Miss Waters

2.

Mon cousin Melville, vous disais-je donc, eut à diversesreprises une notion vague, très rapide, de ce que peuvent être lesmodes au fond de la mer. Mais je n’oserais affirmer que cettenotion renferme une quantité quelconque de vérité. Ses descriptionsdonnent l’impression d’un monde très étrange, d’une fluiditédiaphane et verte dans laquelle flottent des êtres vivants, unmonde éclairé par de grands monstres miroitants et par des forêtsmouvantes de luminosité nébuleuse, parmi lesquelles les petitspoissons vont et viennent, comme des étoiles prises au filet. Là,on n’est jamais ni assis ni debout, – les habitants flottent etglissent comme on flotte et comme on glisse dans les rêves. Et dequelle étrange façon ils vivent là-dessous !

– Mon cher, – me disait Melville, – cela doit être absolumentcomme un plafond peint !

Je ne suis aucunement certain qu’on rencontre au fond de la merun monde pareil à celui que dépeignit la Sirène. Mais, cependant,ces détails concernant les livres détrempés et les fragments dejournaux noyés ?… Les choses souvent sont différentes de cequ’elles paraissent, et nous ne devons pas oublier qu’elle lui fitces confidences par un certain après-midi folâtre…

– Parfois, – dit-il, – elle avait l’air d’être aussi réelle quevous ou moi, puis, soudain, le mystère l’enveloppait à nouveau. Àcertains moments, il semblait qu’on aurait pu, comme toute autrepersonne, la blesser ou la tuer, avec un canif par exemple ; àd’autres, on avait la certitude qu’on aurait pu détruire l’universtout entier sans qu’elle cessât de vivre ou de sourire.

Mais nous aurons l’occasion de revenir plus tard sur cecaractère ambigu de la Dame. Il y a des mers plus vastes que cellesque sillonnent les quilles des navires, et des profondeurs quin’atteignent pas les sondes des hommes. Quand, de tout cela, jecherche à tirer des conclusions, je suis contraint d’admettre queje ne sais rien, que je ne puis rien affirmer. Je me rejette surles renseignements fournis par Melville et sur les maigres faitsque j’ai pu grouper.

Au début, aucun de ceux qui approchaient la Sirène ne remarquaitrien d’étrange dans sa personne. Elle était visible et palpable,pensante et agissante, – créature superbe surgie des flots.

Dans notre monde moderne, l’étrange est devenu tout à faitordinaire, habitués que nous sommes à considérer tranquillement lesphénomènes les plus surprenants. Pourquoi nous étonnerions-nous devoir des sirènes en chair et en os, alors que des Dewar solidifienttoutes sortes de gaz impalpables et que les ondes de Marconirayonnent en tous sens dans l’atmosphère ?

Pour la famille Bunting, la Sirène était un fait aussi banal,une créature authentique douée d’une volonté aussi raisonnable etd’une sensibilité aussi réelle et saine que tout ce qui existaitdans le monde connu des Bunting. Telle elle fut à leurs yeux audébut, et tel, jusqu’à ce jour, son souvenir leur demeure.

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