Le Trappeurs de l’Arkansas

Chapitre 11Les prisonniers

 

Lorsque les Peaux-Rouges et leschasseurs avaient envahi le camp des Mexicains, les pirates,d’après les ordres de leur chef, s’étaient disséminés dans toutesles directions, afin d’échapper plus facilement aux recherches deleurs ennemis.

Le capitaine et les quatre hommes quiportaient le général et son Nègre, tous deux liés et bâillonnés,avaient descendu la pente des rochers, au risque de se briser millefois en tombant dans les précipices qui s’ouvraient sous leurspieds.

Arrivés à une certaine distance,rassurés par le silence qui régnait autour d’eux et plus encore parles difficultés inouïes qu’ils avaient vaincues afin d’atteindre lelieu où ils se trouvaient, ils s’arrêtèrent pour reprendrehaleine.

Une obscurité profonde les enveloppait,au-dessus de leur tête ils apercevaient, à une hauteur énorme,scintiller comme de pâles étoiles, les torches portées par leschasseurs qui les poursuivaient, mais qui n’avaient garde de sehasarder dans le chemin qu’ils avaient pris.

– Bonne chance, dit lecapitaine ; allons, enfants, nous pouvons nous reposerquelques instants, nous n’avons, quant à présent, rien àcraindre ; placez vos prisonniers ici, que deux de vous sedétachent pour aller reconnaître les environs.

Ses ordres furent exécutés, quelquesminutes plus tard les deux bandits revinrent annoncer qu’ilsavaient découvert une excavation qui provisoirement pouvait leuroffrir un abri.

– Diable ! fit le capitaine,il faut nous y rendre.

Prêchant d’exemple il se mit en marche,les autres le suivirent.

Ils arrivèrent bientôt à un enfoncementqui paraissait assez spacieux et qui se trouvait à quelques toisesplus bas que l’endroit où ils s’étaient arrêtés d’abord.

Lorsqu’ils furent cachés sous cet abri,le premier soin du capitaine fut d’en boucher hermétiquementl’entrée avec une couverture, ce qui n’était pas difficile, cetteentrée était assez étroite, les bandits avaient été obligés de secourber pour y pénétrer.

– Là, dit le capitaine, nous voicichez nous, de cette façon nous ne craignons pas lesindiscrets.

Tirant un briquet de sa poche, il allumaune torche de bois-chandelle dont, avec cette prévision quin’abandonne jamais les gens de cette espèce, même dans lescirconstances les plus critiques, il avait eu le soin de semunir.

Dès qu’ils purent distinguer les objets,les bandits poussèrent un cri de joie.

Ce que, dans l’obscurité, ils avaientpris pour une simple excavation, était une grotte naturelle, commeon en rencontre tant dans ces contrées.

– Eh ! eh ! dit lecapitaine en ricanant, voyons donc un peu où nous sommes ;restez là, vous autres, surveillez avec soin les prisonniers, jevais reconnaître notre nouveau domaine.

Après avoir allumé une seconde torche,il explora la grotte.

Elle s’enfonçait sous la montagne parune descente en pente douce ; partout les parois en étaientélevées, parfois elles s’élargissaient assez pour former desespèces de salles.

Par des fentes imperceptibles elledevait recevoir l’air extérieur, car la lumière y brûlaitfacilement et le capitaine y respirait sans oppression depoitrine.

Plus le pirate avançait dans sesrecherches, plus l’air devenait vif, ce qui lui faisait supposerqu’il approchait d’une entrée quelconque.

Il marchait déjà depuis plus de vingtminutes lorsqu’une bouffée de vent qui lui fouetta le visage fitvaciller la flamme de sa torche.

– Hum ! murmura-t-il, voilàune sortie, soyons prudent, éteignons les lumières, nous ne savonspas qui nous pouvons rencontrer au-dehors.

Il écrasa sa torche sous ses pieds,resta quelques instants immobile, pour donner à ses yeux le tempsde s’habituer à l’obscurité.

C’était un homme prudent et sachant àfond son métier de bandit que de capitaine ; si le plan qu’ilavait formé pour l’attaque du camp avait échoué, il avait fallupour cela un concours de circonstances fortuites impossibles àprévoir.

Aussi, après le premier moment de mauvaisehumeur causée par l’échec qu’il avait reçu, il avait bravement prisson parti, se réservant in petto de prendre sa revanchedès que l’occasion s’en présenterait.

Du reste, la fortune semblait vouloirlui sourire de nouveau, en lui offrant, juste au moment où il enavait le plus pressant besoin, un abri presqueintrouvable.

Ce fut donc avec un mouvement de joie etd’espoir indicible qu’il attendit que ses yeux fussent assezhabitués à l’obscurité pour lui permettre de distinguer les objets,et savoir s’il allait réellement trouver une sortie, qui lerendrait maître d’une position presque inexpugnable.

Son attente ne fut pastrompée.

Dès que l’éblouissement causé par laflamme de la torche fut dissipé, il aperçut à une assez grandedistance devant lui une faible lueur.

Il marcha résolument en avant, au boutde quelques minutes il arriva à la sortie tant désirée.

Décidément la fortune se déclarait denouveau pour lui.

La sortie de la grotte donnait sur lebord d’une petite rivière, dont l’eau venait mourir auprès dusouterrain, de façon que les bandits pouvaient, en se jetant à lanage ou en construisant un radeau, entrer et sortir sans laisser detraces, et déjouer ainsi toutes les recherches.

Le capitaine connaissait trop bien lesprairies de l’Ouest, dans lesquelles il exerçait depuis près de dixans déjà son honorable et lucrative profession, pour ne pass’orienter facilement et savoir en un instant où il setrouvait.

Il reconnut que cette rivière coulait àune distance assez grande du camp des Mexicains, dont ses méandressans nombre tendaient encore à l’éloigner. Il poussa un soupir desatisfaction ; quand il eut bien reconnu les lieux, necraignant plus d’être découvert et tranquille désormais sur saposition, il ralluma la torche et revint sur ses pas.

Ses compagnons, à l’exception d’un seulqui veillait sur les prisonniers, dormaientprofondément.

Le capitaine les éveilla.

– Alerte ! leur dit-il, il nes’agit pas de dormir, nous avons autre chose à faire.

Les bandits se levèrent de mauvaisegrâce, en se frottant les yeux et en bâillant à se démettre lamâchoire.

Le capitaine leur fit d’abord bouchersolidement le trou qui leur avait livré passage, puis il leurordonna de le suivre avec les prisonniers, auxquels on avait déliéles jambes, afin qu’ils pussent marcher.

Ils s’arrêtèrent dans une des nombreusessalles que le capitaine avait trouvées sur sa route, un homme futdésigné pour garder les prisonniers qui furent laissés en ce lieu,et le capitaine continua avec les trois autres bandits, às’enfoncer dans la grotte.

– Vous voyez, leur dit-il en leurmontrant la sortie, qu’à quelque chose malheur est bon, puisque lehasard nous a fait découvrir un refuge, où nul ne viendra nouschercher. Vous, Franck, partez de suite pour le rendez-vous quej’avais assigné à vos camarades, vous les conduirez ici, ainsi quetous ceux des nôtres qui ne faisaient pas partie de l’expédition.Quant à vous, Antonio, il faut que vous nous procuriez desvivres ; allez tous deux. Il est inutile de vous dire quej’attends votre retour avec impatience.

Les deux bandits plongèrent sansrépliquer dans la rivière et disparurent.

Se tournant alors vers celui quirestait :

– Quant à nous, Gonzalez, luidit-il, occupons-nous à ramasser du bois pour faire du feu, et desfeuilles pour faire des lits ; allons, à l’œuvre ! àl’œuvre !

Une heure plus tard, un feu clairpétillait dans la grotte et, sur de moelleux lits de feuillessèches, les bandits dormaient d’un profond sommeil.

Au lever du soleil le reste de la troupearriva.

Ils étaient encoretrente !

Le digne chef sentit son cœur se dilaterde joie, à la vue de la riche collection de coquins, dont ilpouvait encore disposer. Avec eux il ne désespéra pas de rétablirses affaires et de prendre bientôt une éclatanterevanche.

Après un copieux déjeuner composé devenaison largement arrosée de mezcal, le capitaine songea enfin às’occuper de ses prisonniers.

Il se rendit à la salle qui leur servaitde cachot. Depuis qu’il était tombé aux mains des bandits, legénéral était resté silencieux, insensible en apparence aux mauvaistraitements auxquels il était en butte.

Les blessures qu’il avait reçues,complètement négligées, s’étaient envenimées, elles le faisaienthorriblement souffrir, mais il ne proférait pas uneplainte.

Un chagrin cuisant le minait depuisqu’il était prisonnier, il voyait renversé, sans espérance depouvoir le remettre un jour à exécution, le projet qui l’avaitamené dans les prairies.

Tous ses compagnons étaient morts,lui-même ne savait quel sort l’attendait.

La seule chose qui apportait une légèreconsolation à ses peines, c’était la certitude que sa nièce avaitréussi à s’échapper.

Mais qu’était-elle devenue dans cedésert, où l’on ne rencontre que des bêtes fauves ou des Indiensplus féroces qu’elles ? Comment cette jeune fille, habituée àtoutes les aises de la vie, supporterait-elle les hasards de cetteexistence de privations ?

Cette idée redoublait encore sessouffrances.

Le capitaine fut effrayé de l’état danslequel il le trouva.

– Allons, général, lui dit-il, ducourage, que diable ! La chance change souvent, j’en saisquelque chose, moi ! Caraï, il ne faut pas sedésespérer, personne ne peut prévoir ce que demain luiréserve ! Donnez-moi votre parole d’honneur de ne pas chercherà vous échapper, je vous rends immédiatement la liberté de vosmembres.

– Je ne puis vous donner cetteparole, répondit le général avec fermeté, je ferais un fauxserment ; je vous jure au contraire de chercher à fuir partous les moyens possibles.

– Bravo ! bien répondu, dit enriant le pirate, à votre place je répondrais de même ;seulement, je crois qu’en ce moment, avec la meilleure volonté, ilvous serait impossible de faire un pas ; aussi, malgré ce quevous venez de me dire, je vais vous donner la liberté ainsi qu’àvotre domestique, vous en ferez ce que vous pourrez, liberté de vosmembres seulement, bien entendu.

D’un revers de son machète, il coupa lescordes qui liaient les bras du général, puis il rendit le mêmeservice au Nègre Jupiter.

Celui-ci, dès qu’il fut libre de sesmouvements, commença à sauter et à rire en montrant deux rangées dedents formidables et d’une éblouissante blancheur.

– Allons, soyez sage, moricaud, luidit le pirate, restez tranquille ici, si vous ne voulez pasrecevoir une balle dans la tête.

– Je ne partirai pas sans monmaître, répondit Jupiter en roulant ses gros yeuxeffarés.

– C’est cela ! reprit lepirate en ricanant, voilà qui est convenu, ce dévouement vous faithonneur, moricaud.

Revenant alors au général, le capitainebassina ses plaies avec de l’eau fraîche, le pansa avec soin ;puis, après avoir fait placer devant les prisonniers des vivres,auxquels le Nègre seul fit honneur, le pirate se retira.

Vers le milieu de la journée, lecapitaine réunit autour de lui les principaux de labande.

– Caballeros, leur dit-il, nousne pouvons pas le nier, nous avons perdu la première partie, lesprisonniers que nous avons faits son loin de rembourser nos frais,nous ne devons point rester sous le coup d’un échec, qui nousdéshonore et nous rend ridicules. Je vais entamer une secondepartie ; cette fois, si je ne la gagne pas, j’aurai dumalheur ; pendant mon absence, surveillez bien lesprisonniers. Faites attention à la dernière recommandation que jevous fais : si demain à minuit je ne suis pas de retour sainet sauf au milieu de vous, à minuit et quart, vous fusillerez lesdeux prisonniers sans rémission ; vous m’avez bien compris,n’est-ce pas ? Sans rémission.

– Soyez tranquille, capitaine,répondit Franck au nom de ses camarades, vous pouvez partir, vosordres seront exécutés.

– J’y compte, mais surtout ne lesfusillez ni une minute plus tôt ni une minute plus tard.

– À l’heure juste.

– C’est convenu, allons adieu, nevous impatientez pas trop de ne pas me voir.

Sur ce, le capitaine quitta la grottepour se rendre auprès du Cœur-Loyal.

Nous avons vu ce que le bandit étaitallé faire auprès du trappeur.

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