La Louve – Tome II – Valentine de Rohan

Chapitre 9LES DEMOISELLES FEYDEAU

Agnès et Olympe étaient accompagnées de deuxpetites servantes.

– Nous venons reprendre possession denotre domaine, messieurs dit Agnès, une belle blonde à l’œiléveillé.

– Nous chassez-vous tout de suite ?demanda Polduc.

Olympe, désespérant d’être aussi dégagée quesa sœur, avait pris la spécialité langoureuse. Elle avait lescheveux chatains, la taille un peu épaisse et le teint de hautecouleur.

– Nous n’avons plus qu’une heure pourfaire toilette, dit-elle en traînant ses paroles, et cetteCendrillon est si maladroite !

– Puisqu’on nous donne congé, monsieurl’intendant, fit Polduc, qui avait hâte d’aller ailleurs continuerl’entretien, obéissons de bonne grâce.

Feydeau baisa les mains de sesfilles :

– Je peux-ti m’en aller ? demanda ence moment l’ancien fiancée de Sidonie.

– Qu’est-ce là ? s’écrièrent à lafois mademoiselle Agnès et mademoiselle Olympe qui ne l’avaient pasmême aperçu.

– Ô mes belles demoiselles ! fitMagloire les larmes aux yeux, elle est la nièce de chez nous quevous y prenez vos gâteaux. Ayez pitié d’un pauvre malheureux égarépar son inclination, car c’est pour me faire une positionsusceptible de demander sa main que je me suis mis dans macirconstance où je suis !

Les deux sœurs se regardaient en riant.

– Suivez-nous ! commanda Polduc.

Magloire joignit les mains, implorant duregard les deux sœurs. Quand il vit qu’il n’obtenait rien qu’unéclat de rire impitoyable, il se redressa.

– C’est bon ! dit-il, j’ai macondamnation dans mon sac ! N’empêche qu’on dit ce qu’on ditdans le quartier. Les demoiselles Feydeau n’attendent pas à semarier pour changer de nom… à cause qu’elles attendraientlongtemps ! attrape !

Il se précipita sur les pas de l’intendant,qui sortait le dernier. Du seuil il cria encore :

– V’là ce que c’est, mes bellesdemoiselles. On dit ça… en plus que vous avez beau faire lesrenchéries, tous nos jeunes messieurs regardent la robe de toile deje sais bien qui par dessus vos falbalas !

Il ferma la porte avec bruit. Agnès et Olympe,étaient rouges de colère.

– Mon beau-père, disait cependant Polducdans le corridor, il faut que tout cela parte cette nuit :l’argent et la fillette !

– Et si les Loups attaquentl’escorte ? objecta Feydeau.

– Les Loups attaqueront, répondit Polducmais la fillette et l’argent ne seront pas dans le même panier.

Et sans s’expliquer davantage, ildemanda :

– Où es-tu, petit ?

– Ici répliqua Magloire dansl’ombre : Pendez-moi, si vous voulez, mais je leur ai rivéleur clou, à ces deux là !

– Veux-tu devenir un hommed’importance ? reprit le sénéchal.

– Je veux bien, fit Magloire, ça m’estdû, mais quoi que vous me nommerez ?

– Courrier d’État.

– C’est-il beaucoup ?

– Presque autant qu’un ambassadeur.

– Combien qu’on gagne à êtreambassadeur ?

– De quoi épouser Sidonie, repartitl’intendant qui vint se mêler à l’entretien.

Magloire se rengorgea.

– Savoir, fit-il avec un sourire finaud,si je voudrais encore d’elle quand j’aurai de quoi… Et querisque-t-on ?

– Rien.

– Alors, ça me va !

– Descends à l’office, repritPolduc ; mange bien, bois mieux, couche-toi ensuite et faisune somme. On te réveillera quand il faudra entrer enfonctions.

**

*

Mademoiselle Agnès Feydeau de Brou avaitvingt-quatre ans ; sa sœur Olympe atteignait sa vingt-deuxièmeannée. On se mariait alors de bonne heure. Agnès et Olympe étaientdéjà presque des vieilles filles.

L’intendant de l’impôt était riche à millionset ses filles avaient quelque beauté, mais ceci ne suffisaitpoint : le Breton, de sa nature, est fier comme deuxEspagnols : mésalliance là-bas, vaut presque déchéance, etAchille-Musée n’était après tout qu’un traitant. Si peu considéréque fût Alain Polduc, son mariage avec l’aînée des Feydeau avaitmécontenté toute la province, eu égard au titre de vicomte de Rohanqu’il portait !

Olympe et Agnès n’étaient point de méchantespersonnes ; elles cherchaient des maris là où les maris setrouvent. Dans toute foule on était sûr de rencontrer Agnès etOlympe, toujours pompeusement parées, portant haut et armées deleur banal sourire.

Filles de cire : rien dans la tête, riendans le cœur, des poupées jolies, bavardes, vaines, froides. Ellesjalousaient la vraie noblesse au-dessus d’elles ; au-dessous,elles écrasaient de leur mépris la bourgeoisie. Ajoutez à cela unbon fonds de médisance, de curiosité, de moquerie, beaucoup dehardiesse, point de religion, peu d’esprit et certain vernisd’instruction inutile recouvrant une épaisse couche d’ignorance,vous aurez un portrait assez ressemblant des deux demoisellesFeydeau.

Elles commandaient à quatre esclaves quiavaient là un dur métier. C’étaient d’abord Annette et Mariolle,les caméristes en titre ; c’était ensuite Céleste, surnomméeCendrillon, cette gracieuse fillette qui cueillait des bouquets devéroniques dans la prairie ; c’était enfinMlle Zoé des Étangs du Ronceroy de Kerméléon, leurancienne gouvernante, passée à l’état de dame de compagnie.

Zoé des Étangs du Ronceroy de Kerméléon étaitde bonne maison. Elle avait mission d’accompagner ces demoiselles.Figurez-vous une petite femme au visage terni, à la tournurepauvre, toujours vêtue de laine brune plus triste qu’un deuil.Agnès et Olympe la gardaient pour faire ombre au tableau de leursplendeur. À ce martyre, la pauvre Zoé gagnait juste de quoi nepoint mourir. Sait-on pourquoi elles tiennent à vivre ?

En entrant dans le boudoir, Agnès lui dit d’unton de protection :

– Allez, des Étangs, allez faire toilettema bonne.

– Et tâchez, ajouta Olympe, de n’être pastrop ridicule, n’est-ce pas ?

Zoé gagna sa petite chambre, froide et sentantle renfermé. Elle tira du fin fond d’une armoire une fameuse robede soie pure qu’on lui avait donnée à l’époque où feu l’aînée desdemoiselles Feydeau avait eu son trousseau de noces. Zoé dépliarespectueusement les serviettes munies de camphre, de poivre et delavande, qui gardaient l’étoffe contre les vers, et commença satoilette solitaire.

– Preste ! leste ! disaitcependant mademoiselle Olympe à Mariolle.

– Dépêchons nous, Annette ! faisaiten même temps mademoiselle Agnès.

Et toutes deux à la fois :

– Mais où donc est cette fainéante deCendrillon ?

Cette fainéante de Cendrillon avait étéchargée de grands préparatifs par chacune des sœurs, en cachettel’une de l’autre. Mlle Agnès espérait si bien,cette nuit, éclipser Mlle Olympe, etMlle Olympe était si certaine d’écraserMlle Agnès !

Annette et Mariolle entamèrent lespréliminaires de la double toilette. Pendant qu’on coiffait cesdemoiselles, il fut question de ce galant concours où la plus belledevait emporter l’honneur de présenter les clés de la ville au filsde Louis XIV. Tout en livrant leurs chevelures aux soins desfilles de chambre, elles s’entr’examinaient à la dérobée. Agnèspensait : – Pauvre Olympe !… j’en suis fâchée pourelle…

Et Olympe se disait : – PauvreAgnès ! peut-on s’aveugler ainsi !

Ceci sans préjudice d’un flux de reproches,adressés à la gaucherie des rustiques caméristes. Olympe et Agnèsétaient de détestable humeur. Ce nigaud de Magloire avait touchéjuste dans sa colère ; l’orgueil des demoiselles Feydeau étaità vif de cette récente blessure. Il y avait longtemps queCendrillon leur semblait trop belle.

– Je suis affreuse ! s’écriaMlle Agnès la première en repoussant Mariolle.

– Je suis horrible ! fit à son tourMlle Olympe.

– Il nous faut Cendrillon !ajoutèrent-elles. Il n’y a qu’elle ici pour n’être qu’à moitiémaladroite.

– La Céleste court la lande comme à sonordinaire, pardine ! riposta Annette d’un ton piqué.

– Ou bien, ajouta Mariolle, elle monte etdescend encore dans le grand escalier pour se faire remarquer.

– Qui donc remarque Cendrillon ?

– Le petit boulanger vient de le dire,risqua Annette : c’est tout le monde.

– Et, fit Mariolle, pas plus tard quetout à l’heure, j’ai vu ce beau seigneur étranger…

– Don Martin Blas ! interrompirentles deux sœurs à la fois.

– Oui, oui, répartit Mariolle, don MartinBlas, puisque c’est son nom, il était planté comme un mai au milieude la première volée, et il regardait la Cendrillon qui montait enfaisant ses grâces.

Olympe et Agnès eurent un éclat de gaîtéforcée.

– Les grâces de mademoiselleCéleste ! s’écrièrent-elles.

Puis Agnès ajouta gravement :

– L’effronterie de cette fille finira parnous compromettre.

À quoi Olympe répondit sans rire :

– On a tort de garder chez soi de pareilssujets !

Ce fut à ce moment que la gentille Céleste fitson entrée dans le boudoir des demoiselles Feydeau. Elle étaittrès-pâle et semblait avoir peine à se soutenir. Son front et sescheveux étaient mouillés de sueur.

– Pourquoi vous faites-vous attendreainsi, paresseuse ! dirent les deux sœurs du même ton aigre etplein de rancune.

– Ma robe est-elle finie ? ajoutal’aînée.

– Mon corsage est-il prêt ? fit lacadette.

– Et la broderie de mon jupon ?

– Et ma guimpe de dentelles ?

Tout en parlant, les deux filles del’intendant se regardaient l’une l’autre d’un air qui n’avait riend’amical. Figurez-vous deux camps ennemis qui démasquenttout-à-coup leurs batteries secrètes. Agnès avait donc une robequ’Olympe ne connaissait pas ? Olympe préparait donctacitement un corsage ? Et cette broderie de jupon ? Etcette guimpe de dentelles ?

Céleste arrivait avec une charge complète dechiffons.

– Ce que vous m’avez demandé est prêt,mesdemoiselles, répondit-elle.

Ses jambes tremblaient. Elle se laissa choirsur un fauteuil.

– Que veut dire ceci s’écria sévèrementOlympe ; vous permettez-vous maintenant de prendre un siége ennotre présence ?

– Quand on est trop bon avec certainesgens… commença Mlle Agnès d’un ton sentencieux.

Les deux grosses caméristes chuchotaient.

Céleste essaya de se relever, mais elleretomba.

– Est-ce à force de monter et dedescendre le grand escalier que vous êtes si essouflée ?demanda Mlle Olympe.

Annette et Mariolle, pour le coup, éclatèrentde rire.

Une larme roula sur la joue deCéleste :

– Mes bonnes demoiselles ; dit-elled’une voix entrecoupée par les soubresauts de son pauvre cœur, jene sais pas de quoi vous voulez me parler. Il y avait une femme aumonde qui m’avait dit de prendre courage et d’espérer, à moi quepersonne n’aime et que tout le monde repousse…

– La Sorcière, n’est-ce pas ?interrompit Agnès ; on la paie, cette créature pour entendreses sornettes. Depuis quand avez-vous de l’argent, mafille ?

– On ne la paiera plus ! murmuraCéleste au lieu de répondre.

Et parmi ses larmes, elle ajouta.

– Ah ! je vous en supplie,laissez-moi pleurer celle qui m’a parlé de ma mère !

Il y avait un élan si touchant dans ce cri,que les deux grosses filles Annette et Mariolle, furent toutétonnées de ne pouvoir plus rire.

– Sa mère ! répéta Olympe enregardant Agnès.

Celle-ci détourna la tête avec dédain.

– On leur fait accroire tout ce qu’onveut, dit-elle, à ces enfants trouvés !

Céleste entendit. Elle essuya ses yeux, maiselle devint plus pâle, et ne parla plus.

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