Le Coup d’état de Chéri-Bibi

XXVII – DANS LE CACHOT DU SUBDAMOUN

Après être sorti de chez Askof, le commissaireinspecteur, M. Hilaire, demanda à voir le Subdamoun.

Alors, toujours suivi de ses porte-clefs,Talbot se dirigea avec Hilaire du côté du cachot du commandantJacques.

Il fit écarter les vingt-cinq gardes civiquesqui veillaient dans le couloir, tout hérissé de nouvelles grillesénormes.

On avait mis à la disposition du Subdamoun unetable et une chaise. C’est là qu’il se tenait, les coudes sur latable, dans une attitude de méditation insondable, pendant desheures et des heures.

Il ne leva même point la tête au bruit qu’ilsfirent en entrant.

Ils restèrent, tous deux, quelques instants àcontempler cette immobilité.

À quoi cet homme pensait-il ?

Qu’attendait-il ? Espérait-ilencore ? Son esprit n’était-il point anéanti par la chuteformidable de ce qu’il avait conçu et si fragilementédifié ?

Songeait-il simplement qu’il allaitmourir ? Au cours de cette longue instruction, que l’onfaisait tramer dans le dessein d’offrir à la plèbe révolutionnaireune corbeille pleine des plus belles têtes de la réactionrépublicaine, agrarienne et nationaliste, il avait laissé tomberquelques rares paroles qui disaient son détachement de tout.

Ayant essayé une fois de disculper sescomplices et de prendre tout l’événement à sa charge et ayantconstaté que ce noble effort n’aboutissait à rien de sérieux, ilavait dit : « Dans ces conditions, prenez ma tête le plustôt possible et ne me demandez plus rien ! »

– J’ai besoin de parler au prisonnier,fit à voix basse le commissaire inspecteur à Talbot, et de n’êtreentendu de personne…

– Contraire au règlement ! déclaratout de suite M. le directeur.

M. Hilaire tendit au directeur unefeuille officielle sur laquelle celui-ci reconnut le timbre duComité et la signature de Coudry au-dessous de ces mots :« Ordre à tous fonctionnaires de l’administration des prisonsde faire ce que M. Hilaire, commissaire de la section del’Arsenal, inspecteur général des prisons, croira devoir leurprescrire pour la sûreté des prisonniers et le bien del’État ! »

Talbot réfléchit un instant et dit :

– C’est de la part du comité que vousdevez parler au prisonnier ?

– Si on vous le demande jamais,répliqua M. Hilaire, je vous conseille de répondre que vousn’en savez rien. Entre nous, comme je vous sais dévoué à cesmessieurs, je vous répondrai : oui ! Mission secrète,relative à Hérisson, qui aurait été tâté par le Subdamoun, etpeut-être Pagès ! comprenez-vous ? Je sais que nousavons les mêmes ennemis, vous et moi, et j’ai confiance envous ! Mais motus si vous tenez à votretête !

– Cependant, je ferai mon rapport demainmatin…

– Naturellement !

– Je ne puis vous laisserparler au Subdamoun sans le consigner.

– Vous le consignerez !

– Je vous avertis, continua le directeur,qui n’avait pas perdu toute méfiance, qu’il y a une consigne surlaquelle je ne puis passer, car elle est formelle celle-là et lepapier que vous me montrez ne la détruit pas.

– Laquelle ?

– Celle qui ordonne à mes hommes de nejamais perdre de vue, le jour et la nuit, le Subdamoun.

– Vous ai-je demandé de transgressercette consigne-là ? Pourvu qu’on ne m’entende pas, c’est toutce que je demande ! Gardez vos responsabilités, je prends lesmiennes !

Cette rapide conversation avait été tenue àvoix basse, sur le seuil du cachot.

Le Subdamoun, en effet, devait resterconstamment sous l’œil de ses gardiens.

Talbot fit reculer les cinq gardes civiquesjusqu’au fond du cachot et demeura là avec eux.

Il fit signe à M. Hilaire qu’il pouvaitse rapprocher du prisonnier.

Talbot, qui était bien décidé à ne pas perdreun geste des deux hommes, vit le commissaire inspecteur se penchersur le prisonnier et lui murmurer quelques mots qui semblèrentproduire un certain effet.

Le Subdamoun releva vivement la tête,dévisagea son interlocuteur, jeta un regard du côté où grouillaientles gardes et le directeur et dit tout haut ces mots qui furententendus :

– Ah ! ah ! c’est vous,monsieur Hilaire, commissaire de l’Arsenal !

– Je suis ici en qualité d’inspecteurgénéral des prisons, fit la voix claire de M. Hilaire.

– Mes compliments ! répartit leSubdamoun, la République vous réussit, à vous !

« Ils n’ont pas l’air très amis ! sedisait, pendant ce temps, le sieur Talbot… La conversation commencemal ! Voyons la suite ! Il sera bien malin s’il lui tirequelque chose ! »

Cependant, M. Hilaire n’avait pas l’airdémonté par ce premier résultat plutôt négatif… Il dit encore etM. Talbot put l’entendre :

– Depuis le commencement del’instruction, vous vous conduisez de telle sorte, monsieur, quevous vous faites le plus grand mal à vous et à vos amis !Libre à vous de vous perdre, mais songez que, si vous vous montriezplus raisonnable dans la conduite de votre affaire, des êtres quivous sont chers pourraient vous en remercier. Monsieur, je viensvous trouver de la part du comité de…

À partir de ces mots, M. Talbotn’entendit plus rien.

M. Hilaire, cependant, continuait deparler, mais très bas.

– Commandant, je suis venu pour voussauver. Les fonctions dont je suis investi, je ne les ai demandéesque pour vous servir vous et les vôtres ! On vous a faitsavoir que Mme la marquise etMlle Lydie étaient en sûreté. Elles sont en sûretéchez moi, dans ma cave !

« J’ai sur moi une lettre deMme la marquise que j’ai apportée dans l’espérancede vous la remettre moi-même. Ce soir, c’est impossible, mais cettelettre, je trouverai le moyen de vous la faire parvenir demain.Vous y verrez que Mme la marquise etMlle Lydie sont en parfaite santé et qu’elles vousconjurent d’avoir la plus grande confiance en moi et de faire toutce que je vous dirai.

« S’il en est ainsi, vous serez libreavant trois jours. Le plan qui vous fera sortir d’ici a étémûrement réfléchi. Il est simple : M. Talbot est décidé àfaire évader deux bandits de droit commun, Garot et Manol, que nousavons gagnés à notre cause et qui s’évaderont une autre fois. Vousprendrez donc la place de ces bandits et leurs effets et cesera le directeur de la prison lui-même qui vous mettradehors.

« Soyez donc prêt au moindre geste, à laplus petite indication qui vous viendra de moi !

Sans doute, le discours de M. Hilaireavait-il fini par émouvoir le Subdamoun, car M. Talbot vitsoudain le prisonnier quitter cette attitude d’inattention qu’ilavait affectée jusqu’alors, sortir sa tête pâle d’entre ses mainset ses lèvres remuer !

Le Subdamoun parlait donc !M. Hilaire avait réussi « à entrer enconversation ». C’était un résultat cela ! Le Subdamounavait répondu. Toutefois la réponse ne semblait pas du goût deM. Hilaire.

– Tout cela, monsieur, est très beau,mais je ne m’évade point !

– Que voulez-vous dire ?

– Avez-vous pensé, monsieur, à tous mesamis que j’ai entraînés à Versailles et qui m’ont suivi jusqu’ici…Pouvez-vous les sauver, eux ?

– Eh ! vous savez bien que c’estimpossible !

– Vous voyez donc bien que je ne puism’évader ! Comment avez-vous pu croire qu’après les avoirmenés à la défaite, je les lâcherais au moment de mourir !Monsieur, je vous remercie de ce que vous avez fait pour ma mère etpour ma fiancée. Continuez de les protéger. Dieu vous récompensera.Dites-leur que je penserai à elles jusqu’à la dernière minute etque je m’efforcerai de me montrer digne sur l’échafaud du nom desTouchais ! Dites tout cela à ma mère, monsieur, et à mafiancée. Elles pleureront, mais elles me comprendront et elles mepardonneront !

– Elles mourront ! réponditsimplement M. Hilaire, qui avait de grosses larmes dans sesbons yeux.

– Mourraient-elles moins si j’étais unlâche ? répliqua le Subdamoun d’une voix sourde, et, lescoudes sur la table, il se replongea la tête dans ses mains.

M. Hilaire pouvait s’en aller. Ce qu’ilfit.

– Eh bien ! lui demanda Talbot en lereconduisant jusqu’à la porte de la cour, êtes-vouscontent ?

– Ma foi, non ! avouaM. Hilaire, et je crois bien que ceux qui m’ont envoyén’auront point non plus lieu de l’être… Ce Subdamoun est plusentêté que l’on ne saurait dire.

Quand il se retrouva sur le quai de l’Horloge,M. Hilaire regarda autour de lui. La nuit était sombre etmaussade. Il pleuvait.

Il remonta vers la terrasse déserte d’un débitde vin.

Il n’y était point depuis cinq minutes qu’unpauvre vieux marchand de cacahuètes venait bien humblement luiproposer sa marchandise.

M. Hilaire, sans doute par pitié, luiacheta un cornet de quelques sous.

– Eh bien ? souffla Chéri-Bibi.

– Eh bien ! il n’y a rien defait ! Il refuse de s’évader ! Il ne veut pas qu’on letraite de lâche. Il mourra avec ses camarades. Il m’a chargé dedire cela à sa mère et à sa fiancée…

Le pauvre vieux marchand de cacahuètes devaitêtre décidément tout à fait malade, car il eut à peine tendu soncornet de papier au client de la terrasse qu’il s’affala sur letrottoir comme une masse.

Le client se précipita sur lui et le soulevaavec peine, et apparemment, non sans émotion.

Il lui murmurait à l’oreille des syllabes quifirent que le malheureux rouvrit enfin les yeux dans le momentqu’un monsieur fort bien mis et qui se garantissait de l’ondée avecun parapluie passait.

Ce monsieur s’arrêta pour demander d’une voixfort pitoyable la raison pour laquelle ce pauvre marchand decacahuètes avait glissé sur le trottoir.

– Ce doit être le besoin ! réponditM. Hilaire.

Alors le passant fouilla dans sa poche et tirade son porte-monnaie un billet de dix francs qu’il remit àM. Hilaire.

– Faites-lui prendre quelque chose dechaud et de réconfortant ! exprima le monsieur en s’enallant.

Alors Chéri-Bibi revint tout à fait à lui etlui cria :

– Merci, monsieur Dimier ! Dieuvous le rende !

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