La Louve – Tome II – Valentine de Rohan

Chapitre 3ROHAN NE MEURT PAS

Aussitôt que le comte de Toulouse connut lesmesures extrêmes prises contre les paysans révoltés de laFosse-aux-Loups, il fit partir un détachement de ses gardes,escorté par les sapeurs de la ville, avec ordre de déblayerl’entrée des grottes. Il fit cela par humanité d’abord, car c’étaitun noble cœur ; il fit cela ensuite par politique. Son opinionétait qu’on ne pouvait point abattre la résistance bretonne par laterreur. Un semblable massacre avec ses hideuses conséquencesdevait soulever la province tout entière.

Yves Quimper de Lanascol, écuyer de lacomtesse de Toulouse, fut chargé de conduire les travailleurslibérateurs. L’harmonie toute celtique de ce vaillant nom deBasse-Bretagne indique elle-même la pensée du prince. Il voulaits’entourer et entourer sa femme de Bretons.

Lanascol, âgé de vingt ans, avait, à quelquessemaines de là, quitté pour la première fois le manoir paternel. Enpartant, il avait essuyé les larmes de sa bonne mère à force debaisers et promis qu’il gagnerait de l’honneur. Et tout le long dela route qu’il faisait à cheval, depuis les Montagnes Noiresjusqu’à ce bassin plat et brumeux où la ville de Rennes est assise,Yves songea à sa mère bien-aimée.

Voilà qu’une bonne occasion lui venait degagner de l’honneur ! Yves de Lanascol, reconnaissant jusqu’àl’enthousiasme, baisa la main du prince et sauta en selle.

– Ma mère sera contente, sedisait-il.

Sa mère porta le deuil. On raconte encore lamort du pauvre écuyer Yves Quimper de Lanascol, aux veillées duFinistère. La légende dit qu’il était beau, ce qu’il fit prouvequ’il était brave.

Il était nuit encore quand il arriva avec satroupe sous l’étang du Muys. On se mit tout de suite à l’ouvrageet, dès qu’il y eut un passage ouvert, Lanascol entra le premier encriant :

– Pardon pour tous !

Il se heurta contre les corps morts de ceuxqui s’étaient fait tuer derrière la grille. On alluma des torches.Les grottes étaient désertes. Lanascol traversa la grande galerietoute jonchée des débris de l’orgie. Il parvint à la chambre duconseil, où était le cadavre de Yaumy, le joli sabotier.

La draperie d’argent relevée laissait voir laniche, et dans la niche l’ouverture par où les Loups avaient opéréleur retraite. Cette ouverture rendait des bruits confus etprofonds.

– Ils sont là ! se dirent lessoldats et les pionniers.

Lanascol, malgré les prières des siens, montrasa poitrine découverte à l’ouverture et cria de nouveau que SonAltesse le gouverneur de Bretagne donnait quartier à tous lespaysans révoltés. On ne lui répondit point. Il dit : –Avançons !

Chacun savait bien que ces grottes étaientpleines de précipices. La troupe hésitait. Lanascol saisit unetorche la brandit au-dessus de sa tête et s’élança dansl’ouverture. On entendit ce cri : – Ma mère !… Lanascolet sa torche avaient disparu dans l’abîme qui s’ouvrait à dix pasde l’entrée.

Telle fut la nouvelle que les gardes deToulouse rapportèrent en la ville de Rennes. Cela se répandit avecla rapidité de la foudre dans les hôtels nobles comme dans lesloges du petit peuple. Les Loups avaient dû mourir tous jusqu’audernier dans ce précipice sans fond. Il n’y avait plus deLoups !

Comme on le pense bien, ni M. l’intendantde l’impôt, ni M. le sénéchal, ne s’étaient couchés cettenuit-là. Ils furent des premiers à savoir la nouvelle. Au petitjour, Alain Polduc était dans le cabinet de son beau-père.

– Vainqueurs sur toute la ligne !s’écria-t-il ; tout a disparu, tout !… mon excellent ami,hier au soir j’ai bien cru que nous étions noyés sansressource !

– Et moi donc ! répartitFeydeau.

– Ah ! beau-père, beau-père !reprit Polduc avec effusion, quand j’ai vu M. de Rieuxdonner du pommeau de son épée au visage de ce lâche coquin deYaumy ; quand j’ai vu madame Isaure tenir tête à tout lemonde, et le seigneur Martin Blas prisonnier au milieu d’un cerclede patauds inconnus, j’ai eu bien envie de monter à cheval et dem’en aller tout d’un trait à Saint-Malo louer une barque pourpasser en Angleterre.

– Comment ! fit Achille Musée avecun mouvement d’épouvante rétroactive, ça a été jusque-là ?

– Mon beau-père, répondit Polduc, entrel’abîme et nous, il y avait juste l’épaisseur d’uncheveu !

– Mais maintenant mon gendre ?

– Maintenant, j’ignore comment la choses’est faite, mais il est certain que tous ceux que nous avonslaissés dans les grottes sont morts à l’heure qu’il est. Or,comptez sur vos dix doigts : Yaumy, qui en savait trop long etqui nous gênait ; Martin Blas, qui nous faisait peur ;Valentine, notre tête de Méduse, et très-probablement son vieuxpère, s’il n’était pas déjà défunt, et très-certainement, Céleste,sa fille. Je ne parle même pas de Josselin Guitan et de sa mère quia si bien failli nous garder dans le pétrin…

– Alors, mon gendre, s’écriaAchille-Musée, enchanté, nous n’avons plus qu’à fêter notrevictoire ?

– Erreur, mon beau-père ! Ce petitRaoul qui a sauvé hier la comtesse de Toulouse nous reste sur lesbras. L’hydre a encore une tête. Ce matin, s’il vous plaît, nousallons nous mettre en quatre et dépenser un million, pour que cesoir nous soyons les maîtres définitivement !

**

*

Il était onze heures du matin. Legros, comme on appelle encore la menue cloche del’Hôtel-de-Ville, sonnait de minute en minute ce coup unique etprolongé qui annonçait les délibérations solennelles du parlementbreton.

Or, la délibération d’aujourd’hui étaitsolennelle entre toutes. Les États de Bretagne, rassemblés enséance extraordinaire ; sur l’ordre du prince gouverneurlui-même, avaient convoqué les quatre chambres du parlement.

Cela ne s’était vu qu’une fois, lors du votede résistance contre les subsides demandés parM. de Mercœur dans la guerre contre le Béarnais.

Il s’agissait de juger le grand procès deRohan.

À Dieu ne plaise que nous prétendions riendire contre les magistrats du parlement rennais, encore moinscontre messieurs des États ! Il est certain, cependant,qu’Alain Polduc et le million de son beau-père avaient trouvé à quiparler depuis ce matin. Dans l’opinion de tous, le procès étaitjugé d’avance. Il y avait quinze ans et plus que le litige étaitpendant ; Alain Polduc avait droit : on ne pouvait pluslongtemps lui refuser justice.

Aussi, quand mesdemoiselles Feydeau sortirentde l’hôtel dans le carrosse de leur père, toute une populace, quiavait eu sa petite part du million, se mit-elle à suivre encriant : – Dieu garde Rohan et les bellesdemoiselles !

La ville était encore fortement émue desévénements de la nuit précédente. Les maisons restaient désertes.Rennes tout entier était descendu dans les rues qui avoisinaient lepalais des États. La place du palais elle-même semblait une meragitée, tant la foule l’emplissait exactement.

La maison des États, qui est maintenant lepalais de Justice, à Rennes, est un quadrilatère dont la faceméridionale (la façade) est occupée par la salle des Pas-Perdus.Les trois autres côtés sont tenus par des salles d’audience quidonnent sur trois galeries intérieures. La grand’chambre actuelle,où se tenaient les séances des États, prend la face orientale dumonument. La décoration en est magnifique. Le plafond est deCoypel, les peintures murales appartiennent à Jean Jouvenet. Lestentures en point de Flandre avaient coûté quinze cent mille livresà Honoré d’Albert, duc de Chaulnes, avant-dernier gouverneur deBretagne.

Cette salle, d’aspect monumental, était digneen tout de sa haute destination et de la fière province dont elleabritait les représentants.

Mais ce jour-là elle était de beaucoup troppetite, et les portes élargies des deux salles voisinesétablissaient une communication rendue nécessaire par la présencedu parlement et de tous les corps d’état. Un double trône, placé aucentre de l’enceinte, était réservé à Leurs Altesses. Le présidentdes États s’asseyait immédiatement au-dessous. À droite, troissièges attendaient Rohan et ses filles adoptives. Rohan, bienentendu, c’était Alain Polduc.

La séance ouvrit à onze heures. Le présidentde Montméril fit le rapport. À onze heures et demie Leurs Altessesentrèrent par la porte du greffe, et l’intendant Feydeau fitaussitôt porter un dais aux armes de Bourbon et de Noaillesau-dessus de leurs trônes.

On trouva froid et trop bref le sourire deremercîment que le prince gouverneur lui adressa. Leurs Altessesenvoyèrent, au contraire, un salut gracieux et tout bienveillant àM. de Rieux, qui entrait en même temps qu’elles, portantson nouveau costume de brigadier des armées du roi, et qui venaitprendre son poste à la grande porte.

Achille-Musée, qui jusqu’alors avait étéradieux, eut un méchant pressentiment et se tourna vers son gendre.Celui-ci attendait non loin de M. de Rieux, avec lesdemoiselles Feydeau. Il fit signe à son beau-père. Puis, voyant quecelui ci s’agitait sur son siége comme si le coussin en eût étérembourré d’épingles, il traça quelques mots sur ses tablettes, etlui envoya un pli fermé par un huissier.

Le billet trouvé sur Feydeau après la séancecontenait ces mots : « Nous sommes sauvegardés de toutesparts. Il y a deux mille hommes à nous au dedans et au dehors dupalais. »

Par le fait, Alain Polduc avait acheté cematin toute une armée. Mais de tous les traficants, les pluseffrontés voleurs sont ceux qui font marchandise d’eux-mêmes.

Nous avons besoin de dire, avant de raconterla scène étrange qui se passa ce matin au palais des États deBretagne, comment était constituée la foule compacte, massée àl’intérieur de l’édifice, dans les vestibules, sur les perrons etsur la grande place. La foule, en effet, joua son rôle importantdans ce dernier acte de notre drame.

Au dehors, sur la place du palais, il s’étaitfait une sorte de travail d’épuration parmi la cohue. Tout le longde la petite rue Saint-Benoît, située sous les fenêtres de lagrand’chambre, le long du couvent des capucins et aux alentours dela place, c’étaient des paysans du domaine de Rohan-Polduc et destenanciers de Feydeau. Ils avaient systématiquement repoussé lesfemmes et aussi le peuple des basses rues de Rennes. Évidemment, onles avait apostés là à dessein.

Au centre de la place et sur les degrés,c’étaient aussi des paysans, mais des paysans de la forêt, à l’airfarouche, à la tenue sauvage. Leurs figures basanées se cachaientsous de grands chapeaux de paille ou de feutre, d’où s’échappaientleurs chevelures ébouriffées. Ils étaient là en troupe serrée.Leurs mouvements se faisaient tout d’une pièce. Ils avaient refouléles tenanciers de Polduc, sans mot dire et par le seul poids deleur masse.

On en voyait jusque sur le perron, côtoyantles derniers rangs des gentilshommes. Les gentilshommesencombraient les vestibules, escaliers et galeries jusqu’à l’entréemême de la salle des États.

Comme midi sonnait à l’horloge del’Hôtel-de-Ville, on vit arriver par la rue Saint-Georges unsingulier cortége qui avait grand’peine à obtenir passage. C’étaitune paysanne dont les traits disparaissaient presque complétementsous son capuchon de bure amplement rabattu ; elle tenait unejeune fille par la main. C’était ensuite un vieillard enveloppédans un grand manteau, qui était soutenu par un gars de la forêtd’un côté, par un gentilhomme tout jeune et brillamment costumé del’autre. C’était enfin une femme d’âge, pipe en bouche et rosaire àla main.

– Holà ! nos bonnes gens, dirent lespremiers paysans qui les virent à l’embouchure de la rueSaint-Georges, vous ne passerez point, quand vous seriez la reineet le roi !

– Place ! fit le jeunegentilhomme.

Le vieillard n’ouvrit point la bouche. Lapaysanne saisit le bras de celui qui avait parlé.

– As-tu vu l’incendie du moulin de laFosse-aux-Loups, François Lequien ? murmura-t-elle ; j’aipassé au travers de ces flammes… gare à ceux qui me feront obstacleaujourd’hui. Dis-leur que je suis la Meunière !

François Lequien arracha son bras comme s’ileût été dans le feu. Il se pencha vers ses voisins. Ce mot courutde bouche en bouche :

– La Meunière !

Et dans cette masse où vous n’auriez puglisser votre bras, une large trouée se fit comme parenchantement.

À ce moment, dans la grand’chambre, le premierprésident prenait la parole pour résumer les prétentions de Polducet les instances des demoiselles Feydeau.

La paysanne, le vieillard, le jeunegentilhomme, le gars et la bonne femme, s’engagèrent dans la voiequi leur était ouverte. Chacun se reculait d’eux avec terreur. Onse signait à la vue du vieillard, ce mort qui marchait ! –Quelle diablerie allait faire la Meunière ?

Quand les rangs des vassaux de Polduc et deFeydeau furent percés, le cortége vint se heurter contre un nouveaumur humain : ces hommes à feutres rabattus et à grandeschevelures : sabotiers, charbonniers et bûcherons.

– Place ! dit encore le jeunegentilhomme.

Les hommes de la forêt le mesurèrent d’un œilinsolent et se mirent à rire. Aucun d’eux ne bougea.

– Julot ! dit la paysanne àdemi-voix.

Tous ceux qui l’entendirent dressèrentl’oreille.

– Josille ! continua la paysanne,Francin ! Benoît !

Quatre bons gars s’avancèrent tête nue.

– Prenez-moi ce vieil homme sur vosépaules, ordonna la paysanne, et allez en avant jusqu’à ce que jevous dise : C’est ici :

Un nom, cependant, avait encore couru debouche en bouche : ce n’était plus celui de la Meunière. LesLoups disaient : – La Louve !

Car tous ceux qui étaient là, c’étaient lesLoups de la forêt de Rennes, sauvés cette nuit par Valentine deRohan. Un pont de planche jeté sur ce précipice où le pauvreLanascol avait trouvé la mort, leur avait livré passage. Le dernierfugitif avait, d’un coup de pied, poussé le pont au fond del’abîme.

Le nom de la LOUVE fit osciller toutes cessombres têtes d’un bout à l’autre de la place.

On vit bientôt s’élever au-dessus du niveau lapâle figure du vieillard ; porté à bras, et dont les cheveuxblancs flottèrent au vent. Les quatre porteurs trouvèrent partoutla route ouverte au-devant d’eux, jusqu’au perron.

Mais en arrivant au pied du perron, il fallutlutter encore. C’étaient maintenant les gentilshommes qui barraientla route. La paysanne dégrafa son mantelet à capuce, qui découvritun noble et beau visage.

– Messieurs, dit-elle en rejetant enarrière les riches boucles de ses cheveux, tandis que son humbledéguisement tombait à ses pieds, ne voulez-vous point livrerpassage à la comtesse Isaure ?

– Vive Dieu ! répondit le cadet deLaval, s’ils ne le voulaient pas, belle dame, il faudrait doncjouer de l’épée, car moi je le veux !

Mais tous le voulaient. Qui donc, parmi lajeune noblesse de Rennes, eût fait mine de résister à la belle desbelles ? Les quatre Loups qui portaient le vieillardpassèrent. On ne faisait nulle question, quoique chacun pût biendeviner qu’un événement étrange allait avoir lieu.

Après le vieillard, madame Isaure venait,tenant toujours par la main cette charmante jeune fille quemessieurs de la noblesse reconnaissaient pour l’élue de cette nuit.Tous ils l’avaient vue apporter les clés de la ville sur un platd’or.

Derrière Isaure et sa compagne, arrivaientJosselin et dame Guitan. Ces deux derniers, après qu’on euttraversé le vestibule, monté les escaliers et franchi les galeries,s’arrêtèrent au seuil de la grand’chambre, en dehors.

Le vieillard, les deux femmes et le jeunegentilhomme entrèrent sous la carrée en tapisserie flamande quidécorait la porte principale. M. de Rieux, qui était là,dit tout bas à madame Isaure :

– Pas encore.

En même temps il détacha l’embrasse quirelevait le lourd rideau. La draperie tomba. Notre cortége devintsubitement invisible pour les gens qui étaient dans la salle. Lepremier président achevait à cet instant son résumé qui penchaitmanifestement en faveur de M. le sénéchal et de ses fillesd’adoption. De nombreuses marques de contentement accueillirent sapéroraison : il y eut là pour cinq ou six cent mille livrestournois d’enthousiasme, au plus juste prix.

Mais au moment où M. le sénéchal et sesdeux filles s’ébranlaient sur un signe du maître des cérémonies,l’intendant Feydeau arrêta son gendre. Il venait de recevoir unbillet passé de main en main, et de larges gouttes de sueurrayaient son fard.

– Nous sommes perdus !balbutia-t-il.

Polduc haussa les épaules et passa outre.Alors, sous la carrée qui fermait la porte principale,M. de Rieux dit :

– Il est temps !

Et il se mit en marche, précédant lui-même lecortége mystérieux.

Quand la tête morne et toujours belle du vieuxcomte Guy parut au-dessus des autres têtes, une longue rumeur sefit dans la salle des États. M. de Toulouse se leva deson trône, et tout le monde dit – c’est pour saluerRohan !

La perruque du pauvre intendant s’affaissa. Onne le vit plus. Il s’était évanoui comme une vieille femme qu’ilétait.

Polduc, au contraire, fendait la foule d’unair content et fier. Ces rumeurs, il les prenait pour lui. Ce nomde Rohan, il se l’appliquait tout naturellement et rendait grâces,à part lui, au coffre-fort de son beau-père qui lui faisait une sibelle fête. Il ne s’aperçut de ce qui se passait derrière lui qu’enarrivant aux degrés de l’estrade. Mademoiselle Olympe etmademoiselle Agnès avaient déjà monté les marches.

Polduc se retourna parce queM. de Rieux lui toucha l’épaule. À la vue de Rohan portéainsi comme en triomphe, les yeux du sénéchal s’injectèrent et saface livide se décomposa. C’était un homme foudroyé sur place.

Madame Isaure, passant devant lui, écarta dela main les deux demoiselles Feydeau, qui choisissaient leurssièges et comme celles-ci lui demandaient fièrement de quel droit,elle répondit :

– Ces siéges sont à Rohan ; ce n’estpoint ici votre place, mes belles !

Puis elle ajouta en s’asseyant après safille :

– Nous sommes les Rohan !

Raoul était debout derrière son siége. Lesquatre porteurs avaient déposé le vieillard sur le fauteuil dumilieu, plus élevé que les autres.

La rumeur avait cessé. L’émotion de tous setraduisait en un profond silence.

On vit alors quelque chose d’inouï dans lesfastes parlementaires. Leurs Altesses, le prince gouverneur et safemme traversèrent l’estrade dans toute sa largeur et vinrentau-devant de celle que madame de Toulouse avait insultée la veille,en plein bal, sous le nom de la comtesse Isaure. Madame de Toulouselui présenta la main et la baisa au front.

– Monseigneur, dit Valentine, voicimonsieur mon père, le comte Guy qui est proscrit par sentenceroyale. J’ai besoin qu’il parle. Étendez sur lui votre protection,afin qu’il soit entendu.

– Rohan est ici parmi ses pairs, réponditle comte de Toulouse ; j’apporte de Paris l’ordre du roi quilui rend ses titres et ses biens.

Puis, se tournant vers le vieillard :

– Parlez, comte, vous êteslibre !

Un peu de sang monta aux joues terreuses duvieux Breton.

– C’est peut-être la volonté de Dieu,murmura-t-il, que la Bretagne soit sauvée par la France.

Puis d’une voix qui déjà n’était plus de laterre.

– Bourbon ! reprit-il, tu es unnoble prince. Je veux bien porter témoignage devant toi… Voici lefils de César, mon premier né. Voici la fille de maValentine : tous deux issus de légitimes unions… tous deuxRohan, je le jure !

Il se tut. Le comte de Toulouse fit un pasvers lui la main tendue. Mais Rohan avait fait son devoir. Sondernier mot avait été son dernier soupir. La mort le sauvait decette alternative : donner sa main bretonne à un Français,refuser sa main loyale au plus loyal des chevaliers. Il était tombéd’un temps, tout d’une pièce et sans chanceler.

Rieux dit :

– Il s’est couché, du moins, en saplace ! Voici son fils, Rohan ne meurt pas !

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