La plume empoisonnée d’ Agatha Christie

La vieille demoiselle posa dans son giron son ouvrage, qu’elle venait de reprendre, et, me regardant de ses yeux clairs par-dessus ses lunettes, répondit :

— Jeune homme, il fallait faire quelque chose ! L’assassin était très fort et sans scrupules. Il n’y avait contre lui aucune preuve. J’avais besoin de quelqu’un pour m’aider et il me fallait quelqu’un qui eût du courage et de l’intelligence. Ce quelqu’un, je l’ai trouvé !

— Mais pour elle, le danger était considérable !

— Oui, c’était dangereux, mais nous ne sommes pas sur terre, monsieur Burton, pour fuir le danger quand il s’agit de sauver la vie d’un de nos semblables qui est innocent. Vous me comprenez ?

J’avais compris.

CHAPITRE XV

High Street, le matin.

Miss Emily Barton sort de l’épicerie, avec son filet à provisions. Ses joues sont roses, elle a les yeux brillants.

— Mon cher monsieur Burton, s’écrie-t-elle, je ne tiens plus en place ! Pensez donc ! Je vais faire une croisière !

— J’espère que vous vous amuserez bien !

— Mais j’en suis sûre ! Je n’aurais jamais osé partir toute seule et voilà que les choses se sont arrangées comme si la Providence s’en était occupée ! Il y avait longtemps que mes moyens ne me permettaient plus de garder « Little Furze », je m’en rendais bien compte, mais je ne voulais pas voir passer la maison dans des mains étrangères. Vous l’achetez et vous allez vivre avec Megan ! C’est tout autre chose ! Là-dessus, Aimée sortant de cette terrible épreuve et ne sachant trop que faire, puisque son frère se marie… – vous ne pouvez pas savoir ce que je suis contente de savoir que vous allez tous les deux vous établir ici ! – … Aimée, donc, accepte de venir avec moi ! Nous serons absentes très longtemps et il se peut même…

Elle baissa la voix.

— Il se peut même que nous fassions le tour du monde ! Avec Aimée, qui sait si bien se débrouiller, ce sera splendide ! Vous ne trouvez pas que tout ça finit vraiment bien, vraiment pour le mieux ?

L’espace d’une seconde, je songeai à Mrs. Symmington et à Agnès Woddel, toutes deux couchées dans le petit cimetière de Lymstock, me demandant si elles seraient de cet avis, puis je me souvins que l’amoureux d’Agnès la délaissait, que Mrs. Symmington n’était pas gentille pour Megan et que nous étions tous destinés à mourir un jour. Ce pourquoi j’affirmai à la charmante Miss Emily que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.

Comme j’approchais de la grille de la maison Symmington, Megan sortait, venant à ma rencontre.

Elle était précédée d’un énorme chien de berger qui, dans ses excessives démonstrations d’amitié, faillit me renverser.

— N’est-ce pas qu’il est adorable ? dit Megan.

— Un peu trop enthousiaste, peut-être. Il est à nous ?

— Oui. C’est le cadeau de mariage que nous fait Joanna. Ah ! on nous aura gâtés ! Cette belle chose en laine que Miss Marple nous a donnée et dont on ne sait pas ce que c’est, le service à thé de la manufacture royale de Derby, offert par Mr. Pye, un porte-toasts, qui nous vient d’Elsie…

— C’est bien d’elle !

— Il paraît qu’elle a maintenant un poste chez un dentiste et qu’elle est très contente… Où en étais-je ?

— Vous énumériez les cadeaux que nous recevons à l’occasion de notre mariage. Il faut faire bien attention, car, si vous changez d’avis, il faudra les renvoyer !

— Je ne changerai pas d’avis. Qu’est-ce qu’il y a encore ? Mrs. Dane Calthrop nous a envoyé un scarabée égyptien.

— C’est une femme originale !

— Attendez ! Vous ne savez pas le plus beau ! Mary m’a envoyé un cadeau : la plus vilaine nappe à thé que j’aie jamais vue ! Seulement, je lui pardonne, parce que je crois bien que, maintenant, elle m’aime : cette nappe, il paraît que c’est elle qui l’a brodée…

— Chardons et raisins verts !

— Non ! Des lacs d’amour !

— Oh ! oh ! Elle se fait, notre Mary !

Megan m’entraîna dans la maison.

— Il n’y a qu’une chose que je ne m’explique pas. Le chien avait son collier et sa laisse, mais Joanna nous envoie, par paquet séparé, un second collier et une seconde laisse. Qu’est-ce que ça signifie ?

— Ça, dis-je, c’est une petite plaisanterie à la manière de Joanna ! Je vous expliquerai…

 

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