nous n’en dirons rien ici. En vérité, nousn’en dirons rien nulle part, car une facile comparaison de datesvous informera que ces années sont encore à courir.

Mais si vous avez saisi comment un simple calicot, un jocrissemonté sur roulettes, et un sot par-dessus le marché, en arriva àpercevoir les petites insuffisances de la vie, et s’il a, dans unemesure quelconque, gagné votre sympathie, mon but est atteint :sinon, que le Ciel nous pardonne, à vous et à moi.

Nous ne suivrons pas non plus l’aventureuse jeune fille deretour au foyer maternel à Surbiton, où elle eut désormais à tenirtête, en plus de sa belle-mère, à Widgery, promu beau-père ;car, comme la pauvre enfant l’apprendra bientôt, le dévouement dusi déférent personnage a reçu sa récompense. Pour Jessie,également, nous quémandons une part de nos sympathies.

Le reste des vacances de M. Hoopdriver — car il est encore librepour cinq jours, — dépasse les limites de notre plan.

Pourtant vous entrevoyez parfois sa mince silhouette, bientristement esseulée à présent, avec son complet poussiéreux, sesbas piqués de brins de bruyère, et des souliers qui n’avaientjamais été destinés à pédaler si longtemps. Il retourna versLondres, par le Hampshire, le Berkshire et le Surrey fortéconomiquement, et pour cause. Jour après jour, il pédale, allantde droite et de gauche, mais somme toute remontant vers lenord-est. Il a toujours sa poitrine étroite ; son nez courbéest rouge, tanné par le soleil et le grand air ; et le dos deses mains est bruni. Vous remarquez qu’une expression étonnée etrêveuse s’obstine sur le visage du cycliste. Parfois, il sesifflote tout bas un petit air ; d’autres fois, il monologue àvoix haute :

— En tout cas, je vais m’y mettre avec ardeur.

À certains moments, et trop souvent, à mon gré, il prend un airirrité, désespéré, et vous l’entendez grommeler :

— Je sais, je sais. C’est fini, va, et bien fini. Je n’ai pasl’étoffe en moi. Tu n’es pas assez homme, mon vieux Hoopdriver.Regarde tes pattes. Oh ! là, là !

Une rafale de colère l’emporte, et il pédale avec fureur pendantquelques mètres. Il est des instants, toutefois, où ses traitss’adoucissent.

— Quoi qu’il en soit, et si je ne la revois pas, elle me prêterades livres.

Il extrait de cette pensée toute la consolation possible.

— Des livres ! Quels livres ? Qu’est-ce que deslivres ? peste-t-il.

Deux ou trois fois, de triomphants souvenirs des incidentspassés animent sa face, et à ces minutes on pourrait presque ledire heureux.

Puis il y a aussi les périodes spéculatives.

— Supposons qu’un type s’y mette de toutes ses forces,qu’il travaille sans arrêt… en combien de temps ?

Notre héros traverse une crise chaotique, et le ciel seul peutsavoir ce qui en résultera. Il est beaucoup trop accaparé par sesméditations pour songer à poser encore, et c’est bien rare qu’iladresse la parole aux gens qu’il rencontre.

Vous êtes-vous aperçu, aussi, que la bicyclette qu’il monte areçu une couche de peinture émail d’un gris terne, et que le guidonest orné d’un timbre formidable ?

Cette silhouette traverse ainsi Basingstoke, Bagshot, Staines,Hampton et Richmond. Enfin, dans la grande rue de Putney, touteflamboyante des lueurs du couchant, grouillante des apprentisfermant les boutiques, des petits ouvriers rejoignant leursdemeures, des commerçants sur le pas de leurs portes, des omnibusblancs pleins d’employés s’empressant de rentrer vers leur dîner,nous prenons congé de lui. Il est de retour. Demain, recommencement: le lever matinal, l’époussetage, la besogne quotidienne, — maisavec une différence : ses souvenirs, merveilleux encore, remplaçantles impossibles chimères.

Au premier tournant, il quitte la grande rue, met pied à terreen soupirant, et pousse sa machine dans la cour des écuries de laMaison Antrobus et Cie, au moment où l’apprenti au grand faux cols’apprête à fermer les portes. Vous entendez quelques mots,compliments et salutations.

— La côte du Sud… Un temps splendide, absolumentsplendide !… Oui, j’ai troqué mon clou contre cette bécane-ci,avec une couple de souverains. Une machine épatante… et quiroule ! C’est malheureux qu’un idiot se soit amusé à labarbouiller en gris…

Les deux battants de la porte se rejoignent bruyamment, et M.Hoopdriver disparaît à nos regards.

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