La plume empoisonnée d’ Agatha Christie

Joanna s’était couvert le visage de ses mains. Je la regardai avec une certaine satisfaction et, mentalement, je tirai mon chapeau à Owen Griffith. Il avait obligé Joanna à affronter, pour une fois, les réalités de l’existence.

— Il y a une lettre pour toi dans le vestibule, dis-je. De Paul, je crois.

— Ah ?

Après un long silence, elle ajouta :

— Je n’avais pas la moindre idée, Jerry, de ce que les médecins pouvaient avoir à faire. Le sang-froid qu’il leur faut !

J’allai chercher la lettre de Joanna et la lui apportai. Elle l’ouvrit, jeta un vague coup d’œil sur son contenu, puis la laissa tomber par terre.

— Il était vraiment… magnifique ! reprit-elle. Il luttait, de toutes ses forces, et on sentait qu’il ne voulait pas être battu, qu’il n’admettrait pas d’être battu ! Avec moi, il a été brutal, odieux… mais il était magnifique !

Je ne répondis pas. La lettre de Paul était toujours sur le plancher. Je la contemplais avec un certain plaisir. Aucun doute, Joanna était guérie de Paul.

CHAPITRE XIII

1

Les choses n’arrivent jamais telles qu’on les attend.

Je ne pensais qu’aux affaires de Joanna et aux miennes. Aussi fut-ce avec surprise que, le lendemain, j’entendis au téléphone la voix de Nash, qui m’apportait une nouvelle d’importance :

— Nous la tenons, monsieur Burton !

Mon saisissement fut tel que je faillis lâcher le récepteur.

— Voulez-vous dire que…

Nash me coupa la parole :

— Êtes-vous sûr qu’on n’est pas en train d’écouter ce que vous dites ?

— Je ne crois pas… Pourtant…

Il me semblait avoir vu bouger la porte de la cuisine. Nash reprit :

— Est-ce que ça vous ennuierait de venir jusqu’au commissariat ?

— Nullement. J’arrive.

Quelques instants plus tard, j’étais dans le bureau de Nash, avec le sergent Parkins. Nash rayonnait.

— La chasse a été longue, me dit-il, mais nous ne sommes pas loin de la fin.

Il me tendait une lettre par-dessus la table. Elle était entièrement dactylographiée et le texte, par comparaison à d’autres, était assez bénin :

Inutile de vous figurer que vous allez prendre la place de la morte. La ville entière se moque de vous. Filez sans plus attendre ! Bientôt, il sera trop tard. Ceci est un avertissement. Souvenez-vous de ce qui est arrivé à l’autre fille ! Allez-vous-en et ne revenez pas !

Suivaient quelques injures passablement obscènes.

— Ce poulet, reprit Nash, est parvenu à Miss Holland, ce matin.

— Je trouvais drôle qu’elle n’ait encore rien reçu ! dit le sergent Parkins.

— Qui l’a écrit ? demandai-je.

La joie disparut du visage de Nash.

— J’en suis désolé, me répondit-il, parce que le coup va être dur pour un brave homme, mais je n’y peux rien. Peut-être, d’ailleurs, se doute-t-il déjà de quelque chose…

— Qui a écrit cette lettre ? répétai-je.

— Miss Aimée Griffith.

2

Nash et Parkins, porteurs d’un mandat, se rendirent chez les Griffith dans l’après-midi. Nash m’avait prié de les accompagner.

— Le docteur, m’avait-il dit, vous aime beaucoup et il n’a pas tellement d’amis par ici ! Je crois, monsieur Burton, que, si la chose ne vous est pas à vous trop pénible, votre présence l’aidera à encaisser le coup !

Convaincu qu’il ne se trompait pas, j’avais décidé d’aller avec eux.

Nous sonnâmes à la porte et Nash demanda à voir Miss Griffith. On nous fit entrer dans le salon, où Elsie Holland, Megan et Symmington prenaient le thé avec Aimée.

Nash manœuvra avec infiniment de tact. Il pria Aimée de bien vouloir lui accorder quelques mots en particulier. Elle se leva et vint à nous. Une seconde, j’eus l’impression qu’il y avait de la crainte dans ses yeux, mais elle se ressaisit vite et ce fut d’un ton parfaitement naturel que, tout en nous conduisant vers un petit bureau qui se trouvait de l’autre côté du couloir, elle dit :

— J’espère que ce n’est pas encore à cause de mes feux de position que vous me rendez visite ?

Nash dit ce qu’il avait à dire avec beaucoup de calme et de correction. Il donna à Aimée les avertissements imposés par la loi, lui dit qu’il était obligé de lui demander de l’accompagner, précisant qu’il avait contre elle un mandat d’arrêt dont il lui fit lecture. J’ai oublié quels étaient les termes exacts. Je me souviens seulement qu’il y était question des lettres, et non point encore du meurtre.

Aimée rejeta la tête en arrière et éclata de rire.

— Quelle niaiserie ! Comme si j’étais capable d’écrire de pareilles ordures ! Il faut que vous ayez perdu la raison. Jamais je n’ai écrit un seul mot de ce genre-là !

Nash tira de sa poche la lettre reçue par Elsie Holland.

— Vous niez avoir écrit ceci, Miss Griffith ?

Si elle hésita, ce ne fut qu’un dixième de seconde.

— Certainement, je le nie ! Je n’ai jamais vu cette lettre auparavant.

— Je me vois contraint de vous dire, Miss Griffith, répliqua Nash sans se démonter, qu’on vous a vue taper cette lettre sur la machine de l’Institut féminin, avant-hier soir, entre onze heures et onze heures et demie. Hier, un gros paquet de lettres à la main, vous êtes entrée au bureau de poste…

— Je n’ai jamais mis cette lettre à la boîte !

— Je n’en disconviens pas. Tandis que vous étiez devant le guichet des timbres, vous vous êtes arrangée pour la laisser tomber par terre, sans en avoir l’air, pour qu’elle fût ramassée par quelqu’un et mise à la poste par ce quelqu’un, qui évidemment ne se doutait de rien.

— Je n’ai jamais…

La porte de la petite pièce s’ouvrit devant Symmington.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’un ton bref. Aimée, si quelque chose ne va pas, n’oubliez pas que vous avez droit à un conseil ! Si vous voulez que je…

Il n’alla pas plus loin : Aimée s’effondrait. Les deux mains sur le visage, elle s’écroulait dans un fauteuil, disant :

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