La Burlesque Équipée du cycliste

Chapitre 34LE RASSEMBLEMENT

À la vue de Dangle et de Phipps qui revenaient, il croisa lesbras. Phipps était ébahi des difficultés que présente le maniementdu tandem qu’il menait à présent à la main, et Dangle manifesta desdispositions querelleuses.

— Miss Milton ? — dit-il sèchement.

M. Hoopdriver s’inclina sans décroiser les bras.

— Miss Milton est entrée ? — reprit Dangle.

— Et ne veut pas être dérangée, — déclara M. Hoopdriver.

— Vous êtes un malotru, monsieur, — gronda Dangle.

— À votre service, — répliqua dédaigneusement M. Hoopdriver. —Miss Milton attend l’arrivée de sa belle-mère.

M. Dangle hésita.

— Elle sera ici tout de suite… et voici son amie, Miss Mergle, —ajouta-t-il.

M. Hoopdriver décroisa lentement ses bras et, assumant unetranquillité formidable, enfonça ses mains dans les poches de sonpantalon. Alors, victime d’une de ses fatales hésitations, ilsongea que cette attitude pouvait être considérée commevulgairement insolente. Il retira ses deux mains, en remit une, etoccupa l’autre à tirailler sa moustache. Miss Mergle surgit danscet instant de confusion.

— Voilà le monsieur ? — demanda-t-elle, s’adressant àDangle. — Quelle effronterie, monsieur ! Comment avez-vousl’audace de me braver ? La pauvre enfant !

— Vous me permettrez d’observer… — commença M. Hoopdriver, avecson accent faubourien le plus prononcé, et, pour la première fois,il se vit, dans cette affaire, jouant, selon toute apparence, lerôle du traître.

— Pouah ! — fit, les lèvres retroussées. Miss Mergle, et,sans qu’il s’y attendît en aucune façon, elle le frappa en pleinepoitrine de ses deux mains étendues, et l’envoya trébucher enarrière jusque dans le vestibule de l’hôtel. — Laissez-moipasser ! — cria-t-elle, superbe d’indignation. — Commentosez-vous me barrer le passage ?

Pendant que Hoopdriver se cramponnait au portemanteau pourreprendre son équilibre, Dangle et Phipps, secoués de leur inertiepar la pétulance de Miss Mergle, s’approchèrent prestement, Phippsen tête.

— Vous avez le toupet d’empêcher cette dame de passer ? —s’écria Phipps.

Hoopdriver dédaigna de répondre et prit un air rétif, dangereuxmême, aux yeux de Dangle.

Au bout du couloir, un garçon, dans une livrée somptueuse,apparut, restant prudemment à l’écart.

— Ce sont les individus de votre espèce, monsieur, quidiscréditent leur sexe ! — prononça Phipps.

M. Hoopdriver enfonça solidement ses mains dans ses poches, et,sur un ton furibond, il répliqua :

— Je voudrais bien savoir qui vous êtes, vous, l’insolent.

— Et vous ? — rétorqua Phipps. — Qui êtes-vous donc ?C’est cela qu’il faudrait savoir. Et qui vous a permis de courir lepays avec une jeune fille mineure ?

— Ne condescendez pas à lui adresser la parole, — conseillaDangle.

— Pensez-vous que je vais raconter mes affaires au premier venuqui a l’impertinence de me questionner ? Ah ! non, parexemple ! — déblatéra M. Hoopdriver, et, du même ton acerbe etcourroucé, il ajouta : — Tenez-vous cela pour dit.

Phipps et lui, face à face, campés sur leurs jambes, sedévisageaient hargneusement, et nul ne sait ce qui serait arrivé sile clergyman, surexcité mais résolu, n’était apparu sur leseuil.

— Anachronisme en jupons ! — murmurait le sacerdotalpersonnage, victime du préjugé suranné qui exigeait une troisièmeroue et des vêtements noirs pour ecclésiastiques en vacances.

Il observa un instant les deux adversaires ; alors,étendant le bras vers Hoopdriver, il agita trois fois sa main,proférant simultanément et avec vigueur une syllabe évidemmentréprobatrice :

— Tchak ! Tchak ! Tchak !

Puis, concluant par un « Pouah ! » souligné d’un geste derépugnance, il entra dans la salle à manger d’où provenait trèsdistinctement la voix de Miss Mergle, déclarant qu’elle necomprenait rien à cette histoire.

L’énergique vitupération du clergyman eut sur Hoopdriver uneffet démoralisant, que compléta la soudaine arrivée du massifWidgery.

— C’est ce monsieur ? — s’enquit-il, lui aussi, d’un airfarouche et tirant du plus profond de sa poitrine une voixappropriée à la circonstance.

— Ne lui faites pas de mal ! — implora Mme Milton, lesmains jointes. — Quels que soient ses torts… pas deviolences !

— Vous êtes encore beaucoup comme cela ? — osa ricanerHoopdriver acculé contre le portemanteau.

— Où est-elle ? Que lui a-t-il fait ? — gémit MmeMilton.

— Je ne vais pas rester là à me laisser insulter par des tas degens que je ne connais pas, — déclara M. Hoopdriver. — Ne vousimaginez pas cela. Ne croirait-on pas que j’ai mangé lademoiselle !

— Me voici, mère, — dit Jessie, paraissant tout à coup, sur leseuil de la salle à manger.

Elle était très pâle. Mme Milton déclama quelques mots dictéspar la tendresse maternelle, et s’élança pour une étreintedramatiquement passionnée. L’embrassade s’engouffra dans la salle àmanger. Widgery fit mine de suivre, mais se ravisa.

— Je vous engage vivement à déguerpir, à moins que vous ne soyezdisposé à répondre à certaines questions qui pourraient vousembarrasser, — dit-il à M. Hoopdriver.

— Je n’en ferai rien, — protesta le jeune homme, la gorgeserrée. — Je suis ici pour défendre cette jeune fille.

— Vous l’avez défendue d’une façon suffisamment pernicieuse, jesuppose, — tonitrua Widgery.

— Sortez ! — ordonna Phipps menaçant.

— Je vais aller m’asseoir dans le petit jardin, — répondit aveccalme et dignité M. Hoopdriver, — et là, j’attendrai.

— Inutile de vous disputer avec lui, — observa pacifiquementDangle.

Le clergyman sortit de la salle, et la porte se refermadoucement sur lui.

M. Hoopdriver, dardant des regards de défi à ses adversaires, sedirigea fièrement vers le jardin. Mais, sous cette façadeintrépide, se débattaient des craintes tumultueuses. Pour qui doncle prenait-on ? Pouvait-on lui causer des ennuis ?Assurément il n’avait rien fait de mal. Jessie était-elle pupillelégale du Grand Chancelier ?

De la part de la belle-mère, au moins, Hoopdriver s’étaitattendu à quelque gratitude.

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