Chapitre 5De l’amour des personnes en charge pour les épouses d’autrui.
Les rois et leurs ministres n’ont pas d’accès dans les demeuresdes citoyens, et, de plus, leur manière de vivre est constammentsurveillée, observée et imitée par la multitude : exactement commele monde animal, voyant le soleil se lever, se lève avec lui, etlorsqu’il se couche le soir, se couche de nouveau à son imitation.Les personnes en charge doivent donc éviter de faire en publicaucun acte blâmable, que leur position leur interdit et qui seraitdigne de censure. Mais si un tel acte paraît nécessaire, ellesdoivent alors employer les moyens convenables, tels qu’ils sontdécrits ci.après :
Le principal d’un village, l’officier du Roi y préposé, etl’homme dont le travail consiste à glaner du blé, peuvent séduiredes villageoises en leur faisant une simple demande. Aussi lesvoluptueux donnent-ils le nom de ribaudes à cette catégorie defemmes.
L’union des hommes sus-mentionnés avec cette catégorie de femmesa lieu à l’occasion d’un travail non Payé, de l’emmagasinage desrécoltes dans leurs greniers, de l’entrée dans la maison ou de lasortie d’objets, du nettoyage des maisons, du travail des champs,de l’achat du coton, de la laine, du lin, du chanvre, du fil, etdans la saison de l’achat, vente et échange de divers autresarticles, comme aussi au moment où se font divers autres travaux.De la même façon, les surveillants de parcs aux vaches jouissentdes femmes dans ces parcs ; et les officiers qui ont lasurveillance des veuves, des femmes sans appui et de celles qui ontquitté leurs maris, ont avec ces femmes un commerce sexuel. Lesplus adroits font leur besogne en rôdant la nuit dans le village.Il y a aussi des villageois qui entretiennent des relations avecles femmes de leurs fils, étant la plupart du temps seuls avecelles. Enfin les surveillants des marchés ont fort affaire auxvillageoises, lorsque celles-ci viennent au marché pour leursachats.
Durant le festival de la huitième lune, c’est-à-dire, durant labrillante moitié du mois de Nargashirsha, comme aussi durant lefestival de clair de lune du mois de Kartika, et le festival deprintemps de Chaitra, les femmes des villes et des cités visitentgénéralement les femmes du harem du Roi, dans le palais royal. Cesvisiteuses, étant connues des femmes du harem, sont admises dansleurs appartements particuliers ; elles y passent la nuit enconversations, en sports et en amusements à leur goût, et s’en vontle matin. À cette occasion, une servante du Roi, qui saura d’avancela femme pue le Roi désire, accostera, en ayant l’air de flâner,telle ou telle femme qui s’apprête à rentrer chez elle, etl’invitera à venir voir les curiosités du palais.
Avant même ces festivals, elle peut avoir fait dire à cettefemme qu’à l’occasion du festival elle veut lui montrer toutes leschoses intéressantes du palais. Et, effectivement, elle lui feravoir le berceau de plantes grimpantes en forme de corail, la maisondu jardin avec son plancher incrusté de pierres précieuses, leberceau de grappes de raisin, l’édifice sur l’eau, les passagessecrets dans les murs du palais, les peintures, les animaux dechasse et de sport, les machines, les oiseaux, et les cages auxlions et aux tigres. Ensuite, étant seule avec elle, elle luiparlera de l’amour que lui porte le Roi et lui vantera l’heureusefortune que lui procurerait son union avec le Roi, l’assurantd’ailleurs d’un secret strictement gardé. Si la femme accepte cetteoffre, elle l’en récompensera par de jolis présents dignes du Roi,et, après l’avoir accompagnée à quelque distance, la congédieraavec de grandes marques d’affection.
Il peut arriver aussi que les femmes du Roi, ayant fait laconnaissance du mari de la femme que le Roi désire, invitent cettefemme à venir les visiter dans le harem ; et alors, uneservante du Roi, envoyée là tout exprès, agira comme il est ditci-dessus.
Ou bien une des femmes du Roi fera la connaissance de la femmeque le Roi désire, en lui envoyant une de ses suivantes qui,devenue plus intime avec elle, l’engagera à venir voir le palaisroyal. Puis, lorsqu’elle aura visité le harem et pris confiance,une a l’idée du Roi, envoyée tout exprès, agira comme il est ditci-dessus.
Ou bien la femme du Roi invitera celle que le Roi désire à venirau palais royal, Pour voir pratiquer l’art dans lequel la femme duRoi peut exceller, et lorsqu’elle sera venue au harem, une servantedu Roi, envoyée tout exprès, agira comme il est dit ci.dessus.
Ou bien une mendiante, d’accord avec la femme du Roi, dira à lafemme que le Roi désire, et dont le mari peut avoir perdu safortune ou avoir quelque chose à craindre du Roi : « Cette femme duRoi a de l’influence sur lui ; elle est, de plus,naturellement bienveillante ; c’est à elle, par conséquent,que nous devons avoir recours en cette affaire.
Je me charge de vous faire entrer au harem, et elle écarteratoute cause de danger et de crainte de la part du Roi. » Si la femmeaccepte cette offre, la mendiante la conduira deux ou trois fois auharem, et la femme du Roi lui promettra sa protection. Ensuite,lorsque la femme, enchantée de l’accueil et de la protectionpromise, retournera au harem, une servante du Roi, envoyée toutexprès, agira comme il a été dit.
Ce qu’on vient de dire au sujet de la femme d’un homme qui aquelque chose à craindre du Roi s’applique aussi aux femmes de ceuxqui sollicitent du service auprès du Roi, ou qui sont opprimés parles ministres du Roi, ou qui sont pauvres, ou qui ne sont passatisfaits de leur position, ou qui désirent gagner la faveur duRoi, ou qui veulent devenir fameux parmi le peuple, ou qui sontopprimés par les membres de leur propre caste, ou qui veulent faireaffront à leurs compagnons de caste, ou qui agissent en espions duRoi, ou qui ont quelque objet à atteindre.
Enfin, si la femme que le Roi désire vit avec un homme qui n’estpas son mari, alors le Roi peut la faire arrêter, et l’ayantréduite en esclavage, à cause de son délit, la placer dans leharem. Ou encore, le Roi ordonnera à son ambassadeur de chercherquerelle au mari de la femme qu’il désire, et il emprisonneracelle-ci comme la femme d’un ennemi du Roi, pour la placer ensuitedans le harem.
Ainsi finissent les moyens de gagner secrètement les épousesd’autrui.
Les moyens ci-dessus mentionnés de gagner les épouses d’autruise pratiquent généralement dans les palais des Rois. Mais un Roi nedoit jamais pénétrer dans le domicile d’une autre personne ;car Abhira, roi des Kottas, fut tué par un blanchisseur tandisqu’il était dans une maison étrangère, et Jajasana, roi des Kashis,fut massacré en pareille occasion sur l’ordre de ses cavaliers.
Mais, suivant les coutumes de quelques pays, les Rois ontcertaines facilités de faire l’amour aux femmes d’autres hommes.Ainsi, dans le pays des Andhras, les nouvelles mariées ont l’usagede se présenter au harem du Roi, avec des présents, le dixième jourde leur mariage ; puis, après avoir été possédées par le Roi,elles sont congédiées. Dans le pays des Vatsagulmas, les femmes desPremiers ministres vont trouver le Roi le soir et se mettent à sonservice. Dans le pays des Vaidharbas, les belles femmes desindigènes passent un mois dans le harem du Roi, sous prétexte deleur affection pour sa personne.
Dans le pays des Aparatakas, les citoyens envoient en présentsleurs belles femmes aux ministres et aux Rois. Et enfin, dans lepays des Saurashtras, les femmes de la ville et de la campagne serendent au harem royal pour le plaisir du Roi, soit ensemble, soitséparément.
Il y a aussi, sur ce sujet, deux versets, doit voici le texte:
« Les procédés ci-dessus décrits, et d’autres semblables, sontles moyens employés par le Roi à l’égard des épouses d’autrui. Maisun Roi, qui est préoccupé du bien être de son peuple, ne doit enaucun cas les mettre en pratique. » « Un Roi, qui a triomphé des sixennemis de l’humanité, que sont la Luxure, la Colère, l’Avarice,l’Ignorance spirituelle, l’Orgueil et l’Envie, devient le maître dumonde entier. »
