Le Coup d’état de Chéri-Bibi

XXXVIII – CHÉRI-BIBI ET LE SUBDAMOUN

Dans son cabinet de travail, le Subdamounécoutait Chéri-Bibi. D’abord, cela avait été un échange de proposrapides, terribles. Maintenant Jacques paraissait désarmé devantl’incroyable audace du monstre. Chéri-Bibi ricanait :

– Oui, j’ai osé cela, cher monsieur, sansvous en demander la permission. De quoi vous plaignez-vous ?Vous n’êtes responsable de rien ! Vous ne savez rien ! Etpersonne ne saura jamais rien si vous êtes assez fort pourcontinuer de l’ignorer vous-même ! Que diable, cher monsieur,vous avez fait la guerre ! En paix aussi, il y a des mortsnécessaires ! Depuis de longues années, je travaille dansl’ombre pour vous, vous évitant tout désagrément ! Mechargeant des besognes les plus répugnantes. Vous n’ayez euque le beau rôle, la gloire ! Et, depuis quelque temps,j’ai pris pour moi tous vos ducs d’Enghien !Vous, vous n’avez eu à marcher qu’au nom de la vertu et vous n’avezconnu qu’elle ! grâce à moi… Là-dessus vous me menacez de metuer. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, si j’airéussi ?

« Mais ai-je réussi ? Toute laquestion est là ! Après m’avoir tué, allez-vous me dénoncer,c’est-à-dire vous dénoncer vous-même ? N’aurai-je tanttravaillé que pour que ce pays retourne à l’anarchie d’où je l’aitiré en mettant à sa tête un homme vertueux et auquel le bedeau deNotre-Dame lui-même n’aurait rien à reprocher !Réfléchissez ! Vous n’êtes pas un enfant ! Quediable ! Vous revenez des camps ! L’aigle guerriern’engendre pas la timide colombe ! Vous me comprendrez !Vous finirez bien par me comprendre !

– Je comprends que vous êtes un assassin,exprima le Subdamoun d’une voix sèche, en essuyant d’un revers demain la sueur qui coulait de son front blême.

– Un assassin ! répéta Chéri-Bibi…Qu’est-ce qu’un assassin ? Pourriez-vous me le dire ?Oh ! je connais la formule ! C’est celui qui tue sonprochain avec préméditation… Si je vous disais, monsieur, que, moi,j’ai toujours prémédité de sauver mon prochain et qu’avec cettepréméditation-là, le plus souvent, il m’est arrivé de letuer ! Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ?Autrefois, je disais : Fatalitas ! Maintenant jene dis plus rien et je crois au bon Dieu, au bon Dieu de monenfance, qui punit les méchants par ma main, voilà tout ! Jen’ai rien à y voir !

– M. Dimier était un honnête hommeet un bon magistrat ! fit le Subdamoun de plus en plus effaréde la théorie épouvantable du monstre.

– M. Dimier était monami ! J’aurais donné ma vie pour sauver la sienne… J’aipris la sienne pour sauver la vôtre ! Sachez donc, chermonsieur, que je n’ai jamais tué que lorsque je n’ai pu faireautrement. On n’est pas un assassin quand on ne tue que lorsqu’onne peut faire autrement !

– On n’a le droit de tuer que lorsqu’onest en état de légitime défense !

– Monsieur, depuis ma plus tendreenfance, je suis en état de légitime défense vis-à-vis de lasociété qui n’a cessé de m’attaquer ! Un autre aurait pu envouloir à la société ! Moi je lui ai pardonné ! J’aimieux fait que de lui pardonner ! J’ai rêvé de la réformer, detravailler à la rendre meilleure et plus habitable sous un chef demon choix ! Et qui ai-je choisi ? Vous ! Et vousavez l’air de n’en être pas flatté ! Vous faites ledégoûté ! Vous vous retournez et vous dites :« J’avais cela derrière moi ! » Mais, monpetit cher monsieur, si vous n’aviez pas eu cela derrière vous,vous n’auriez eu personne devant vous pour vous admirer, pour vousdire : « Qu’il est beau ! Qu’il est brave !C’est lui qu’il nous faut ! Tout luiréussit ! » Tout vous réussit ! Monsieur, sansmoi, vous n’auriez pas été élu à votre première élection !

– Mon concurrent a été victime d’unaccident d’automobile, déclara le Subdamoun qui tremblaitd’angoisse mais qui montra un front hautain.

– Oui, monsieur, d’un accidentnécessaire !

– Oh ! gémit Jacques enserrant la crosse de son revolver.

– Voulez-vous que nous continuions àénumérer les accidents heureux de votre brillantecarrière ? interrogea encore Chéri-Bibi qui tournait autour deJacques comme pour l’exciter par une exaspération croissante à cequ’il s’avouât vaincu ou à ce qu’il en finît tout de suite avecChéri-Bibi lui-même.

« Je les connais tous, moi ces“accidents”, parce que j’ai été à la fois votre ange gardien etvotre chef de la Sûreté, votre ministre de la Justice et votreexécuteur des hautes et basses œuvres ! Plaignez-vous !Je ne vous demande rien en échange que d’en profiter ou de metuer ! Programme net, simple, facile à exécuter ! J’aifait mon ouvrage, je disparaîtrai ! Vous ne me verrez plusjamais ! Mais si vous devez, à la suite du petit incident dece soir, donner cette démission comme un niais et abandonner lapartie gagnée, tuez-moi ! cher monsieur, tuez-moi ! Jevous en prie !

Le Subdamoun posa son revolver sur la table,s’assit, prit une feuille de papier, et écrivit.

Chéri-Bibi s’approcha.

Le Subdamoun pensa que le bandit allait luiprendre son revolver. Il ne fit pas un geste pour l’en empêcher. Ilétait au bord de l’abîme. Il ne demandait, après ce qu’il venaitd’entendre, qu’à y être précipité.

Il avait cru à la vertu ; un homme étaitvenu lui dire : « Votre vertu, c’est moncrime ! » : Lui aussi ne demandait qu’à mourir.Au fond, le Subdamoun n’était qu’un très gentil garçon, bon, braveà la guerre, mais ce n’était pas un géant conducteur depeuples.

Chéri-Bibi, par-dessus son épaule, leregardait écrire. Un instant, de sa patte énorme, il arrêta la mainde l’autre au moment de la signature :

– Vous allez signer votre démission deprésident de l’Assemblée, vous allez annoncer à la nationstupéfaite et qui n’y comprendrait rien que vous renoncez à la viepolitique, pourquoi ?…

Le Subdamoun se leva :

– Parce que je ne veux pas être lefils de vos œuvres !

– Rien ne saurait plus vous enempêcher !

– Je renie l’héritage ! et lapreuve, monsieur, c’est que vous allez mourir !

– Vous allez venger vosvictimes ? ricana Chéri-Bibi en croisant les bras et endressant vers lui son front formidablement calme…

Le Subdamoun avait repris le revolver.

– Je vais vous tuer, monsieur, toutsimplement, parce que vous avez assassiné mes deuxgrands-pères…

Mais une main s’interposa : c’était lamarquise qui arrivait avec une allure de folle et qui était si pâlequ’on l’eut dite déjà prête à descendre au tombeau :

– Ne le tue pas ! dit-elle…c’est ton père !

Chéri-Bibi eut une sourde exclamation. Lamarquise fit entendre un rire insensé.

Alors le Subdamoun se logea une balle dans latête.

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