Le Coup d’état de Chéri-Bibi

XVI – CINQ MINUTES

– J’ai une lettre pour vous, dit-il àFrédéric Héloni, en lui passant le pli qui lui revenait et encommençant de décacheter le sien.

– Sans doute, une attention délicate denos deux fiancées… continua-t-il, mais il n’acheva pas saphrase.

Il poussait une sourde exclamation et Frédériclui-même, qui avait lu, avait un cri de douleur.

– Chauffeur, arrêtez !

Ils se communiquèrent les lettres !

La phrase où Marie-Thérèse donnait ce dernieravis de pénétrer dans la chambre de Lydie sans lumièreétait terrible.

Héloni, qui était devenu d’une pâleur de cire,ne prononçait plus un mot.

Il savait de quel prix étaient alors lesminutes pour le succès du coup d’État où Jacques avait engagé tantde braves gens. Il attendait dans l’horrible angoisse de son cœurla décision de Jacques.

– Le plus simple, fit tout à coupJacques, d’une voix que Frédéric ne reconnut pas, serait que vousvous rendiez immédiatement chez ma mère et qu’après avoir donnél’alarme et pris des nouvelles vous me rejoigniez à Versailles,mais… mais il ne passe pas une voiture… pas une auto !

Ah ! le combat terrible et rapide dans lecœur et la conscience de Jacques ! Frédéric l’examinait avecdes yeux d’épouvante. Il lisait clairement qu’il allait donnerl’ordre au chauffeur de continuer son chemin ; oui… il lisaitcet affreux héroïsme dans les prunelles de son chef…

C’était la condamnation à mort deMarie-Thérèse et de Lydie.

Alors ne sachant plus beaucoup ce qu’ilfaisait, il tira sa montre et dit au hasard :

– Nous avons peut-être cinq minutes. Ilne nous faudrait que cinq minutes !

– Allons-y donc ! hurla Jacques avecune fureur désespérée. Il jeta au chauffeur l’ordre d’aller àl’hôtel de la Morlière.

Ah ! ils n’attendirent point que l’autose fût complètement arrêtée pour se jeter dans l’hôtel.

Le concierge vit passer les deux hommes avecd’autant plus d’effroi qu’il fut presque jeté par terre dans leurcourse.

Déjà Jacques était à la porte deLydie :

– Lydie ! Lydie ! supplia-t-il,en secouant la porte. C’est moi, Jacques !Ouvre-nous !

– Marie-Thérèse ! ouvrez-nous !râlait de même Frédéric.

Puis, soudain, les deux hommes, prenant leurélan, se jetèrent d’un même effort contre la porte qui sauta.

Alors une épouvantable odeur de gaz serépandit dans le corridor et dans tout l’hôtel. Jacques courut auxfenêtres, brisa des carreaux et revint défaillant, rejoindreFrédéric, qui déjà emportait le corps de Marie-Thérèse…

Jacques emporta Lydie… On eût pu les croiremortes toutes les deux tant elles se laissaient aller inaniméesentre leurs bras.

Jacques criait au concierge de courir chercherun médecin quand Cécily apparut.

Quel nouveau malheur venait donc frapperencore à sa porte ? Elle aimait Lydie comme sa fille… Ledestin allait-il lui prendre aussi celle-là ?

Ce fut sur le lit de Jacqueline que l’ontransporta les deux jeunes filles.

– Elles ont voulu se suicider, gémitFrédéric.

– Mais elles respirent encore !faisait Jacques avec un soupir d’espoir… Lydie ouvrit des paupièreslanguissantes et poussa un soupir.

– De l’air ! de l’air ! criaJacques.

Marie-Thérèse, à son tour, montra sesprunelles éteintes et Frédéric se laissa aller en sanglotant surson cœur…

Il avait trouvé les deux jeunes fillesétroitement enlacées sur le lit, comme si elles venaient de sedonner le chaste et dernier baiser de la mort… Et il ne comprenaitrien à ce drame épouvantable, car il n’était pas coupable,lui !

Le vrai coupable suppliait sa mère de luisauver sa fiancée.

Sur ces entrefaites le médecin arriva etpratiqua immédiatement des saignées, posa des ventouses au niveaude la base du poumon, en avant et en arrière du cou, mais il ne putdire sur-le-champ si elles étaient sauvées.

– Nous saurons cela dans quelquesminutes, fit-il.

Jacques, qui était aux genoux de Lydie, seleva alors et fit signe à Frédéric de le suivre.

– Vous n’attendez pas de savoir, leurdemanda Cécily, étonnée, si votre fiancée va vivre oumourir ?

– Non, ma mère ! Nous sommes sûrs,Frédéric et moi, que tout ce qu’il est possible de faire pour lessauver sera accompli par vos soins. Adieu, mère, nous n’avons plusle droit de rester une minute de plus ici ! Ailleurs on nousattend ! et c’est aussi une question de vie ou de mort !Quant à elles, quand elles vous entendront, dites-leur bien quenous les aimons toujours et faites-nous savoir au château deVersailles qu’elles sont sauvées.

L’auto refit la route de folie, mais quandJacques et son lieutenant arrivèrent enfin à la place de l’Étoile,c’est en vain qu’ils cherchèrent partout l’auto du général Mabel etle général Mabel lui-même. Il n’y était plus !

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