La Louve – Tome II – Valentine de Rohan

Chapitre 11LA TOILETTE DE CENDRILLON

Là s’arrêtait le récit du petit pâtour, quiétait parti en courant pour aller chercher de l’aide. Sur sonchemin, d’autres enfants, prenant leurs sabots à la main, s’étaientjoints à lui, criant avec lui : « Au feu !chrétiens, au feu ! »

Quand les chrétiens arrivèrent, un brasier,entourait le moulin de la Fosse-aux-Loups. C’était le taillis quibrûlait, formant un rempart de flammes autour du premier incendie.Nul secours ne pouvait passer, à travers cette furieusefournaise.

Le feu marcha tant qu’il trouva de l’aliment,c’est-à-dire tant que dura le taillis qui masquait naguère lesruines. Quand la flamme tomba, on vit la vieille tour toujoursdebout, mais noire, calcinée et fendue de larges crevasses. Ceuxqui osèrent y pénétrer reculèrent suffoqués et déclarèrentimpossible, qu’une créature humaine eût pu garder sa vie en celieu.

Tel était le récit principal, la versionauthentique. Mais en Bretagne, le merveilleux se colle à toutévénement tragique comme le lierre à l’arbre. Des gens affirmaientqu’au plus fort de l’incendie, et alors que la fumée brûlante,fouettée par le vent, aveuglait tous les regards, une forme blanches’était montrée derrière la ruine incendiée. D’autres, allant plusloin, donnaient pour compagne à la forme blanche l’ombre d’un géantnoir et semblable à une statue de fer. – Peut-être, disait-on déjà,l’âme de la Meunière et de son mystérieux compagnon.

Cela n’avait duré qu’un instant, pendant quela rafale couchait la fumée au ras du sol. La rafale passée,l’incendie s’était redressé tout couronné de flammes, et l’étrangevision avait disparu…

Céleste se mit à genoux et dit une prière pourcelle qui avait mis la main de Raoul dans sa main : ce fut laprière des morts.

La vallée était muette et sombre. Le ventfroid des nuits passait en sifflant sur les toits de Rohan, aprèsavoir arraché aux arbres de la forêt un sourd et large murmure. Lesgens commis à la garde du château s’étaient mis au lit sans doute,car on n’entendait plus aucun bruit à l’intérieur. Vers l’orientles flocons de vapeurs légères moutonnant à l’horizon commencèrentà blanchir ; l’amas confus de constructions gothiques quicomposait le manoir sortit peu à peu de l’obscurité. Les tourellessurgirent, portant des ombres profondes. Les vitraux, frappés parla lune qui montait par-dessus les taillis, renvoyèrent de blancsreflets.

Vous eussiez vu à ce moment le visage deCéleste, pensif, mais souriant. Les rêves tristes durent-ilslongtemps à cet âge ? Céleste, toujours accoudée contre sonbalcon de granit, avait fait comme la lune, qui, victorieuse,sortait d’un océan de nuages.

Elle n’avait pas revu Raoul depuis la visitede la Meunière. Et Raoul avait promis d’être ce soir au château deRohan-Polduc. L’heure n’était plus d’entrer dans la demeure deM. le sénéchal. Depuis bien longtemps Céleste avait entendufermer toutes les portes, et les grands chiens, détachés,secouaient par intervalles les grelots de leurs colliers dans lescours.

Une fois pourtant, Céleste crut ouïr le galopd’un cheval dans ce sentier montant qui menait de la vallée deVesvres à l’oseraie. – Mais ce n’était pas le galop d’un cheval. Àl’endroit où le sentier sortait des bruyères la lune envoyait unclair rayon. Le sentier sec et poudreux s’éclairait vivement parmila pelouse sombre. Céleste, qui ouvrait de grands yeux et quiregardait tant qu’elle pouvait, eut une bizarre vision.

Ce fut sans doute un vague ressentiment durécit du pâtour et des effrois de l’incendie. Céleste vit – ou crutvoir – deux fantômes glisser, tout noirs, sur ce coin blanc de laroute une femme dont la tête disparaissait sous l’ample capuchondes métayères de la forêt, un homme de grande taille, droit etraide, qui s’appuyait en marchant sur le pommeau d’une gigantesqueépée.

Ils quittèrent tous deux le clair, Céleste nerêvait pas pourtant ! Elle vit s’agiter les cimes des roseaux,dans la douve, elle entendit bruire les tiges à un instant où levent ne soufflait point.

Puis ce fut comme le bruit d’une clé dans laserrure de la poterne qui s’ouvrait sous le balcon…

Céleste se pencha, épouvantée, pour mieuxvoir. L’herbe croissait, haute et drue devant la poterne, qui,depuis bien des années, n’avait pas été ouverte, et le pied desmurailles était solitaire aussi loin que le regard pouvait seporter.

– Je dors debout, pensa Céleste enrentrant dans le boudoir, et déjà rassurée par la brillante clartédes lampes qui avaient éclairé la toilette de mesdemoisellesFeydeau.

Mais une autre peur la prit. Elle se trouva enface de la besogne qui lui restait à faire cette nuit et poussa ungros soupir en voyant les monceaux de chiffons jetés en désordredans le boudoir. Il fallait ranger tout cela avant de se mettre aulit, sans quoi, gare aux courroux de mademoiselle Agnès etmademoiselle Olympe !

Il y en avait ! il y en avait ! Lecontenu tout entier des armoires gisait sur le parquet. La pauvreCéleste joignit les mains, presque découragée. Elle commençapourtant sa besogne, pliant ceci, accrochant cela, et se hâtant deson mieux pour aller sagement se mettre au lit après avoir fait saprière.

Je ne sais en vérité comment la chose arriva,mais il est certain que, tout en pliant, rangeant, accrochant,l’idée lui vint qu’elle serait bien gentille avec ces chiffonsdédaignés. Elle tenait justement à la main une jupe de satin rose,recouverte de mousseline du Bengale : un vrai bijou de jupequ’elle avait chiffonnée elle-même. Mademoiselle Agnès l’avait miseune fois, mais la fraîche étoffe avait bruni le teint demademoiselle Agnès, qui s’en était prise à Cendrillon.

Céleste devint plus rose que la jupe de satin.Elle baissa les yeux et son sourire se fit espiègle. Ellehésita.

Mais sa main dénoua tout doucement le cordonde sa robe de toile.

Et Céleste était rouge ! Écoutez, il yavait de quoi. Ce n’était pas bien, ce qu’elle faisait là, et à soninsu, le péché d’orgueil se glissait dans son petit cœur.

À la place de la robe bise, elle noua le juponde satin rose, dont les plis brillants se prirent à miroiter.Ah ! ce n’était pas bien ! Le pardessus vint comme unnuage léger et gracieux, adoucir ces teintes trop éclatantes. Toutcela était trop large, mais Céleste ne pouvait être embarrasséepour si peu. Quand elle eut réduit la ceinture pour l’adapter à sataille, elle glissa vers la glace un regard sournois. C’étaitmal.

Le plaisir pétilla dans ses yeux. Elle n’avaitpas espéré se trouver si jolie. Va-t-elle donc devenir coquette.Les choses galopent sur ce chemin là.

Avec une si éblouissante jupe il faut uncorsage assorti, et peut-on seulement songer à lacer un pareilcorsage en gardant ses cheveux, fussent-ils les plus beaux dumonde, en désordre sous un petit bonnet rond ?

Le bonnet vola au plafond. Les cheveux librestombèrent en boucles prodigues, Céleste les reprit à pleines mains,les tordit, les natta, ces admirables cheveux, toujours captifsjusqu’alors, et son front d’enfant eut une splendide couronne. Elley enlaça une branche de clématites, prise au hasard dans cefouillis de fleurs.

– Ah ! se dit-elle en jetant unregard d’envie vers la boîte à poudre, il me manque cela !

La folle ! elle eut voulu ternir le noirémail de sa chevelure ! Elle mit du moins une mouche sous lapommette de sa joue si rose, puis une autre auprès de la fossettemignonne que le sourire creusait au coin de ses lèvres. Elle sautade joie ! nous la gronderons tout à l’heure et bien fort.

– Au corsage, maintenant !s’écria-t-elle.

Voici l’histoire de ce corsage, qui était envelours blanc, ruché de dentelles flamandes. Mademoiselle Olympebuvait matin et soir du vinaigre pur, afin d’amincir sa taille. Unempirique bas-breton lui avait en outre conseillé, dans ce but,l’extrait de chicorée. Au bout de trois mois, elle devait êtrediaphane comme la fée Diffo, qui passe de nuit sur les moissons dupays gallois, sans courber la tige tremblante des épis. Dans laprévision de ce résultat, mademoiselle Olympe avait commandé cefameux corsage. Les trois mois étaient écoulés depuis longtemps, etle corsage demeurait trop étroit de moitié.

Voilà pourquoi le corsage restait àCendrillon. Elle l’endossa sans efforts.

– C’est impossible ! pensait-elle,je me trompe… Je ne suis pas si jolie que cela !

Vous voyez !…

Or, il y a un dicton dans le pays de Rennes,qui affirme ceci « Quand une fillette est seule, et qu’elle seregarde dans un miroir, elle voit le diable. »

En conscience si Céleste avait vu le diable ence moment, elle n’aurait eu que ce qu’elle méritait :

Elle ne le vit pas, mais…

– Pan, pan, pan !

On frappait à la porte, c’était peut-êtrelui !

Céleste se sauva jusqu’à l’autre bout de lachambre, et joignit les mains pour demander pardon à Dieu.

– Qui est là ?

– C’est moi.

C’était une voix d’homme, de jeune homme. Sila pauvre enfant avait mal fait, elle était cruellement punie, carson effroi allait jusqu’à la détresse.

– Peut-on entrer ? dit la voix.

Céleste ne répondit pas, et la voixreprit :

– Je suis bête, je n’ai qu’à tourner labobinette…

Céleste, légère comme un oiseau, traversa lachambre en deux bonds et tira le verrou au moment où le pênegrinçait dans la serrure.

– Ah ! par exemple, fit la voix, jen’ai point eu raison de parler, la v’là barricadée.

– Magloire ! pensa Céleste à qui lecourage revenait tout d’un coup, non-seulement parce qu’elle avaitreconnu le style et la voix du porteur de pain de l’hôtel Feydeau,mais encore parce que la porte était maintenant solidementclose : que vient-il faire ici ?

– Faut m’ouvrir, disait en ce momentMagloire, si vous voulez avoir la lettre de l’officier… Maispeut-être que vous ne savez point lire !

– De l’officier ? répétaCéleste.

– Oui, apportée par un soldat àcheval.

Magloire avait dans le quartier de l’hôtelFeydeau réputation très bien établie d’innocence. Célesten’écoutait déjà plus et se disait :

– J’ai hâte de reprendre une robe !Il y a eu un moment où ces chiffons me brûlaient ! Si Raoulétait venu pour obéir à la Sorcière et qu’il m’eût trouvée ainsi,je crois que je serais morte de honte !

– Dites donc, la Cendrillon ! criaMagloire d’un ton piqué, ne faut point faire la fière avec moi,j’ai quitté de chez nous pour entrer dans le gouvernement apprentid’ambassades, m’ouvrirez vous, oui ou non !

– Non, répondit Céleste, va-t-en, mongarçon.

– C’est que le soldat a dit que si je nevous donnais point la lettre, il me casserait les reins. Ouvrezrien qu’un petit peu, je n’ai point envie de causer avec vous quin’êtes que domestique… attendez ! v’là la lettre entrée toutde même. Je l’ai glissée sous la porte et je vas reboire avec lesoldat… n’empêche que vous n’avez point de politesse !

Céleste entendit son pas qui s’éloignait dansle corridor. Sa première idée fut de reprendre vitement ses habitsde tous les jours, mais comme elle se penchait pour écouter et sebien assurer qu’il n’y avait plus personne à la porte, elle aperçutune moitié de lettre qui passait en effet entre le battant et leseuil.

Elle la prit en se demandant à laquelle desdeux Feydeau ce message pouvait bien être adressé. Était-ce àMlle Olympe ou àMlle Agnès ?

Céleste savait lire, en dépit des doutesexprimés par Magloire. Au premier regard qu’elle laissa tomber surl’enveloppe, elle vit son nom bien lisiblement tracé.

– Moi ! dit-elle stupéfaite c’estpour moi !…, un officier !

Elle rejeta la lettre sans éprouver même unmouvement de curiosité et porta ses mains à la première agrafe dufameux corsage, mais avant que l’agrafe fût lâchée, ses mainsretombèrent et elle murmura :

– Si c’était de Raoul !

Quelle pitié ! Tout au plus Raoul pouvaitêtre soldat depuis quelques heures. Même dans les contes qui sedisent aux veillées de Bretagne, c’était trop peu de temps pourpasser officier.

Céleste reprit la lettre, mais ce fut pourl’approcher de la flamme et la détruire, car elle se sentaitentourée de méchants, et sans connaître rien du monde, elledevinait qu’un pareil message pouvait prêter à la calomnie.

Un coin de la lettre roussit, puis flamba.

– Si c’était de Raoul…

Vous savez, il n’y avait guère d’apparence,mais Céleste souffla sur l’enveloppe et l’ouvrit. Dès la premièreligne un éblouissement lui passa devant les yeux. Elle avait luceci « Mademoiselle Céleste, me voilà officier du roi, grâce àla Meunière… »

N’en pouvant croire son regard, elle courut àla signature qui était ainsi :

« RAOUL, cornette au régiment deConti. »

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