Le Coup d’état de Chéri-Bibi

XXXI – OÙ NOUS VOYONS CHÉRI-BIBI SE« COLLETER » PLUS QUE JAMAIS AVEC LA FATALITÉ

Au cri qu’avait poussé M. Hilaire, unesorte de gnome fantastique, tombant de la cheminée, apparut dansles derniers rayons du jour qui envoyaient leurs flècheshorizontales par la petite fenêtre grillagée. Il bondit jusqu’àl’homme qui tenait encore dans sa main la lettre fatale. Il la luiarracha et lut à son tour. Un grognement sinistre suivit cettelecture. Et puis, ce gnome se rua sur M. Hilaire, qui s’étaitlaissé tombé sur une chaise… le secoua, le dressa devantlui :

– Debout, la Ficelle ! Où as-tutrouvé cela ?

La main de M. Hilaire montra le bureau deM. le directeur.

– Ouverte ?

– Non, fermée !

– C’est toi qui as décacheté ?

M. Hilaire fit signe de la tête qu’eneffet c’était lui qui avait décacheté le pli.

– Alors, rien n’est perdu ? puisquele directeur ne sait rien !

– Bah ! fit Hilaire dans uneattitude de morne désespoir, il faudra bien qu’il sache puisqueAskof trahit ! Et ses yeux ne pouvaient se détacher du papieroù il venait de lire ces lignes :

« Je supplie M. le directeur devenir m’entendre immédiatement dans ma cellule sans donner l’éveilà qui que ce soit et autant que possible sans être vu deM. l’inspecteur général Hilaire. Il s’agit de l’évasion duSubdamoun, Signé : Askof. »

– Nous nous passerons d’Askof !gronda le gnome. Allons, ressaisis-toi, et je réponds detout !

– Nous ne pouvons plus nous passerd’Askof, exprima d’une voix dolente M. Hilaire en secouant latête. Il est trop tard pour refaire un plan ! C’est un coupraté !

Tout à coup, M. Hilaire fit un bond decôté. Il avait senti le froid d’un canon de revolver sur sa tempe.Chéri-Bibi s’était dressé et il ne faisait point de doute que lemonstre allait faire passer de vie à trépas le pauvre la Ficellesi, dans cette terrible occurrence, celui-ci ne se résolvait pointà retrouver tout son sang-froid. Il le comprit :

– Je suis à vos ordres, monsieur lemarquis ! lui dit-il aussitôt, comme aux plus beaux jours.

– Bien ! écoute ! fit l’autre,en le brûlant du regard. Écoute et comprends et agis ou, sur la viede Subdamoun, tu ne vendras plus jamais de cannelle !

– Oh ! exprima lentementM. Hilaire, du jour où je vous ai revu, j’ai compris,monsieur le marquis, au milieu de la joie que j’avais de vousretrouver, qu’il me faudrait renoncer au commerce !

– C’est la dernière fois que j’ai besoinde toi, la Ficelle ! Après je te promets de te laissertranquille !

– Oh ! après celle-là, murmuraM. Hilaire, je crois bien que si monsieur le marquis n’a plusbesoin de moi, moi non plus je n’aurai plus besoin depersonne !

– Vois comme c’est simple, fit rapidementChéri-Bibi avec toute la foudroyante lucidité d’un capitaine quichange de tactique sur le champ de bataille. Talbot n’a pas eu etn’aura pas connaissance de la lettre. Il n’a pas vu Askof et il nele verra pas. Aussitôt revenu de l’Hôtel de Ville, il accourra ici.Toi alors, tu vas à ta besogne. Quand vous serez tous les cinq dansle « parloir des parents » toi, le Subdamoun, Askof, etGarot et Manol, vous vous jetez tous sur Askof et vousl’annihilez ! Tu ressors alors avec le Subdamoun tout seul quise fera la gueule de Garot et tu passes. Tu arrives chez Talbotdisant tout haut que Garot a d’abord voulu être entendu seul !et le tour est joué ! je me charge de sa réussite, la portefermée. Compris ?

– À Dieu vat ! répondit simplementM. Hilaire. Si Askof regimbe trop, j’en ferai monaffaire !

– Tu sais que tu peux le tuer !déclara Chéri-Bibi dont l’œil flamboyait de fureur à la pensée decette trahison qui compromettait tout.

– J’entends bien ! répondit laFicelle qui, depuis qu’il venait de faire le sacrifice de sa vie,comptait pour rien celle des autres.

– N’aie pas plus de pitié pour le baronque je n’en aurai pour M. le directeur ! appuya encore lemonstre. Puis il glissa vers la cheminée. Il entra dedans. Et puis,ce fut sa tête renversée qui réapparut, dans un coin, les yeuxen bas… et la bouche, en haut, s’ouvrait pour dire :« Ce Talbot est un vilain homme, je me fais une véritable joiede lui faire passer le goût du pain ! » Et puis la bouchese referma et les yeux aussi et la tête resta là comme une hideusegargouille qui eût fait partie de l’architecture de la cheminée.Soudain le directeur fit son entrée.

Il demanda de la lumière. On lui apporta unelampe. Il s’assit à son bureau. Sa figure était rayonnante.

– Ça va ! fit-il. Vous savez d’où jereviens ?

– Non !

– De l’Hôtel de Ville ! Ah ! jen’y tenais plus ! Une responsabilité pareille ! Sous unprétexte tout à fait plausible et urgent j’ai vu Coudry, et, mafoi, je n’y suis pas allé par quatre chemins, je lui ai toutdit !

– Il a dû faire une tête !

– Pas du tout ! Il m’a répondusimplement :

« – Tâchez de ne pas être soupçonné moncher Talbot, c’est tout ce que je vous souhaite ! »

– Et ça ne vous a pas faitfrémir ?

– Si, dans le moment, mais après qu’ilm’eut donné congé, j’ai réfléchi et j’ai trouvé un moyen de ne pasêtre soupçonné…

– Et qu’est-ce que vous avez donctrouvé ?

– Eh bien, voilà ! Il faut que l’onne me ménage pas !

– On essaiera ! Et M. Hilairesourit dans l’ombre de toute sa figure énigmatique.

– Entendez-moi bien ! Il ne faut pasque l’on me bouscule pour rire ! Garot et Manol ont bien àleur disposition quelque instrument tranchant.

– On leur en trouvera au besoin… mais jecrois qu’ils ont cela, en effet !

– Il faut qu’ils s’enservent !

– Vous me faites peur !

– Il faut que le sang coule ! Ilsuffira de me donner un coup de couteau à la main gauche ! Çadonnera beaucoup de sang et nul n’osera me soupçonner ! Qu’endites-vous, monsieur l’inspecteur général ?

– Eh ! Eh ! fit Hilaire… jevous trouve bien brave ! mais tranquillisez-vous, je vousrecommanderai de telle sorte à ces messieurs qu’il ne viendra àl’esprit de personne que vous avez pu être complice de leurévasion !

– Eh bien ! voilà qui estentendu ! Je m’en vais préparer les papiers nécessaires etfaire demander Garot et Manol. Veillez de votre côté à ce que rienne cloche et envoyez-moi, je vous prie, l’officier municipal deservice à qui j’ai des ordres à donner pour demain relatifs auprocès du Subdamoun…

– Ah ! fit Hilaire ! nousallons donc pouvoir un peu respirer, quand nous allons êtredélivrés de tous ces oiseaux-là !

– À qui le dites-vous ? Adieu donc,mon ami ! et souhaitons-nous bonne chance tous lesdeux !

M. le directeur regarda partirM. l’inspecteur. La porte ne s’était pas plutôt refermée qu’ilquitta son fauteuil et se mit à se frotter les mains avec unejubilation si excessive que, dans la nuit de la cheminée, lagargouille, qui était toujours penchée sur le spectacle du cabinetde M. le directeur, eut une sorte de frémissement.

Le lieutenant de service entra. C’était ungarde civique à la dévotion du comité qui s’entendait fort bien àl’ordinaire avec cette crapule de Talbot.

– Mon cher, combien avez-vous d’hommes ence moment dans la salle des gardes ?

– Une vingtaine environ, luirépondit-il.

– Eh bien ! vous allez en fairemonter ici une dizaine immédiatement et armés jusqu’aux dents,hein ? Et en silence ! Et sans queM. l’inspecteur en sache rien !

Le lieutenant partit.

M. Talbot continuait à se frotter lesmains.

Dans la cheminée, la gargouille n’était plusune hideur souriante. Elle était devenue l’image de la douleur etde l’épouvante.

Elle vit entrer dix gardes qui furent disposéspar le lieutenant, sur les indications de Talbot, contre le mur, detelle sorte que ceux qui entraient, masqués par la porte, nepouvaient les voir.

– Tout à l’heure, deux prisonniers,conduits par Hilaire et deux gardes, vont entrer ici, fit la voixde Talbot. Sur un signe de moi, vous vous jetterez sur eux. Vousmettrez dans l’impossibilité de nuire, s’ils pénètrent ici, etHilaire et le baron d’Askof. Vous ne ferez aucun mal à ce dernier.Vous massacrerez l’autre, celui que je vousdésignerai !

Et Talbot, entraînant le lieutenant au coin dela cheminée, juste devant la gargouille, prononça ces mots à voixbasse :

– Vous êtes sûr de ces hommes ?

– Comme de moi-même.

– C’est que l’autre, émitTalbot, plus bas encore, l’autre, c’est leSubdamoun !

– Mâtin ! et il faut letuer !

– Ordre de Coudry ! Par le temps quicourt, on n’est jamais sûr de rien ! Il vaut mieux profiter dela tentative d’évasion pour en finir !

– Comment avez-vous su qu’ils devaients’évader ?

– C’est Askof qui a trouvé le moyen defaire prévenir Coudry. Ils devaient se jeter sur moi, me fairesigner de force leur libération ! Je l’ai échappé belle !Mais ne ratez pas le Subdamoun,hein ?

– Sufficit ! répliqua lelieutenant.

La tête de Talbot, la gorge, le cou de Talbotétaient à la portée de la main du terrible Chéri-Bibi ;celui-ci n’avait qu’à allonger un bras et l’homme, accroché,étranglé, entraîné dans le boyau noir, eût fini d’expirer sur lapoitrine du démon !

Jamais, au cours de son extraordinairecriminelle vie, Chéri-Bibi n’avait eu une pareille poussée dedésir vers la gorge d’un homme.

Hélas ! Chéri-Bibi ne tuait que lorsqu’ilne le voulait pas.

Dans l’affreux tourbillon de ses pensées,l’idée du danger dont il fallait à tout prix sauver le Subdamounsauva Talbot. La gargouille s’en alla. Elle remonta lacheminée.

Chéri-Bibi avait une agilité de singe et deforçat.

Il calculait : « Il faut dix minutesà Hilaire, à Garot et Manol, pour qu’ils se débarrassent d’Askofdans le « parloir des parents ». En ce moment ce doitêtre fait. Le Subdamoun doit commencer à se déguiser, à se mettrela fausse barbe… Dans cinq minutes, ils seront chez Talbot etJacques est f… »

Mais il ne perdait point son temps… Comme undiable, il était sorti de sa cheminée…

La nuit, heureusement, était complètementvenue.

D’en bas montait la rumeur de la soldatesquequi causait là en attendant les événements du lendemain et l’heurede conduire le Subdamoun et sa bande, après le procès, àl’échafaud. Chéri-Bibi aperçut les feux du bivouac tandis qu’il selaissait glisser le long de la haute cheminée après avoir enroulésa corde autour d’un bras.

Tant de soldats dehors, tant de gardes dedanscontre le Subdamoun ! Toutes les forces réunies contre sonfils ! son fils qu’on allait assassiner s’il n’accomplissaitpas, dans le moment, quelque chose de prodigieux !

Au long des gouttières qui surplombaient lequai de la Seine, il filait comme un chat.

Il grimpa sur un pignon, escalada sa cheminéeavec la même rapidité qu’il avait descendu celle de la Tour del’Ouest ; il attacha sa corde, la lança dans le trou noir etdescendit à son tour, comme une flèche.

Il sauta dans une cheminée, bondit dans unepièce. Il était dans la salle qui servait de cabinet de travail auprésident des assises quand celui-ci venait, avant un procès,s’entretenir avec les accusés provisoirement enfermés à laConciergerie.

Cette pièce était entièrement semblable àcelle qui servait de bureau au directeur. Sous cette pièce, il yavait le parloir des avocats, comme sous le bureau du directeur setrouvait le greffe.

Un petit escalier faisait égalementcommuniquer le cabinet du président des assises avec la salle desgardes.

Si le Subdamoun et Hilaire montaient cetescalier-là au lieu de monter celui qui conduisait à la Tour del’Ouest, ils pouvaient encore être sauvés.

En tout cas, on essaierait, par lacheminée, par les toits !

Ce n’était plus la tranquillité du départlégal ! C’était la poursuite avec tous ses aléas, ses dangers,son tumulte ! mais enfin, Chéri-Bibi avait trouvé, dans soncerveau embrasé, qu’on pouvait encore tenter ça !

Il fallait arriver à temps et pouvoir avertirHilaire, tout était là !

Chéri-Bibi se rua sur l’énorme porte quifermait la pièce au haut de l’escalier.

Seigneur Dieu ! la porte était ouverte.Il gagnait une minute. Tout doucement il l’entrouvrit. Unedemi-obscurité propice lui permit de se glisser jusque sur lepalier du petit escalier à rampe de fer.

Il fut là à plat ventre, épaississant à peinel’ombre, et regardant ce qui se passait, sous lui, dans la salledes gardes.

Il y avait, dans le moment, un assez fortremue-ménage qui ne pouvait être que favorable aux desseins deChéri-Bibi.

Celui-ci, allongeant la tête au-dessus del’escalier, cherchait Hilaire. Il l’aperçut au-dessous de lui,devant la porte du « parloir des parents ».

Chéri-Bibi laissa tomber à ses pieds unecacahuète, dont le son fit que M. Hilaire redressaimmédiatement la tête.

– Chut ! fit au-dessus de luiChéri-Bibi, le coup est manqué dans la Tour de l’Ouest. Mais venezme rejoindre dans la Tour de l’Est.

Hilaire se baissa, ramassa le fruit, l’épluchaet le mangea, ce qui signifiait qu’il avait compris.

Jamais Chéri-Bibi n’avait été si bien servipar les circonstances. On eût dit que, dans ce besoin extrême,elles se liguaient toutes pour le sauver de l’abîme où avait tentéde le précipiter ce brigand d’Askof.

Étant sûr d’avoir été compris, Chéri-Bibi qui,pour pouvoir être entendu de M. Hilaire, était quasi sorti dela cage de l’escalier, restant suspendu presque tout entier à unbarreau, reprit son équilibre sur le palier et rentra toutdoucement, continuant de se glisser comme une couleuvre dans lecabinet du président des assises. Or, quand il y fut, il entenditune voix qui disait au fond de l’obscurité : Vousapporterez de la lumière !

Chéri-Bibi poussa un sourd blasphème etreferma la porte derrière lui.

Il venait de reconnaître la voix de Dimier, leprésident des assises.

S’il avait trouvé ouverte la porte du cabinetdu président des assises, c’est que celui-ci, en visite à laConciergerie, venait de la faire ouvrir. Et, pendant que Chéri-Bibiparlait à M. Hilaire, M. Dimier était entré dans la Tourde l’Est.

Et Chéri-Bibi, tout-à-coup, pensa quel’événement pourrait peut-êtrele servir.

Il ne pouvait douter que ce fût pour voirGarot et Manol, à la veille de leur procès, que M. Dimieravait fait ouvrir son cabinet. Donc, on ne s’étonnerait point dansla salle des gardes de voir Hilaire conduire celui que chacunprendrait pour l’un des bandits dans la Tour de l’Est et non dansla Tour de l’Ouest, puisque M. le président des assises l’yattendait.

Mais, quand le Subdamoun se trouverait en facede M. Dimier, qu’allait-il se passer ?

Il fallait, coûte que coûte, queM. Dimier se prêtât à la combinaison.

Nous savons en quelle estime Chéri-Bibi avaitM. Dimier. Il l’appréciait, en particulier, autant qu’ilméprisait, en général, pour des raisons à lui connues, lamagistrature.

Sans le connaître M. Dimier avait, dansun ouvrage sur les erreurs judiciaires, osé parler de l’innocencepremière de Chéri-Bibi. Enfin, non seulement M. Dimier étaitun magistrat intègre, mais un honnête homme qui ne pouvait qu’êtreécœuré par-dessus tout de la façon dont étaient conduites lesaffaires publiques.

Si bien que Chéri-Bibi osa penser que dès queM. Dimier serait mis, par lui, au courant de la situation, ilsaurait s’arranger pour ne point entraver l’évasion d’un homme quiétait nécessaire au rétablissement de l’ordre.

Donc, Chéri-Bibi s’avança vers M. Dimieret lui dit d’une voix qu’il voulait rendre sinon attrayante, dumoins sympathique :

– Monsieur le président, ne vous effrayezpas ! et surtout n’appelez pas ! Je vais vous dire dequoi il retourne !

M. Dimier, stupéfait et inquiet, fit unmouvement de recul ; mais, retrouvant aussitôt son habituelcourage, il se dressa devant l’ombre mystérieuse qui venait defermer la porte et dit :

– Qui êtes-vous ?

– Je suis l’innocent et je travaillepour l’innocent ! répondit très énigmatiquement la voixde l’ombre…

Cette réponse n’eut point le don de satisfaireM. Dimier qui fit un pas vers la porte.

– Inutile ! fit l’autre… Vous nepasserez pas avant de m’avoir entendu !

– Que voulez-vous ?

– Votre silence ! Vous ne meconnaissez pas. Je vous connais, moi. Vous êtes M. Dimier,président des assises et vous êtes venu ici pour interroger Garotet Manol. Un homme va entrer tout à l’heure, qui ne sera ni l’un nil’autre, un homme qui viendra ici pour s’évader. Il s’en ira avecmoi par la cheminée par laquelle je suis venu. Je vous demande unechose, une seule : de n’appeler, de ne crier, de ne vousapercevoir de sa fuite que lorsqu’il sera trop tard pourl’empêcher, c’est simple !

M. Dimier avait laissé parler l’hommedans l’ombre, sans l’interrompre. Quand il eut fini, ildit :

– Vous prétendez me connaître : sivous me connaissiez, vous ne me proposeriez point une chose qui estcontraire à mon devoir !

– Je vous propose de sauver unhomme !

– Un criminel !

– Non, monsieur le président, cet hommen’est pas un criminel, c’est le Subdamoun !

À ce nom, M. Dimier eut un mouvement quin’échappa pas à Chéri-Bibi. Chéri-Bibi se dit : « Il estsauvé ! » et il ne s’opposa nullement à ce que la portes’ouvrît pour laisser passage à l’homme qui apportait une lampe. Ilsentait, il savait que M. Dimier ne le dénoncerait pas !Il se contenta de s’aplatir dans un coin du mur, masqué par laporte et il se redressa quand la porte fut refermée.

Chéri-Bibi n’avait plus la taille du marchandde cacahuètes, mais bien celle de Chéri-Bibi, c’est-à-dire presquecelle d’un géant quand M. Dimier, levant la lampe sur lui,l’examina en silence.

– Je ne suis pas beau ! fitChéri-Bibi.

– Vous êtes atroce ! répliquaM. Dimier, sauvez-vous !

– Quoi ?

– Je vous dis : sauvez-vous !Repartez par où vous êtes venu, je ne vous ai pas vu, je ne vousdénoncerai pas ! Je ne vous connais pas… et faites en sorteque je ne vous connaisse jamais… allez !

M. Dimier avait tranquillement déposé salampe sur son bureau, s’était assis et s’était mis à feuilleter sondossier.

Chéri-Bibi restait là. Il ne comprenaitpas.

– Je vous ai dit de vous en aller !répéta l’autre, agacé.

– M’en aller, mais vous ne m’avez doncpas compris, monsieur le président ? Je suis venu pour sauverle Subdamoun !

– J’entends bien ! mais je ne doislaisser sauver personne, moi. Je suis magistrat, moi ! et mondevoir est de m’opposer à l’évasion des prisonniers, quels qu’ilssoient… Vous saisissez… quels qu’ils soient ! Vous n’êtes pasprisonnier, vous, allez-vous en !

Il y eut un silence terrible.

– Ce serait mon père, monsieur, que jem’opposerais encore à son évasion ou alors j’aurais donné madémission de magistrat !

Chéri-Bibi avait vu le moment où il allait luicrier : « Taisez-vous, c’est mon fils »… mais ilpensa, sans doute, que ce ne serait pas là une suffisanterecommandation et il garda son secret pour lui.

Il s’assit car la parole du président luiavait cassé les jambes. Le dernier coup de la destinée était troprude aussi. Si jamais il s’était attendu à cela : Alors,il allait falloir tuer M. Dimier !

Cette nécessité qui lui apparaissaitmaintenant comme inéluctable, il en lisait les termes en lettresflamboyantes sur le noble front têtu du sublime président de lacour d’assises.

Et Chéri-Bibi se mit à trembler !M. Dimier lui demanda ce qu’il avait à trembler commeça !

– Monsieur le président, je vais vousdire : le Subdamoun devait s’enfuir par la Tour de l’Ouest. LaTour de l’Ouest est habitée par Talbot. Cela m’eût été agréabled’avoir à supprimer Talbot qui est un méchant homme, mais à l’idéeque vous…

Il arrêta, M. Dimier, un peu pâle, relevala tête. Il avait compris.

Il regarda le monstre assis en face de lui etqui continuait de trembler. Les coudes de Chéri-Bibi, ses mainsétaient agités de mouvements spasmodiques. Et il se prit à claquerdes dents… Cette épouvantable mâchoire avait peur !

Et cependant, toute cette peur étaithorriblement menaçante.

– J’aurais pu vous dénoncer tout àl’heure, fit-il simplement. Et il allongea rapidement une maindécidée vers un bouton de sonnette. Chéri-Bibi arrêta cettemain.

– Vous ne saurez jamais, fit le bandit,dont la voix s’était faite la plus tendre qu’il lui était possible,ce qu’il m’en coûte de vous être désagréable, monsieurDimier, Vous avez écrit un livre que je n’oublierai jamais, vousêtes peut-être le seul homme sur la terre qui ait jamais eu pitiéde moi ! Un soir que je m’étais évanoui de faiblesse dans larue, vous vous êtes arrêté pour me faire la charité… Je vous admireet je vous aime ! Laissez-moi vous ficeler proprement, vousbâillonner gentiment…

– Assez, monsieur ! fit lemagistrat. Je n’ai plus rien à vous dire. Et puisque vous ne voulezpas partir, je vais vous dénoncer !

Il se leva, courut à la porte : d’un bondChéri-Bibi fut sur lui et le renversa.

L’autre cria.

Mais deux mains lui serrèrent la gorge… etcomme un bruit de pas se faisait entendre dans l’escalier et qu’iln’avait plus une seconde à perdre, Chéri-Bibi serra fort, trèsfort.

Chéri-Bibi se releva…

Il venait de tuer M. Dimier.

– Fatalitas !gronda-t-il.

Et il pleurait… Cependant il renifla, essuyases larmes d’un geste horrible de la manche, secoua ses épaules,s’apprêta à de nouvelles besognes, aspira l’air, fit entendre unhan prodigieux… et ouvrit la porte à Hilaire et auSubdamoun qui se précipitèrent dans la pièce.

Il était temps. Une minute de plus etM. Dimier était sauvé et le Subdamoun était perdu. Chéri-Bibiregretta son bavardage. Le corps avait roulé sous le bureau.Chéri-Bibi avait soufflé la lampe. Le Subdamoun ne vit rien. EtHilaire n’apprit le crime nécessaire que plus tard.

La porte repoussée et verrouillée les séparaitmaintenant de la horde des gardes civiques qui, conduits par Talbotet l’officier municipal, furieux d’avoir été joués, la bourraientde coups, se transformaient en catapultes et réclamaient deshaches !

Dans l’ombre, le Subdamoun, qui ne comprenaitpas grand-chose à ce qui se passait, se laissa attacher à une cordepar une sorte de géant bizarre qui, penché sur lui, le maniait avecune grande douceur.

M. Hilaire lui ordonnait de se laisserfaire.

À la lueur d’un rayon de lune, l’ombreinquiétante du géant disparut dans la vaste cheminée, grimpantcomme un chimpanzé le long de la corde.

Alors, le commandant comprit qu’arrivé sur letoit, son singulier sauveur allait le hisser par la cheminée, commeun colis.

Les coups à la porte se faisaient terriblementfurieux. La porte semblait prête à céder. En même temps que l’onentendait des clameurs de sauvages à l’adresse du commandant, descris de mort destinés à M. Hilaire s’élevaient dans unecacophonie terrifiante.

Le Subdamoun, qui était le courage etl’honneur même, trouva le moyen de compliquer encore ce momentdifficile.

Il sortit un petit couteau de sa poche, coupala corde qui le liait et déclara qu’il ne consentirait à prendre lechemin de la cheminée que lorsque l’héroïque M. Hilaire, à quiil devait la vie, aurait sauvé d’abord la sienne.

M. Hilaire, naturellement, se prit àjurer comme un païen.

– Monsieur ! exprima ensuiteM. Hilaire, onne me le pardonnerait jamais !

– Qui : on ? demanda leSubdamoun.

– L’homme qui est là-haut,répondit simplement M. Hilaire, en essayant d’attacher leSubdamoun.

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