La Louve – Tome II – Valentine de Rohan

Chapitre 13LA FÉE

Mais la tristesse des enfants est fugitivecomme ces ombres que les nuages d’avril font passer sur le soleil.Au bout de quelques instants un sourire perça sous les larmes deCéleste. Elle s’était assise pour faire sa lecture dans le fauteuilde Mlle Olympe et ne songeait plus à reprendre soncostume de Cendrillon, car, depuis bien longtemps déjà, elle avaitoublié la toilette qu’elle portait. Onze heures de nuit sonnèrent àl’horloge du manoir. La pensée de Céleste avait bien changé deroute, et tout d’un coup, elle se dit :

– Le bal est commencé… Jamais je neverrai de bal.

Et voilà pourquoi elle souriait, c’est qu’elleajoutait en elle-même :

– Au moins, la vraie Cendrillon allait aubal !

En ce moment son regard se tourna vers lapsyché qui lui renvoya son image, éblouissante de parure et debeauté.

Elle se mit à rire tout à fait pour le coup,et je pense que son péché fut expié plus qu’à demi par ce rire quiétait franc et bien exempt de regret.

– J’étais pourtant tout habillée,fit-elle. Raoul y sera. On lui dira peut-être son vrai nom… MonDieu, je ne vous demande pas de connaître le mien, maisaccordez-moi la grâce d’embrasser ma mère…

– C’est égal, ajouta-t-elle en détournantson regard de la glace, il ne manquait que le carrosse et lafée !

L’auteur immortel (malgré Boileau) du conte deCendrillon n’avait point fait de son héroïne une petite paysanne.Notre Cendrillon, à nous, deuxième du nom, n’était point non plusfille des champs. Elle demeurait à Rennes l’hiver avec sesmaîtresses, l’été au château. Son unique travail était de fairebelles mademoiselle Olympe et, mademoiselle Agnès. À ce labeur leteint reste blanc, les mains ne se déforment point.

Il est vrai que Céleste portait dessabots ; mais ce bon bois de hêtre de la forêt de Rennes nepeut faire encore des mules aussi dures que la fameuse pantoufle deverre. Céleste était un vrai bijou avec sa toilette de grandedame.

Elle se leva et bailla, car elle avaitsommeil. L’éventail oublié de Mlle Agnès étaitauprès d’elle sur un guéridon. Elle le prit et le déplia en imitantle geste de la plus jeune des Feydeau qui jamais n’y aurait sumettre tant de grâce.

– Il me manquait encore cela !dit-elle. Raoul écrit de belles lettres, et j’aime bien ceM. de Rieux qui rit toujours…

Elle jeta l’éventail et reprit :

– Allons, Cendrillon ! Au lit, mafille ! Tu rêveras peut-être du carrosse et de la fée…

Elle s’arrêta bouche béante à écouter. Unroulement sourd et des pas de chevaux arrivaient du chemin pierreuxqui passait au delà de la douve. Céleste retenait son souffle. Iln’y avait pas à se méprendre sur la nature de ce bruit qui cessa aubout d’un moment.

Céleste fit un pas vers le balcon, mais ellen’eut point le temps de l’atteindre. Une porte dont elle neconnaissait pas l’existence s’ouvrit au plein d’un panneau et unefemme en capuchon vêtue exactement comme l’était, la veille ausoir, la mystérieuse Meunière du moulin de la Fosse-aux-Loups,parut sur le seuil.

Céleste recula comme à la vue d’un fantôme. Lafemme dont le visage disparaissait sous son capuce de bure dit àquelqu’un qui venait derrière elle, mais qu’on ne voyait pointencore :

– Entrez, M. le vicomte.

Et Raoul qui ne portait déjà point trop mal,au goût de Céleste, son brillant uniforme de cornette de Conti,passa le seuil à son tour.

– Ma fille, dit alors la Meunière (ou sonombre) à Céleste qui se croyait le jouet d’un rêve, voici la fée…le carrosse est en bas ; venez, on a besoin de vous au bal deM. le comte de Toulouse. Cornette, éclairez-nous !

Elle repassa la porte, précédée par Raoul quitenait un flambeau. Céleste les suivit ; malgré son trouble,elle put remarquer qu’ils prenaient un chemin par où elle n’avaitjamais passé. C’était un escalier qui semblait descendre en terre.Ils traversèrent une salle humide et froide. Une grille tourna surses gonds rouillés, et Céleste se trouva devant un carrosse auxarmes de Rohan, attelé de quatre magnifiques chevaux.

La Meunière la fit monter dans le carrosse etprit place auprès d’elle. Puis elle mit une paire de pistolets dansles mains de Raoul en disant d’un ton de commandement :

– Vous galoperez auprès de la portière,vicomte. La forêt n’est pas bonne cette nuit.

Et au cocher :

– À Rennes, au palais du gouvernement.Ventre à terre !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer