Miss Waters

2.

À ce moment parut Mme Bunting. Sur sa figure se lisaient lestraces de ses récentes émotions.

– Je vous ai télégraphié, – dit-elle. – Nous sommes dans uncruel embarras.

– Miss Waters… ai-je appris…

– Elle est partie.

Elle se dirigea vers la sonnette, et s’arrêta.

– Les promeneurs déjeuneront en rentrant. Mais peut-êtrepréférez-vous déjeuner maintenant ?

Elle s’avança vers lui, les mains tendues.

– Vous ne pouvez pas vous imaginer ! Ah ! la pauvreenfant !

– Racontez-moi ce qui s’est passé, – dit Melville.

– Je ne sais réellement que faire, je ne sais de quel côté metourner.

Elle se rapprocha, et, sur un ton éploré :

– Tout ce que j’ai fait, monsieur Melville, je l’ai fait pour lebien. Quand je m’aperçus que ça n’allait plus, que j’avais ététrompée, je tins bon autant que je pus. Mais à la fin il a bienfallu parler.

Par des questions précises et des silences interrogateurs, moncousin obtint d’elle un récit assez clair de l’aventure.

– Et tout le monde me blâme ! – conclut-elle, – tout lemonde !

– Dans les affaires de ce genre, tout le monde blâme ceux quidonnent des preuves de courage et d’initiative, – réponditMelville. – N’y faites pas attention.

– J’essayerai, – promit-elle bravement. – Vous, monsieurMelville, vous êtes au courant…

Il posa un instant sa main sur l’épaule de la pauvre dame.

– Oui ! – dit-il, sur un ton fort impressionnant, etj’imagine que Mme Bunting en éprouva du soulagement.

– Nous comptons tous sur vous ! – reprit-elle, dolente. –Je ne sais pas ce que je deviendrais sans vous.

– Bien, bien, – dit Melville. – Où en sont les choses ?Qu’attendez-vous de moi ?

– Allez le trouver, et arrangez cela.

– Mais supposons… – commença Melville, dubitativement.

– Allez la voir, elle. Faites-lui comprendre tout cequi en résulterait pour lui et pour nous…

Il essaya d’obtenir des instructions plus nettes.

– Oh ! ne faites pas de difficultés, – implora Mme Bunting.– Pensez à cette pauvre Adeline, là-haut ! Pensez à noustous.

– Parfaitement, – dit Melville, qui pensait à Chatteris enregardant par la fenêtre d’un air découragé. – Bunting, ai-jeappris, est allé…

– C’est vous, ou personne ! – interrompit Mme Bunting qui,dans sa pétulance, n’attendit pas la fin de la phrase. – Fred esttrop jeune et Randolph n’est pas assez diplomate… Il… il menace, ilintimide.

– Vraiment ? – s’écria Melville.

– Si vous le voyiez à l’étranger ! Souvent, très souvent,il m’a fallu m’interposer… Non, c’est vous ! Vous connaissezHarry si bien ! Il a confiance en vous, vous pouvez lui diredes choses… des choses que personne d’autre ne lui dirait.

– Cela me rappelle… est-ce qu’il sait… ?

– Nous l’ignorons. Comment le saurions-nous ? Nous sommescertains qu’il en raffole, c’est tout ! Il est là-haut, àFolkestone, et elle y est aussi, et il est possible qu’ils sevoient.

Mon cousin prenait conseil de lui-même.

– Promettez-moi que vous irez ! – insista Mme Bunting enposant la main sur son bras.

– J’irai, – promit Melville. – Mais je ne vois pas bien ce queje puis faire.

Alors Mme Bunting saisit la main de mon cousin et la pressa dansses deux jolies mains potelées, proclamant qu’elle savait qu’ilpromettrait, et qu’elle lui serait reconnaissante jusqu’à sondernier souffle d’être accouru si promptement après avoir reçu letélégramme. Et elle ajouta tout d’une traite, comme si cela faisaitpartie de sa reconnaissance, qu’il avait sans doute grande envie dedéjeuner.

Il accepta incidemment la proposition, et revint à la questionen litige.

– Savez-vous quelle attitude il a ?…

– Il n’a écrit qu’à Adeline.

– Ce n’est pas lui, en somme, qui a déterminé cettecrise ?

– C’est Adeline. Il s’en alla tout à coup, et quelque chose dansses manières décida Adeline à lui écrire pour lui demander ce qu’ilavait. Aussitôt qu’elle eut sa réponse, dans laquelle il déclaraitvouloir se reposer quelque temps de la politique et ne plus trouverdans ce genre d’existence un intérêt suffisant, elle comprittout…

– Tout ? Fort bien, mais encore, qu’est-ce exactement quece tout ?

– Qu’elle l’avait attiré.

– Miss Waters ?

– Oui.

Mon cousin réfléchit. C’était là, donc, ce qu’ils considéraientcomme tout.

– Je voudrais bien savoir au juste ce qu’il trame, –remarqua-t-il enfin, et il suivit Mme Bunting vers la salle àmanger.

Au cours de ce repas qu’ils prirent en tête à tête, Melville serendit compte du grand soulagement qu’il procurait à Mme Bunting enconsentant à aller trouver Chatteris ; mais il n’en éprouvaitlui-même qu’une satisfaction relative. La brave dame semblait mêmese considérer comme délivrée de la majeure partie de saresponsabilité dans l’affaire, puisque Melville en assumait lefardeau. Elle esquissa tout un plan de défense contre lesaccusations qu’on avait sans doute portées contre elle,explicitement et implicitement.

– Comment aurais-je pu prévoir cela ? – gémit-elle, et ellerépéta prolixement l’histoire de ce mémorable atterrissage, eninvoquant des détails nouveaux et des circonstancesatténuantes.

C’est Adeline qui la première avait crié : « Il faut lasauver ! » Mme Bunting insista tout spécialement sur cepoint.

– Et alors pouvais-je agir autrement ? –pleurnicha-t-elle.

Pendant qu’elle bavardait ainsi, le problème prenait aux yeux demon cousin des proportions de plus en plus graves. Il se rendait deplus en plus clairement compte de la complexité de cette situationqu’on le chargeait de débrouiller.

Tout d’abord il n’était pas du tout certain que miss Glendowerfût disposée à reprendre son fiancé sans conditions, et, de l’autrecôté, il était bien persuadé que la Dame de la Mer n’avaitaucunement l’intention de lâcher la proie sur laquelle elle avaitmis la main. Tout ce monde se préparait à traiter comme un casindividuel ce qui était, en somme, un conflit d’éléments. Il devintde plus en plus évident pour Melville que Mme Bunting ne tenaitaucun compte de la nature essentielle de la belle séductrice : elleconsidérait absolument l’affaire comme une simple vacillationquotidienne, comme un banal accès de cette maladie du changementqui habite le cœur de l’homme, où elle se dissimule profondémentparfois, mais d’où on ne la déracine jamais complètement. Et MmeBunting, avec une confiance inébranlable, s’attendait à ce qu’ilrétablît les choses dans leur primitive harmonie, grâce à quelquesremontrances amicales faites avec tact et fermeté.

Quant à Chatteris…

Melville hochait la tête au-dessus de l’assiette à fromage, etrépondait distraitement à Mme Bunting.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer