La plume empoisonnée d’ Agatha Christie

— Eh bien ! reprit-il, il faut bien admettre que notre police est tout de même assez forte ! Il suffit qu’on lui donne du temps. Drôles d’affaires, ces histoires de lettres anonymes ! Les coupables sont toujours des vieilles filles desséchées et aigries. Cette Aimée Griffith, pourtant, n’est pas tellement vilaine, encore qu’elle ait la langue trop bien pendue… Notez, d’ailleurs, que dans ce coin déshérité du monde, il n’y a pas de jolies filles, exception faite de cette gouvernante qui est chez les Symmington. Elle vaut le coup d’œil. Agréable, avec cela. Sensible à toutes les attentions qu’on a pour elle. Je l’ai rencontrée, l’autre jour, avec les petits. Ils avaient goûté sur l’herbe et elle les surveillait, tandis qu’ils jouaient. Elle avait son tricot à côté d’elle… et elle était passablement vexée, parce qu’il ne lui restait plus de laine. « Si vous voulez, lui ai-je dit, je vous conduis jusqu’à Lymstock, où il faut justement que j’aille chercher une canne à pêche ! Je vous ramène ensuite. » Elle hésitait à abandonner les gosses. « Qu’est-ce qu’ils risquent ? » lui ai-je dit. Je n’allais, bien sûr, pas les emmener en voiture. Je ne suis pas fou ! Bref, finalement, je l’ai conduite là-bas, je l’ai déposée à la mercerie, j’ai fait ma course et je l’ai reprise en revenant. Elle m’a remercié très gentiment. Une chic fille, vraiment !

Je réussis à laisser tomber le bonhomme.

C’est après cela que, pour la troisième fois de la journée, j’aperçus Miss Marple : elle sortait du commissariat de police.

5

D’où viennent nos peurs ? Où prennent-elles forme ? Où se cachent-elles avant de se révéler à nous ?

Une simple petite phrase. On l’entend, on l’enregistre et on ne l’oubliera jamais tout à fait.

« Emmenez-moi !… C’est si terrible d’être ici… et de se sentir si méchante ! »

Pourquoi Megan avait-elle dit cela ? Pourquoi avait-elle le sentiment d’être méchante ?

Rien dans la mort de Mrs. Symmington ne pouvait le lui donner.

Alors, pourquoi ?

Se tenait-elle pour responsable de cette mort, d’une façon ou d’une autre ?

Megan ? Impossible. Megan ne pouvait pas avoir écrit ces lettres abominables, pleines d’obscénités et de mots orduriers.

Owen Griffith, pourtant, avait connu, dans le Nord, un cas analogue. Une petite fille qui allait en classe…

Qu’avait donc dit l’inspecteur Graves ?

Quelque chose à propos de la mentalité des adolescents…

Des fillettes innocentes qui, sur la table d’opération, endormies, balbutiaient des mots horribles qu’elles connaissaient à peine. Des gosses qui dessinaient à la craie des choses sur les murs.

Non, non, pas Megan.

Une lourde hérédité ? Un anormal dans ses ascendants ? Une tare, venue de loin, dont elle n’était pas responsable et qui faisait d’elle un être maudit ?

« Je ne suis pas une femme pour vous ! Je sais mieux haïr qu’aimer. »

Oh ! Megan, ma petite Megan ! Pas ça ! N’importe quoi, mais pas ça ! Et qu’est-ce qu’elle raconte donc, cette vieille sorcière ? Megan est courageuse. Mais pourquoi faut-il qu’elle soit courageuse ? Pourquoi ?

Ces réflexions et bien d’autres me torturaient. Mais la crise passa…

J’éprouvais cependant le besoin de voir Megan.

Ce soir-là, à neuf heures et demie, je sortis pour me rendre chez les Symmington.

Une idée, toute nouvelle, en effet, m’était venue à l’esprit. À propos d’une femme à qui nul n’avait songé.

À moins que Nash…

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