Le Kama Sutra

Chapitre 4Des choses que l’homme doit faire seul pour s’assurer l’acquisitionde la fille ; pareillement, de ce que doit faire la fille pourdominer l’homme et se l’assujettir.

Or, quand la jeune fille commence à montrer son amour par dessignes et mouvements extérieurs, ainsi qu’il est décrit dans leprécédent chapitre, l’amant doit essayer de la conquérirentièrement par différents moyens, tels que les suivants :

Au cours des jeux et divertissements auxquels tous deuxprendront part, il lui tiendra la main avec intention. Ilpratiquera sur elle les différentes sortes d’embrassements, parexemple, l’embrassement touchant, et autres dont il est parlé dansun précédent chapitre (IIe Partie, Chapitre II). Il lui fera voirune couple de figurines humaines découpées dans une feuilled’arbre, et autres choses de même genre, par intervalles. Dans lessports aquatiques, il plongera à une certaine distance d’elle, etreparaîtra tout près. Il se montrera épris du nouveau feuillage desarbres, et d’autres choses semblables. Il lui décrira les tourmentsqu’il endure pour elle. Il lui racontera le beau rêve qu’il a faità l’occasion d’autres femmes. Dans les parties et assemblées de sacaste, il s’assiéra près d’elle et la touchera sous un prétexte ousous un autre ; et, après avoir placé son pied sur le sien, iltouchera lentement chaque orteil et pressera les extrémités desongles ; s’il y réussit, il saisira son pied avec la main etrépétera la même chose. Il pressera aussi entre ses orteils undoigt de sa main, lorsque la jeune fille se lavera les pieds ;et, chaque fois qu’il lui fera un cadeau ou en recevra d’elle, sacontenance et ses regards lui exprimeront l’intensité de sonamour.

Il répandra sur elle l’eau qu’il aura reçue pour rincer sabouche ; et, s’il se trouve avec elle dans un lieu solitaire,ou dans l’obscurité, il lui fera l’amour, et lui dira le véritableétat de son esprit sans l’affliger d’aucune façon.

Chaque fois qu’il sera assis avec elle sur le même siège ou lemême lit, il lui dira : « J’ai quelque chose à vous dire enparticulier », et alors, si elle consent à l’écouter dans unendroit tranquille, il lui exprimera son amour par des gestes etdes signes plutôt que par des paroles.

Lorsqu’il connaîtra bien ses sentiments à son égard, il seprétendra malade et la fera venir chez lui pour lui parler. Alorsil lui prendra intentionnellement la main et la portera sur sesjeux et sur son front, et, sous le prétexte de se préparer quelquemédecine, il la priera de se charger de l’ouvrage, en ces termes :« C’est à vous de faire cette besogne, à vous, et à nul autre. »Quand elle devra se retirer, il la laissera partir, en la priantvivement de revenir le voir. Ce semblant de maladie sera continuépendant trois jours et trois nuits. Dans la suite, comme elleprendra habitude de venir souvent le voir, il tiendra avec elle delongues conversations, car, dit Ghotakamukha, « si passionnémentqu’un homme aime une fille, il ne vient jamais à bout d’entriompher sans une grande dépense de paroles ». Enfin, lorsquel’homme trouve la fille entièrement conquise, il peut alorscommencer à en jouir. Quant à dire que les femmes se montrent moinstimides qu’à l’ordinaire le soir, la nuit et dans l’obscurité,qu’elles sont à ces moments-là désireuses du congrès, qu’elles nes’opposent plus aux hommes et qu’il faut en jouir seulement à cesheures-là, c’est pur bavardage.

Lorsqu’un homme ne pourrait, par lui seul, arriver à ses fins,il devra, au moyen de la fille de la nourrice ou d’une amie en quielle a confiance, se faire amener la jeune fille sans lui révélerson dessein, et il procédera de la manière ci-dessus décrite. Oubien, dès le début, il enverra sa propre servante vivre avec ellecomme demoiselle de compagnie, et celle-ci lui en facilitera laconquête.

À la fin, lorsqu’il sera édifié sur ses sentiments par sacontenance extérieure et par sa conduite envers lui dans lescérémonies religieuses, les cérémonies de mariage, les foires, lesfestivals, les théâtres, les assemblées publiques et autresoccasions semblables, il devra commencer à en jouir Quand elle setrouvera seule ; car Vatsyayana Pose en principe que, si l’ons’adresse aux femmes en temps convenable et en lieu convenable,elles ne sont jamais infidèles à leurs amants.

Une jeune fille, douée de bonnes qualités et bien élevée,quoique née d’une famille de classe inférieure ou sans fortune, etqui n’est pas en conséquence recherchée de ses égaux ; ou bienune orpheline, privée de ses parents, mais observant les règles desa famille et de sa caste, doit, lorsqu’elle est venue à l’âged’être mariée et qu’elle songe à s’établir, faire des efforts pours’attacher un jeune homme fort et de bonne apparence, ou tel autrequ’elle croira pouvoir l’épouser, par faiblesse d’esprit, et mêmesans le consentement de ses parents. Elle emploiera dans ce but lesmoyens propres à s’en faire aimer, et cherchera toutes lesoccasions de le voir et de le rencontrer. Sa mère aussi nenégligera rien pour les réunir au moyen de ses amies et de la fillede sa nourrice. La jeune fille elle-même s’arrangera pour setrouver seule avec son bien-aimé dans quelque endroit tranquille,et tantôt elle lui donnera des fleurs, tantôt une noix de bétel,des feuilles de bétel et des parfums. Elle lui montrera aussi sonadresse dans la pratique des arts, dans le massage, l’égratignureet la pression des ongles. Enfin elle l’entretiendra es sujetsqu’il affectionne, et discutera avec lui des voies et moyens àemployer pour conquérir l’amour d’une jeune fille.

Mais, suivant d’anciens auteurs, si ardente que soit l’affectiond’une jeune fille pour un homme, elle ne doit pas s’offrirelle-même ni faire les premières ouvertures, car une fille qui agitde la sorte s’expose à être méprisée et rebutée. Seulement, lorsquel’homme paraît désirer d’en jouir, elle doit lui être favorable, nemontrer aucun changement de contenance lorsqu’il l’embrasse, etrecevoir toutes les manifestations de son amour, comme si elleignorait à quoi il veut en venir.

Lorsqu’il voudra lui donner des baisers, toutefois, elle siopposera ; lorsqu’il la priera de lui permettre l’unionsexuelle, elle le laissera tout au plus toucher ses partiessecrètes, et encore avec beaucoup de difficulté ; et, quellesque soient ses importunités, elle ne lui cédera pas de son pleingré, mais résistera aux efforts qu’il fait pour l’avoir. C’estseulement quand elle sera certaine qu’elle est vraiment aimée, queson amant lui est tout à fait dévoué et qu’il ne changera pas,qu’elle s’abandonnera à lui, en lui persuadant de l’épouserpromptement.

Après avoir perdu sa virginité, elle en fera confidence à sesamies intimes.

Ainsi finissent les efforts d’une jeune fille pour conquérir unhomme.

Il y a aussi, sur ce sujet, des versets dont voici le texte:

« Une fille qui est très recherchée doit épouser l’homme qu’elleaime, et qu’elle pense devoir lui être obéissant et capable de luidonner du plaisir. Mais si, dans un but intéressé, des parentsmarient leur fille à un homme riche sans se préoccuper du caractèreet de l’apparence du fiancé ; ou encore s’ils a donnent à unhomme qui a plusieurs femmes, elle ne s’attache jamais à son mari,lors même qu’il serait doué de bonnes qualités, obéissant, actif,robuste, sain de corps et désireux de lui plaire de toutes façons.Un mari obéissant, mais toutefois maître de lui-même, encore bienqu’il soit pauvre et n’ait pas bonne apparence, est préférable àtel autre qui est commun à plusieurs femmes, si beau et siattrayant que soit ce dernier. Les femmes mariées à des hommesriches, qui ont beaucoup de femmes, ne leur sont généralement pasattachées et ne leur donnent pas leur confiance ; et, bienqu’elles jouissent de tous les agréments extérieurs de la vie,elles n’en ont pas moins recours à d’autres hommes. Un hommed’esprit grossier, ou tombé de sa position sociale, ou trop porté àvoyager, ne mérite pas qu’on l’épouse ; de même celui qui abeaucoup de femmes et d’enfants, ou qui aime passionnément lessports et les jeux et ne vient trouver sa femme que rarement, quandcela lui plaît. De tous les amants d’une fille, celui-là seul estson vrai mari qui possède les qualités par elle préférées, et untel mari aura seul une véritable supériorité sur elle, parce quec’est le mari d’amour. »

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