La plume empoisonnée d’ Agatha Christie

— Allez-vous-en, Dick ! Allez-vous-en ! Pas vous ! Pas vous !

— Il vous faut un avocat !

— Pas vous !… Je ne pourrais pas… le supporter ! Je ne veux pas que vous sachiez… tout cela !

Comprenant sans doute, il dit, très calme :

— Alors, je vais faire signe à Midmay, d’Exhampton. Vous voulez bien ?

Elle répondit oui de la tête. Elle sanglotait. Symmington quitta la pièce. Sur le seuil, il se heurta à Owen Griffith, qui, véhémentement, interpellait le policier :

— De quoi s’agit-il… Ma sœur… ?

Nash l’interrompit :

— Je suis navré, docteur, absolument navré, mais je n’ai pas le choix.

— Vous croyez que c’est elle qui… a écrit ces lettres ?

— J’ai bien peur, docteur, qu’il n’y ait là-dessus aucun doute.

Tourné vers Aimée, Nash ajouta :

— Maintenant, Miss Griffith, voudriez-vous nous accompagner ? Il va de soi que vous aurez toutes facilités pour vous entretenir avec votre conseil.

Elle se leva, passa devant son frère sans le regarder, disant seulement :

— Ne me parle pas, Owen ! Ne dis rien ! Et, pour l’amour de Dieu, ne me regarde pas !

Aimée sortit, avec les policiers. Owen n’avait pas fait un mouvement. Il était comme pétrifié. Je laissai passer quelques secondes, puis j’allai à lui.

— Si je puis faire quoi que ce soit, Griffith, dites-le-moi !

Il ne bougeait pas.

— Aimée !… Je ne peux pas croire ça !

Je lui dis, sans grande conviction, que la police pouvait se tromper. Il secoua la tête.

— Si c’était une erreur, elle réagirait autrement ! Mais je n’aurais jamais cru ça d’elle… et, maintenant encore, je ne puis pas le croire !

Il se laissa tomber dans un fauteuil. Je me rendis utile en allant lui chercher un peu de cognac, que je lui apportai. Il l’avala d’un trait et j’eus l’impression que l’alcool lui faisait du bien.

— Sur le moment, dit-il, je n’ai pas tenu le choc, mais, maintenant, ça va mieux. Je vous remercie, Burton, mais vous ne pouvez rien faire. Personne ne peut rien !

J’allais protester. Joanna entrait. Elle était très pâle. Elle alla près d’Owen, me regarda et dit :

— Va-t’en, Jerry ! Je m’occuperai de lui.

Quand je fermai la porte, je vis Joanna s’agenouiller près du fauteuil de Griffith.

3

Je ne saurais donner une relation cohérente des événements qui se déroulèrent dans les vingt-quatre heures qui suivirent. Des incidents divers, sans lien apparent entre eux.

Je me souviens surtout du retour de Joanna à la maison. Elle était très pâle, très fatiguée. J’essayai de la réconforter par une plaisanterie.

— Alors, comment va l’ange gardien ?

Elle eut un triste sourire.

— Il ne veut pas de moi, Jerry ! Il est terriblement fier ! Et inflexible, avec ça !

Je me forçai à sourire.

— Bah ! Celle que j’aime ne veut pas de moi non plus !

Nous restâmes longtemps, assis l’un près de l’autre, à échanger de pauvres confidences.

— En somme, conclut Joanna, la famille Burton est pour le moment très peu demandée.

— Incontestable ! répondis-je. Mais qu’est-ce que ça fait ? Je t’ai et tu m’as ! C’est quelque chose, ça !

— Oui, dit Joanna. Seulement, je ne peux pas dire que, pour l’instant, ce soit pour moi une grande consolation !

4

Owen vint le lendemain et entreprit de me faire en termes lyriques l’éloge de Joanna. C’était une fille admirable, une créature merveilleuse ! Elle était allée à lui et elle lui avait dit qu’elle était toute prête à l’épouser. Tout de suite, s’il voulait ! Mais c’était un sacrifice qu’il n’accepterait pas. Elle était trop bonne, trop pure, pour qu’il consentît. Il ne voulait point qu’elle fût éclaboussée par la boue que les journaux ne manqueraient pas de remuer quand la nouvelle leur serait connue.

J’aimais bien Joanna et je savais qu’elle était de celles qui ne vous lâchent pas dans les coups durs, mais ce chevaleresque discours m’exaspérait plutôt. Avec un peu d’humeur, je conseillai à Owen de ne pas faire tant de cas de ses nobles scrupules.

J’allai faire un tour dans High Street. Les langues n’avaient jamais fonctionné avec tant d’entrain. Emily Barton déclarait qu’elle s’était toujours plus ou moins méfiée d’Aimée Griffith. La femme de l’épicier se flattait d’avoir observé avant tout le monde que Miss Griffith avait quelque chose d’étrange dans le regard…

Nash m’apprit que les charges contre Aimée se précisaient. Une perquisition avait amené au jour les pages enlevées du livre d’Emily Barton. On les avait découvertes dans un placard, sous l’escalier, enveloppées dans un vieux rouleau de papier à tapisser.

— Une bonne cachette ! ajouta Nash en connaisseur. On ne peut jamais assurer qu’un domestique un peu curieux n’ira pas ouvrir le tiroir d’un bureau ou d’une commode, mais ces débarras, où l’on entasse les balles de tennis hors d’usage et les vieux papiers peints, on ne les ouvre jamais que pour fourrer quelque chose dedans !

— Il semble, dis-je, que la dame avait une prédilection pour ce genre de cachette.

— Oui. Le criminel manque toujours d’imagination. À propos, puisque nous parlons de la petite qui a été tuée, nous avons du nouveau de ce côté-là. Nous avons découvert qu’un gros pilon, très lourd, a disparu du laboratoire du toubib. Je vous parie tout ce que vous voulez que c’est avec ça qu’on l’a assommée !

Je fis observer à Nash que c’était un objet assez malaisé à transporter.

— Pas pour Miss Griffith ! me répliqua-t-il. Cet après-midi-là, elle allait chez les Guides, mais elle devait, en chemin, s’arrêter à la Croix-Rouge pour y déposer des fleurs et des légumes. Elle avait donc un énorme panier.

— Vous avez trouvé la broche ?

— Non, et nous ne la trouverons pas. La pauvre femme est vraisemblablement folle, mais pas au point de conserver une broche tachée de sang, à seule fin de nous faciliter la besogne, alors qu’elle n’avait qu’à la laver et à la remettre dans le tiroir de la cuisine !

— Évidemment, dis-je, on ne peut pas tout avoir !

Le presbytère avait été un des derniers endroits à apprendre la nouvelle. La vieille Miss Marple, consternée, n’admettait pas qu’elle pût être vraie.

— Non, monsieur Burton ! C’est impossible ! J’en suis absolument sûre. Impossible.

— Impossible, soit, mais vrai pourtant, j’en ai peur. Il s’agissait d’un piège, vous savez, et on a effectivement vu Aimée taper la lettre !

— Ça se peut ! Bien sûr, cela, c’est possible !

— Et on a trouvé chez elle les pages dans lesquelles ont été découpés les mots qui composaient les autres lettres…

Miss Marple me dévisagea avec stupeur. Puis, à voix très basse, elle dit :

— Mais c’est horrible, ça !… C’est vraiment très vilain !

Mrs. Dane Calthrop survenait.

— Que se passe-t-il, Jane ? demanda-t-elle.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Mrs. Dane Calthrop répéta sa question, mais Miss Marple ne l’entendait pas. Elle suivait sa pensée.

— Il y a certainement quelque chose à faire ! Mais quoi ? Je suis si vieille, si ignorante… et, je le crains, si sotte !

Je ne savais que dire et ce ne fut pas sans soulagement que je vis Mrs. Calthrop entraîner sa vieille amie.

Je devais revoir Miss Marple dans l’après-midi, beaucoup plus tard, alors que je rentrais chez moi. Elle était debout sur le petit pont, au bout du village, près de la villa de Mrs. Cleat et c’était avec Megan qu’elle bavardait.

Toute la journée, j’avais eu envie de voir Megan. Je pressai le pas. Mais quand j’arrivai à leur hauteur, Megan tourna les talons et s’éloigna. Assez mécontent, voire furieux, j’allais la suivre, mais Miss Marple me barra le passage.

— Laissez-moi vous dire un mot, monsieur Burton !… Ne vous lancez pas à la poursuite de Megan maintenant ! Ce ne serait pas sage.

J’allais répliquer de verte façon, mais la vieille demoiselle me désarma en ajoutant :

— Cette petite est courageuse… Très courageuse… et d’un courage très particulier. N’allez pas lui parler maintenant ! Je sais ce que je dis. Laissez-lui son courage !

Je n’insistai pas. J’avais le sentiment que Miss Marple savait quelque chose que j’ignorais. Je me sentais inquiet, sans savoir pourquoi.

Je ne rentrai pas à la maison. Faisant demi-tour, je retournai dans High Street, où je marchai longuement sans but, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre. Je ne saurais dire ce que j’attendais ni à quoi je pensais.

Je fus harponné par ce vieux crampon de colonel Appleton, qui, après m’avoir, comme toujours, demandé des nouvelles de ma sœur, poursuivit :

— Qu’est-ce qu’on m’a raconté au sujet de la sœur de Griffith ? Elle aurait complètement perdu la boussole ? Il paraît que ce serait elle qui aurait écrit toutes ces satanées lettres anonymes qui nous ont empoisonné l’existence ces temps-ci ? Je ne voulais pas le croire quand on me l’a dit, mais on m’affirme que c’est vrai !

Je le lui confirmai.

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