Le Kama Sutra

Chapitre 2Des moyens d’aborder une femme et des efforts à faire pour laconquérir.

D’anciens auteurs sont d’avis que les jeunes filles se laissentmoins facilement séduire par l’entremise de messagères, que parl’action personnelle de l’homme ; mais que les femmes mariées,au contraire, cèdent plus facilement aux intermédiaires qu’àl’amant lui-même. Vatayana, lui, estime que, toutes les fois quecela est possible, l’homme doit agir de son propre chef, et c’estseulement lorsqu’il y a impossibilité absolue de ce faire qu’ondoit recourir à l’office des messagères.

Quant à dire que les femmes qui agissent hardiment et librementcèdent aux efforts personnels de l’homme, et que celles qui nepossèdent pas ces qualités cèdent à des messagères, c’est pureplaisanterie. Or, quand un homme agit lui-même, en cette matière,il doit, avant tout, faire la connaissance de la femme qu’il aime,de la manière suivante :

Il s’arrangera pour être vu de la femme dans quelque occasionnaturelle ou spéciale. L’occasion est naturelle, lorsque l’un d’euxse rend à la maison de l’autre ; elle est spéciale, lorsqu’ilsse rencontrent soit chez un ami, ou un compagnon de caste, ou unministre, ou un médecin, soit aux cérémonies de mariage, auxsacrifices, aux festivals, aux funérailles et aux parties dejardin. Quel que soit le moment où ils se rencontrent, l’homme doitavoir soin de regarder la femme de telle façon qu’elle puissedeviner l’état de son esprit ; il tirera sa moustache,produira un son avec ses ongles, fera tinter ses bijoux, mordra salèvre inférieure, et fera d’autres signes de même sorte.Lorsqu’elle le regardera, il parlera d’elle et d’autres femmes àses amis, et il se montrera libéral, ami des plaisirs. S’il estassis à côté d’une femme de sa connaissance, il bâillera, setortillera le corps, contractera ses sourcils, parlera trèslentement comme s’il était fatigué, et l’écoutera avecindifférence. Il pourra aussi entretenir, avec un enfant ou quelqueautre personne, une conversation à double sens, qui paraîtra seraporter à une tierce personne, mais qui, en réalité, aura pourobjet la femme qu’il aime ; et de cette façon il lui feraconnaître son amour, en ayant l’air de s’occuper des autres plusque d’elle même. Il fera sur la terre, avec ses ongles ou avec unbâton, des marques qui s’adresseront à elle ; il embrassera etbaisera un enfant en sa Présence, lui donnera avec sa langue lemélange de noix de bétel et de feuilles de bétel, et lui presserale menton avec ses doigts d’une manière caressante. Il fera toutcela en temps et lieu convenables. L’homme caressera un enfantassis sur les genoux de la femme, et lui donnera quelque jouet,qu’il lui reprendra ensuite. Il pourra ainsi entretenir avec elleune conversation au sujet de cet enfant, et de la sorte il sefamiliarisera graduellement avec elle ; il s’étudiera aussi àse rendre agréable à ses parents. La connaissance, une fois faite,deviendra un prétexte pour la visiter souvent dans sa maison ;et alors il causera de quelque sujet d’amour, elle absente, maisassez près cependant pour qu’elle puisse l’entendre. L’intimitégrandissant, il lui confiera une sorte de dépôt ou gage, dont ilretirera de temps à autre une petite portion ; ou bien il luidonnera quelques substances parfumées, ou des noix de bétel, pourqu’elle les lui garde. Après cela, il fera son possible pour lamettre en bonnes relations avec sa propre femme, les engagera àcauser confidentiellement et à s’asseoir ensemble dans des lieuxsolitaires. Afin de la voir fréquemment, il s’arrangera de manièreque les deux familles aient le même orfèvre, le même joaillier, lemême vannier, le même teinturier et le même blanchisseur. Et il luifera ouvertement de longues visites, sous le prétexte de quelqueaffaire qu’il traite avec elle ; et une affaire en amènera uneautre de façon à les maintenir toujours en relations. Si elledésire quelque chose, si elle a besoin d’argent, ou si elle veutacquérir de l’adresse dans tel ou tel art, il lui insinuera qu’il ala volonté et le pouvoir de taire tout ce qu’elle désire, de luidonner de l’argent, ou de lui enseigner tel ou tel art, tout celaétant dans ses moyens. Il entretiendra avec elle des discussions,en compagnie d’autres personnes, parlera de ce qui a été dit etfait par d’autres, examinera différents objets, tels que desjoyaux, des pierres précieuses, etc. À ces occasions, il luimontrera certaines choses qu elle pourra ne point connaître ;et si elle vient à être en désaccord avec lui sur les choses ellesmêmes ou sur leur valeur, il ne la contredira pas, mais assureraqu’il est de son avis sur tous les points.

Ainsi finissent les manières de faire connaissance avec la femmequ’on désire.

Maintenant, lorsqu’une jeune fille est familiarisée avec unhomme ainsi qu’il est décrit plus haut, et qu’elle lui a manifestéson amour par les différents signes extérieurs et les mouvements deson corps, l’homme doit faire tous ses efforts pour la posséder.Mais comme les jeunes filles n’ont pas d’expérience de l’unionsexuelle, il convient de les traiter avec la plus grandedélicatesse, et l’homme devra user de grandes précautions. Celan’est pas nécessaire, bien entendu, avec les autres femmes qui sontaccoutumées au commerce sexuel. Lorsque les intentions de la jeunefille ne seront plus douteuses et qu’elle aura mis de côté sa peur,l’homme commencera à faire usage de son argent et ils échangerontensemble des vêtements, des anneaux et des fleurs. En cela, l’hommeprendra un soin tout particulier à ce que ses cadeaux soient beauxet précieux. Elle lui donnera aussi un mélange de noix de bétel etde feuilles de bétel, et s’il se rend à quelque partie de plaisir,il lui demandera la fleur qu’elle a aux cheveux ou celle qu’elleporte à la main. Si c’est lui même qui lui donne une fleur, elleaura un doux parfum et sera marquée de signes qu’il y aura imprimésavec ses ongles ou ses dents. Progressivement et graduellement ildissipera ses craintes, et finira par la conduire dans quelque lieusolitaire, où il l’embrassera et la baisera. Enfin, à l’occasiond’une noix de bétel qu’il lui donnera, ou qu’il en recevra, ou d’unéchange de fleurs qu’ils feront ensemble, il lui touchera etpressera les parties secrètes, donnant ainsi à ses efforts uneconclusion satisfaisante.

Lorsqu’un homme a entrepris de séduire une femme, il ne doit pasessayer d’en séduire une autre dans le même temps. Mais après avoirréussi avec la première, et en avoir jouir durant un laps de tempsconsidérable, il peut entretenir son affection en lui faisant descadeaux qui lui plaisent, et commencer dès lors le siège d’uneautre femme.

Si un homme voit le mari d’une femme qu’il aime aller à quelqueendroit près de sa maison, il s’abstiendra de jouir de la femme,lors même qu’elle pourrait être facilement gagnée à ce moment là.Un homme sage, et qui a le souci de sa réputation, ne songera pas àséduire une femme peureuse, timide, de caractère léger, biensurveillée, ou qui possède un beau père ou une belle mère.

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